Document. La vie quotidienne à Mossoul, sous le “califat”

RECONSTITUTION. Il est très difficile de savoir ce qui se passe réellement dans les territoires contrôlés par les milices de l’organisation de l’Etat islamique, car entre propagande et manipulation, l’information indépendante ou le témoignage fiable sont rarissimes. Médias 24 fait un tour d’horizon.

Document. La vie quotidienne à Mossoul, sous le “califat”

Le 12 août 2014 à 15h35

Modifié le 11 avril 2021 à 2h36

RECONSTITUTION. Il est très difficile de savoir ce qui se passe réellement dans les territoires contrôlés par les milices de l’organisation de l’Etat islamique, car entre propagande et manipulation, l’information indépendante ou le témoignage fiable sont rarissimes. Médias 24 fait un tour d’horizon.

A Médias 24, il nous a fallu beaucoup de temps pour trouver des témoignages fiables au sujet de la vie quotidienne sous l’ordre de Baghdadi. Au final, nous avons recoupé les infos de quelques chaînes irakiennes, une agence de presse irakienne privée, des forums irakiens ainsi qu’un site irakien sur lequel des journalistes indépendants  et des citoyens publient leurs articles.  Ci-dessous une reconstitution qui nous paraît aussi conforme que possible à la réalité.

Début juin, les jihadistes de l’EIIL (qui devînt ultérieurement E.I., Etat islamique) déboulent vers le nord de l’Irak. Après trois jours de combats destinés probablement à tester les défenses de la ville, ils en prennent le contrôle en quelques heures. Les 75.000 soldats qui la défendent tournent les talons et s’enfuient, précédés par leurs officiers. Telle est l’armée irakienne aujourd’hui: peu organisée, peu professionnelle, peu déterminée…

A Mossoul, les experts qui suivent la guerre ne s’attendaient pas à ce que les jihadistes administrent la ville. Tous les experts pensaient qu’ils partiraient après en avoir pillé les principales richesses, comme l’arsenal militaire ou les coffres de la banque centrale.

Or, c’est le contraire qui s’est produit.

La stratégie: infrastructures et ressources naturelles

Le califat est proclamé dans cette ville le 29 juin et le nouveau “calife“ conduit la prière solennelle du vendredi. Après la prière, selon des témoins oculaires, le calife entouré de sa garde rapprochée surarmée, reçoit l’allégeance des fidèles dans cette même mosquée de Mossoul.

Au cours de cette semaine décisive, l’organisation de Baghdadi a entamé sa transformation en Etat (califal). La milice jihadiste devient une armée confessionnelle, à l’image de l’Etat de Baghdadi.

L’organisation a subi de nombreux revers militaires en Syrie. Elle a été chassée d’Alep par les forces rebelles et expulsée de régions entières par le Front Nosra (l’autre organisation jihadiste). Après la prise de Mossoul, la voici qui se ressource en Irak où elle fait une OPA sur les nombreuses organisations de l’insurrection sunnite. Une OPA sur l’islam sunnite rebelle, celui qui combat à la fois les kurdes et les chiites. Elle s’inscrit dans la confessionnalisation du Proche-Orient qu’elle fera tout pour alimenter.

L’audace et la subtilité stratégique de Baghdadi sont saluées entre les lignes par les think tank américains.

Il pousse son avantage en faisant main basse sur l’infrastructure: plusieurs barrages dont celui de Mossoul, l’un des plus grands au monde, des puits de gaz et de pétrole, une raffinerie, deux énormes bases militaires en Syrie. L’infrastructure est une arme redoutable, un instrument de puissance et une source de liquidités.  

Les armes capturées à Mossoul sont intéressantes par les centaines de 4x4, pick-up et Humvee. Plus tard, les jihadistes captureront également des blindés américains utilisés par l’armée irakienne. Entre l’Irak et la Syrie, d’énormes stocks de missiles, notamment anti-chars, passent entre leurs mains.

L’Irak est tellement affaibli, l’armée est tellement déliquescente que le pays est à prendre.

Et c’est parce qu’il pense pouvoir créer un Etat que Baghdadi garde la ville de Mossoul et décide de l’administrer.

Le problème, c’est l’Irak, pas l’E.I.

Les premières actions des miliciens de l’E. I. lorsqu’ils entrent dans une cité, c’est le butin. Ils ont en effet droit à une part du butin, donc c’est prioritaire. Les photos des butins font ensuite le tour de leurs pages. Parfois, il s’agit simplement comme nous l’avons nous-mêmes constaté, de rations de nourriture, voire de poulet déjà cuisiné.

Dès leur entrée dans une cité nouvellement conquise, les jihadistes créent des tribunaux religieux puis embrigadent les jeunes garçons à partir de la puberté, dans des cycles courts de formation militaire. Au bout d’un temps très court, parfois deux semaines comme nous l’avons constaté, ils sont versés dans les brigades jihadistes.

Des témoignages fiables et recoupés indiquent que des enfants de 9 ans sont embrigadés. Une vidéo jihadiste de propagande montre un milicien interrogeant un enfant de quelques années : “tu veux devenir kamikaze ou jihadiste?“. L’enfant répond “jihadiste“. Des témoignages nombreux et fiables citent les mères éplorées et désespérées devant l’enrôlement de leurs jeunes enfants et le lavage de cerveau que ceux-ci subissent.

Lors de la prise de Mossoul, le nombre global de miliciens de Baghdadi était estimé à 10.000 à 15.000, répartis entre la Syrie et l’Irak. Aujourd’hui, ils sont peut-être le double. Quatre mille d’entre eux restent à Mossoul et ouvrent un bureau de recrutement.

Dans les mosquées de la ville, dans les marchés, des jihadistes proposent aux jeunes de se faire enrôler dans l’armée confessionnelle de Baghdadi. Un tel recrutement est conditionné par l’allégeance au “calife“. “L’allégeance signifie l’obéissance absolue au calife jusqu’à la mort. Si un jour tu n’obéis pas, tu es un apostat et tu es mis à mort,“ expliquent les recruteurs.

Les enfants et les ados subissent un lavage de cerveau: endoctrinement suivi de formation militaire puis ils sont versés dans le service actif, avec une période de probation d’un an. De la chair à canon!

Les 4.000 miliciens ont besoin de renforts. Toutes les autres factions de l’insurrection sunnite leur font allégeance, à deux exceptions près: le mouvement qui se réclame du Baas et qui est conduit par l’ancien vice président de Saddam Izzat Ibrahim se considère davantage comme un allié que comme un satellite. Idem pour l’alliance des chefs de tribus de la région de Mossoul.

L’organisation de Baghdadi se donne une vocation militariste et jihadiste, assise sur une économie de rente, de prédation et de razzias. Au plan militaire,  elle pense prendre durablement le leadership de l’insurrection sunnite. Sur la Toile, ses porte-paroles sont convaincus que la route de La Mecque leur est ouverte.

Et Bagdad?

Selon le Washington Institute, think tank américain spécialisé dans le terrorisme et le Proche orient,  il est impossible de prendre Bagdad. C’est une forteresse. Selon la même source, l’insurrection sunnite est en train d’encercler la capitale irakienne et finira par l’assiéger. Elle serait ainsi capable de détruire les ponts qui entourent la ville, de sorte à l’isoler complètement.

Administrer une ville, créer un Etat

L’organisation de Baghdadi a montré qu’elle est capable d’une certaine centralisation. On l’a vu avec la communication et avec la coordination des opérations militaires. Mais administrer une grande ville et créer un Etat, c’est bien plus complexe.

A Mossoul, les habitants se rendent désormais compte que sous le régime irakien, ils avaient un minimum de quiétude, pour ne pas dire de confort.

Après l’arrivée des jihadistes, les fonctionnaires de la ville ont refusé de rejoindre leurs postes, avons-nous constaté selon les témoignages publiés. Résultat: problèmes d’approvisionnement, y compris pour l’essentiel, les produits alimentaires et le carburant. Interpelés par des habitants, des responsables de l’E.I. à Mossoul leur ont proposé de manger “l’herbe, comme vos frères de Syrie“. Les fournitures d’eau et d’électricité sont devenues irrégulières et les pénuries de produits alimentaires ont fait leur apparition. Administrer une ville comme Mossoul n’est pas chose aisée.

A cause des pénuries de carburant, la circulation est devenue très fluide. Aux carrefours, des hommes armés, parfois encagoulés, règlent la circulation. Quelques voitures avec la mention “police islamique“ circulent.

Les files aux stations-services sont longues de plusieurs kilomètres. Un témoignage cite le  cas d’un homme qui pour obtenir 20 l de gasoil,  a passé deux jours dans une file d’attente.

La population relaie des rumeurs de châtiments corporels et de coups de fouet mais aucune confirmation n’est obtenue de manière sûre, contrairement à des villages comme Raqqa, où cette pratique est courante.

Aux entrées et sorties de la ville,  des “droits de douane“ sont appliquées à toute marchandise qui sort ou qui entre, par exemple 10 dollars sur chaque bonbonne de gaz venue du Kurdistan voisin, ce qui triple le prix final de vente.

Une police de la vertu a été instaurée, elle effectue des rondes, interdisant le narguilé et les cigarettes, les stocks de tabac trouvés sont brûlés en public, toute trace de visage ou de cheveux féminins a disparu, y compris sur les mannequins des vitrines des magasins, que les commerçants doivent voiler. Les vêtements serrés, pour hommes ou pour femmes, sont désormais interdits à la vente.

Aux barrages tenus par les miliciens, plusieurs témoins signalent des distributions gratuites d’exemplaires de coran. Un coran que ces miliciens n’ont manifestement pas lu ou qu’ils ne savent pas lire.

Les témoignages font également état du départ de 10.000 chrétiens. Le chiffre de 100.000, avancé par les autorités religieuses chrétiennes et par des médias occidentaux, semble exagéré.

Mais même le départ forcé d’un seul chrétien, en raison de sa religion, serait un abus inacceptable. Imaginez que les millions de musulmans habitant l’Europe se voient imposer le choix suivant : la conversion au christianisme, l’impôt de capitation, l’exil en abandonnant leurs biens, ou la mort.

En matière d’exactions, de nombreux témoignages (par exemple ci-dessous), citent des cas de viols et de meurtres entourés de mises en scène cruelles. Par contre, la création d’un marché aux esclaves pour revendre les captives, imputée à l’E.I. n’est pas confirmée de source indépendante.

 

 

Un témoignage cite la présence de jihadistes marocains, algériens, tchetchènes et afghans, parmi les miliciens.

En quelques semaines de contrôle de la ville, l’organisation de Baghdadi a effacé toute trace d’Etat civil, les tribunaux civils ont été supprimés parce qu’ils appliquent des lois “posées“, ils sont remplacés par les tribunaux religieux.

Ces nouveaux tribunaux comprennent chacun un religieux choisi par les miliciens dans leurs propres rangs, il juge dans toutes les affaires, commerciales, civiles, criminelles… Car il se réclame d’une idéologie holiste.

L’organisation applique également la loi des butins de guerre. Toute personne considérée comme un apostat ou un mécréant, peut être dépouillée de tous ses biens. C’est ce qui s’est fait avec l’ancienne nomenclatura qui a déserté la ville, leurs maisons sont occupées par les dirigeants.

La tenue afghane, notamment pour les hommes, est la règle au sein de la population. Elle n’est pas une obligation, mais une sorte de mode bien vue. Les vêtements européens sont mal vus.

La ville est subdivisée en quartiers dirigés par des émirs qui reçoivent leurs ordres directement des collaborateurs du wali de la région.

Selon des témoignages, les milices de Baghdadi se servent dans les coffres des banques commerciales probablement pour payer leurs troupes ou faire leurs acquisitions. Les mêmes témoignages avancent que les coffres de ces banques recèlent 1,5 milliard de dollars.

La vie quotidienne est difficile. Le prix d’un litre de gasoil a triplé depuis la chute de la ville, l’électricité n’est disponible que deux heures par jour.  Un enseignant envisage de vendre les légumes, annonce un journaliste présent sur place. L’eau fraiche est un luxe qui n’existe pas, ni la climatisation. Les raids de l’aviation irakienne sont quotidiens, les victimes souvent civiles, les services médicaux régressent de jour en jour, des pénuries de médicaments sont signalées partout, y compris dans les hôpitaux.

Ceux qui le peuvent quittent la ville. Sur la route vers Bagdad, les boulangeries traditionnelles offrent du pain gratuit à tous ceux qui n’ont pas les moyens de le payer, des pancartes en font état.

Depuis dimanche matin, chaque commerce doit verser l’équivalent de 300 dollars par mois pour le jihad. Des témoignages fiables ont cité une tournée effectuée par des miliciens auprès des commerces pour leur annoncer cette mesure.

Des sources dans la ville ont indiqué que la nouvelle milice a commandé 10.000 tenues militaires pour ses troupes aux usines textiles de Mossoul, le but semble-t-il étant d’uniformiser. Ces milices, selon la même source, ont fourni des milliers de mètres de tissus pour ce travail.

Tous les mausolées ainsi que les lieux de culte autres que les mosquées ont été démolis y compris un mausolée que l’on prête au prophète Younes.

Mais il n’y a pas que les mausolées. Les miliciens de Baghdadi sont en train de détruire une bonne partie de l’Irak et de la Syrie et n’ont qu’une ambition: effectuer davantage de destructions dans le reste du monde arabe.

Lorsqu'on a fini la lecture des témoignages ci-dessus, on se rend compte à quel point les Marocains se trouvent dans une bulle, protégés du fracas du reste du monde arabe et à quel point des forces occultes, sombres, noires comme leur étendard, essaient de ramener toute la région dans les abysses de la préhistoire.

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