Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

France, une grogne en cache une autre

Le 5 avril 2023 à 14h11

Modifié 5 avril 2023 à 14h11

Alors que des citoyens français manifestaient pour dénoncer la réforme des retraites et affrontaient les forces de l’ordre, le président Emmanuel Macron a trouvé le temps pour faire un crochet, le 16 mars, chez les diplomates, afin d’avaliser une autre réforme qui métamorphosera l’une des prestigieuses institutions du pays. Dès le début de son deuxième mandat, Macron avait annoncé son intention de réformer le Quai d’Orsay pour répondre aux exigences du monde actuel, comme il disait.

Cette réforme prévoit la mise en extinction du corps historique de la diplomatie française d’ici fin 2023, et la création d’un nouveau corps d’État. La refonte prévoit que tous les hauts fonctionnaires, y compris ceux du Quai d’Orsay, ne seront plus rattachés à une administration spécifique. Ils peuvent naviguer, dans une sorte de mobilité, entre les différents ministères, et changer de responsabilité tout au long de leur carrière.

Cette réforme a suscité la colère des diplomates français qui s’inquiètent, et à raison, de ses conséquences sur une diplomatie connue pour être le troisième réseau du monde, après ceux des Etats-Unis et de la Chine, en termes de moyens humains et financiers déployés à l’étranger. Elle intervient également à un moment où le monde traverse des crises diverses et inextricables, et que la France elle-même n’est pas sortie totalement du marasme économique post-Covid.

Déjà en mai 2022, un collectif de diplomates lançait un appel via la presse où il exprimait sa colère face à la suppression brutale du corps diplomatique qui frappe les grades des conseillers et des ministres plénipotentiaires. Un mois après, c’est tout le ministère qui se mettait en grève pour la deuxième fois de son histoire. Les diplomates dénonçaient la réforme qui, selon eux, détruirait des compétences et ferait perdre au pays une expertise inestimable.

Les diplomates français craignent par-dessus tout la disparition de la diplomatie professionnelle. Pour eux, celle-ci est un métier qui s’apprend sur le temps long par la multiplication des expériences et la transmission des savoirs entre les agents. Ils dénoncent les soupçons qui sous-tendent cette réforme d’un ministère peu ouvert sur l’extérieur et replié sur lui-même. Cette réforme ne mènera que vers des nominations de complaisance, au détriment de la compétence et de l’efficacité, selon les diplomates français.

C’est pour apaiser leur révolte que Macron s’est rendu chez eux pour faire passer cette réforme, qui lui pose moins de problèmes que l’autre, relative aux retraites. Il a tenté d’être pédagogue en soulignant les qualités des diplomates, bras armés de l’action internationale de la France selon lui. Il a tenu à rappeler que la diplomatie est un métier d’engagement qui vit au rythme des crises, un métier de passion qui a aussi ses servitudes, a-t-il relevé.

Une diplomatie basée sur quatre piliers

En dépit de son discours lénifiant sur la réforme administrative du corps diplomatique, Macron n’a fait qu’ajouter à la grogne de la rue contre sa réforme des retraites, celle des diplomates déçus par son amateurisme sur la scène internationale et ses conséquences sur le positionnement du pays. Je reconnais votre métier, mais un métier n’a pas besoin de corps de métier pour exister ; oui au métier non au corps, leur a-t-il froidement assigné.

Pour faire plier les récalcitrants, le président a affirmé que 60% des agents diplomatiques ont manifesté leurs intentions de rejoindre les administrateurs de l’État en acceptant la réforme en cours. Mais ont-ils réellement le choix ? Lui y voit un signe encourageant d’adhésion dans cette inter-ministérialité qu’il cherche à imposer à toute la haute fonction, et en particulier à la diplomatie. Dans les meilleures diplomaties du monde, ce métier est reconnu avec un jugement des pairs selon lui.

Une fois cette réforme admise, Macron espère passer à l’application d’une diplomatie qui se basera sur quatre piliers, fruits de ses années à la tête de l’État comme il l’a souligné. Le premier est de coordonner au mieux les interventions des institutions et opérateurs français à l’étranger avec un cœur de métier profondément rénové. Le but est d’être capable d’assembler des cercles de solidarité en Europe, au sein de l’Alliance Atlantique, en Indopacifique, et dans d’autres régions du monde.

Pour ce faire, Macron demande de renforcer la capacité d’analyse des directions politiques du Quai d’Orsay et la consolidation de la culture stratégique. La réforme qu’il propose devrait, selon lui, questionner les habitudes et revoir les dogmes pour doter la diplomatie française de capacités d’anticipation. L’objectif ultime sera de structurer le métier autour de la capacité d’influence et de rayonnement à l’étranger.

Cette capacité d’influence est le deuxième trait évoqué dans son discours. Le président français critique un certain relativisme ambiant qui s’installe parmi ceux qui sont perçus comme la voix de la France, sous-entendu les diplomates, qui viennent servir des discours de déconstruction et de révision. Il propose en contrepartie de renforcer les capacités d’influence en modernisant les outils de communication. L’influence ne se joue pas que dans les milieux des pouvoirs des pays où les diplomates exercent ; elle doit être hors les murs et s’inscrire dans l’intimité des pays et de ce que s’y joue.

Après ces deux traits exposés, Macron évoque un troisième volet qui consiste à prendre en considération les enjeux globaux de notre monde. La diplomatie de la France se jouera sur la capacité à trouver des accords avec le reste des nations sur des grands thèmes comme le climat, l’énergie ou l’alimentation, objets de négociations complexes. Ici, il évoque la nécessité d’avoir une culture interministérielle, comme le prévoit la réforme qu’il est venu exposer et défendre.

Enfin, le président Macron évoque le quatrième trait de la diplomatie qui doit être plus proche des Français pour mieux les servir. Elle doit simplifier et dématérialiser les procédures, doubler l’enseignement du français à l’étranger et être enracinée dans les régions et les territoires pour améliorer les exportations. Il demande aux diplomates d’aller au bout de cette logique par la création d’une réserve diplomatique citoyenne qui permettra de diffuser cette culture et de bâtir une intimité entre le ministère et le reste de la société.

Au-delà de ces annonces, qui ont besoin de temps pour se concrétiser sur le terrain, le discours présidentiel est venu confirmer le désarroi dans lequel se trouve la France face aux changements qui s’opèrent, malgré elle, dans le monde. Son éviction de l’Indopacifique par les Américains, les conséquences de la guerre d’Ukraine sur le pays, la perte d’influence en Afrique, en particulier dans les pays du Sahel et au Maghreb, et la concurrence de nouvelles puissances sur ses chasses gardées mettent à mal la diplomatie française.

La réforme de la diplomatie est certes un processus complexe et difficile, puisqu’elle demande du temps et des ressources humaines et financières appropriées. En principe, toute réforme administrative semble difficile à mener en raison des structures figées et des habitudes prises. C’est encore plus difficile quand il s’agit de la diplomatie, qui s’inscrit dans des relations avec les autres nations et des pratiques bien établies depuis des lustres, avec des us et coutumes rigides, et des structures difficiles à remodeler facilement.

Toute réforme diplomatique nécessite donc une forte volonté politique que le président Macron est venu, à juste titre, exprimer lui-même face aux diplomates. Elle exige surtout l’adhésion des diplomates, pour que les changements soient efficaces et durables, ce qui est loin d’être acquis. Or depuis l’annonce de ces changements, le malaise est encore plus diffus chez les diplomates français, dont une partie conteste l’aveuglement et l’amateurisme de la gestion de Macron des relations internationales du pays.

Soumis au devoir de réserve, les diplomates français n’ont pas battu le pavé comme leurs autres concitoyens pour protester contre la réforme des retraites. Un diplomate français déclarait anonymement, et à raison, à un journaliste, que cette réforme n’est pas un problème en soi. Là où le bât blesse, c’est qu’elle reposera sur une administration généraliste, alors que la diplomatie a besoin de spécialistes et de cadres bien spécifiques. Notre métier s’apprend au fil du temps et des expériences sur le terrain, lui a-t-il déclaré.

Mais comme dans d’autres réformes, Macron se plaît à s’écouter et tient peu compte des avis des concernés et encore moins de ses adversaires. Il a fait passer sa réforme au forceps, comme il l’a fait pour les autres réformes, en créant désenchantements et désordres auprès des concernés. Mais comme la politique extérieure est moins soumise à la pression du public que les affaires domestiques, la réforme imposée au Quai d’Orsay lui apporte, pour le moment, un zest d’une mini-victoire à savourer.

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