Paiement électronique. Pourquoi les décisions des régulateurs sont historiques, voici les implications immédiates
ANALYSE. En agissant sur la structure du secteur de la monétique via le démantèlement du monopole existant du CMI et la régulation des tarifs, le Conseil de la concurrence et Bank Al-Maghrib libèrent un marché à fort potentiel dont le développement a été freiné par des pratiques anticoncurrentielles.

Paiement électronique. Pourquoi les décisions des régulateurs sont historiques, voici les implications immédiates
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H. G.
Le 1 octobre 2024 à 16h04
Modifié 1 octobre 2024 à 20h36ANALYSE. En agissant sur la structure du secteur de la monétique via le démantèlement du monopole existant du CMI et la régulation des tarifs, le Conseil de la concurrence et Bank Al-Maghrib libèrent un marché à fort potentiel dont le développement a été freiné par des pratiques anticoncurrentielles.
Le secteur de la monétique, en particulier celui du paiement électronique, va subir une transformation majeure qui démarre dès ce 1er octobre.
Tout est parti d'une plainte déposée par NAPS au Conseil de la concurrence, accusant le Centre monétique interbancaire (CMI), opérateur historique du secteur, d'abus de position dominante et de pratiques anticoncurrentielles sur le marché des terminaux de paiement électronique (TPE).
Deux décisions majeures ont découlé de l'instruction ouverte par le Conseil de la concurrence à laquelle a été associé Bank Al-Maghrib. Elles ont été rendues publiques en l’espace de quelques jours :
1- Le plafonnement des tarifs d’interchange, qui entrent dans la composition de la commission payée sur chaque paiement électronique, annoncé par Bank Al-Maghrib.
2- Le démantèlement du monopole du Centre monétique interbancaire (CMI), annoncé par le Conseil de la concurrence.
En quoi ces deux décisions sont-elles historiques ? La première réglemente et plafonne les frais payés par les commerçants aux banques à la suite d'un paiement monétique ; des frais maintenus à des seuils élevés par manque de concurrence dans le secteur.
La deuxième met fin à un monopole en place depuis vingt ans. Il s'agit de celui du CMI, seul opérateur actif dans l’acquisition de 2004 à 2015. Et qui a maintenu son monopole malgré l'arrivée de la concurrence.
Les pratiques des banques et de leur filiale CMI ont empêché le développement du secteur de la monétique puisque les paiements électroniques ne représentent que 1% des transactions au Maroc.

Une commission Banques-CMI allant jusqu'à 2% (HT) par transaction
Schématisons. Chaque fois qu'un consommateur paie un achat par voie électronique (via TPE ou en ligne), plusieurs acteurs interviennent pour rendre cette opération possible, dont trois principaux :
- la banque émettrice de la carte bancaire détenue par le consommateur qui effectue la transaction (émetteur monétique) ;
- les opérateurs via lesquels le paiement électronique s'effectue (CMI, NAPS, Barid Cash...) (acquéreur monétique) ;
- le commerçant qui propose le paiement électronique (restaurant, magasin, supermarché, etc.).
Un consommateur va régler la facture de son restaurant d'un montant de 1.000 DH via un TPE installé chez ce dernier.
Le client se verra débiter 1.000 DH sur sa carte bancaire. Sur cette transaction, le restaurant, lui, va payer une commission globale de 2% (HT), soit 20 DH hors taxes ou encore 22 DH TTC.
Ces 20 DH sont à la charge du commerçant et ne doivent en aucun cas être répercutés sur le client final. Car la loi exige que le client règle le produit ou service acheté au même prix, sans frais supplémentaires, quel que soit le mode de paiement choisi : cash, électronique ou chèque...
À qui notre restaurateur va reverser les 20 DH ? 12 DH (1,2%) iront à la banque émettrice de la carte bancaire du client. C'est ce qu'on appelle dans le jargon monétique : frais d'interchange. Pour faire simple, c'est la commission payée par les commerçants aux banques de leurs clients qui effectuent des transactions chez eux.
Les 0,8%, soit 8 DH, représentent les frais d'acquisition. C'est la commission payée par le restaurateur à l'opérateur chez qui il a pris son TPE. En l'occurrence, le CMI ou l'un de ses concurrents.
Un accord de place définit les taux appliqués
Ces taux étaient fixés par les banques d'un commun accord. "Ce taux de 1,2% était pratiqué par toutes les banques. C'est ce qu'on appelle un accord de place. La place bancaire a décidé que la commission de la banque sera de 1,2% (HT) et libre à chaque opérateur, comme le CMI ou NAPS, qui offre des services de paiement, de rajouter la marge qu'il estime suffisante pour lui", nous explique Ismail Bellali, expert du secteur de la monétique et fondateur du cabinet de conseil Unipay.ma.
Dans son communiqué, le Conseil de la concurrence a évoqué des "préoccupations de concurrence", sans en préciser la nature. Ententes ? Abus de position dominante ? La question reste entière, et il revient à l'autorité de la concurrence d'y répondre.
Selon les explications d'Ismail Bellali, le taux de 1,2% est un taux standard. Certains secteurs ont des taux plus bas après "des ajustements décidés par les banques". C'est le cas du secteur de la distribution alimentaire, de la distribution d'eau et d'électricité et du commerce de proximité pour qui la commission des banques est de 0,55%.
C'est aussi le cas des des stations-service, à qui les banques accordent le taux le plus bas, à savoir 0,15%.
"Comme la commission de la banque est fixe, les acquéreurs monétiques (CMI, NAPS, etc.) se font la concurrence sur leurs marges qui ne dépassent pas les 0,8% dans le meilleur des cas. Et comme cette marge est faible, les baisses qu'ils peuvent se permettre sont très limitées. Un commerçant n'a pas vraiment d'intérêt à changer d'opérateur monétique pour économiser 0,1% ou 0,2%. C'est minime. C'est la raison qui fait que les parts de marché sont restées stables, malgré l'arrivée de nouveaux acteurs sur ce marché. Conséquence, peu ou pas de concurrence", poursuit Ismail Bellali.
Le CMI accapare toujours 97% des parts de marché selon le communiqué du Conseil de la concurrence. Les mesures proposées visent donc à casser ce monopole.
Bank Al-Maghrib divise par deux les frais d'interchange
À partir de ce 1er octobre, l'intervention de Bank Al-Maghrib a d'abord permis de diviser par deux le taux de ces fameux frais d'interchange.
La Banque centrale a plafonné ces frais à 0,65%. Elle a également décidé d'instituer une commission multipartite pour déterminer les niveaux de frais d'interchange sectoriels.
Pour l'heure, c'est une décision importante qui brise un statu quo. Néanmoins, malgré la baisse opérée, ces frais restent élevés en comparaison avec ceux pratiqués dans l'Union européenne, par exemple, où ils sont plafonnés à 0,2% de la valeur de la transaction pour les cartes de débit des consommateurs et à 0,3% pour les cartes de crédit des consommateurs.
Quelle lecture faire de cette décision et quel est son impact immédiat ? "Je tiens à préciser que Bank Al-Maghrib fixe un plafond aux frais d'interchange et ne demande pas aux banques d'appliquer ce taux. Rien n'empêche chaque banque d'appliquer un taux inférieur si elle le souhaite", commente Bellali.
Et d'ajouter : "Théoriquement, la baisse exigée par Bank Al-Maghrib au niveau des frais d'interchange devrait bénéficier aux commerçants. C'est une baisse accordée par les banques à la demande du régulateur et qui ne touche pas les marges des acquéreurs".
Cependant, "dans la réalité, les choses pourraient se passer différemment. Cette baisse pourrait être répercutée en partie seulement sur les commerçants et l'autre partie servirait à augmenter la marge des opérateurs monétiques", analyse notre expert.
Le CMI abandonnera le marché de l'acquisition monétique d'ici un an
C'est l'un des points de vigilance sur le court terme, car si le CMI récupère une partie de la marge concédée par les banques, celle-ci pourrait leur revenir par le biais des dividendes.
Ce risque, qui est bien réel, ne persistera pas. Car les mesures annoncées par le Conseil de la concurrence vont y remédier d'ici un an.
Le CMI et les neuf banques actionnaires de ce dernier se sont engagés sur un ensemble de mesures pour améliorer le fonctionnement concurrentiel du marché du paiement électronique par carte (TPE et PEL) :
- céder l’ensemble des contrats d’adhésion des commerçants aux systèmes cartes (affiliation au terminal de paiement électronique "TPE" et de paiement en ligne "PEL") au profit des établissements de paiement ou toute autre filiale des banques dédiée à l’acquisition relevant ou non de ces dernières ;
- le CMI s’engage également à céder les contrats liés à son activité passerelle de paiement en ligne (Gateway E-commerce) ;
- anticiper activement et effectivement la facilitation et la réalisation de cette cession au profit des nouveaux cessionnaires ;
- prendre toutes les dispositions nécessaires pour garantir la viabilité économique, la valeur et la compétitivité de ces contrats pendant la période transitoire de douze (12) mois à compter de la date de la décision du Conseil rendant obligatoire les engagements ;
- s’interdire de démarcher tout nouveau client ou de conclure de nouveaux contrats d’adhésion aux systèmes cartes ou de contrat lié à son activité passerelle de paiement en ligne (Gateway E-commerce) ou aux commerçants (B to C) ;
- le CMI, qui sera transformé en plateforme technique de traitement pour le compte de tous les établissements de paiement de la place, s’engage à garantir un accès à ses services dans des conditions tarifaires et non tarifaires équitables, transparentes et non discriminatoires ;
- veiller à ce que leurs établissements de paiement ou filiales dédiées soient juridiquement et économiquement indépendantes, afin de leur permettre de jouir d’une autonomie fonctionnelle et comptable ;
- ne pas commercialiser les offres d’affiliation au terminal de paiement électronique "TPE" ou de paiement en ligne "PEL" de leurs établissements de paiement ou filiales dédiées à l’acquisition.
Comment toutes ces mesures se répercuteront-elles sur le marché, notamment la principale, ayant trait au démantèlement du monopole du CMI ? Comment cette activité pourrait-elle être partagée entre les différentes banques actionnaires ?
"En 2004, quand le CMI s'est lancé dans le secteur de l'acquisition, il avait zéro client. Chacune des banques actionnaires a transféré au CMI son portefeuille de clients commerçants. On peut envisager de faire l'opération inverse. Ainsi, le CMI va transférer à chaque banque son portefeuille commerçants", estime Ismail Bellali. "La clé de répartition sera vraisemblablement le RIB de domiciliation du commerçant", précise notre interlocuteur.
À partir de là, chaque banque qui a sa filiale de paiement lui transférera le portefeuille clients. Celle qui n'en a pas optera alors pour un partenariat stratégique avec un établissement existant ou décidera de créer une filiale.
Privé de sa principale activité, que deviendra le CMI ? "Le CMI va devenir un centre de processing de transactions de paiement pour le compte des établissements qui voudront le faire chez lui, à l'image de HPS, S2M ou le nouvel arrivant Network International", répond Ismail Bellali.
Dossier à suivre...
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Le 1 octobre 2024 à 16h04
Modifié 1 octobre 2024 à 20h36