Analyse. Comprendre le passé des crues catastrophiques du Maroc

Les dernières intempéries du Sud-est ont conduit à des crues torrentielles qui ont submergé de vastes étendues de terres agricoles et habitations, causant la mort de 18 personnes. Cette région est en fait régulièrement touchée par de tels événements, provoquant à chaque fois des pertes humaines et des dégâts matériels.

Analyse. Comprendre le passé des crues catastrophiques du Maroc

Le 16 septembre 2024 à 12h57

Modifié 16 septembre 2024 à 12h57

Les dernières intempéries du Sud-est ont conduit à des crues torrentielles qui ont submergé de vastes étendues de terres agricoles et habitations, causant la mort de 18 personnes. Cette région est en fait régulièrement touchée par de tels événements, provoquant à chaque fois des pertes humaines et des dégâts matériels.

Le Maroc a été régulièrement frappé par des inondations, catastrophes naturelles ayant causé de nombreuses pertes en vies humaines et des dégâts matériels considérables au fil des années. Bien que d'autres risques naturels existent, les inondations représentent l'une des principales menaces en termes de fréquence et d'impact au Maroc.

À l'échelle historique, les inondations, récurrentes et de plus en plus dévastatrices, ont frappé le pays à plusieurs reprises.

Dans la nuit du 7 au 8 septembre 2024, de fortes intempéries ont provoqué une montée des eaux des oueds Guir, Ziz, Ghris et Drâa. Des précipitations de plus de 100 mm en 24 heures ont été enregistrées, atteignant même 170 mm à Tagounite (sud de Zagora), transformant ainsi les lits habituellement secs de ces oueds en cours d'eau puissants.

Si les inondations au Maroc se sont faites plus rares ces dernières années en raison de la récurrence de six années de sécheresse, les régions du Sud-est restent périodiquement touchées par des crues dévastatrices.

L’inventaire de l’historique des inondations qui ont touché le Maroc confirme ce constat et indique que plus du tiers des crues ont été enregistrées particulièrement dans les régions du Sud-est.

Un historique des principales crues documentées 

 Date  Localité de l'inondation  Nombre de     morts
 25/09/1950  Sefrou  100
 01/04/1995  Tata  18
 17/08/1995  Ourika Setti Fatma  289
 04/09/1995  Taza (Oued Amlil)  43
 28/09/1997  El Hajeb, Taza, Khénifra  40
 25/11/2002  Mohammedia, Settat et Fès  35
 17/11/2003  Nador  5
 28/05/2006  Errachidia  6
 28/02/2008  Marrakech, Kalâat Seraghna  9
 03/11/2008  Driouch  28
 12/02/2009  Gharb  29
 28/11/2014  Guelmim  32
 28/08/2019  Taroudant  8
 08/09/2019  Errachidia  17
 08/09/2024  Tata, Zagora, Errachidia,Tinghir, Guelmim  18

 

 

 

L’année 1995, le Maroc secoué par la sécheresse et les inondations

Malgré une sécheresse exceptionnelle ayant marqué l’année 1995, le Maroc a été frappé par trois inondations meurtrières. En avril 1995, la crue de l'Oued Tata a causé la mort d'au moins 18 personnes et a rendu sans abri 350 familles dans la région de Tata, une région où la majorité des ménages vivent dans le milieu rural, principalement aux environs d’oasis.

Le 17 août 1995, la vallée de l'Ourika a été frappée par une catastrophe naturelle d'une ampleur inhabituelle. Des orages violents, avec plus de 100 mm de pluie en moins d'une heure, ont provoqué une montée brutale des eaux de l'Oued Ourika.

Cette crue exceptionnelle, emportant de grandes quantités de débris, a déclenché d'importants glissements de terrain dans la région. Elle a surpris de nombreux vacanciers installés dans la vallée de Tnin Ourika, Tahanaout et Setti Fatma provoquant un bilan humain très lourd : 289 personnes ont perdu la vie.

Les images de l'événement sont restées gravées dans les mémoires de tous les Marocains ayant vécu cette période : un ciel noirci, des torrents d'eau emportant tout sur leur passage, des ponts, des routes et des maisons détruites, et malheureusement, de nombreux corps retrouvés sans vie.

Ces crues torrentielles des petits bassins de montagne sont les plus dangereuses car elles se caractérisent par une très rapide montée des eaux entre 7 et 8 mètres, de très fortes vitesses d'écoulement (4 à 6 m/s), et des capacités de charriage énorme.

D’après les travaux du Pr Mohamed El Mehdi Saidi (2003), l’examen des données hydrologiques de la station d’Aghbalou indique qu’à peine un quart d’heure après les précipitations du 17 août 1995, le débit est monté jusqu’à 1.030 m3 /s et les eaux ont mobilisé un volume de 3,3 millions de m3.

Les mêmes travaux scientifiques ont démontré que les fortes pentes et les terrains imperméables de la vallée d'Ourika favorisent des écoulements torrentiels et boueux, ainsi que des crues soudaines.

Hydrogramme* de l'inondation d'Ourika (station Aghbalou), le 17 août 1995 (Saidi, 2003). *Graphique de la variation temporelle du débit d'écoulement d'eau, mesurée au sol. 

Outre sa violence, la catastrophe de l'Ourika 1995 était une référence quant à la brutalité, la violence et le danger que constitue une inondation et a souligné la vulnérabilité de la région face aux phénomènes météorologiques extrêmes, un phénomène qui s’est répété durant les années 1997 et 1999, 2006, 2010, 2012, 2016, 2018, 2022.

Depuis le drame d’août 1995, de nombreux programmes, à la fois structurels et non structurels, ont été mis en œuvre pour réduire l’impact des crues sur la région. Ces efforts ont abouti, en 2002, à la mise en place d'un système de prévision et d'alerte opérationnel permettant la surveillance permanente de toute la vallée.

Quelques semaines seulement après la catastrophe de l'Ourika, une autre inondation a frappé le Maroc, le 4 septembre 1995. Cette fois-ci, c'est l'Oued Amlil, dans les régions de Taza et Taounate, qui a été touché, causant la mort de 43 personnes.

Les crues dévastatrices du Sud-est du Maroc

Situé en climat pré-désertique, le Sud-est du Maroc est caractérisé par des précipitations rares mais intenses. Concentrées sur de courtes périodes, ces pluies génèrent d'importants cumuls qui constituent l'essentiel des précipitations annuelles.

Les oueds et leurs affluents, généralement à sec, dépendent étroitement de ces événements pluvieux pour leur recharge en eau.

Ces précipitations soudaines et violentes engendrent des crues de forte amplitude dans les oueds qui resurgissent de manière périodique.

Précipitations annuelles enregistrées dans la ville d'Errachidia (infoclimat.fr)

En 2019, d'importantes inondations ont touché les régions d’Errachidia et Taroudant. En août et septembre, sept personnes ont perdu la vie au douar Tizrt suite à des inondations causées par de fortes pluies.

Quelques semaines plus tard, près du barrage Hassan Addakhil, un autocar a été emporté par les eaux de l'oued Dramchane en crue, causant la mort d’au moins 6 personnes et 27 blessés.

Mobilisation des forces publiques suite aux inondations de Taroudant (28 aout 2019).

 

Crue de l'Oued Ghris, à proximité des lieux du drame, photographiée samedi 7 septembre 2019.

Située entre Oued Drâa et Oued Akka, la province de Tata a été impactée par plusieurs inondations causant à chaque fois la perte de vie et un grand nombre de sans-abris à cause du caractère brutal de ce type d’inondation et aussi de la vie oasienne et nomade dominante dans la région.

Plus à l’Est, l’étude d’une inondation de l’Oued Guir qui a eu lieu dans les provinces d'Errachidia et Boudenib, le 10 octobre 2008, indique l’ampleur dévastatrice de ces types de crues qui se répètent dans ces zones et causent à chaque fois un lourd bilan.

Situé dans la région d’Oriental, l’Oued Guir prend sa source depuis Jbel El Ayachi (3.721 m) et traverse Boudenib avant de se déverser dans l’Algérie. La lecture des données hydrométriques de la station de Tazouguert indique une montée graduelle du débit, qui s’est accentuée après 9 heures et qui a atteint son pic après 11 heures, avec un débit de pointe d’environ 3.000 m3/s.

En amont de Gourrama, le débit pointe de la crue a été évalué à 2.260 m3/s (Aït Hssaine, 2014).

Hydrogramme de la crue  d'Oued Guir, le 10 octobre 2008 (Aït Hssaine, 2014).

Ces crues des affluents principaux se répètent lors de fortes intempéries. Elles sont caractérisées par une montée rapide des eaux (6 à 24 heures) et une durée moyenne de 1 à 2 jours, pouvant générer des débits exceptionnels de plusieurs centaines de millions de mètres cubes.

À l’échelle nationale, la prévision de ces crues reste encore bonne avec les moyens de suivi météorologique et hydrologique existants, mais les temps nécessaires à l'annonce des crues, à la mise en sécurité des personnes, à la signalisation ou la fermeture des voies de communication exposées, se raccourcit à quelques heures.

Les crues catastrophiques qui ont frappé les provinces du sud

Présentant les mêmes caractéristiques de crues que dans le Sahara du sud-est, les provinces de sud ont aussi connu des crues importantes dont la plus connue est celle de Guelmim en 2014.

Suite à de fortes intempéries enregistrées dans tout le pays, les routes de Guelmim-Tata ont été coupées. Le 28 novembre 2014, la région de Guelmim a reçu des précipitations exceptionnelles qui ont atteint 50 mm à Guelmim, 208 mm à Taghjijt et 230 mm à Assaka.

À cause de ces précipitations, plusieurs villages de Guelmim ont été encerclés par les oueds en crues et les quartiers de la ville se sont retrouvés inondés. Le bilan enregistré dans ce sinistre a fait état de 35 décès et des centaines de personnes se sont retrouvées sans abri.

Bien que rares, de tels événements soudains sont possibles. L'exemple de l'oued Sakia El Hamra, qui n'avait pas atteint l'océan depuis des décennies, en témoigne. Les fortes précipitations d'octobre 2016 ont provoqué une crue exceptionnelle, atteignant un débit de pointe de plus de 3.000 m³/s. En seulement 18 heures, le volume d'eau stocké dans le barrage de Sakia El Hamra est passé de 7 à 203 Mm³, causant son effondrement.

Contrairement aux crues rapides, ce type d'événements se développe lentement sur plusieurs jours. Les volumes d'eau mis en jeu sont bien plus importants (plusieurs centaines de millions de mètres cubes), entraînant des élévations de niveau significatives dans le cours d'eau. Ces crues sont associées à un charriage important de tout ce que l’Oued trouve sur son chemin.

Il était une fois, Sefrou en 1950

Le 25 septembre 1950, l’Oued Aggay, qui scinde cette ville en deux, a été alimenté par de fortes pluies. En quelques heures, cette ville a reçu près de 70 mm de pluies alors que la moyenne mensuelle à cette époque était de 16 mm.

Les crues ont tout ravagé sur le passage de l’Oued et des quartiers de l’ancienne médina ont carrément été rasés: en plus de la prestigieuse piscine municipale, des pans entier du Mellah (quartier juif), Chebbak, Bestna, Rahbat Laâouad, Kasba, Beni Medrek…

Ayant tout perdu, les populations sinistrées ont dû trouver refuge chez des membres de leurs familles à Sefrou même, voire à Fès ou Meknès.

Ces crues avaient suscité un vif émoi chez les Marocains à cette époque où il n’y avait pas de réseaux sociaux et où la presse (gérée en grande partie par les colons français) était le seul moyen de s’informer.

Le défunt Roi Mohammed V s’était rendu sur place en solidarité avec les populations de Sefrou et des photos d’archives, assez rares, le montrent pataugeant dans les flaques avec ses babouches.

Une plaque commémorative est toujours visible entre les quartiers Chebbak et Mellah et qui a été placardée au niveau atteint par les eaux à l’époque. Un niveau hallucinant qui pousse le visiteur à se demander comment cette petite ville n’a pas été rayée de la carte.  Bilan officiel: au moins 100 morts.

Visite du défunt Sultan Mohammed V à la ville de Sefrou suite aux inondations d'oued Aggay.
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