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Code pénal. Le débat sur l'incrimination explicite du viol conjugal est relancé

Le CNDH et le Parlement ont récemment évoqué l’absence d’incrimination explicite du viol conjugal dans le Code pénal marocain. Pourquoi est-il nécessaire de l’inclure ? Et comment la lutte contre la discrimination permet-elle de lutter contre les violences ? Voici la lecture de Nouzha Skalli.

Code pénal. Le débat sur l'incrimination explicite du viol conjugal est relancé

Le 22 juillet 2024 à 12h19

Modifié 22 juillet 2024 à 14h43

Le CNDH et le Parlement ont récemment évoqué l’absence d’incrimination explicite du viol conjugal dans le Code pénal marocain. Pourquoi est-il nécessaire de l’inclure ? Et comment la lutte contre la discrimination permet-elle de lutter contre les violences ? Voici la lecture de Nouzha Skalli.

Alors que le projet de Code pénal est en cours de préparation, ce texte très attendu est celui qui incrimine le viol, mais il ne prévoit pas, de manière explicite, le viol conjugal. C’est l’un des éléments relevés dans le dernier rapport annuel du Conseil national des droits de l’Homme, qui appelle à l’incrimination de cet acte, considéré à ce jour, comme un sujet tabou dans la société marocaine.

Mais le débat autour de l’incrimination du viol conjugal s’ouvre de plus en plus, surtout dans le cadre d’une réforme qui viendra accompagner celle du Code de la famille, lancée par le Roi Mohammed VI.

Dans ce sens, un récent rapport de la commission de justice de la Chambre des représentants vient commenter le rapport du groupe de travail dédié à “l’évaluation des conditions d’application de la loi 103.13, relative à la lutte contre les violences faites aux femmes”. Ce document relève parmi “les principales problématiques de nature juridique”, l’absence de l’incrimination “explicite” du viol conjugal.

Une absence déplorée par plusieurs institutions et observateurs, mais que la commission de justice de la Chambre des représentants ne considère pas comme fatale ; puisqu’elle estime que les définitions prévues dans le Code pénal et dans la loi 103.13 suffisent à inclure l’acte sexuel sans consentement de la femme dans la définition du viol. Et ce, de manière implicite.

La définition actuelle suffit-elle ?

La commission rappelle la définition prévue par l’article 486 du Code pénal marocain, selon laquelle “le viol est l'acte par lequel un homme a des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci”. “Le législateur ne conditionne pas la relation entre l’homme et la femme”, précise-t-on dans le rapport.

Mais la question à laquelle ne répond pas ce rapport est celle de la condition aggravante. Car l’article 487 du même texte prévoit une sanction plus grave “si les coupables sont les ascendants de la personne sur laquelle a été commis l'attentat, s'ils sont de ceux qui ont autorité sur elle, s'ils sont ses tuteurs ou ses serviteurs à gages, ou les serviteurs à gages des personnes ci-dessus désignées, s'ils sont fonctionnaires ou ministres d'un culte, ou si le coupable quel qu'il soit, a été aidé dans son attentat par une ou plusieurs personnes”. Autrement dit, le législateur liste les cas où la qualité de l’auteur aggrave sa peine, mais n’inclut pas le statut d’époux dans cette liste.

Ledit rapport s’attaque ensuite à la loi 103.13 qui prévoit, dès son article 1er, une définition des violences faites aux femmes. Il s’agit de “tout acte matériel ou moral ou abstention fondés sur la discrimination en raison du sexe entraînant pour la femme un préjudice corporel, psychologique, sexuel ou économique”. Le même article définit aussi la “violence sexuelle”, comme étant “toute parole ou tout acte ou exploitation susceptibles de porter atteinte à l'intégrité corporelle de la femme à des fins sexuelles ou commerciales, quel que soit le moyen utilisé à cet effet”.

De ce fait, la commission de justice de la Chambre des représentants estime que l’incrimination du viol conjugal passe par la “lecture complémentaire” de ces dispositions ; puisque le viol conjugal “repose sur l’élément du dommage causé suite à une relation, peu importe la nature entre l’homme et la femme”. Ainsi, l’époux “fait partie des personnes incluses”.

Pour la commission de justice, l’essentiel est de “développer la jurisprudence dans ce domaine”. Elle donne comme exemple la décision de la chambre criminelle de la cour d’appel de Tanger qui a statué, en 2019, sur une affaire qui “définit la pratique sexuelle entre époux avec l’usage de la violence et en l’absence du consentement de la femme, comme étant un viol conjugal”.

Mais l’incrimination explicite ne permettra-t-elle pas de faire évoluer la jurisprudence plus rapidement ? Ne garantira-t-elle pas une protection de la femme marocaine, dans un contexte social marqué par une mentalité patriarcale ? Une révision explicite de la définition du viol dans le Code pénal ne vient-elle pas accompagner la réforme globale du Code de la famille visant à supprimer les discriminations envers la femme ?

La révision du Code pénal est complémentaire de la réforme du Code de la famille

Contactée par nos soins, Nouzha Skalli, militante féministe, partage avec nous sa lecture. Pour elle, “le contexte global est marqué par le grand  chantier de réforme du Code la famille lancé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI, une réforme fondamentale destinée à traduire les engagements nationaux et internationaux du Maroc, à travers la mise en œuvre de la Constitution et en se conformant aux conventions internationales dument ratifiés par le Maroc. Il s’agit notamment de donner vie à l’égalité hommes femmes et de donner la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il s’agit donc de mettre en œuvre ces principes à travers l’ensemble des textes de lois en vue d’éliminer toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et d’assurer aux enfants l’ensemble de leurs droits quelle que soit leur situation familiale comme s’y engage la Constitution”.

“Il est important d’expliquer pourquoi il faut éliminer toutes les formes de discrimination, car la discrimination est la source de nombreuses injustices mais elle est à l’origine de toutes formes de violence. L’ensemble du mouvement féministe dans notre pays partage le même objectif ; celui d’une réforme globale et profonde du Code de la famille”.

Selon Nouzha Skalli, “il s’agit de moderniser le Code de la famille et de mettre en œuvre l’égalité des droits à travers l’ensemble du Code, mais aussi à travers un ensemble d’autres textes, dont, en priorité, le Code pénal, qui peut être considéré comme une partie intégrante du Code de la famille. Il est indispensable de le réviser en profondeur en conformité avec l’esprit du nouveau Code de la famille, notamment pour prévoir des sanctions aux contrevenants au Code de la famille, par exemple pour ceux qui contournent la loi pour se marier avec des mineures ou contracter un mariage polygame en instrumentalisant le mariage par la fatiha ou encore en sanctionnant le viol conjugal, et qui sont aujourd’hui ignorés par le Code pénal. Ceci est indispensable pour réaliser les objectifs de la réforme du Code de la famille”.

Les lois qui ne sont pas conformes aux principes de l'égalité Hommes-Femme et/ou à l'intérêt supérieur de l'enfant doivent être révisées

Notre interlocutrice estime que “les principes de l’égalité et de la priorité à l’intérêt supérieur de l’enfant doivent être également traduis à travers la loi de la kafala, le Code de la nationalité, etc. ; soit un ensemble de lois qui ne sont pas en conformité avec les principes de la Constitution que nous nous sommes fixés en tant que Nation, avec la volonté et le leadership de de Sa Majesté le Roi et pour lesquels se sont battus de multiples composantes de la société ; à savoir l’égalité et la parité”.

“Or, aujourd’hui, la culture dominante dans notre société, c’est la culture patriarcale qui consacre la suprématie et la domination masculines. C’est ce qui signifie que l’homme impose sa suprématie par tous les moyens, y compris par la violence physique ou sexuelle. Cette culture doit être remplacée par la diffusion de la culture de l’égalité afin d’agir sur les mentalités machistes, et développer les bases pour la co-responsabilité, le respect mutuel et le dialogue sur la base de l’égalité. Il est indispensable d’accompagner les réformes législatives par cette action d’éducation et contribuer ainsi à éliminer la discrimination et par conséquent à éliminer la violence”, ajoute-t-elle.

Pour Nouzha Skalli, “il faut avoir conscience que quand on parle de viol et de harcèlement sexuel, ce sont des crimes perçus par la société à travers le prisme de la suprématie masculine. C’est ce qui fait que la violence à l’égard des femmes est un fléau structurel au sein de la société. En effet, la société valide le désir sexuel de l’homme comme un besoin naturel normal, voire noble, et qui est une composante de sa virilité. Par contre, il n’y a aucune indulgence pour les femmes, qui sont sévèrement condamnées par la société si elle pratique des relations sexuelles en dehors du cadre du mariage. Même dans le cadre du mariage, la femme est considérée comme liée par un contrat où son corps est à la disposition de l’homme et de la procréation”.

De manière générale, l’homme est libre socialement. Libre de séduire, de chercher une relation sexuelle, d’assouvir ses besoins validés par la société ; mais pas la femme. Ses besoins sexuels sont niés et la société lui fait assumer l’entière responsabilité en cas de grossesse non programmée. Elle n’a pas droit à l’avortement légal et doit subir les affres de l’avortement clandestin ou assumer une grossesse seule sans que les droits de son enfant né hors mariage soient garantis. Beaucoup de choses ont évolué, mais il reste un fond culturel et des mentalités qui continuent à perdurer”.

Selon cette militante féministe, “dans la culture sous-jacente de la société, l’homme se marie pour avoir une relation sexuelle. Il est inconcevable pour la société que l’homme ait besoin de violer sa femme, car elle est supposée être à sa disposition pour avoir des relations sexuelles avec lui.  Or le viol, quel qu’en soit l’auteur, est un crime. C’est un violence extrême à l’égard des femmes, et il est inadmissible de garantir l’impunité dans le contexte conjugal”.

“Nous avons des témoignages de centres d’écoute qui nous rapportent des cas de viol dans le cadre du mariage. Et ce, avant même la réforme de la Moudawana de 2004”, précise-t-elle.

S’agissant de la définition élargie du viol, Nouzha Skalli rappelle qu’“au même moment où nous avions adopté la loi contre la violence à l’égard des femmes, la Tunisie avait adopté une loi contre la violence, dans laquelle elle avait défini le viol en ajoutant la formule suivante : ‘Quelle que soit la relation qui lie le violeur et la victime’. Ce qui inclue explicitement le viol conjugal. Au Maroc, sous un gouvernement dirigé à l’époque par le PJD, nous ne pouvions pas attendre autre chose qu’un refus catégorique d’inclure le viol conjugal. L’argument en face était que ‘le viol conjugal n’était pas exclu’. Or, au vu des mentalités et en l’absence d’une incrimination explicite, la situation devient plus complexe” .

“De plus, il ne suffit pas de le dire dans la loi. Il faut aussi mettre en place des mécanismes, parce qu’une femme qui va venir dénoncer son mari qui l’a violée n’aura pas forcément des éléments de preuve. Pour établir les preuves de ce viol, cela demande la mise en œuvre du principe de diligence voulue. Si l’État n’emploie pas les moyens nécessaires pour faire une enquête, il sera très difficile pour une femme de prouver qu’elle a été victime de viol conjugal. C’est pour cela qu’on parle d’une réforme profonde et globale, avec des mesures d’accompagnement pour contribuer à changer les mentalités et promouvoir une culture de l’égalité.  On doit cesser de considérer la femme comme subordonnée à l’homme, de la considérer comme le parent qui n’a pas de droits sur son enfant, la procréatrice qui ne donne pas son nom à son enfant et qui n’a pas de tutelle sur lui, etc.”.

Pour Nouzha Skalli, “la revendication du mouvement féministe s'illustre notamment à travers la grande rencontre organisée en novembre dernier au centre Technopolis, dans lequel il y avait une centaine d’associations de tout le territoire national, à l’initiative du think tank [qu'elle préside] Awal Houriates, avec un partenariat de sept réseaux d’associations féministes qui œuvrent pour l’égalité des droits de l’enfant et de la lutte contre les violences, mais aussi pour la réforme du Code pénal, de l’héritage etc. avec l'objectif : ‘Pour des législations égalitaires dans un Maroc en mutation’. Une grande convergence s’est dégagée autour de cet objectif et de la nécessité d’une réforme globale et profonde du Code de la famille”.

“Je suis confiante et optimiste quant aux résultats de cette réforme conduite sous le leadership de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, et dont les enjeux sont stratégiques aussi bien pour les droits humains des femmes que pour le progrès social et le développement de notre pays”, conclut-elle.

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