Maroc-France : un timide début de réconciliation sans avancée notable

Lors d’une conférence de presse avec son homologue marocain, le ministre français des Affaires étrangères a réitéré le soutien de la France au plan d’autonomie marocain, sans aller jusqu’à reconnaître explicitement la marocanité du Sahara. Selon l’ex-diplomate Ahmed Faouzi, Stéphane Séjourné a fait un premier pas en reconnaissant implicitement la souveraineté du Maroc. De son côté, le politologue Emmanuel Dupuy estime qu’il n’y a eu aucun progrès notable, hormis une volonté de booster les échanges économiques pour tenter de rattraper l’Espagne.

Maroc-France : un timide début de réconciliation sans avancée notable

Le 26 février 2024 à 19h49

Modifié 26 février 2024 à 22h34

Lors d’une conférence de presse avec son homologue marocain, le ministre français des Affaires étrangères a réitéré le soutien de la France au plan d’autonomie marocain, sans aller jusqu’à reconnaître explicitement la marocanité du Sahara. Selon l’ex-diplomate Ahmed Faouzi, Stéphane Séjourné a fait un premier pas en reconnaissant implicitement la souveraineté du Maroc. De son côté, le politologue Emmanuel Dupuy estime qu’il n’y a eu aucun progrès notable, hormis une volonté de booster les échanges économiques pour tenter de rattraper l’Espagne.

Après deux années de froideur politique entre le Maroc et la France, la visite du ministre français des Affaires étrangères revêt une signification d’autant plus particulière que Rabat a été la première capitale du Maghreb inscrite à son agenda international.

Volonté de réchauffement sincère ou galop d’essai intéressé de ce proche du président français qui a contribué à la crise entre les deux pays ? Son discours diplomatique sans véritable avancée sur la question du Sahara marocain peut être interprété de plusieurs manières.

Les sept aveux du ministère français des Affaires étrangères (Ahmed Faouzi)

Invité à livrer sa lecture du discours de Stéphane Séjourné, Ahmed Faouzi a d’abord résumé les éléments de langage du chef du Quai d’Orsay prononcés durant la conférence de presse avant d’analyser sa portée pour l’avenir.

"La France a admis que le Sahara revêt une importance capitale pour le Maroc et pour son peuple."

"Consciente que le Sahara marocain est un enjeu existentiel pour le Royaume, la France a rappelé qu’elle soutenait l’initiative marocaine depuis l’annonce du plan d’autonomie."

"Le Maroc peut compter sur le soutien constant de la France que je confirme une nouvelle fois."

"La France a été le premier pays à soutenir le plan d’autonomie marocain en avril 2007."

"Paris appelle toutes les parties (Algérie, Maroc, Mauritanie, polisario) à s’engager dans le processus onusien à travers des tables rondes pour arriver à une solution politique mutuellement acceptable."

"La France appuie les efforts économiques du gouvernement marocain dans les provinces du Sud en matière de formation, de tourisme, d’éducation, d’économie bleue…"

Enfin, le ministre français a exprimé le souhait de son pays de "revoir la totalité du partenariat Maroc-France pour l’adapter aux changements qui s’opèrent dans le monde".

"Séjourné a implicitement admis la souveraineté du Maroc sur son Sahara"

Après avoir rappelé ces propos, Ahmed Faouzi souligne que le ministre français a émis des éléments de langage ayant trait à la souveraineté du Maroc en rappelant l’aide économique de la France au Sahara marocain avec des investissements actuels et futurs dans plusieurs secteurs.

"C’est une forme implicite de reconnaissance de notre souveraineté, sans quoi la France n’aurait pas investi dans cette région où subsiste un conflit depuis des décennies. Si on aurait aimé qu’elle aille au-delà et se prononce plus clairement, il faut prendre en considération le fait que la France est un des cinq membres permanents du Conseil de sécurité qui se doit de respecter les procédures internationales", temporise Ahmed Faouzi.

Cependant en affirmant que le Sahara est une question existentielle pour le Maroc, Stéphane Séjourné a implicitement admis l’importance vitale de cette question pour le Royaume.

Féru d’histoire, Ahmed Faouzi a tenu a rappeler que le terme "existentiel" avait été formulé à maintes reprises par la France pour récupérer la région de l’Alsace-Lorraine qui avait été annexée par l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale.

Et d’ajouter que si la France considérait que le Sahara ne faisait partie intégrante du Maroc, elle n’aurait pas autorisé ses hommes d’affaires à multiplier des investissements sur place, et n’aurait pas non plus ouvert des lycées français à Laâyoune et à Dakhla, ainsi qu’un institut culturel tout récemment.

Selon le diplomate, la présence française au Sahara marocain et ses aides économiques dans plusieurs secteurs d’activité constituent par conséquent un aveu empirique de souveraineté du Maroc dans ses provinces du Sud.

 "Il faudra encore être patient"

A la question de savoir pourquoi la perspective d’une visite du président Emmanuel Macron n’avait pas été évoquée, notre interlocuteur affirme qu’elle ne pourra être annoncée que lorsqu’il y aura une véritable avancée sur la question du Sahara.

Se montrant pragmatique, notre consultant et analyste diplomatique affirme qu’il ne faut pas fermer la porte à la France.

"Il faudra être patient avant de parvenir à une véritable reconnaissance de la marocanité du Sahara", souligne-t-il.

A l’appui de son optimisme, Ahmed Faouzi rappelle que le ministre a promis que la France allait développer des programmes de formation dans les provinces du Sud et multiplier des investissements privés.

"Un premier pas qui passera par la sphère économique"

S’il refuse de parler de véritable virage de la position française, confrontée à un choix cornélien pour ne pas s’aliéner l’Algérie, Ahmed Faouzi estime cependant que cette visite a au moins eu le mérite de générer un premier pas positif qui pourra augurer un changement de paradigme.

D’ici-là, notre analyste pense que le chemin de la réconciliation passera d’abord par le renforcement des relations économiques avec une feuille de route pour les trente années à venir.

"Le fait d’avoir choisi notre pays pour son premier voyage officiel au Maghreb est un signal fort qui montre que le Maroc est une priorité pour la France", conclut Ahmed Faouzi qui, tout en se défendant de faire preuve d’auto-satisfaction, estime que la voie est ouverte à une évolution positive de la position de la France dans un avenir pas si lointain.

"Une rencontre pas très convaincante" (Emmanuel Dupuy)

Moins convaincu, le président de l'Institut Prospective et Sécurité  en Europe (IPSE) estime que le ton utilisé par le ministère français des Affaires étrangères était compassé, pas très enjoué et manquait surtout de  convivialité, de sincérité et d’engagement.

Pour Emmanuel Dupuy, le ministre était sur la défensive sans doute parce que les conditions n’étaient pas vraiment réunies pour "une franche camaraderie".

Et de remarquer la dimension sémiologique édifiante de la réunion lors de laquelle le ministre des Affaires étrangères marocain a fait sa présentation délibérément en arabe, alors qu’il a répondu en français aux questions de la presse.

"Hormis des invocations creuses et superfétatoires, rien de nouveau n’a été dit sauf une prochaine visite, déjà annoncée par la presse française, du ministre de l’Économie Bruno Le Maire qui sera accompagné de plusieurs chefs d’entreprises", juge Emmanuel Dupuy, visiblement pas très convaincu par la prestation du ministre français.

"Un ministre qui botte en touche"

Partiellement d’accord avec la lecture d’Ahmed Faouzi sur un premier pas de la France, le politologue note cependant que le ministre français des Affaires étrangères n’a fait que botter en touche.

Ainsi, en mettant en avant les deux établissements scolaires français ouverts dans les provinces du Sud et les investissements privés, Séjourné a donné l'impression de se féliciter  de la présence française pour essayer de se sortir d’un mauvais pas à peu de frais.

"En disant ce que les entreprises françaises font et en évitant de parler de ce que l’État français ne veut pas faire, je ne suis pas certain que le fait de brandir des investissements privés augure une évolution de la position de la France.

"En effet, il aurait été plus logique de dire, si la question lui avait été posée, que la France allait ouvrir un consulat à Dakhla", déclare Emmanuel Dupuy.

En réalité, Séjourné s’est rendu au Maroc pour éviter de se prononcer sur ce genre de question, estime le politologue.

D’après lui, il n’y a rien de nouveau depuis 2007 car le discours convenu du ministre français n'était pas vraiment différent de celui du Secrétaire général des Nations unies.

"Rien de nouveau à l’horizon"

Si le chef de la diplomatie française a tenté de faire de l’exégèse en se disant très impressionné par l’immensité des avancées du Royaume, il n’a finalement rien révélé de plus que ce qui se dit depuis plusieurs années.

Ainsi, quand le ministre a affirmé qu’il était temps d’avancer, il n’a prononcé que la moitié de la phrase sans expliquer de quelle manière cette avancée pourra se faire, et en se contentant de rappeler le contenu des résolutions de l’ONU.

Une véritable avancée aurait consisté à dire qu’il était désormais temps d’avancer vers une nouvelle résolution claire de la France qui mettrait en avant le fait que l’autonomie est la seule et unique solution à l’autodétermination.

"Une visite motivée par la suprématie économique espagnole"

Paradoxalement, le seul progrès a été d’ordre psychologique, avec une volonté de rompre la glace pour mettre en place une relance tout en gardant le statu quo.

"En réalité,  la raison de son déplacement au Maroc ne concernait pas une volonté de changer de paradigme car elle était simplement mue par des intérêts économiques.

"En effet, la récente visite de Pedro Sánchez au Maroc qui a été reçu par le Roi a donné le la à la France, qui veut absolument rattraper son retard en matière de business", avance encore Emmanuel Dupuy.

Car la France, selon lui, ne veut pas parler de la vraie question, celle qui fâche.

Et de conclure avec la question de savoir si le Maroc va accepter de se prêter au jeu et de revoir à la baisse ses exigences vis-à-vis de la France pour rendre possible un déplacement du président Emmanuel Macron au Royaume.

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