Barreau de Casablanca : voici la position du nouveau bâtonnier Mohammed Hissi sur les points de controverse

ENTRETIEN. Son nouveau mandat de bâtonnier, la concurrence des cabinets étrangers, la situation sociale des avocats, le dégel de l'adhésion à l'Association des barreaux du Maroc... Fraîchement élu à la tête du barreau de Casablanca, le bâtonnier Mohammed Hissi répond aux questions de Médias24.

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Barreau de Casablanca : voici la position du nouveau bâtonnier Mohammed Hissi sur les points de controverse

Le 22 février 2024 à 19h27

Modifié 23 février 2024 à 15h20

ENTRETIEN. Son nouveau mandat de bâtonnier, la concurrence des cabinets étrangers, la situation sociale des avocats, le dégel de l'adhésion à l'Association des barreaux du Maroc... Fraîchement élu à la tête du barreau de Casablanca, le bâtonnier Mohammed Hissi répond aux questions de Médias24.

Élu en décembre à la tête du conseil de l'Ordre de Casablanca, Me Mohammed Hissi occupera la fonction de bâtonnier pour les trois années à venir au sein du plus grand barreau du Royaume. Un mandat qu'il avait déjà exercé entre 2015 et 2017, et qu'il renouvelle dans une période charnière pour la profession. Il a reçu Médias24 dans son bureau à la Maison de l'avocat. Un échange de trente minutes où il évoque les raisons de son retour et les défis de ces trois prochaines années.

Médias24 : Pourquoi un deuxième mandat ?

Le bâtonnier Mohammed Hissi : J'avais déjà occupé les fonctions de bâtonnier en 2015, 2016 et 2017. Le mandat était réussi de l'avis de mes confrères, sachant que cette période avait coïncidé avec la présence de notre confrère Mustapha Ramid à la tête du ministère de la Justice. Il y avait une coordination sur un certain nombre de questions qui touchent la profession d'avocat.

À la fin de mon premier mandat, l'idée était de me consacrer à ma vie privée, tout en ayant accompli ma mission en toute honnêteté. Six ans et deux mandats de bâtonnier plus tard, je voulais réellement me retirer de la scène professionnelle. L'insistance de nombreux confrères m'a incité à revenir pour mener le bateau de l'Ordre des avocats de Casablanca.

Le premier défi est que le barreau de Casablanca retrouve son leadership

- Quels sont les défis de ce mandat ?

- Le premier défi est que le barreau de Casablanca retrouve son leadership. Mais il existe d'autres défis, et ils concernent précisément les conditions sociales des avocats.

Autrefois, le nombre d'avocats à Casablanca ne dépassait pas les 1.000, 1.500, voire 2.000 au maximum. Aujourd'hui, nous nous acheminons vers les 6.000. Le niveau de vie des confrères était généralement décent. Ce n'est plus le cas, surtout face aux assauts des cabinets étrangers, des sociétés de recouvrement et d'autres intervenants qui concurrencent les avocats dans leur travail et gagne-pain quotidien. Malheureusement, le législateur n'est toujours pas intervenu avec des textes clairs.

Selon la loi régissant la profession, la représentation est une prérogative exclusive à l'avocat. Or, on constate l'émergence d'intervenants multiples qui viennent empiéter sur ce monopole.

La profession se précarise, le volet social devient une priorité

Cette situation nous pousse à axer le mandat actuel sur le volet social en priorité. Sous le mandat précédent, l'Ordre avait acquis un bien immobilier qui draine [à travers sa location] une somme de 6 MDH par an. L'orientation de l'Ordre est que ces montants soient versés au fonds de solidarité du barreau.

La profession se précarise. Un avocat peut tomber malade et stopper du jour au lendemain son travail. D'où l'intérêt du fonds de solidarité qui doit être consacré à la prise en charge des confrères en cessation d'activité, notamment pour des raisons de santé. Il doit également couvrir l'appui aux veuves et enfants de confrères décédés. Nous nous orientons vers cela et nous comptons affiner progressivement ce système.

- Le fonds est une question relativement clivante, puisqu'elle est contestée par une partie de la profession. Il existe même un litige actuellement soumis à la Cour de cassation. Ses auteurs contestent précisément les prélèvements forcés sur les honoraires des avocats pour le financer. Qu'en dites-vous ?

- D'abord, à Casablanca, nous n'avons pas de prélèvements obligatoires, comme c'est le cas dans d'autres barreaux.

Ensuite, il faut rappeler que le mécanisme de solidarité à Casablanca a été consolidé par un arrêt de la cour d'appel. À ma connaissance, il n'y a pas de cassation.

Quoi qu'il en soit, le fonds a été instauré au profit des avocats. Dans certains cas, il faut d'abord voir où réside l'intérêt de l'avocat et le mettre en avant. Ce fonds a été créé sous mon premier mandat de bâtonnier. Il a été mis en œuvre mais, à un moment donné, l'Ordre a considéré qu'il devenait insuffisant et a décidé de l'améliorer, ce qui a été fait sous le mandat précédent.

Parmi les services assurés par le fonds, les soins et la prise en charge urgents en cas de maladie grave ou soudaine nécessitant une intervention chirurgicale ou impliquant des frais difficiles à supporter, et ce, en attendant leur recouvrement par l'organe assureur. Il intervient également en cas d'arrêt d'activité pour cas de force majeure, maladie, accident etc.

Il y a eu effectivement un recours contre le fonds auprès de la cour d'appel. C'est le choix de certains confrères, et je ne dirais pas qu'il a été initié sans tenir compte des intérêts de la profession. Nous avons accepté la démarche, et la cour d'appel a dit son mot en consolidant la fonds.

Nous allons continuer de travailler et je vais veiller personnellement à sa bonne mise en œuvre.

J'adresse une remarque au bureau de l'Association des barreaux du Maroc

- Ce sujet nous renvoie à la question de l'assurance maladie obligatoire et au régime universel mis en place par l'État. Quel est le positionnement du barreau vis-à-vis du système étatique ?

- À ce sujet, j'adresse une remarque au bureau de l'Association des barreaux du Maroc. C'était l'interlocuteur du gouvernement et elle n'a pas su défendre efficacement la Mutuelle générale des barreaux du Maroc. Ce système avait connu, certes, quelques dysfonctionnements à ses débuts, mais il avait fini par tenir la route. Aujourd'hui, la mutuelle couvre toutes les prestations médicales. Désormais, la couverture est complète.

À titre d'information, l'Ordre de Casablanca verse chaque année 30 MDH à la mutuelle comme cotisations au profit de nos avocats.

Pour nous, l'assurance maladie obligatoire est une décision de l'Etat. Mais nous militons pour rester avec la mutuelle.

Il y a deux courants : certains disent que le régime étatique est obligatoire et que c'est irréversible. D'autres disent que nous avons déjà la mutuelle et que nous devons la garder. Moi, je suis pour la mutuelle.

Si nous optons pour l'assurance obligatoire, cela risque de provoquer un certain nombre de problèmes concernant les cotisations. L'Ordre ne sera pas en mesure de supporter ces paiements pour tous les avocats. Il est vrai qu'en principe, le paiement doit être assumé personnellement par chaque avocat, mais beaucoup de confrères vivent dans la précarité ou dans une situation délicate. Pour eux, il sera quasiment impossible de régler les 12.000 ou 13.000 DH annuels requis dans le cadre du régime.

Au pire, nous préserverons notre mutuelle comme régime complémentaire

Ces lois devaient être discutées au préalable avec la profession pour en comprendre les spécificités et les contraintes. Il n'en a rien été.

Au pire, si on nous met devant le fait accompli, nous préserverons notre mutuelle comme régime complémentaire. C'est un acquis depuis 2010, et je crois que la majorité des avocats en sont satisfaits.

- Sous le mandat précédent, des négociations entre la profession et le gouvernement avaient débouché sur l'élaboration d'un projet d'accord préalable à l'intégration des avocats à l'AMO. Les parties avaient notamment convenu de financer les cotisations des avocats via le budget alloué à l'assistance judiciaire. Où en est ce projet ?

- En effet, il y a eu des discussions à ce sujet. Nous avons tenu des réunions avec l'actuel ministre de la Justice. Il a été convenu que les sommes allouées à l'assistance judiciaire soient transférées à la Caisse nationale de sécurité sociale.

En réalité, cette convention était sur le point d'être signée il y a six ou sept mois. Les dernières réunions pour finaliser l'accord n'ont pas eu lieu, notamment en raison du séisme qui a frappé le Maroc.

Nous attendons encore la réponse du ministère de la Justice. Même si je crois qu'entre-temps, certaines entraves ont émergé. Nous espérons réaliser un acquis important pour la profession si nous signons l'accord. Toutefois, cela ne doit pas remettre en cause l'existence de la mutuelle que nous allons défendre en tant que régime complémentaire.

- Vous avez évoqué le sujet des cabinets étrangers. Certains confrères se plaignent de la concurrence de ces structures qui, à leur yeux, ne subissent pas les mêmes contraintes fiscales, légales, ni même sur le plan des usages de la profession...

- J'ai rejoint le Conseil de l'Ordre des avocats de Casablanca en 2009 et, à l'époque, ce sujet était déjà d'actualité. Nous avons présenté de nombreuses plaintes auprès de feu le bâtonnier Mohamed Taïb Naciri qui était alors ministre de la Justice. Les requêtes concernaient également les cabinets de recouvrement.

Nous avons renouvelé les mêmes plaintes sous mon mandat de bâtonnier, et de celui qui m'a succédé.

À ce jour, nous n'avons pas réussi à dissuader ces cabinets. Ce qui est grave, c'est qu'ils ouvrent leurs structures sous la forme de cabinets de conseil. Ils recrutent des avocats marocains en les incitant à travers des honoraires importants, et monopolisent le marché.

- Vous parlez de monopoles sur le marché du conseil juridique ? Le contentieux est-il concerné ?

- Je parle également du contentieux. Ils intègrent des avocats marocains qui plaident légalement devant les juridictions.

Il est inadmissible qu'un cabinet étranger vienne ouvrir une branche au Maroc et travailler sans contrôle.

Nous disons que, dans le pire des cas, si ces gens souhaitent travailler au Maroc, l'Etat doit protéger ses cabinets locaux en soumettant les cabinets étrangers aux lois de la profession et à l'institution du bâtonnier.

Le pire, c'est qu'il n'y a pas de réciprocité. Nous, nous ne pouvons pas décider du jour au lendemain l'ouverture d'un cabinet à Paris ou Bordeaux... Ils ont des lois restrictives en la matière. Nous devons faire de même.

Ce dossier était ouvert. Nous en avons discuté avec le ministère de tutelle. Le bureau de l'Association des barreaux était également impliqué. Mais nous attendons toujours l'intervention du législateur, sachant que nous avons des énergies et des compétences importantes. Nous ne sommes plus dans la position de considérer les autres comme ayant plus de données, plus de moyens ou parlant plus de langues.

À titre d'exemple, prenez la configuration du conseil de l'Ordre actuel. Vous y trouverez au moins sept docteurs en droit qui maîtrisent plusieurs langues. Le complexe de "l'herbe est plus verte ailleurs" doit cesser. Nous avons des compétences à Casablanca auxquelles il faut donner leur chance.

- Parlons législation. Où en est la révision du texte régissant la profession ?

- Le débat autour de la refonte de la loi régissant la profession dure depuis 2010, alors que le texte actuel date à peine de 2008. À mon avis, et de l'avis de plusieurs bâtonniers et avocats qui maîtrisent la loi sur la profession, le texte actuel nous convient et ne doit pas subir une réforme dans un laps de temps aussi court.

Certains articles nécessitent peut-être quelques ajustements, mais pour le reste, j'ai toujours demandé le maintien de la version en vigueur. Mais il existe une autre tendance qui considère que nous avons besoin d'une loi moderne et évoluée.

Il y a eu des débats lors de mon premier mandat, et plusieurs dispositions ont été reformulées tout en gardant le socle du texte originel.

Sous le mandat précédent, il y avait eu plusieurs réunions avec le ministère de la Justice et, au final, nous avons débouché sur une mouture moderne élaborée par l'Association des barreaux. Si ce texte avait été adopté, la profession aurait été mieux protégée. Toutefois, le ministère a pris le texte – qui était le fruit de plusieurs années de discussions – et y a apporté des modifications, ce qui a provoqué des tensions avec la profession.

Aujourd'hui, le texte est sur les étagères. S'ils veulent le ressortir, ils doivent consulter les nouveaux bâtonniers et conseils de l'Ordre qui ont leur mot à dire.

- Quel est votre point de vue au sujet de la réforme en cours du Code de procédure civile ?

- Nous avons contribué à l'élaboration de sa refonte. Son élaboration a été marquée par un débat long et profond. Il y a eu une première, deuxième, troisième, puis une quatrième mouture...

Toutes les lois, et surtout celles qui touchent à la pratique professionnelle des avocats, doivent être soumises à l'appréciation de ces derniers. Le problème, c'est qu'on légifère des règles qui sont loin de la réalité du terrain. Nous n'aspirons pas tant à une législation au profit de l'avocat qu'à une législation au profit du citoyen. Ce que nous constatons, c'est qu'ils essayent de supprimer toute disposition qu'ils estiment profitable aux avocats.

- Est-ce que vous faites référence à la question de la dispense d'avocats pour les litiges d'une certaine valeur ?

- Le citoyen doit bénéficier d'un accès éclairé à la Justice. Nous ne devons pas restreindre le citoyen dans l'exercice de ses droits. Sachant que si l'on restreint l'avocat dans son travail, c'est le citoyen qui en subit les conséquences.

- Une de vos premières décisions après votre élection pour ce nouveau mandat de bâtonnier fut le dégel de l'adhésion de votre barreau au sein de l'Association des barreaux du Maroc...

- J'étais membre du conseil de l'Ordre précédent et je faisais partie des confrères qui ont pris la décision, courant 2021, de geler l'adhésion ou de se retirer de l'ABAM.

Pour rappel, le barreau de Casablanca est l'un des fondateurs de l'association. Il a joué un rôle prépondérant dans l'histoire de cette association. On ne peut pas évoquer l'ABAM sans citer les services rendus par nos bâtonniers de Casablanca, dont feu le bâtonnier Abdelaziz Benzakour (ancien Médiateur du Royaume), feu le bâtonnier Mohamed Ouadighir, feu le bâtonnier Mohamed Semlali... les noms sont nombreux.

Nous nous sommes retirés car nous avons constaté, au cours des dernières élections, que certains ont voulu disqualifier le barreau de Casablanca. Certains disent que nous nous sommes retirés car nous n'avons pas pu décrocher de sièges au sein du bureau. Ce n'est pas vrai. Certains avaient l'intention préméditée de nous écarter. Nous nous sommes dit que si l'on ne veut pas de nous, autant se retirer.

- Est-ce l'unique cause du retrait ?

- C'est une cause parmi d'autres. Il y avait aussi des divergences de points de vue autour de problèmes qui étaient sur la table du bureau de l'association.

Le retrait était justifié à l'époque. Par la suite, nous avons décidé de revenir sur l'insistance de l'ensemble des barreaux du Royaume, partant de l'idée que l'association perdait de son poids sans Casablanca, et qu'elle pouvait accomplir davantage de réalisations si nous étions présents.
Nous avons décidé de mettre un terme aux dissensions. Ce qui nous importe, ce sont les intérêts de la profession. Nous sommes revenus.

Les élections de l'Association se tiendront le 2 mars 2024 à Marrakech. Nous n'avons présenté aucun candidat à la présidence, sachant que l'Ordre dispose de bâtonniers parmi ce que la profession a de mieux au Maroc. Je cite les noms, notamment, des bâtonniers Mohamed Chehbi, Abdellah Dermich et Tahar Mouafik. Nous les avons consultés au sujet d'une possible candidature, mais ils se sont excusés pour différentes raisons.

En revanche, nous avons présenté des candidats pour les sièges au bureau, et ce sont des avocats connus pour leurs compétences et leur sérieux. Quel que soit le résultat, nous poursuivrons notre travail au sein de l'association, et nous la soutiendrons pour atteindre ses objectifs.

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