La France va durcir les conditions d'immigration et de séjour : ce qui pourrait changer pour les Marocains

Expulsion, suppression du double droit du sol, octroi des visas, titres de séjour… La France est en voie de durcir ses dispositions sur l’immigration, le séjour et la nationalité. Voici ce qui pourrait changer pour les ressortissants marocains.

La France va durcir les conditions d'immigration et de séjour : ce qui pourrait changer pour les Marocains

Le 28 novembre 2023 à 12h36

Modifié 28 novembre 2023 à 16h07

Expulsion, suppression du double droit du sol, octroi des visas, titres de séjour… La France est en voie de durcir ses dispositions sur l’immigration, le séjour et la nationalité. Voici ce qui pourrait changer pour les ressortissants marocains.

Élaboré par le gouvernement français et adopté par le Sénat le 14 novembre 2023 après amendements, le projet de loi visant à contrôler l’immigration et à améliorer l’intégration contient des dispositions susceptibles d’impacter, de près ou de loin, le Royaume du Maroc et ses citoyens.

Désormais entre les mains de l’Assemblée nationale, le texte entrera en vigueur - après son adoption définitive - de manière différée. Les dates d’application effective des différentes dispositions seront fixées par voie de décrets. À titre d’exemple, son article 1er entrera en vigueur “à une date fixée par décret en Conseil d’État et, au plus tard, le 1er janvier 2025”.

Son application a pour objectifs, selon le gouvernement français, d’assurer “une meilleure intégration des étrangers par le travail et la langue” ; “d’améliorer le dispositif d’éloignement des étrangers représentant une menace grave pour l’ordre public” ; “de sanctionner l’exploitation des migrants et de contrôler les frontières” ; “d’engager une réforme structurelle du système d’asile” ; et de “simplifier les règles du contentieux relatif à l’entrée, au séjour et à l’éloignement des étrangers”.

Selon Mehdi Alioua, sociologue, spécialiste des migrations, chercheur et professeur à l’Université internationale de Rabat, le texte "touchera surtout les populations qui ont déjà des relations sociales et familiales avec la France. Car ceux qui demandent le plus de visas, migrent le plus vers la France et se marient le plus avec des citoyens français, sont les ressortissants marocains, algériens ou encore sénégalais, trois pays avec lesquels la France entretient des relations fortes depuis l'époque de la colonisation".

Mehdi Alioua explique que les ressortissants Marocains sont concernés par trois éléments de ce projet de loi : les expulsions ; l’accès au titre de séjour et aux visas et l’aide au développement.

"Le chantage au visa va reprendre"

Concernant les expulsions, le texte de loi prévoit d’accélérer l’octroi de l’asile. "On garantit aux demandeurs d’asile une réponse rapide ; or si elle est négative, ils seront rapidement expulsés via une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Dès lors, qu’advient-il en cas d’appel à la décision ? Ces demandeurs sont-ils expulsables ?", s’interroge Mehdi Alioua.

De plus, le texte prévoit, suite à son adoption au Sénat, une disposition relative au délit de séjour irrégulier. "Une personne sans papiers peut être arrêtée et condamnée à verser une amende de 3.000 euros, puis placée dans un centre de rétention administrative, qui est en réalité une prison, avant d’être expulsée. Or ce ne sont pas ces 3.000 euros d’amende qui vont faire fuir les personnes sans papiers. Elles n’ont pas de papiers car elles n’ont pas d’autre choix. De plus, si elles se font arrêter pour être expulsées, pourquoi devraient-elles régler cette amende de 3.000 euros ?", s’interroge encore Mehdi Alioua.

"La France a beaucoup de mal à expulser. Depuis l’élection d’Emmanuel Macron [en 2017, ndlr], elle est le pays européen qui produit le plus de demandes d’expulsion. Elle délivre annuellement plus de 100.000 OQTF, tandis que l’Allemagne, par exemple, n’en délivre que 17.000 par an", poursuit-il.

"Ce projet de loi ne permettra pas d’expulser davantage. L’expulsion dépend principalement de la capacité à arrêter et à produire l’expulsion dans des normes juridiques conformes aux droits fondamentaux des individus, mais aussi à identifier le pays d’origine et [à s’assurer] que celui-ci approuve la réadmission de la personne concernée. Cependant, − et c’est là où le bât blesse −, cette opération d’expulsion est très compliquée car la France expulse des individus que les autorités marocaines ne reconnaissent pas comme étant de nationalité marocaine ou dont elles mettent du temps à déterminer la nationalité. Entre temps, la France, qui ne parvient pas à expulser l’individu en question, finit par le libérer et accuse le Maroc, ainsi que d’autres pays, de ne pas jouer le jeu. Mais le Maroc ne va pas dépenser des dizaines de millions [de dirhams] en services administratifs pour faire plaisir à la France".

"Le chantage au visa va reprendre parce que c’est directement mentionné dans le texte suite à un amendement du Sénat", soutient Mehdi Alioua.

Pour le regroupement familial, l’attente passe à deux ans

Concernant l’accès au titre de séjour, Mehdi Alioua estime que certaines dispositions posent "un problème potentiel" pour les Marocains. Il avance deux raisons : la première est que la procédure de regroupement familial est passée, selon ce projet de loi, à vingt-quatre mois d’attente au lieu de douze. "C’est complètement aberrant et contraire au droit de la famille", fustige cet enseignant universitaire.

En second lieu, l’accès au titre de séjour est, toujours selon les dispositions de ce texte, "conditionné à la maîtrise de la langue française". Une disposition qui, toutefois, ne concerne pas les ressortissants européens. Ce que Mehdi Alioua juge "discriminatoire".

"Un Bulgare ou un Roumain qui migre en France n’est pas, en principe, soumis à l’examen de français. Il s’agit là d’une discrimination raciale qui va toucher ceux qui, pourtant, parlent mieux français et connaissent mieux la France, notamment parce que leurs grands-parents ont combattu lors de la Seconde Guerre mondiale, qu’ils ont appris la langue française à l’école mais ont encore un niveau de maîtrise assez faible, etc. Un Roumain qui n’a aucun lien avec la France, par exemple, leur passera devant. Nous savons pourtant que dans les pays où une telle mesure a été mise en place, elle n’a pas fonctionné. Aux Pays-Bas par exemple, lorsque l’on fait passer le test de langue à des Hollandais, certains échouent", précise-t-il.

Quant à la question relative à l’octroi du visa et à l’aide au développement, Mehdi Alioua explique que ce projet de loi prévoit des dispositions selon lesquelles "les visas ne seront accordés que pour l’aide au développement". Selon lui, "cela touche directement le Maroc, avec qui la France entretient un bras de fer autour du ministre de l’Intérieur [Gérald Darmanin, ndlr] qui veut relier les visas aux expulsions et au développement". Cela dit, précise Mehdi Alioua, "la première mouture du texte n’avait pas prévu ces éléments ; ils ont été ajoutés par le Sénat. Il est possible qu’ils tombent à l’eau."

Suppression du droit du sol, de l’assurance maladie des étrangers… davantage de durcissements

Ce texte prévoit d’autres dispositions importantes à relever telles que la suppression de l’assurance maladie gratuite pour les étrangers et le durcissement de l’obtention de la nationalité française. Parmi les conditions pour être éligible à la demande, le projet de loi prévoit en effet une durée de vie sur le territoire français de dix ans au lieu de cinq actuellement. "Ce qui est sûr, c’est que l’esprit du texte est purement sécuritaire. C’est un texte de loi dont les Français n’ont absolument pas besoin et dont la migration, de manière générale, n’a pas besoin non plus. Toutes les lois actuelles sont déjà suffisamment répressives", indique Mehdi Alioua.

Il soulève également deux autres mesures importantes : les quotas migratoires et la suppression du droit du sol.

“Le projet des quotas migratoires n’était pas prévu dans le projet du ministre de l’Intérieur. Il a été ajouté par le Sénat. Mais on ne sait pas ce que cela veut dire concrètement. Est-ce que ce sont des quotas par pays ? Qu’est-ce qui est prévu ? Sur quels critères vont-ils s’appuyer ?”, interroge notre interlocuteur qui estime cette mesure “totalement arbitraire et contraire à l’esprit républicain”.

Quant à “la suppression de l’automaticité de la nationalité”.  Mehdi Alioua explique que ce que contient le projet de loi “n’est pas nouveau mais durci”. Selon ce texte, “on ne devient plus français automatiquement par naissance (sur le sol français, ndlr). C’est déjà plus ou moins le cas ; il y avait une démarche administrative à faire avec étude de dossier. Désormais, cette étude du dossier devient réelle. Un enfant né en France devra demander la nationalité à ses dix-huit ans et une commission va se réunir pour la lui accorder… ou pas. Ceci symbolise la fin du droit du sol”. 

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