Chiffres records du chômage : la lecture de Younes Sekkouri

Selon les derniers chiffres du HCP relatifs au 3e trimestre 2023, l'économie marocaine a perdu près de 300.000 emplois, avec une hausse record du taux de chômage et du nombre de chômeurs. Médias24 a interpellé le ministre de l'Emploi qui nous livre une analyse détaillée, effectuée par son ministère, pour décortiquer ces chiffres et leur donner du sens. Une lecture parfois surprenante, qui met en lumière des facettes restées généralement dans l'ombre.

Chiffres records du chômage : la lecture de Younes Sekkouri

Le 14 novembre 2023 à 19h22

Modifié 28 novembre 2023 à 14h58

Selon les derniers chiffres du HCP relatifs au 3e trimestre 2023, l'économie marocaine a perdu près de 300.000 emplois, avec une hausse record du taux de chômage et du nombre de chômeurs. Médias24 a interpellé le ministre de l'Emploi qui nous livre une analyse détaillée, effectuée par son ministère, pour décortiquer ces chiffres et leur donner du sens. Une lecture parfois surprenante, qui met en lumière des facettes restées généralement dans l'ombre.

Début novembre, le HCP a livré son traditionnel bulletin trimestriel des indicateurs du chômage. Les chiffres qu'ils comportaient sont historiques :

- L’économie nationale a perdu 297.000 postes d’emploi entre le T3 2022 et le T3 2023 (année glissante).

- Le nombre de personnes au chômage a atteint, au troisième trimestre de 2023, 1.625.000 personnes au niveau national. Depuis 2006, date la plus ancienne des statistiques de chômage détaillées, jamais ce volume n’a été atteint. Le précédent pic remonte néanmoins : 1.605.000 au deuxième trimestre 2021.

- Le taux de chômage au niveau national est passé de 11,4% au T3 2022 à 13,5% au T3 2023, passant de 15% à 17% en milieu urbain et de 5,2% à 7% en milieu rural.

Des données alarmantes qui vont de record en record depuis quelques mois. La tendance est observée depuis fin 2022, comme le montrent les données de notre tableau de bord dédiées au marché du travail (voir plus bas). Déjà en mai dernier, nous avions fait réagir Ahmed Lahlimi sur le record du chômage enregistré au premier trimestre 2023. Pour lui, les chiffres s’expliquaient "par la situation structurelle du marché de l’emploi, amplifiée par une conjoncture venant de la Covid, de plusieurs années successives de sécheresse et d’une politique de l’emploi qui a favorisé l’entrée sur le marché de personnes qui se sont mises en recherche d’emploi".

 L'analyse de Younes Sekkouri

Six mois plus tard, la situation s'est aggravée. Au-delà de l'explication statistique des chiffres, quelle est la lecture que fait le gouvernement de ces données, notamment celles relatives à la destruction d'emploi et surtout que compte-t-il faire pour stopper l'hémorragie ?

Médias24 a interpellé le ministre de l'emploi, Younes Sekkouri. Ce dernier nous confie que la direction de l'Observatoire du marché du travail relevant de son ministère s'est penchée sur l'analyse de ces données et les a décortiquées.

D'après Younes Sekkouri, l'analyse montre "que les chiffres du chômage agrègent trois dynamiques du chômage et de l'emploi dans le pays. On ne peut pas traiter le chômage si on n'adresse pas séparément chacune de ces dynamiques". Le ministre étaye son propos avec des chiffres détaillés de l'emploi, dont la destruction/création influe in fine sur les chiffres du chômage. Des chiffres issus des données du HCP, nous précise-t-il (tableau ci-dessous).

Ainsi, entre le 3e trimestre 2022 et le 3e trimestre 2023 :

1- L'emploi salarié a gagné 621.000 emplois :

C'est la forme la plus aboutie de l'emploi. Sur cette catégorie, il y a eu plus de 620.000 personnes qui ont déclaré avoir intégré le salariat. "C'est la bonne nouvelle de ces statistiques et cela ne nous surprend pas", avance le ministre.

Est-ce qu'il s'agit de nouvelles créations d'emploi ? "Non, ce ne sont pas forcément des créations d'emplois nouveaux. Il s'agit, essentiellement, d'une formalisation des emplois, à travers plusieurs actions menées par le gouvernement. Il y a les effets de la hausse du SMIG et tout l'effort de contrôle et d'inspection qui a suivi l'entérinement de la décision qui matérialise l'engagement du gouvernement pour l'emploi décent", explique notre interlocuteur.

"Il y a également l'effort de sensibilisation et de pression fait sur les entreprises qui ne déclarent pas leurs salariés. Et bien sûr, il y a  la reprise de certains secteurs productifs avec la récupération de postes qui étaient perdus", poursuit-il.

2- L'auto-emploi a perdu 686.000 emplois :

Cette catégorie, qui agrège toutes les personnes qui déclarent avoir un revenu en auto-emploi, a enregistré une destruction massive d'emploi. Un chiffre record qui a dépassé la période Covid (-258.000).

"C'est un chiffre énorme qui nous interpelle. Il y a certainement une partie de ces gens qui n'ont plus de revenus à cause de la conjoncture marquée par l'inflation et certains secteurs en difficultés, mais cela n'explique pas le nombre élevé qui représente deux fois celui de la période Covid, une crise sans précédent. Et l'explication la plus vraisemblable est que des gens se sont déclarés sans revenus pour bénéficier des programmes sociaux", analyse le ministre.

L'enrôlement et la généralisation du RSU qui ont été opérés en 2022, suivis dans la foulée par le lancement de AMO Tadamon, venant remplacer le RAMED à partir de la fin de l'année dernière avec une pleine opérationnalisation au cours de 2023, serait une explication plausible de l'explosion de cet indicateur, selon Younes Sekkouri. "Tous ceux qui ont des revenus mais sont tout de même dans la précarité préfèrent aller vers les filets sociaux et se déclarent donc sans revenus par peur d'être recalés le moment venu".

3- L'emploi non rémunéré a perdu 231.000 emplois :

"Ce ne sont pas des sorties du marché du travail formel", précise le ministre. "Il s'agit plutôt d'un travail non rémunéré comptabilisé, certes, en tant qu'emploi. Ce sont surtout des personnes qui aident leurs familles dans le monde rural (agriculture et commerce)", poursuit-il.

Mais le chiffre est inédit. C'est presque le double de la perte d'emplois non rémunérés pendant le Covid. Pour le ministre, l'ampleur s'explique par un effet cumulatif de crises successives dans le secteur agricole : la cinquième année consécutive de la sécheresse, des perturbations de chaînes d'approvisionnement sur certaines cultures, etc.

"Cette destruction de ce type d'emploi est source d'exode rural, c'est pour cela que le taux de chômage dans l'urbain augmente", note le ministre. La conjoncture a fait que le seul secteur qui habituellement absorbe cette population, le BTP, est également en berne.

Les axes de la future stratégie de l'emploi en cours de finalisation

Sur ces trois catégories d'emploi, la dynamique enregistrée (positive ou négative) est historique. Elle dépasse, parfois, les pics enregistrés pendant le Covid.

Passé ce constat, et partant de l'analyse dessus, le ministre de l'emploi estime "qu'il n'y a pas de destruction d'emplois formels et donc pas de crise économique" parce que :

1- L'essentiel de l'emploi détruit l'a été dans les catégories d'emplois considérés comme précaires à savoir le travail non rémunéré et l'auto-emploi où réside beaucoup d'informel.

2- L'emploi salarié, lui, a enregistré une forte dynamique jamais enregistrée auparavant avec plus de 621.000 emplois additionnels.

L'analyse et les constats faits, quelle sera la suite ? Comment agir sur ces indicateurs d'abord pour créer de nouveaux emplois, ne pas perdre ceux créés et améliorer la qualité du travail (non rémunéré et informel) ?

Car au final, c'est ce qui importe et ce sur quoi un gouvernement est jugé, à plus forte raison, le gouvernement actuel qui fait de l'emploi un de ces axes majeurs, formalisé par un objectif précis fixé par le Roi Mohammed VI à 500.000 nouveaux emplois à horizon 2026.

"Nous devons apporter des réponses pour chaque dynamique cohérente. Sinon nous ne pourrons pas résoudre la problématique du chômage dans son ensemble", avance le ministre qui nous confie qu'une stratégie nationale de l'emploi est en cours de finalisation.

"Il y a une hiérarchie entre les trois types d'emplois et nous ne pouvons pas les comparer. Notre objectif est de promouvoir le travail de qualité, avec une rémunération décente, une couverture sociale qui répond à une notion importante qui est celle du rendement social de l'emploi", poursuit notre interlocuteur.

Cette stratégie repose sur trois piliers, nous confie le ministre :

  • Créer de nouveaux emplois décents tout en préservant ceux créés,
  • Améliorer la qualité des emplois,
  • Améliorer l'accès à l'emploi à certaines catégories comme les jeunes, les femmes, les NEET, ect...

Ci-dessous, consultez notre dashboard du marché du travail.

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Le chômage atteint un pic historique au 3e trimestre 2023

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