Les réseaux sociaux au temps du séisme : lecture de la sociologue Fadma Ait Mous

Professeure chercheure de sociologie à l’université Hassan II de Casablanca, Fadma Ait Mous livre à Médias24 sa lecture de l’usage des réseaux sociaux dans les heures qui ont suivi le tremblement de terre survenu le 8 septembre dans la région du Haouz.

Don alimentaire

Les réseaux sociaux au temps du séisme : lecture de la sociologue Fadma Ait Mous

Le 24 septembre 2023 à 11h15

Modifié 24 septembre 2023 à 11h41

Professeure chercheure de sociologie à l’université Hassan II de Casablanca, Fadma Ait Mous livre à Médias24 sa lecture de l’usage des réseaux sociaux dans les heures qui ont suivi le tremblement de terre survenu le 8 septembre dans la région du Haouz.

Au lendemain du tremblement de terre qui a frappé le Haouz, les réseaux sociaux ont été au coeur de l'évènement. Les images de qui se passait étaient partagées quasi instantanément. Ensuite, ces mêmes réseaux ont été le théâtre d'une mobilisation accrue en matière de solidarité.

Des milliers de publications, photos et vidéos ont été échangées sur ces canaux. Si certaines ont suscité un élan d'altruisme et d'entraide, d'autres, comportant des contenus pour le moins que l'on puisse dire préjudiciables aux droits humains, ont donné lieu à des dérapages.

Mêmes canaux avec des usages différents et des résultats à l'opposé.  En parallèle à la large mobilisation relayée sur les RS, les internautes ont été parfois surexposés à des images et vidéos qui ont perverti la fonction utilitaire des réseaux sociaux : photos condescendantes, fausse compassion, humanisme ostentatoire et "tourisme" du séisme...

Des pratiques qui rappellent que les réseaux sociaux peuvent être un amplificateur de phénomènes de société. Quelle lecture peut-on faire ?  Dans cet échange avec Fadma Ait Mous, la sociologue choisit de parler de "web social" au lieu de réseau social, pour mettre en avant la dimension de solidarité que les Marocains ont connue et observée durant cette période post-séisme.

"L’expérience que nous vivons actuellement au Maroc démontre que 'web social' et humanitaire font bon ménage ; les dispositifs étatiques, ainsi que les alertes des utilisateurs des réseaux sociaux, la vigilance de la société civile et des citoyens sont des remparts au dark web et donnent un réel espoir à la continuité de l’élan solidaire", explique-t-elle.

Au  moment du séisme

Quelques minutes après la survenue du tremblement de terre, tout le monde était connecté sur les principaux réseaux utilisés au Maroc, à savoir Facebook, WhatsApp, TikTok, Instagram, relate Fadma Ait Mous. Le but était de s’enquérir de la sécurité de ses proches et de signaler sa situation via Facebook, qui lance cette option à chaque catastrophe naturelle dans le monde.

Une première remarque qui se dégage de cette utilisation des réseaux sociaux, dès les premières minutes qui ont suivi le tremblement de terre, a trait à "l’ignorance par les citoyens sur quoi faire et comment se comporter en cas de catastrophe naturelle. Le geste spontané était de sortir des maisons et de rester dans la rue".

Ensuite, des informations, des guides et des live ont été diffusés sur les réseaux sociaux pour indiquer aux internautes comment se protéger et où s’abriter, et cela a été principalement fait par des influenceurs. Et ce, avant même que les informations précises sur le séisme (intensité des secousses, lieu de l’épicentre, etc.) ne soient communiquées sur les chaînes médiatiques officielles, explique notre interlocutrice.

Différents types d’usage de la part des influenceurs ont été observés : diffusion d’informations, appels à la solidarité, et même des lanceurs d’alerte qui signalaient la localisation des victimes, identifiaient leurs besoins…

Face à cette abondance d’informations digitales, Fadma Ait Mous attire notre attention sur l’absence du point de vue des sinistrés à ce moment-là ; ces derniers ne disposaient pas, pour la plupart, de téléphone mobile ni de connexion internet, et les quelques téléphones de certains villageois ont été endommagés par les effondrements.

"On oublie ce désavantage digital qui constitue une inégalité territoriale et sociale de plus pour les populations concernées. Et ce, même si la situation de l’accessibilité digitale au Maroc a beaucoup évolué", précise Ait Mous, avant de présenter des chiffres à l'appui.

"Début 2023, on comptait 33,18 millions d’internautes, avec un taux de pénétration s’élevant à 88,1% ; et 21,30 millions d’utilisateurs des réseaux sociaux (environ 56,6%) de la population globale (chiffres publiés en février 2023 par datareportal.com)."

L'instrumentalisation des peines

Si la sociologue vante l'utilisation des réseaux sociaux en temps de crise, elle évoque aussi trois types de vulnérabilité que cet usage a permis de mettre en avant :

- La première concerne le désavantage digital dont souffrent les zones sinistrées. "L’absence d’accès à la téléphonie mobile et à une connexion internet désavantagent grandement les victimes qui n’ont pas la possibilité de lancer des appels de secours, ni de partager leur localisation".

- La seconde vulnérabilité a trait à la diffusion de rumeurs et de fake news. "La panique provoquée par une catastrophe naturelle s’instrumentalise facilement par des acteurs malintentionnés pour amplifier la peur et tenter de provoquer le chaos".

- La troisième vulnérabilité concerne l’atteinte à la vie privée des populations via le partage, sans leur accord, de photos et vidéos qui ne respectent pas leur dignité.

Un "esprit de corps" 

Selon la littérature scientifique consultée, la surexposition à des images choquantes en temps de crise, conduit à un affaiblissement du sentiment d’indignation et/ou de compassion. À la question de savoir si l'on peut parler d’un engourdissement face à ce flot d’images et de vidéos d’influenceurs, Fadma nous répond que "l’élan de solidarité ne se tarit pas, il évolue en fonction de ce qui se passe sur le terrain, s’adapte aux besoins qui émergent progressivement et prend des formes autres que celles du début".

Aujourd'hui, en tenant donc compte de cette dimension temporelle, ce qui est observable dans le "web social" et la quotidienneté des gens, on est dans une phase de "retour à la "normalité", explique la sociologue. En parallèle, il y a la continuité de l’aide solidaire, avec l’apparition de nouvelles formes qui répondent à des besoins émergents (soutien et accompagnement psychologique, continuité pédagogique et scolarité des élèves des zones sinistrées, diagnostic des dégâts, etc.), poursuit-elle.

Concernant la légitimité des citoyens à penser la reconstruction des habitations des villageois dans les douars d'Al Haouz, Fadma Ait Mous souligne qu'"actuellement, les débats ont lieu entre les architectes, les pouvoirs publics et les citoyens qui postent des images générées par l’intelligence artificielle de ce que devrait être les douars après le séisme".

"Il est normal, après une telle catastrophe, de vouloir imaginer d’autres ressorts et d’autres manières de faire, mais il me semble que la voix des populations concernées mérite d’être écoutée dans ce cadre. Les savoir-faire et les connaissances millénaires dont disposent les populations, en matière aussi bien de construction, d’identité culturelle et architecturale, de mode de vie et de production, constituent la base d’une manière de faire avec les concerné.e.s et non à leur place", souligne-t-elle.

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

SRM: Résultats au 31 décembre 2023

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.