Le bijou rural : symboles, ancrage tribal et esthétique intemporelle

Les bijoux anciens en argent fabriqués jadis par les artisans du monde rural expriment une vision du monde qui a traversé les siècles sans perdre de leur force symbolique et esthétique. Tiznit, Ighrem, ou encore Ida Ou Nadif, figurent parmi les ateliers les plus réputés pour ce savoir-faire. Zïnab Diouri, conservatrice-adjointe du Musée national de la parure à Rabat, nous fait le tour du Maroc des bijoux en suivant le fil d’argent de l’orfèvrerie rurale.

Musicienne chanteuse de Tiznit-Photo d'archives Besancenot

Le bijou rural : symboles, ancrage tribal et esthétique intemporelle

Le 31 juillet 2023 à 17h34

Modifié 31 juillet 2023 à 19h47

Les bijoux anciens en argent fabriqués jadis par les artisans du monde rural expriment une vision du monde qui a traversé les siècles sans perdre de leur force symbolique et esthétique. Tiznit, Ighrem, ou encore Ida Ou Nadif, figurent parmi les ateliers les plus réputés pour ce savoir-faire. Zïnab Diouri, conservatrice-adjointe du Musée national de la parure à Rabat, nous fait le tour du Maroc des bijoux en suivant le fil d’argent de l’orfèvrerie rurale.

"Le bijou n’est pas seulement un simple élément esthétique. Il traduit toute une vision du monde de nos ancêtres", commence Zaïnab Diouri, conservatrice-adjointe aux "Oudayas, Musée national de la parure" à Rabat. Ce musée, qui a ouvert ses portes au public en janvier dernier, fait le pari de raconter le patrimoine culturel ancestral du pays à travers la parure, dont le bijou est un élément central. Grâce à une scénographie au cordeau, le musée offre aux visiteurs des conditions de voyage culturel et émotionnel inédites.

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Musée national de la parure aux Oudayas à Rabat. CP Médias24
Les jardins du Musée national de la parure, Oudayas, Rabat. CP Médias24

Le Royaume a une longue tradition dans la fabrication et le port de bijoux. Ceux en argent, appelés ruraux − en opposition aux bijoux citadins, généralement en or ou en argent doré −, venaient historiquement compléter une parure diversifiée selon les régions et les tribus.

"Le bijou peut être compris selon deux approches. La première, c’est le savoir-faire ancestral. On retrouve ainsi une diversité de techniques comme le filigrane, l’argent ciselé et les maillages, qui sont la signature de la ville de Tiznit et de ses alentours. La deuxième approche présente le bijou comme un élément identitaire et référentiel. Historiquement, on pouvait reconnaître l’appartenance d’une femme ou d’un homme à travers le bijou qu’ils portaient. Les motifs représentés ne font que reproduire l’environnement dans lequel ces communautés ont vécu. Il faut donc voir le bijou comme un tout", résume la conservatrice-adjointe du Musée des Oudayas.

L’ensemble de bijoux féminins se composaient, jadis, selon les traditions de chaque région du pays, d’un diadème d’oreilles, de fibules, de pectoraux, de bracelets, de bagues et d’anneaux de cheville. En plus de l’argent, du cuivre et du fer qui constituent la matière première, les bijoux ruraux étaient parfois fabriqués en bronze, en alliage de cuivre avec l’étain ou de plomb. Ces ornements en argent qu’expose le Musée national de la parure sont datés, pour la plupart, entre le XIXe et le XXe siècle.

Le bijou n’est pas seulement un simple élément esthétique. Il traduit toute une vision du monde de nos ancêtres

Zainab Diouri, conservatrice-adjointe au Musée national de la parure, à Rabat, au micro de Médias24. CP Médias24

L’argent de l’opulence

Ce savoir-faire ancestral conjugué à un référentiel identitaire fort ont fait connaître le bijou marocain au-delà des cimes montagneuses du pays où il était niché.

Nombreux sont les écrivains, ethnologues et autres photographes étrangers qui ont tenté de le décrire et d’exprimer sa multi-dimensionnalité au XXe siècle. C’est le cas de Jean Besancenot, photographe et ethnologue français. Lors de l’exposition "Bijoux berbères du Maroc", organisée en 1947 dans la galerie de l’orfèvrerie Christofle, à Paris, il décrit cette collection comme suit : "Tous les bijoux (ruraux, ndlr) sont ici (lors de l’exposition, ndlr) d'argent, l'or restant l'apanage de l'orfèvrerie arabe citadine, mais on recherche l'agrément des perles de corail et d'ambre. Dans le Sud en particulier, on raffole de l'ambre, matière précieuse depuis des siècles apportée par les grandes caravanes. Et l'on peut voir des colliers aux dimensions invraisemblables. La richesse s'exprime clairement en cette abondance somptueuse et les familles puissantes peuvent ainsi affirmer leur opulence […] Autrefois, chaque groupe important possédait son noyau d'artisans, berbères ou juifs, qui s'attachaient à reproduire très fidèlement des motifs locaux prenant allure de marque de tribu". (Voir les photographies de Jean Besancenot ci-dessous).

Cette exposition regroupait un ensemble de pièces provenant de diverses collections et un choix de bijoux recueillis par cet ethnologue au cours d'une mission en 1945, pour l’étude de l’artisanat dans le Sud marocain.

Jean Besancenot avait réalisé à cette époque la présentation de l’exposition avec la collaboration du service des arts et métiers marocains. Les planches du photographe provenant de la collection "Costumes et types du Maroc" avaient été prêtées par la Bibliothèque générale du protectorat, à Rabat. Le photographe est donc un remarquable témoin oculaire de cette période révolue.

Le récit d’une fascination

Cet ethnologue dépeint la femme berbère comme témoignant d’un amour immodéré pour les joyaux d’argent, s’en parant avec une abondance sans réserve. "Elle porte de nombreux bracelets, des anneaux de chevilles, des bagues à tous les doigts, des boucles d'oreilles volumineuses et des diadèmes compliqués. Son cou s'orne de colliers parfois très lourds et, dans certaines tribus, le torse entier est même recouvert de parures spéciales. À tous ces bijoux s'ajoute une variété infinie d'amulettes chargées de sens dont chacune a sa mission particulière pour éloigner les mauvais esprits, prévenir les maladies, favoriser le bonheur", présente-t-il.

Il faut dès lors considérer l’ornement en argent comme une extension de soi. Presque une greffe. Un précieux objet qui fait de celui qui le porte un humain en puissance. Peut-être que porter des bijoux et les superposer en leur prêtant un pouvoir surnaturel, c’est déjà devenir un cyborg, bien avant le "surhomme" que nous promettent la science et la technologie.

Le bijou rural n’est pas un ajout mais une affirmation

En revanche, le bijou n’a d’intérêt que quand il a été forgé et ciselé spécifiquement pour une identité déjà cernée dans l’esprit de l’artisan. Le sur-mesure ici n’est pas un luxe, mais une nécessité et un devoir envers soi. Le bijou rural n’est pas un ajout mais une affirmation. Il ne vient pas en plus mais avec la personne qui le porte. Et c’est probablement ce choc culturel que les étrangers amoureux du pays ont essayé de décortiquer, tant bien que mal.

Jean Besancenot nous dit ainsi que "c'est évidemment les jours de grandes fêtes, pour les cérémonies, surtout les mariages, que la Berbère exhibe le jeu complet de ses bijoux. Mais certains d'entre eux ne la quittent jamais et notamment dans le Sud, il est curieux de voir les paysannes occupées aux pénibles travaux des champs, parées de bijoux nombreux dont les taches brillantes scintillent joyeusement sur les drapés de cotonnades foncées".

Bracelets en argent de la région d’Akka. CP Besancenot

Valeur refuge

Le bijou d’argent ancien, comme n’importe quelle parure, définit évidemment la classe sociale de la personne qui le porte. La quantité de bijoux et leur qualité reflètent le degré de richesse et le rang social. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire. Porter un bijou en argent dans les tribus historiques du Maroc dépasse les considérations de hiérarchisation "socio-économique". Ces bijoux en argent s’épanouissent et s’élèvent dans la réalité symbolique.

Dans chacune des communautés marocaines rurales, le bijou est une photographie instantanée à la fois du vécu et du présent. L’ornement raconte la trajectoire et le point d’arrivée de la personne qui l’exhibe. "Si certaines fractions semblent pauvres en parures, c'est qu'elles ont perdu cette richesse, soit au cours de guerres malheureuses, soit au cours des années de disette tragique où il faut échanger tout son avoir contre une subsistance surévaluée", analyse Jean Besancenot dans son texte "Bijoux berbères du Maroc".

L’ethnologue note d’ailleurs que tout comme dans les sociétés "évoluées", la parure est aussi un placement. "Les joyaux de la paysanne berbère constituent en quelque sorte le livret de Caisse d'Épargne de la famille. La récolte vient-elle à être mauvaise, les troupeaux décimés par la maladie, on vendra sur les marchés voisins quelques-uns des bijoux; la parure sera à nouveau complétée lorsque les bonnes années auront ramené l'aisance au foyer", souligne-t-il.

Dans cette tentative de comprendre toutes les imbrications et les connotations du bijou rural du Maroc, plusieurs dimensions échappent nécessairement à toute analyse, qu’elle soit savante ou descriptive. C’est peut-être pour cela que la photographie était nécessaire pour capter l’insaisissable, filant doucement entre les mailles de la rationalité. Les planches photographiques, prises jadis avec tant de passion, sont la preuve de l’impossibilité de déchiffrer l’invisible. À la place, ces photos captent prosaïquement la fascination plutôt que le sujet lui-même, objet du cliché. Mais est-il jamais possible pour quiconque d’empoigner le mystère ? (Voir photos)

Femme amazigh des Aït-Morrhad. CP Besancenot

Tiznit, au cœur du réacteur... esthétique

Tiznit et ses régions voisines étaient naguère le noyau dur de la production du bijou amazigh de l’Anti-Atlas. Ighrem, Todgha au Haut-Atlas et les tribus des régions de Ouarzazate, Taliouine et Taznakht étaient aussi connues pour leur tradition ancestrale de production des bijoux en argent. La région du Rif a également développé au fil des siècles une culture de bijoux assez particulière. (Voir Carte des tribus du Maroc).

"Tiznit est le centre de production le plus important de l’orfèvrerie des bijoux en argent au Maroc. Les artisans de cette région ont développé des techniques spécifiques comme l’émaillage cloisonné : on utilise alors des petits fils en argent pour créer des cloisons et les remplir ensuite avec de l’émail souvent jaune, vert ou orange. On peut remarquer à travers le Musée de la parure que les bijoux et les fibules de Tiznit sont robustes et très grands. Cela nous donne plusieurs indications sur le statut de ces femmes, qui avaient une certaine aisance financière vu la taille de ces bijoux", nous confirme Zainab Diouri.

En plus de l’émaillage cloisonné, le sertissage en pierres colorées et de verroteries a également été une technique de prédilection des bijoutiers de Tiznit. Ces artisans ont fait la réputation de cette région au-delà des frontières, notamment chez les collectionneurs privés et les musées étrangers. À elle seule, cette petite ville de l’Anti-Atlas est considérée comme le cœur battant des bijoux en argent anciens. Et il suffit de prononcer le mot Tiznit quand il s’agit d’un objet en argent pour avoir toute l’attention des négociants internationaux, notamment français. Dans les descriptifs de leurs catalogues de vente aux enchères, "Tiznit" est ce qui vient en premier dans la présentation de l’"objet".

Tiznit est le centre de production le plus important de l’orfèvrerie des bijoux en argent au Maroc

Carte des tribus du Maroc. Crédit Musée national de la parure, Rabat

Transmission

"Aujourd’hui, on peut toujours trouver des ateliers de fabrication du bijou rural à Tiznit. Il existe toujours quelques Mâalam qui ont gardé ce savoir-faire, mais ils sont de plus en plus rares. On a commencé à substituer quelques matériaux et à utiliser la machine au lieu du travail artisanal ancien. Cela n’empêche pas que l’on a toujours dans les villages de tribus amazigh des femmes qui portent encore ces bijoux, durant les grandes cérémonies. Malheureusement, c’est en voie de disparition", constate Zainab Diouri.

La conservatrice-adjointe du Musée de la parure précise que "le vrai défi aujourd’hui est de transmettre et de garantir la continuité de ce savoir-faire pour pouvoir perpétuer ces traditions".

Pour se procurer un petit morceau de ce patrimoine colossal, des ventes aux enchères de collectionneurs privés sont organisées assez régulièrement par les sociétés étrangères spécialisées dans ce domaine. Sinon, la ville de Tiznit recèle encore un noyau d’artisans bijoutiers. On peut donc s’offrir une fibule en argent, "mais ce ne sera pas une fibule ancienne. Elle sera de fabrication récente", souligne Zainab Diouri. Elle ajoute : "Le patrimoine ne se limite pas uniquement à l’ancien et à l’historique. Il s’inscrit dans la continuité".

Toujours dans l’Anti-Atlas, mais cette fois-ci "plus à l’Est, particulièrement dans l’Anti-Atlas central, les Idda ou Nadif et les tribus voisines sont réputées également par la richesse de leurs bijoux (frontaux, boucles d’oreilles, colliers, etc.) et de leurs armes (poignards, fusils, boîtes à poudres). Le niellage est la technique de décoration la plus utilisée par les artisans de cette région qui excellent dans la réalisation des plaques en argent avec une finesse exceptionnelle", détaille les "Oudayas, Musée nationale de la parure", dans le cadre de son exposition permanente.

Bling-bling

En s’éloignant de Tiznit vers le Nord-Est, le Moyen-Atlas, avec ses tribus de Zayan, Aït Serghrouchen, Aït Youssi et leur voisinage, s’est également distingué dans la création et la fabrication du bijou rural marocain. Cela transparaît par le port des femmes amazigh de la région de Khénifra de parures de tête, de fibules et de colliers de longueurs diverses. Ces bijoux étaient presqu'entièrement réalisés à partir de pièces de monnaies d’argent étrangères qui complétaient celles frappées au Maroc. Les rangs de monnaies ajoutaient à ces parures une dimension de mouvement et un effet sonore particulier. Ces colliers pectoraux pouvaient aussi être constitués de "plaques d’argent niellées, avec des dessins géométriques ou floraux en nielle noir. On les retrouve notamment chez les Zayan ou les Aït Serghrouchen", nous précise Zainab Diouri. La tribu des Aït Seghrouchen se caractérise, à ce titre, par l’usage d’une imitation du nielle noir qui permet de faire ressortir les motifs sur le fond blanc de grandes plaques en argent.

Dans le centre de production de bijoux du Sud-Est, chez les Aït Hadidou et les Aït Atta, le moulage et la ciselure constituent le répertoire technique principal. Cette partie du Maroc est d’ailleurs attachée à la valeur symbolique et médicinale de l’ambre qui était porté dans tous les formats selon les moyens. Et là, on parle de "colliers en grosses boules d’ambre. Les femmes pouvaient les porter en plusieurs longueurs, et parfois on mettait un petit bout de cuir entre les boules d’ambre pour éviter le frottement", détaille la conservatrice-adjointe des Oudayas.

Au Sud, la bijouterie du Sahara marocain n’en est pas moins impressionnante. Le Musée national de la parure nous explique qu’à côté des différentes séries de bijoux féminins, le bijou masculin se trouve enrichi par les tabatières et les chapelets.

"Les éléments du décor sont le plus souvent géométriques. L’argent, le cuir, la corne, les coquilles et les perles constituent l’essentiel des matières utilisées. La gravure, la ciselure et l’incision sont les principaux procédés mis en œuvre pour la réalisation des bijoux qui séduisent autant par la beauté du travail réalisé que par la qualité des matériaux employés", soutient-on auprès des Oudayas.

À l’instar des autres régions du Maroc, certains bijoux du Sahara ont une connotation symbolique comme les bagues dites "Chriaa" en référence à la pierre avec laquelle leurs chatons sont sertis. L’usage d’un grand nombre de chapelets jouant le rôle de bracelets et de parures pectorales est par ailleurs une caractéristique de cette région du pays.

Fibule, le "nec plus ultra" de la femme Amazigh

Si on ne devait retenir qu’un seul bijou dans la riche panoplie de l’orfèvrerie rurale marocaine, ce serait incontestablement la fibule. Zainab Diouri nous le confirme : "Oui. On peut dire que la fibule est le bijou le plus symbolique dans les zones rurales du Maroc parce qu’on le retrouve chez toutes ces communautés. C’est aussi le cas même dans les zones citadines où la fibule est en or. Cela s’explique par le fait que la fibule a deux usages. Elle est d’abord fonctionnelle : elle est utilisée pour attacher les vêtements de la femme. La fibule a aussi une fonction identitaire et sociale qui a plusieurs portées symboliques, spirituelles et culturelles."

"Fibula" veut dire épingle, en latin. Elle désigne un objet à agrafer dont la pointe ou l’ardillon est un élément essentiel. "Avant l’apparition des fibules, on se servait d’épines. Les épingles en os accompagnaient quelquefois certains squelettes préhistoriques des époques capsiennes et néolithiques. Les gravures rupestres portant l’iconographie des fibules, dans des sites en Haut-Atlas et en Anti-Atlas, poussent à s’interroger sur l’ancrage de la tradition d’orfèvrerie par lesquelles sont connues les populations de ces régions", détaille le Musée de la parure, dans le cadre de son exposition permanente.

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Au-delà de l’aspect hautement fonctionnel de la fibule, c’est principalement son "corps" qui correspond à son volet esthétique. Les détails décoratifs peuvent différencier selon les communautés et les régions du Royaume. Elle est d’ailleurs désignée différemment selon chaque zone du pays. La fibule correspond à "Khlala" ou "Ketfya" dans les zones arabophones, à "Taghnest" dans le Rif, le Moyen-Atlas et le Sud-Est, et à "Tazerzit" dans la région du Souss.

"À travers le recours à des formes et des symboles reproduisant la nature qui entoure toutes ces communautés, la fibule porte le langage et la vision du monde de ses artisans et de ses porteuses. Elle est le résultat du développement d’un lien intime avec l’environnement, des savoir-faire et connaissances autant techniques que symboliques, inspirés du milieu naturel et culturel", relève-t-on auprès du Musée national de la parure.

La fibule est le bijou le plus symbolique dans les zones rurales du Maroc

Un seul bijou, plusieurs interprétations

Dans la région de la tribu des Zayan, par exemple (voir Carte des tribus du Maroc), les artisans, dans leur conception de la fibule, ont recours aux émaux champlevés (technique de gravure qui consiste à creuser des cavités dans le métal et les remplir ensuite d’émail. C’est une technique que l’on retrouve aussi en Europe au Moyen-âge). Les communautés de Zayan ajoutent aux fibules de volumineux pendentifs qualifiés de "Bermils" évoquant la forme d’une poire.

Chez les Haha, aux contreforts du Haut-Atlas occidental, "les fibules sont essentiellement moulées et répondent à une typologie différente. La fibule prend une forme triangulaire et se prolonge par un léger débordement sur les côtés. La base de l’aiguille et la partie plane débordant sur les côtés sont décorées de motifs ciselés", précise le Musée des Oudayas.

Pour certains chercheurs, la fibule des Ihahan représentait la tête d’un mouton vu de face. Ils renvoient cette forme aux vestiges d’un ancien culte de bélier qui était répandu en Afrique du Nord.

Le Musée nationale de la parure nous explique aussi que les artisans qui fabriquaient ce modèle depuis des siècles désignent ces parties débordantes sous deux noms Amazigh : "Tifrawin" et "Tigharmin", qui signifient respectivement "les ailes d’un oiseau" et "les coudes". Ce lexique technique ancestral dévoile une approche différenciée au réel et à la dimension symbolique de ce bijou. Quant aux femmes des Aït Atta, dans le Sud-Est du pays, elles portaient des fibules appelées "Tiseghnas" pour accrocher leurs draps sur leurs épaules.

La mine et la main

Si le bijou rural a été fabriqué et porté en abondance dans les tribus rurales, c’est parce le Maroc disposait d’une importante exploitation minière, notamment celle argentifère qui approuvait les goûts ostentatoires des Amazigh pour la parure (voir Carte : Les anciennes exploitations minières et centres métallurgiques du Maroc).

Les minerais d’argent étaient éparpillés dans des sites à l’Anti-Atlas, le Moyen-Atlas, au Sud-Est, aux alentours de Marrakech et au pré-Sahara, selon le Musée national de la parure. C’est cette répartition qui va générer l’émergence de grands sites de production de la parure en argent. "Imiter, mine d’argent de l’Anti-Atlas marocain encore en activité, possède des vestiges archéologiques de travaux miniers et métallurgiques que les chercheurs placent au 2e siècle avant J.-C.", souligne-t-on auprès du Musée des Oudayas. Cela témoigne de l’ancrage de l’exploitation et de la production liée à l’argent au Maroc.

Aux gisements argentifères s’ajoutent les "mines" de savoir-faire des artisans ruraux marocains. "Ces bijoux étaient fabriqués dans certaines parties du Maroc uniquement par les communautés juives marocaines. Dans d’autres villages, ce sont à la fois des artisans juifs et musulmans. Et cela transparaît à travers le bijou. Il y a des bijoux, par exemple, qui ont la signature juive comme par exemple 'L’Khmissa' avec des signes zoomorphiques tels que l’aigle, le serpent, etc. C’est un travail juif marocain. On trouve aussi 'L’Khmissa' avec deux pouces. On pense aussi que c’est juif", nous apprend Zainab Diouri.

Pour la conservatrice-adjointe, il est, en revanche, très critique de détailler les influences pour chaque bijou : arabe, andalouse ou juive, etc. Il faut alors concevoir que tous ces confluents-là se sont mêlés à différents degrés selon les régions pour donner le bijoux marocain. Elle précise : "C’est un travail de thèse si l’on veut vraiment chercher les frontières de ces influences. Très compliqué. Les tribus marocaines sont des populations qui ont coexisté, échangé et vécu ensemble. L’orfèvre juif avait des 'matâalmins' musulmans et vice versa. C’est cela aussi la particularité du bijou marocain. Il est le miroir de cette coexistence entre les différentes influences culturelles qui se mêlent pour donner ce résultat." Ceci, sans oublier le confluent africain qui est également représenté à travers, notamment, l’utilisation des coquilles décorées dans certains bijoux ruraux.

Les anciennes exploitations minières et centres métallurgiques du Maroc. Source Musée national de la parure de Rabat

 

Toutes les régions du pays du Nord au Sud sont représentées au Musée, grâce à la collection de bijoux de Sa Majesté

Le bijou rural est Royal

Si l’on veut "rencontrer" le bijou rural dans sa multi-dimensionnalité et ses différentes expressions esthétiques, les "Oudayas, Musée national de la parure", est sans doute la meilleure adresse. Les lieux, un condensé d’histoire et la scénographie millimétrée offrent un voyage inédit dans le temps et l’espace.

L’exposition du musée est d’autant plus phénoménale qu’elle a été enrichie par la collection du Roi Mohammed VI, constituée à 90% de bijoux amazigh. Il s’agit là d’une mise à disposition d’environ 3.000 pièces.

"On a fait un chantier de collection pour l’identification de ces bijoux avec l’aide d’une équipe scientifique dans le but de choisir les objets qui vont rentrer dans l’exposition. Cela nous a permis d’enrichir notre discours et de faire cette disposition de femmes du Maroc que vous pouvez voir au musée, tout en essayant d’être le plus exhaustif possible et le plus inclusif aussi. Nous présentons ainsi toutes les régions du pays du Nord au Sud, et ce grâce à la collection de Sa Majesté", nous déclare Zainab Diouri.

Dans le détail, la collection royale de bijoux amazigh au Musée national de la parure contient des frontaux, des boucles d’oreille et temporales, des bracelets appelés "Assir Saboun", des bracelets de défense du Sahara, une très grande collection de bagues, des colliers pectoraux, des fibules de toutes sortes représentent chaque région du Maroc, etc. La liste est encore très longue.

"Il y a, dans cette collection, à la fois les fibules individuelles et celles enchaînées par une chaînette qui peut parfois contenir d’autres pendentifs, comme 'L’Harz', par exemple. Il s’agit d’une petite boîte où l’on peut mettre une amulette. Il y a aussi des fibules qui peuvent contenir un pendentif sous forme de 'Âanbria', une petite boîte dans laquelle on met du coton avec de l’ambre pour ses qualités olfactives", énumère la conservatrice-adjointe des Oudayas.

La collection royale comporte aussi des colliers composés d’argent, d’ambre et de corail. "Il y a, en plus, d’autres colliers avec ce que l’on appelle l’œuf de Tagmout (Bida de Tagmout, en darija). Dans les frontaux, on trouve ceux fabriqués avec ce qu’on appelle 'Soualef'. Il s’agit d’une laine tressée comparable à la continuité des cheveux de la femme. Pour ce qui est des coiffes, il y a, par exemple, celle de la mariée juive en fil d’argent, qui est très particulière", ajoute notre interlocutrice.

Le Musée national de la parure offre ainsi l’occasion à ses visiteurs de voir dans un seul endroit la plus impressionnante collection de bijoux ruraux du Maroc au monde. Ses portes sont ouvertes au public tous les jours de la semaine, sauf le mardi, de 10 à 18 heures.

Patio central du Musée national de la parure à Rabat. CP Médias24
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