Mères, femmes enceintes et enfants en prison : récit d'une visite à Oukacha

Beaucoup ne le savent pas: des enfants en bas âge naissent ou grandissent dans des prisons jusqu'à l'âge de 5 ans. Ce sont les enfants dont les mamans sont détenues. Les garder en prison est un moindre mal que les séparer de leurs mères. Mais cette réalité reste douloureuse. A Aïn Sebaâ (Casablanca), Médias24 a visité la Maison des mamans, un bâtiment où vivent des détenues accompagnées de leurs enfants. Reportage sans voyeurisme.

Mères, femmes enceintes et enfants en prison : récit d'une visite à Oukacha

Le 2 juillet 2023 à 12h17

Modifié 2 juillet 2023 à 12h38

Beaucoup ne le savent pas: des enfants en bas âge naissent ou grandissent dans des prisons jusqu'à l'âge de 5 ans. Ce sont les enfants dont les mamans sont détenues. Les garder en prison est un moindre mal que les séparer de leurs mères. Mais cette réalité reste douloureuse. A Aïn Sebaâ (Casablanca), Médias24 a visité la Maison des mamans, un bâtiment où vivent des détenues accompagnées de leurs enfants. Reportage sans voyeurisme.

La Maison des mamans de la prison locale de Aïn Sebaâ accueille ainsi 25 mères (certaines sont enceintes) et 21 enfants. Âgées de 29 à 39 ans, ces femmes n’ont d’autre choix que de garder leurs enfants à leurs côtés. Trois d’entre elles nous relatent leur quotidien.

"J’ai demandé à être transférée à Oukacha pour ma fille"

Salima, 39 ans, a demandé à être transférée de la prison locale d’El Jadida à celle de Aïn Sebaâ dans l’unique but de bénéficier de cet espace avantageux pour sa fille, âgée de quatre ans et demi.

Si elle a pu bénéficier du programme de lutte contre l’analphabétisme à la prison d’El Jadida, mais aussi de deux formations professionnelles, elle a jugé l’environnement de cette prison "classique" inconvenable pour sa fille qui commençait à "s’imprégner du comportement des autres détenues".

"J’ai demandé à être transférée pour que ma fille puisse bénéficier de la Maison des mamans, pour l’école, la chambre propre, le fait d’être en binôme, les douches privatives, les consultations médicales si elle tombe malade, etc. C’est pour tout cela que je suis venue à Oukacha", explique Salima. Cette dernière ne sera pas contrainte de se séparer de sa fille puisque lorsque celle-ci aura atteint l’âge de 5 ans, car sa mère aura purgé sa peine et elles seront libres toutes les deux.

5 ans, c’est en effet l’âge maximal que peut avoir l’enfant d’une mère détenue. Selon Bendraa El Khemmar, à la tête du service de l'action sociale à la prison locale de Aïn Sebaâ, "la loi organisant l’administration pénitentiaire dispose que l’enfant reste (avec sa mère en prison, ndlr) jusqu’à l’âge de 3 ans, avec possibilité de prolonger jusqu’à 5 ans, sur demande de la mère, avec l’accord du délégué général qui l’accorde généralement, car nous prenons en compte l’intérêt supérieur de l’enfant".

Au-delà de cet âge, il n’existe que deux options pour l'enfant. La première étant de le remettre à sa famille à l’extérieur. Dans ce cas, Bendraa El Khemmar explique que l’établissement pénitentiaire suit une procédure impliquant la police judiciaire et le ministère public. "La personne de sa famille qui va le récupérer doit se présenter et s’engager à le prendre en charge", précise-t-il.

La deuxième option, "lorsque l’enfant n’a pas de famille", est celle de l’orphelinat, "avec l’accord de la mère qui est informée de son adresse et de ses conditions (de vie, ndlr)".

Lorsqu’il est placé dans un orphelinat, l’enfant d’une détenue a également le droit aux visites. "S’il est en bonne santé, nous coordonnons avec l’orphelinat pour lui permettre de rendre visite à sa mère et passer du temps avec elle. S’il a des problèmes de santé, nous nous adressons au délégué général et nous arrangeons pour que ce soit la mère qui rende visite à son enfant".

Trois enfants scolarisés dans une école privée

La Maison des mamans n’est pas uniquement ouverte aux mères qui accouchent en prison. Celles qui ont été condamnées en ayant un enfant en bas âge intègrent l’établissement en compagnie de leurs enfants. C’est le cas de Jamila, 34 ans, qui a été placée en détention en mai et ne sera libérée que dans sept mois. Elle vit dans une chambre avec une détenue ivoirienne et leurs enfants respectifs. Le fils de Jamila, âgé de deux ans et neuf mois, "profite de la crèche et joue avec les autres enfants".

Il n’est pas encore en âge d’aller à l’école comme la fille de Salima qui, elle, se rend dans "une école privée tous les matins à 7h30 et revient à 16 h". Sa mère explique qu’elle "déjeune sur place et y passe toute la journée".

En réalité, ils sont trois enfants à aller en classe en dehors de l’établissement pénitentiaire. Le transport scolaire les récupère tous les matins et les dépose en fin de journée. "Nous sommes accompagnés par une association de la société civile, Relais prison-société, qui nous fournit les moyens adéquats pour que les enfants soient transportés dans des conditions sécurisées de et vers l’école”, explique Bendraa El Khemmar.

Ce dernier précise que l’établissement pénitentiaire est conscient du choc que peut subir l’enfant d’une détenue en intégrant l'école. Pour faciliter son insertion, un "entraînement" est assuré par "une nourrice". "Elle vient l'accompagner, lui expliquer ce qu’est l’école, ce qu’il va y apprendre, comment manipuler les jouets, etc. Ensuite, c’est l’association qui l'inscrit dans une école privée".

Né en prison

Hasnaa, âgée de 29 ans et mère depuis un peu plus d'un mois, n’a plus que quatre mois à effectuer dans la prison de Oukacha.

"Je suis arrivée enceinte de cinq mois. Mon accouchement s’est bien passé. Lorsque j’ai eu des contractions, j’ai appelé la gardienne qui, à son tour, a appelé l’infirmier, puis j’ai été transférée à l’hôpital par ambulance", raconte Hasnaa.

"Les journées se passent bien. C’est comme si nous étions à la maison et pas dans une prison. Nous avons une chambre avec une codétenue, il a son berceau et n’est pas du tout étouffé. On nous fournit tout : les couches et le lait, puis j’aide en lui donnant le sein", explique-t-elle.

Selon Bendraa El Khemmar, ils sont à peu près une dizaine d’enfants âgés de 0 à 2 ans. Bien qu’ils évoluent dans un établissement pénitentiaire, le responsable explique que tout est mis en œuvre pour leur offrir une ambiance festive. Ainsi, tous les enfants recevront des habits neufs à l’occasion de la fête de l’Aïd, fournis par l’association Relais prison-société.

Au Maroc, elles sont 53 femmes enceintes détenues dans les établissements pénitentiaires et 116 mamans accompagnées de leurs enfants. 118 enfants au total, 73 garçons et 45 filles. Parmi elles, deux mères sont accompagnées de deux enfants ; l’une à la prison locale de Aïn Sebaâ, à Casablanca, et l’autre à la prison locale de Tiflet 2.

Alors que la détenue de Tiflet purge sa peine dans une prison "classique", celle de Casablanca bénéficie des avantages qu'offre la Maison des mamans, un bâtiment pied-à-terre qui accueille 20 mères et 5 femmes enceintes. Il n’en existe que deux au Maroc : l’un à Oukacha, et le second à la prison locale des Oudayas, à Marrakech, qui abrite 3 femmes enceintes et 7 mères accompagnées de 7 enfants (4 garçons et 3 filles).

Autrement dit, seules 27 mères sur 116 et 8 femmes enceintes sur 53 purgent leur peine dans de meilleures conditions, tandis que 90 enfants accompagnent leur mère dans des prisons dites classiques.

Une visite comme celle que nous avons faite apporte son lot de satisfaction quant au traitement fait aux mamnas et aux enfants. Mais ces conditions, qui ont certes le mérite d'exister, ne bénéficient qu'à un petit nombre de détenues. On ne peut s'empêcher de se demander, devant la qualité de l'endroit, si tout cela est réel et conforme à la vie de tous les jours; s'il n'y a pas eu un effort de l'administration pour maquiller ou améliorer les choses.

En fait, les enfants portaient des habits neufs, mais c'était à l'occasion de l'Aïd. Nous les avons bien observés pendant qu'ils jouaient: ils avaient clairement leurs repères et les jouets étaient là depuis quelque temps, ils les connaissaient bien et chacun avait ses habitudes.

Les mamans quant à elles étaient propres sur elles, avec des vêtements courants. Dans un couloir, nous avons surpris un groupe de détenues que nous n'étions pas censés rencontrer: l'ambiance entre elles était détendue et les femmes souriantes, tout en étant soignées.
Il reste la grande question, celle de la surpopulation carcérale au Maroc. Ces maisons des mamans apparaissent alors comme un luxe. Chaque nouvelle prison sera dotée d'une Maison des Mamans, nous apprend notre interlocuteur. Les enfants et les mamans le méritent bien. En espérant que les conditions du reste de la population carérale soient améliorées.

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