Quel lien entre le Sud du Maroc, la météorite martienne Tissint et la mission Osiris-Rex de la NASA ?

ENTRETIEN CROISE. Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, professeure à l’université Hassan II de Casablanca et Philippe Schmitt-Kopplin, professeur à l’Université Technique de Munich, deux scientifiques de renommée internationale, partagent avec nous leur savoir météoritique et leur passion pour les aérolithes du Maroc. Précieux indices pour la compréhension du système solaire, ces roches célestes sont un rappel du grand mystère des origines de la vie. Voyage interplanétaire.

Pr. Philippe Schmitt-Kopplin et Pr. Hasnaa Chennaoui Aoudjehane

Quel lien entre le Sud du Maroc, la météorite martienne Tissint et la mission Osiris-Rex de la NASA ?

Le 1 juillet 2023 à 12h07

Modifié 1 juillet 2023 à 19h37

ENTRETIEN CROISE. Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, professeure à l’université Hassan II de Casablanca et Philippe Schmitt-Kopplin, professeur à l’Université Technique de Munich, deux scientifiques de renommée internationale, partagent avec nous leur savoir météoritique et leur passion pour les aérolithes du Maroc. Précieux indices pour la compréhension du système solaire, ces roches célestes sont un rappel du grand mystère des origines de la vie. Voyage interplanétaire.

Dans la quête des scientifiques à trouver des réponses aux questionnements aussi vieux que l’origine et l’évolution de notre système solaire et de la vie sur Terre, les météorites livrent de précieux indices pour résoudre ce puzzle titanesque. Ces cailloux "tombés du ciel" donnent l’occasion aux chercheurs de faire, à chaque fois, un pas en avant vers la résolution du grand mystère de l’univers.

Le Maroc contribue à plus de 50% à la recherche scientifique météoritique

Le Maroc, terre incontestée de météorites, s’est distingué ces deux dernières décennies par le nombre de chutes observées. Le pays, grâce notamment à ses régions désertiques, contribue à plus de 50% à la recherche scientifique météoritique. Cela a été possible grâce, notamment, au travail de Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, professeure à l’université Hassan II de Casablanca (faculté des sciences de Aïn Chock, département de Géologie) et présidente de la Fondation Attarik pour les sciences des météorites et de la planétologie. Depuis 2004, elle a classifié et nommé 14 chutes observées. Tissint, Tarda, Tamdakht, Rabt Sbayta − surnommée Black Beauty par les marchands − et bien d’autres sont toutes des météorites marocaines célèbres dans les cercles scientifiques internationaux. Leurs noms marocains font référence à l’endroit de leur chute.

Dans cet entretien croisé avec Hasnaa Chennaoui Aoudjehane et Philippe Schmitt-Kopplin, professeur à l’Université technique de Munich, Médias24 suit la trajectoire de la météorite la plus emblématique du pays : Tissint. Cette "star" des aérolithes marocains a fait l’objet, depuis sa chute en 2011 dans la région de Tata, de plusieurs publications dans les plus prestigieux magazines scientifiques internationaux. Elle rassemble les chercheurs de tous bords, tentant de percer le mystère de la planète rouge.

Les deux chercheurs, co-auteurs du dernier article sur Tissint, paru en ce début d’année dans la revue américaine Science Advances, nous parlent de cette grande aventure qu’est la discipline météoritique.

Le biogéochimiste allemand Philippe Schmitt-Kopplin, qui fait partie de l’équipe internationale de la mission OSIRIS-REx de la NASA, revient sur son analyse de Tissint. Ce travail de recherche a abouti au catalogue le plus complet jamais réalisé sur la diversité des composés organiques retrouvés dans une météorite martienne ou dans un échantillon collecté.

Tissint n’est pas la seule roche céleste marocaine sur laquelle Philippe Schmitt-Kopplin travaille. Il nous confie dans cette interview sa grande fascination pour Tarda, sa météorite "préférée", qui est une autre chute observée du sud marocain. Le backgroud de biochimiste du chercheur lui permet d’apporter un nouveau regard sur ce que la Pr Hasnaa Chennaoui appelle les "messagères du ciel".

Au-delà des avancées scientifiques, les deux chercheurs, complices lors de cet entretien, partagent avec nous leur passion pour ces petits cailloux qui, une fois sur Terre, nous racontent leur voyage interplanétaire et rappellent l’infinité du ciel.

Médias24 : En janvier dernier, vous avez cosigné, avec d’autres collègues scientifiques, un papier sur la météorite Tissint dans le prestigieux magazine américain Science Advances. Vos efforts ont abouti au catalogue le plus complet jamais réalisé sur la diversité de composés organiques trouvés dans une météorite martienne ou dans un échantillon collecté et analysé. Pourtant, vos domaines d’expertise diffèrent : Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, vous êtes géologue. Philippe Schmitt-Kopplin, vous êtes biogéochimiste. Ceci sans parler du fait que vous travaillez dans deux structures de recherche différentes, l’une installée à Casablanca, l’autre à Munich. Dites-nous d’abord comment vous vous êtes retrouvés à mener ensemble une étude sur la météorite martienne Tissint ?

Philippe Schmitt-Kopplin : Effectivement, je fais de la chimie analytique dans différents domaines de développement et d’application. Je travaille à l’Université technique de Munich sur la chimie des aliments à l’aide de mes outils analytiques, et au Centre Helmholtz Munich, spécialisé dans la recherche médicale. On utilise la technologie de pointe pour analyser le métabolisme des molécules de la vie afin de mieux comprendre les processus moléculaires et trouver des biomarqueurs (substance chimique dont la présence dans l’organisme permet de diagnostiquer ou de suivre l’évolution d'une maladie, ndlr).

Dans les années 2000, j’ai fait des études sur la météorite de Murchison (tombée en 1969 en Australie, ndlr). C’est une chondrite carbonée qui contient beaucoup de composés organiques. On avait démontré, à l’époque, qu’il y a une diversité chimique plus importante encore que celle que l’on retrouve dans le vivant ou dans les échantillons géochimiques terrestres (kérogènes, pétroles). Ces molécules ont été produites dans l’espace et transformées suite à différents épisodes de stress thermique et aqueux, et à la pression générée par les collisions. C’est ce qui conduit à cette immense diversité réactionnelle conduisant à de nombreux composés organiques, à laquelle on ne s’attend pas, intuitivement.

Après ce travail, je me suis concentré sur des météorites fraîches, c’est-à-dire dont la chute observée est récente. Et c’est là que j’ai entendu parler de Hasnaa Chennaoui. Je l’ai contactée après que la météorite martienne Tissint est tombée (juillet 2011, ndlr). Elle travaillait déjà sur cette météorite et son travail avait été publié en 2012 dans la revue Science Advances. C’est ainsi que lors d’un voyage à Rabat, dans le cadre de la soutenance de thèse d’un collègue à l’université, j’ai contacté Hasnaa Chennaoui, qui a un véritable sens de l’accueil et du partage. La rencontre s’est faite chez elle, à Casablanca, autour d’une discussion des plus passionnantes sur les météorites et d’un verre de thé.

LIRE AUSSI : Tissint, météorite martienne tombée au Maroc, révèle une diversité de composés organiques inédite

Philippe Schmitt-Kopplin à Erfoud, une météorite entre les doigts. CP P. Schmitt-Kopplin

 

Le Pr Philippe Schmitt-Kopplin dans son laboratoire en Allemagne. CP P. Schmitt-Kopplin

- À partir de quel moment vous vous êtes dit que c’était intéressant d’analyser davantage Tissint ? Autrement dit, qu’est-ce qui rend cette météorite si importante pour vous au point de lancer une nouvelle étude ?

Philippe Schmitt-Kopplin : Sur la base d’un petit fragment de Tissint que Hasnaa m’avait envoyé, j’ai commencé mon analyse. Un échange scientifique constant s’en est suivi. Cela a pris plus de dix ans pour finaliser ce papier sur Tissint publié en janvier 2023 (Complex carbonaceous matter in Tissint martian meteorites give insights into the diversity of organic geochemistry on Mars).

On est aujourd’hui très heureux que cet article soit enfin sorti. Même après dix ans de travail, les résultats de notre étude sont très actuels. Cela montre d’ailleurs aussi que l’on est sur le bon chemin.

Ce qui est exceptionnel dans Tissint − qui a une composition majoritairement de minéraux −, c’est qu’intuitivement, on ne s’attend pas à y trouver autant de matière organique. Parce qu’elle a subi des températures immenses. La première surprise pour moi, lors de ce travail, fut surtout de voir qu’il y avait une diversité chimique immense dans Tissint avec des milliers de composés spécifiques dans les différentes phases minérales.

Dans ces composés organiques analysés, il y a notamment des acides gras et des composés qui sont la base même des molécules de la vie, mais qui n’ont pas été produits par le vivant. C’est le résultat d’une synthèse chimique prébiotique.

- Mars est souvent présentée comme la planète qui se rapproche le plus de la Terre dans notre système solaire. Comment Tissint nous aide à avoir une connaissance plus approfondie de la planète rouge ?

Philippe Schmitt-Kopplin : Notre apport scientifique consiste à présenter l’évolution géologique de la planète Mars et à contribuer à décrire une partie de son cycle de carbone. Et cette évolution est commune aux objets rocheux de grande taille du système solaire. Dans les échantillons de météorites venant de différents endroits, il y a des minéralogies qui sont convergentes. Et l’organique trouvé dans ces minéraux-là a aussi co-évolué en conséquence pour générer une diversité et des qualités chimiques particulières. Cela s’est donc produit sur Mars, comme cela a été le cas à un moment donné, sur Terre... ou peut même avoir lieu en ce moment même !

Dans l’étude, on confirme qu’il y a de l’eau sur Mars et qu’il y avait même, peut-être, plus d’eau auparavant. Dans ce contexte où il y a, à la fois, de l’eau et de l’organique, on aurait pu avoir toutes les conditions adéquates pour l’évolution d’un système que l’on peut définir comme vivant.

Hasnaa Chennaoui : Juste pour compléter ce que vient de dire Philippe, j’aimerais ajouter que dans le travail que j’ai publié la première fois dans Science Advances en 2012, on avait montré que quand Tissint avait été éjectée de Mars, il y a environ 700.000 ans, la surface de la planète rouge était humide.

Ce qui est extrêmement intéressant dans Tissint, c’est le fait qu’elle soit une chute observée récente ; c’est donc une roche martienne relativement fraîche. Philippe et son équipe ont rapidement analysé Tissint après sa chute en évitant les contaminations au maximum.

Il faut savoir que dans les météorites martiennes, la dernière chute observée avant Tissint avait eu lieu cinquante ans auparavant. Sur une chute récente, les analyses et les résultats sont plus originaux parce qu’il y a moins d’interactions avec les différents agents terrestres, qui peuvent générer des biais par rapport à la matière organique qui nous intéresse ici.

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La météorite martienne Tissint-CP Hasnaa Chennaoui

 

Tissint est fondamentale en tant que météorite martienne

- Autrement dit, Tissint présente un intérêt scientifique sans commune mesure avec les quatre autres météorites martiennes…

Hasnaa Chennaoui : Tissint est fondamentale en tant que météorite martienne. Et les techniques analytiques extrêmement développées présentent un intérêt très important et nous aident à mieux avancer sur ces thématiques d’astrobiologie, d’étude de matière organique, d’apparition de la vie et des questionnements liés à la présence de la vie sur Mars à un moment.

On peut aussi parler d’autres météorites du Maroc sur lesquelles Philippe et moi avons travaillé ensemble, et sur lesquelles on s’attend davantage à une diversité de matière organique comme pour la chondrite carbonée, Tarda.

Tissint a, néanmoins, une valeur scientifique importante et ce pour plusieurs raisons : sa fraîcheur, le fait qu’elle contient des preuves démontrant que quand elle a été arrachée au corps parent, Mars était humide, la disponibilité d’échantillons pour les analyses, etc.

Ce qui était aussi surprenant dans Tissint, c’est la diversité de la matière organique. Je ne suis pas spécialiste de cette question comme l’est Philippe, mais je suis fascinée et surprise par cette richesse et cette diversité. J’apprends là, en même temps que vous, dans ce qu’a dit Philippe, que cette richesse est encore plus importante que celle existant dans le vivant. Un contexte qui donne toute sa place et sa valeur à ce travail scientifique, en particulier.

La Pre Hasnaa Chennaoui lors de la mission de terrain relative à la météorite martienne Tissint. CP H. Chennaoui

- Pourriez-vous nous expliquer comment cette richesse de composés organiques a été possible ?

Philippe Schmitt-Kopplin : Intuitivement, on ne pense pas que des molécules organiques vont survivre à des conditions très extrêmes de température et de pression (cela se produit quand un morceau de roche traverse l’atmosphère lors de sa chute, ndlr). Notre étude montre que ces conditions extrêmes stabilisent des molécules sous formes réduites et sous la forme de composés organomagnésiens. Cela montre d’ailleurs que les roches sont des berceaux pour certains composés organiques qui ont besoin de hautes températures pour être produits. C’est ce qui explique que même dans des conditions extrêmes, ils survivent. Et c’est un aspect nouveau. Ces conditions extrêmes sont donc là pour que ces molécules puissent survivre et avoir une diversité très importante.

Hasnaa Chennaoui : Philippe, est-ce qu’on peut considérer alors cette richesse comme un atout dont les planètes rocheuses du système solaire, la terre notamment, ont bénéficié au début de leur formation et qui ont justement été à l’origine du développement de la vie ? Ce qui permettrait d’avoir une sorte de polaroïd de ce qui aurait pu générer la vie à un moment donné avec cette richesse exceptionnelle...

Philippe Schmitt-Kopplin : C’est tout à fait ça ! Pour avoir les composés impliqués dans des réactions initiales qui conduisent à la formation de vésicules, par exemple avec les acides gras. Dans un système, pour arriver à des réactions en chaîne, il faut concentrer certaines familles de molécules spécifiques à ce type de réaction. Et ce sont les conditions optimales pour le développement de la vie.

- L’analyse de Tissint est quelque part comparable à un flashback vers la période qui a précédé le commencement de la vie ?

- Philippe Schmitt-Kopplin : En analysant toute météorite, on revient en arrière dans l’espace-temps. On se positionne dans des conditions géochimiques qui ont permis de stabiliser ou de transformer la matière organique à un endroit donné.

J’analyse beaucoup de météorites carbonées et non carbonées, et les replace dans l’historique établi par les géologues et les pétrologues, ces roches me renseignant de par les mesures isotopiques, sur le contexte de leur formation. Et je peux ensuite utiliser cette information en métadonnée pour avoir des corrélations des profils de molécules organiques avec la géochimie. Cela me permet de définir des règles de formation de certaines familles chimiques. Et grâce à ce travail, je peux ainsi décrire un profil ou un fingerprint organique, qui me renseigne sur l’historique de la météorite (de l’éjection du corps parent jusqu’à sa chute) et de la matière organique qui est sensible à des transformations et des stress externes (température, pression, altération aqueuse).

Grâce à ce "profilage" forensique, je peux dire par exemple pour la météorite Tarda, qui est une chondrite carbonée qu’elle n’a pas subi des températures très élevées et qu’elle a, en revanche, subi une altération aqueuse très poussée; parce que justement l’organique que j’ai mesuré n’avait pas lui-même subi ces conditions.

Le Pr Philippe Schmitt-Kopplin devant son analyse de la matière organique de Tissint. CP P.S-K

- La mise en place de ce profil ou de ce finger print pourrait ainsi être considéré comme une base de travail qui facilite, in fine, l’analyse de toute météorite, au-delà de Tissint ou de Tarda…

Philippe Schmitt-Kopplin : Je suis actuellement à Washington D.C. aux États-Unis dans le cadre de la mission de retour d’échantillon "OSIRIS-REx" de la NASA. Je fais partie de l’équipe initiale de cette mission qui compte une cinquantaine de chercheurs présents, spécialisés dans différents domaines.

Je travaille pour ma part sur les solubles organiques. Quand j’aurai un échantillon de cette mission à son retour sur Terre, comme cela a été le cas pour Tissint et les autres météorites, je vais l’analyser avec mes techniques analytiques pour pouvoir établir un profil organique.

- Pourriez-vous nous rappeler en quoi consiste la mission OSIRIS-REx ?

Philippe Schmitt-Kopplin : C’est une mission de la NASA dont la sonde spatiale regagnera la Terre le 24 septembre prochain. L’objectif de cette mission était de prélever un échantillon sur l’astéroïde, proche de la terre, appelé Bennu. Et comme je fais partie de cette mission, j’ai assisté avec beaucoup d’enthousiasme au prélèvement de cet échantillon par la sonde, à la télé.

Cet échantillonnage a été aussi fait par les Japonais auparavant qui ont organisé une mission assez similaire sur un astéroïde proche également de la Terre, appelé Ryugu. Nous avons déjà analysé les échantillons qui sont revenus en 2020 de cette mission japonaise appelée Hayabusa 2. Les articles scientifiques sont publiés en partie, d’autres suivront. J’ai eu l’occasion d’avoir accès à un extrait d’échantillon de Ryugu. Et là aussi, il y a une diversité chimique sensationnelle sur cet astéroïde.

On s’attend donc à avoir une grande diversité chimique en ce qui concerne l’astéroïde Bennu. Et nous allons aussi pouvoir comparer les deux échantillons, et donc leur genèse.

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- Le Pr Chennaoui a publié le premier article sur Tissint en 2012. Plus de dix ans après, on découvre encore de nouveaux éléments sur Tissint. Dans le dernier papier paru sur Science Advances en janvier dernier que vous avez co-signé ensemble avec d’autres collègues, vous citez la technologie de spectrométrie de masse à ultra-haute résolution de Bruker Daltonics, entre autres. Le rôle de la technologie est donc déterminant dans la compréhension scientifique du système solaire. Peut-être que dans dix ou vingt ans, d’autres composés seront découverts dans cette même météorite martienne, Tissint, que nous ne sommes pas capables de voir aujourd’hui…

Philippe Schmitt-Kopplin : Absolument. C’est tout à fait ça ! On a toujours une période de temps limitée pour faire une analyse et on a toujours des "lunettes" qui filtrent un petit peu notre réalité.

Et c’est justement cette technologie qui évolue en résolution, en précision et en sensibilité, qui va nous permettre d’analyser, dans dix ou vingt ans, des molécules que l’on n’est pas capables de voir aujourd’hui. La curation idéale de ces échantillons de valeur est donc essentielle aussi.

Le développement technologique comme vous l’avez très bien dit, nous permettra d’évoluer dans le sens où on va pouvoir voir plus, et peut être de découvrir des composés ou des bio-signatures de composés très importants pour la vie, qu’on n’a pas pu voir encore et qui sont essentiels.

Donc, tout est encore ouvert. Et on va évoluer dans ce sens à l’avenir. C’est ça qui est bien. Les conditions analytiques se développent très rapidement, notamment avec l’intelligence artificielle et tous les outils de Big Data. Et c’est exactement ce qu’il nous faut.

- Donc, l’intérêt scientifique pour Tissint demeure toujours. Tout n’a pas été encore dit…

Hasnaa Chennaoui : Tissint est tombée en juillet 2011. Le premier papier a été publié en janvier 2012 dans Science, mais il y a eu des dizaines d’autres papiers, soit sur Tissint directement, ou sur des travaux en lien avec cette météorite. Et cela va continuer.

La chondrite carbonée, Murchison, est tombée en 1969 (en Australie, ndlr) et on continue à travailler dessus. C’est le cas aussi de Zagami (météorite martienne, Nigéria, 1962, ndlr) et Shergotty (météorite martienne, Inde, 1865  ndlr). On poursuit donc notre travail sur les météorites, même celles qui sont tombées il y a longtemps.

Et pour Tissint, on continue à travailler dessus essentiellement pour ses particularités.

Je rappelle quand même que Tissint est une chute observée qui reste encore récente et qui a un intérêt certain sur le plan scientifique. Donc, elle va continuer à donner des résultats avec le développement de la recherche, aussi bien pour la matière organique que pour les différents autres aspects de minéralogie, de pétrographie, etc. On ne peut pas imaginer aujourd’hui ce que l’on peut trouver d’autres à l’avenir. Parce que plus on va chercher et plus on aura les outils nécessaires et performants, plus on est susceptibles de découvrir de nouvelles choses.

Cela nous permettra de mieux comprendre la planète Mars, l’évolution des planètes rocheuses et l’histoire ancienne du système solaire, de façon générale. Et Tissint fait partie de toutes ces roches qui nous renseignent sur l’histoire du système solaire, des planètes, et de l’histoire de la vie.

Timbre postal représentant la météorite Tissint-CP

- Philippe Schmitt-Kopplin : Tissint est tout simplement une capsule temporelle ! Et vous l’avez dit aussi : cette météorite témoigne du moment et de l’endroit où l’échantillon est venu. Et l’avantage dans les analyses qu’on publie est le fait qu’elles soient accessibles à tout le monde.

Et je note aussi que l’étude des phénomènes terrestres, des transformations et des conservations de l’organique dans les systèmes de la planète Terre sont tout aussi importants parce qu’on travaille beaucoup par analogie.

Tissint nous permet de faire des voyages scientifiques et émotionnels

- Est-ce que le travail sur une météorite comme Tissint fait entrevoir la possibilité d’imaginer un jour le voyage sur Mars ?

Philippe Schmitt-Kopplin : Elle nous donne des indications. Et elle nous fait rêver. Ce qui est sûr, c’est que Tissint nous permet de faire des voyages scientifiques, mais également des voyages émotionnels.

- En plus de Tissint, la météorite de Tarda, une chute observée en 2020 au sud du Maroc, fait également l’objet de beaucoup d’enthousiasme de la part de la communauté scientifique internationale, dont vous faites partie. Pourriez-vous nous expliquer pourquoi ?

Philippe Schmitt-Kopplin : Tarda, c’est tout simplement ma météorite préférée (rires) ! Il s’agit d’une météorite très fraîche et qui contient beaucoup d’eau. Dans son profil organique, je trouve qu’il y a beaucoup d’analogie entre Tarda et les résultats de la mission de retour japonaise, Hayabusa 2.

Ceci veut que les fingerprint (ou les profils) organiques solubles de la météorite Tarda et de l’astéroïde Ryugu sont très proches.

Je me rappelle que j’avais fait rapidement une analyse des échantillons qui m’ont été offerts après la chute observée de Tarda. J’ai tout de suite contacté Hasnaa. On était très enthousiaste et fasciné par les résultats. Il faut dire qu’on est toujours dans cet état de grande joie dans les cercles scientifiques quand on a des résultats (rires). Le bouche à oreille entre scientifiques a très bien marché aussi dans le cas de cette météorite. On a tous contribué à la classification de cette météorite très particulière. D’ailleurs, on a tout de suite vu que Tarda avait quelque chose de très particulier…

Il y a beaucoup d’analogie entre Tarda et l’astéroïde Ryugu  

- En quoi Tarda est très particulière ?

- Hasnaa Chennaoui : C’est une chute spéciale. Tarda est tombée en août 2020, en plein confinement. Et malgré le Covid, on a quand même pu faire la mission de terrain.

Pour vous donner une idée : Tarda ressemble vraiment à du charbon. Je n’oublierai jamais quand on est allé sur le terrain. J’ai trouvé des petits bouts qui ressemblaient vraiment à des morceaux de charbon. Quand je prenais un petit bout entre mes doigts et que j’appuyais dessus, ça partait en poussière. Et je me disais que non, ce n’était pas une météorite, que des gens ont certainement fait un feu et laissé ça derrière eux.

Je vous assure qu’elle est tellement fragile et absolument différente de toutes les autres chondrites carbonées qu’on connaît !

S’il y a eu des chutes de chondrites carbonées similaires à Tarda dans le passé, elles ont dû être complètement désagrégées. Parce que dès qu’elle est touchée par l’eau, elle se désintègre complètement. Donc, là aussi c’était une occasion extraordinaire pour l’analyser et l’étudier. J’ai constitué alors un consortium, comme ce qu’on avait fait pour Tissint, avec des collègues pour travailler chacun sur un aspect. J’espère que, cette fois-ci, cela ne va pas prendre dix ans pour sortir le papier (rires).

Je suis toujours extrêmement intéressée et fascinée par tout ce qu’on peut découvrir. Et cette analogie entre Tarda et l’astéroïde Ryugu, dont vient parler Philippe, est unique. Cela ouvre des perspectives. Et cela permettrait d’avoir l’équivalent d’un astéroïde qu’on ne connaît pas trop bien. Et puis comme Philippe l’a dit, Tarda est unique en termes de composition et de classification. Elle ne ressemble à aucune autre chondrite carbonée. Tarda est donc une fenêtre ouverte sur un savoir et des découvertes qui viennent du Maroc.

Pr. Hasnaa Chennaoui (au premier plan) et les Hunters à la recherche de la météorite Tarda. CP. H. Chennaoui

La Pre Chennaoui et le Dr Mohamed Aoudjehane lors de la mission de terrain en août 2020 suite à la chute de la météorite de Tarda. CP. H. Chennaoui

La Pre Hasnaa Chennaoui avec un petit bout de la météorite Tarda lors de sa mission de terrain au Sud. CP. H. Chennaoui
La météorite Tarda, "noire comme du charbon". CP Pre Hasnaa Chennaoui

- Même l’histoire des conditions de la chute observée de Tarda est fascinante…

- Hasnaa Chennaoui : C’est une histoire fabuleuse ! (rires). Elle a tout simplement traversé une route. Tarda est tombée entre Errachidia et Guelmima. Et il y avait des morceaux de météorite, de part et d’autre de la route. Donc, elle a été trouvée le lendemain matin. Il y avait des milliers de personnes qui la cherchaient sur place. Tous les morceaux ont été ramassés très rapidement. C’est une petite chute. Il n’y a pas beaucoup de morceaux trouvés. Je crois qu’on avait estimé à 4 kg la masse totale de Tarda, peut-être, moins.

Il y a un lien direct entre l’étude des météorites et la compréhension de l’origine et de l’évolution de la vie sur Terre        

- Au-delà des percées scientifiques que permettent Tissint, Tarda et d’autres météorites, quelles sont les questions qui restent à ce jour sans réponses par rapport à notre compréhension du système solaire et qui vous hantent peut-être, parfois ?

- Hasnaa Chennaoui : Elle est compliquée cette question (rires). C’est toute une histoire. Alors, on va contextualiser puisqu’on parle de Tissint et de la matière organique. Le questionnement est très profond par rapport à l’origine et au développement de la vie.

Et là, j’ouvre une parenthèse : au niveau de notre expo-musée Les Météorites, messagères du ciel : Origines actuellement ouverte à Marina Shopping Casablanca, nous avons lié les météorites à leur origine dans le système solaire, à l’extinction massive d’espèces et à l’origine et l’évolution de la vie sur Terre. Donc, on a mis en place un mur illustré où on explique de façon très simplifiée l’évolution de la vie. Ces questionnements sont, donc déjà là. Une raison pour laquelle on a mis en place ce mur explicatif pour nos visiteurs. Car il y a un lien direct entre l’étude des météorites et la compréhension de l’origine et de l’évolution de la vie sur Terre.

Personnellement, je trouve que plus on découvre de choses par rapport à cette origine et à ce développement, plus cela ouvre des questionnements autres, et plus ça permet de se poser d’autres questions. Cela nous permet de voir encore plus loin et plus en amont de ce qui nous a formés. Et puis, de se dire que nous, nous sommes tout petits et tellement insignifiants devant cette grandeur qui a tout organisé, c’est extraordinaire.

Évidemment, on se pose toujours des questions en tant que scientifiques sur comment le système solaire s’est formé, comment cela a évolué, l’origine de l’eau sur Terre, sachant que je suis convaincue des explications scientifiques déjà livrées sur l’eau. Et on se pose aussi ces questions sur le plan métaphysique et spirituel. Ces interrogations sont des petites fenêtres qui s’ouvrent à nous en tant que scientifiques et qui nous permettent d’aller dans la réflexion, dans le savoir et le questionnement. Elles sont importantes pour nous en tant qu’humains et scientifiques. Et je sais que ce sont des questions qui peuvent nous surprendre et nous amener à des réponses à l’avenir. Elles peuvent changer nos connaissances actuelles. Ça ne me réveille pas la nuit (rires), mais, je suis très curieuse de tout ce qu’on pourrait découvrir à l’avenir.

LIRE AUSSI : "Les Météorites : Messagère du ciel" : l’exposition qui fait parler le ciel

- Philippe Schmitt-Kopplin : Pour tenter de répondre à ces questions sur l’origine et le développement de la vie, il y a beaucoup de consortiums qui se construisent en ce moment même. Et j’y participe dans la région de Munich avec des scientifiques qui viennent des domaines des RNA (étape hypothétique de l’évolution de l’histoire de la vie sur Terre, ndlr), des réactions de formose, de la formation des sucres et des acides aminés et de la formation de tous ces éléments essentiels pour la vie, etc. Il y a par exemple l’institut virtuel, Minerva avec Israël qui s’est ouvert en lien avec cela. C’est pareil aussi en France. Il y a également des activités exobiologiques (l’étude de la vie dans l’univers, ndlr) qui sont en train d’être coordonnées.

Je participe énormément à ces travaux au niveau mondial. En septembre prochain, je prendrai part à un workshop NSF (National Science Foundation, ndlr) qui a pour thématique, Life in the Universe. Ce sont des questions qu’on se pose en ce moment. Pourquoi ? Parce que les méthodes et les possibilités d’analyse ont énormément évolué ces dernières années. Et vous l’avez évoqué tout à l’heure pour les aspects technologiques.

Et il ne s’agit pas uniquement de l’infiniment petit, mais aussi de l’infiniment grand. Le travail d’un des derniers prix Nobel de physique était en lien avec les exoplanètes. On observe, donc, l’atmosphère des exoplanètes pour y trouver des molécules qui témoignent d’une vie potentielle. Et donc on se pose la question : est-ce qu’on est seul ? Ce sont aussi des questions métaphysiques que l’être humain s’est toujours posées. Et puis nous les scientifiques, nous sommes tout petits et nous livrons un petit bout de ce grand puzzle. Cela nous rend heureux. Et c’est ça qui est beau, simplement beau.

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Entretien croisé avec :

Hasnaa Chennaoui Aoudjehane, professeur à l’Université Hassan II de Casablanca (faculté des Sciences de Aïn Chock, Département de Géologie), présidente de la fondation Attarik pour les sciences des météorites et de la planétologie et membre du Membership Committee de la Meteoritical Society.

Philippe Schmitt-Kopplin, professeur à l’Université Technique de Munich, scientifique invité au Centre d’études astrochimiques du MaxPlank à Garching et directeur de recherche au département de la biogéochimie analytique au centre de recherche Helmholtz Munich.

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