Le Barbe, cheval de bataille de l’héritage équestre

Cheval de race pure, le barbe est endémique du Maghreb. Cet équidé, dont la présence en Afrique du Nord daterait de 3.500 ans, surprend par son endurance et sa rusticité. Yassine Jamali, l’auteur du "Cheval barbe", décrypte les particularités de cette race millénaire et lève le voile sur des siècles de gloire.

Le Barbe - Crédit photo SOREC

Le Barbe, cheval de bataille de l’héritage équestre

Le 26 juin 2023 à 15h41

Modifié 26 juin 2023 à 17h54

Cheval de race pure, le barbe est endémique du Maghreb. Cet équidé, dont la présence en Afrique du Nord daterait de 3.500 ans, surprend par son endurance et sa rusticité. Yassine Jamali, l’auteur du "Cheval barbe", décrypte les particularités de cette race millénaire et lève le voile sur des siècles de gloire.

Il a été le cheval de la guerre, de la chasse et de la razzia. Le barbe, race endémique du Maghreb, a été le compagnon fidèle de l’homme depuis au moins l’antiquité. Car, il demeure, à ce jour, difficile de dater avec précision son origine. Même pour la domestication du cheval plus globalement, les hypothèses des paléogénétiques évoluent à chaque nouvelle étude publiée.

Dans la prestigieuse revue scientifique Nature, par exemple, un article scientifique publié en octobre 2021 montre que les chevaux modernes, "dociles et au dos solide", remontent à 4.200 ans avant notre ère, dans le nord du Caucase.

En mars dernier, l’autre prestigieuse revue scientifique Science affirme, elle, que l’équitation est une pratique vieille de 5.000 ans et a été maîtrisée par le peuple d’éleveurs nomades, Yamnaya, vivant aux confins de l’Europe et de l’Asie.

Cheval barbe marocain du Moyen Atlas (photo E. Laoust) - Crédit - Encyclopédie berbère

Historique

S’il demeure, pour l’heure, difficile de dater la présence du cheval barbe depuis son origine, Yassine Jamali, vétérinaire, éleveur et auteur du livre Le Cheval barbe, publié aux éditions Actes Sud en 2020, nous explique que "les auteurs coloniaux français ont avancé que le cheval avait été introduit en Afrique du Nord il y a à peu près 3.500 ans. Ensuite, on a découvert des chevaux préhistoriques : des fossiles de 40.000 ans, 11.000 ans et 8.000 ans. Mais je ne peux pas avancer qu’il y ait eu une présence continue et prouvée du cheval barbe".

Détail d'une mosaïque de Cherchel bon type de Barbe bréviligne - Crédit - Encyclopédie berbère

Cela dit, si on remonte un peu moins loin dans le temps, "on rapporte que le Roi de Cyrène (colonie grecque de la côte nord-africaine, dans l'actuelle Libye, ndlr) avait remporté à Athènes les Jeux olympiques en 475 av. J.-C. On ne dit pas que ce sont des chevaux barbes, mais ce sont des chevaux de la région, donc des proto-barbes ou des ancêtres de barbe. Ensuite, il y a le poète romain Oppien, qui disait vers 70 ap. J.-C. que le cheval de Maurétanie (ancien royaume du Maghreb) est le meilleur au monde. Il faisait référence à tous les chevaux de l’Empire romain. Le cheval de Maurétanie est ainsi décrit comme étant petit, pas très beau mais inépuisable. Oppien ajoute que si on devait rejoindre un gibier rapide et résistant, il n’y avait que le cheval de Maurétanie pour le faire. Il est mieux que toutes les autres races".

Mosaïque de Segermes (Musée du Bardo) : deux barbes attelés à une charrette - Crédit - Encyclopédie berbère

Yassine Jamali estime que cette description est d’autant plus intéressante quand on sait que le poète était d’origine syrienne, berceau du cheval arabe. Ce qui n’a pas empêché le poète de vanter les mérites du cheval d’Afrique du Nord.

Digne de confiance

L’auteur ajoute aussi qu’"Omro’ Al Kaïs, grand poète et cavalier de La Jahiliya (période anté-islamique, ndlr) décrivait presque un siècle avant l’islam, et peut-être 150 ans avant que les Arabes n’arrivent en Afrique du Nord, son voyage à Constantinople chez l’empereur de Byzance pendant lequel il voit des chevaux berbères. Il les appelle alors ‘Khoyoul Barbara’. Il dépeint ainsi leur allure et dit que ce sont des chevaux excellents et que s’il menait une entreprise de chasse ou de guerre, il le ferait sur ces chevaux-là. Autrement dit, il avait toute confiance dans sa réussite grâce à ces équidés".

D’où vient d’ailleurs l’appellation "barbe" ? Selon notre interlocuteur, le premier à l’utiliser était le voyageur et géographe Hassan Al Wazzan, dit Léon l’Africain. En faisant référence à ces chevaux dans ses écrits alors qu’il était à Rome, et avant qu’il ne revienne en Afrique du Nord, il les a appelés en latin ou en italien "Cavalli barberi" : chevaux barbes. "Et le ‘barberi’ est devenu ‘barbe’ en français", ajoute Yassine Jamali.

Expérience et connaissance

Si l’auteur cite toutes ces anecdotes historiques consciencieusement, faisant ainsi l’éloge du barbe, c’est parce qu’il nourrit depuis son très jeune âge une passion pour cette race. Il se remémore les journées passées sur les champs de la Fantasia ou encore des matinées entières dans les souks pour assister à la vente de chevaux. Natif de Béni Mellal, Yassine Jamali a passé sa jeunesse dans la ferme familiale dans le Tadla, au piémont du Moyen Atlas.

L’engouement de notre interlocuteur pour le barbe a été renforcé par son savoir vétérinaire qui lui a permis de valider ses hypothèses. À ce savoir scientifique s’ajoute son recours aux écrits historiques sur cette race d’équidés, l’aidant ainsi à peaufiner son érudition. C’est ainsi que pour la publication de son livre consacré au barbe, Yassine Jamali s’est appuyé sur une bibliographie riche de 130 ouvrages.

Quand il partage ses connaissances sur le barbe, l’auteur fait constamment des allers-retours entre le savoir scientifique, son expérience sur le terrain et les écrits historiques.

Globe-trotteur

Il faut savoir par ailleurs que même si le barbe est une race endémique du Maghreb, il a beaucoup voyagé aux quatre coins du monde. L’équidé a été exporté par le passé et a été utilisée aussi bien pour l’amélioration d’autres races de chevaux que pour la création de races locales.

"Au XVe siècle déjà, Alvise de Cada Mosto (explorateur vénitien, ndlr) relate la vente des chevaux du Maroc transitant par voie de terre vers le Sénégal. Au XVIIe siècle, un cheval barbe donné à Louis XV par le Bey de Tunis fut racheté à Paris par un Anglais et figura parmi les étalons qui sont à l’origine du pur-sang anglais, sous le nom de Goldophin Barb. Enfin, au XIXe siècle, la race barbe se révéla la mieux adaptée lors des essais d’acclimatation de chevaux à Madagascar et forma dans cette île, qui en était dépourvue, le fonds originel de la population chevaline", écrit Jean-Marie Lassère dans l’Encyclopédie berbère.

Marathonien

La chasse à la gazelle figurait historiquement parmi les premières utilisations du barbe. Pour ce faire, le galop atteignait 30 km/h, selon des observateurs du XIXe siècle. Et "ce ne sont pas des légendes du Moyen Âge ou de l’antiquité. Ce sont des officiers français du XIXe siècle qui ont chassé l’antilope et l’autruche avec le cheval barbe. Pour chasser l’autruche, le galop est de 50 km/h ou plus", précise Yassine Jamali.

La deuxième activité après la chasse était la razzia. "Il s’agit là d’attaquer une victime localisée à une distance entre 300 et 500 km. Et pour cela, le barbe se déplace pendant des jours, rapidement et discrètement. On fait alors l’attaque surprise, on prend ce qu’on a à prendre et on revient par des chemins détournés afin que la tribu attaquée ne sache pas qui l’a pillée, pour éviter évidemment toute vengeance", relate Yassine Jamali.

L’endurance et l’aptitude à fournir des efforts intenses, avec un minimum de nourriture et dans un climat aride, ont fait du barbe un cheval apprécié par les cavaliers à travers les âges. Ces qualités de résilience tiennent essentiellement au fait qu’il "n’est pas un colosse et qu’il n’est pas une force de la nature. C’est plutôt un marathonien, fin, sec. Et on ne compare pas un marathonien à un nageur ou un bodybuilder, c’est très différent. Il porte son cavalier et court vite et longtemps. C’est un peu le cahier des charges de cette race qui a mis des siècles durant à fabriquer le cheval barbe", explique le médecin vétérinaire.

Sobre

Morphologiquement, le barbe est décrit, dans l’Encyclopédie berbère, comme ayant la tête légèrement moutonnée, les oreilles le plus souvent divergentes, l’œil grand et le toupet abondant. L’encolure est rectiligne, bien dirigée, mais l’attache souvent épaisse. Le garrot est long, peu saillant, le dos et le rein sont courts. "Les membres sont étoffés, les canons secs, les pieds généralement petits à talons élevés. La taille varie de 1,40 m à un peu plus de 1,50 m. Certains sujets atteignant 1,60 m ne correspondent pas au standard et sont le résultat de croisements plus ou moins anciens, soit avec l’Oriental, soit avec une autre race", précise-t-on dans cette publication encyclopédique.

Hormis la rusticité, la sobriété et la résistance à la fatigue, le barbe est dépeint comme étant un cheval très calme. Il est également caractérisé par sa douceur envers l’homme. "La sûreté du pied dans tous les terrains sont des qualités connues et appréciées par tous les utilisateurs", décrit-on encore dans cette encyclopédie.

S’il est élevé "correctement", nous dit le médecin vétérinaire, le barbe peut vivre de 25 à 30 ans, tout comme le pur-sang arabe. Il ne faut pas le suralimenter ni l’affamer, et l'on se doit de respecter son rythme d’exercice pour qu'il puisse atteindre un âge avancé.

Moulay Driss Amghar - 1925

Perte de vitesse

La guerre, la chasse et la razzia, principaux usages historiques du barbe, ne sont plus à l’ordre du jour. La modernité a conduit progressivement à tourner le dos à ce qui faisait, jadis la force de cet équidé. Par exemple, "vous n’allez plus au souk sur un cheval, comme par le passé. Dès que le goudron est là, vous y allez sur un vélomoteur : il fait 150 km/h et c’est très économique. Quand vous ne l’utilisez pas, vous ne dépensez pas votre argent dans son alimentation", fait remarquer Yassine Jamali, également agriculteur. "Ceux qu’on considère aujourd’hui comme des chevaux de carriole sans valeur sont des athlètes qui ne demandent qu’à prouver leur capacité sur les terrains de sport."

Le Rif, le Moyen Atlas ou encore les zones très isolées du pays ressortent comme le fief du barbe, aujourd’hui. "Dans des zones enclavées, on en a encore besoin pour se déplacer, aller au souk, tirer la charrette, et donc, on les conserve tels qu’ils étaient, historiquement, sans qu’il y ait d’interventions sur le plan génétique de la race", précise Yassine Jamali.

Il est difficile aujourd’hui d’avancer avec précision le nombre de chevaux barbes. Notre interlocuteur préfère d’ailleurs rester prudent en proposant une large fourchette variant entre 5.000 et 10.000 équidés dans tout le pays.

Il est à noter que la Stratégie nationale de la filière équine consacre la race barbe comme "cheval du Maroc". Et une politique volontariste de sauvegarde de cette race est menée depuis plusieurs années.

Tout-terrain

C’est un secret de polichinelle : pour qu’une espèce survive, il faut qu’elle s’adapte. Le barbe doit donc avoir une utilité en phase avec son époque, sachant qu’il n’a jamais été un cheval ostentatoire comme peuvent l’être, parfois, l’arabe ou encore l’anglais. Dès lors, la question se pose quant à son utilité de nos jours. "Ce ne sera pas l’utilité mais les utilités ! Le barbe se caractérise par une certaine polyvalence", nous répond l’expert. Pour l’éleveur, l’utilité la plus évidente est la course d’endurance qui se fait généralement pendant une journée sur des distances variables de 20 à 160 km.

Pour l’heure, les chevaux arabes sont les meilleurs dans cette discipline, mais autrefois, les barbes étaient aussi bons que les arabes. Donc, "il n’y a pas de raisons pour qu’aujourd’hui, on n’arrive pas au Maroc à faire des barbes des chevaux d’endurance", estime Yassine Jamali.

L’équitation de travail ressort également comme une utilité potentielle pour cette race. "C’est un peu comme l’équitation Western : le cheval court très vite, rattrape les bovins, les arrête, les rassemble, les sépare, etc. Ce sont des évolutions à la fois de cheval de berger et de cheval de guerre. Gérer un troupeau de vaches, c’est presque pareil à un combat au sabre ou à la lance."

Monnaie de Carthage (photo cabinet des médailles), cheval de type oriental - Crédit - Encyclopédie berbère

Champion sportif

Et ce n’est pas tout. L’attelage sportif est aussi une activité potentielle pour le barbe. Il s’agit d’une discipline olympique qui consiste à atteler 1 à 4 chevaux à une diligence lors des épreuves sportifs. "Je fais le pari, que si on se donnait la peine au Maroc d’entraîner de vrais barbes (race pure, ndlr), on pourrait avoir des chevaux sur le podium ou au moins tout près du podium pour les prochains Jeux olympiques", avance Yassine Jamali, éleveur lui-même de chevaux barbes.

L’autre discipline sportive dont l’équidé marocain serait un bon compétiteur est le Trec, l’acronyme de Techniques de randonnée équestre de compétition. "Il y a déjà un barbe qui a été sacré, à la fois, champion d’Europe, champion du monde et champion de France dans cette discipline. Ce ne sont pas des hypothèses, mais une réalité. Et des chevaux comme ça au Maroc, il y en a plein. Ils ne coûtent rien. Et on les considère à peine mieux qu’un mulet, alors que ce sont des chevaux qui ont une grande valeur génétique et qui peuvent avoir une valeur économique si on la leur accorde. Car il est important aussi de penser au volet économique."

Pour l’organisation de séjours équestres au Maroc, que ce soit dans le Sud ou dans d’autres régions, le barbe et l’arabe-barbe sont d’ailleurs très appréciés par les organisateurs de ces randonnées.

>> Lire aussi notre article : Drâa-Tafilalet. Dunes, palmiers et randonnées équestres

Confusion

Très souvent, le barbe est associé à la Tbourida. Yassine Jamali considère qu’il s’agit d’une confusion. "On prend le cheval de Tbourida, qui est très grand, très puissant, majestueux et impressionnant et on dit : ‘Ça, c’est le cheval barbe !’ Ce qui n’est pas vrai. Cette confusion nuit beaucoup au cheval barbe".

Pour notre interlocuteur, les descriptions du barbe qui datent d’à peu près 25 siècles parlent d’un cheval petit, fin, résistant et infatigable. Yassine Jamali argue que "chaque physique correspond à une discipline ou une activité, mais pas à toutes. Le cheval de la Tbourida fait un 1m65 au garrot, ce qui est grand. Et il pèse entre 700 et 800 kg, ce qui est lourd. Donc, il ne pourra jamais, quel que soit son entraînement, chasser une gazelle ou survivre ne serait-ce qu’à deux journées de suite de razzia; car il n’est pas fait pour ça. Le cheval de la Tbourida est un cheval de parade. Il est beau et magnifique, mais ce n’est pas le barbe".

À toute épreuve

Pour le médecin vétérinaire, dont la thèse de fin d'études a été consacrée à "La reproduction équine au Maroc", les cavaliers de la Tbourida ont confectionné sur mesure leur cheval, pendant les années 1970, 1980 et 1990 à travers des croisements génétiques avec d’autres races. Le résultat est un cheval majestueux avec une grosse encolure, qui correspond parfaitement à la Tbourida, inscrite en 2021 au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco.

"On devrait alors considérer le cheval de la Tbourida comme une race particulière, et lui donner un nom, un état civil en quelque sorte", propose Yassine Jamali. Le registre généalogique d’une race est ce qu’on appelle un "stud-book".

Si le barbe incarne le patrimoine historique du pays, puisqu’il s’agit d’une race millénaire qui doit être préservée, le cheval de la Tbourida représente le patrimoine contemporain. Chaque race à, ainsi, une place de choix dans notre héritage culturel. Ce qui atteste immanquablement de la continuité d’une tradition équestre à toute épreuve.

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