Les nappes côtières en proie au risque d’intrusion de l’eau de mer, la sécheresse et la surexploitation

ROUND UP. Ressources stratégiques, les 13 aquifères côtiers du Royaume subissent l’intrusion de l’eau de mer, la sécheresse et la surexploitation à des fins agricoles. De fait, leur niveau baisse et la qualité de leur eau se dégrade. Le point avec Yassine Ez-Zaouy, chercheur à l’Institut international de recherche sur l'eau.

Station de dessalement de l'eau de mer de Sidi Ifni. Photo d'illustration.

Les nappes côtières en proie au risque d’intrusion de l’eau de mer, la sécheresse et la surexploitation

Le 27 avril 2023 à 11h31

Modifié 10 mai 2023 à 11h21

ROUND UP. Ressources stratégiques, les 13 aquifères côtiers du Royaume subissent l’intrusion de l’eau de mer, la sécheresse et la surexploitation à des fins agricoles. De fait, leur niveau baisse et la qualité de leur eau se dégrade. Le point avec Yassine Ez-Zaouy, chercheur à l’Institut international de recherche sur l'eau.

Ces dernières décennies, les zones côtières du Maroc ont connu un important développement socio-économique qui a conduit à une surexploitation des 13 aquifères côtiers, entraînant une dégradation de la qualité de leurs ressources en eau à cause de l'augmentation de la salinisation. L'aquifère étant une structure géologique perméable contenant de l’eau issue de l’infiltration. 

La salinisation représente quant à elle un processus selon lequel la solution du sol se minéralise sous l'influence de mécanismes physiques. La minéralisation des eaux souterraines dans les aquifères côtiers du Royaume croît du nord au sud, en particulier le long de l'Atlantique. 

Sur la côte méditerranéenne, le degré de minéralisation augmente également, du nord-ouest au nord-est, en raison de l'aridité du climat et de l'intensité des activités humaines. D'après une étude* qui analyse l'état de 13 aquifères côtiers marocains, cette dégradation est le résultat de différents processus de salinité, qui peuvent agir dans le même aquifère :  

- L'intrusion de l'eau de mer ;  

- L'interaction eau-roche ;  

- La pollution par nitrates ;  

- L'évaporation.

Sachant que plus de 70% de l'eau d’irrigation est issue des ressources souterraines, la salinisation des aquifères qui embrassent les côtes marocaines pourrait avoir des conséquences néfastes sur les sols et les rendements agricoles à moyen et long termes. 

"Au-delà de déterminer l'évolution et les perspectives des aquifères marins en vue d'assurer leur durabilité, cette étude permet de localiser les zones où le niveau de salinité est moins élevé afin d'y prélever de l'eau", explique Yassine Ez-Zaouy, chercheur à l'Institut international de recherche sur l'eau et doctorant à l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P).

Yassine Ez-Zaouy, chercheur à l'Institut international de recherche sur l'eau et doctorant à l'Université Mohammed VI Polytechnique (UM6P)

13 aquifères côtiers sur 98 superficiels 

Selon la Direction de la recherche et de la planification de l'eau (DRPE, ministère de l'Equipement et de l'eau), le sous-sol du Royaume dispose de 130 aquifères :

- 32 aquifères profonds (de 200 à 1.000 m de profondeur) ; 

- 98 aquifères superficiels (moins de 200 m).

Ces ressources stratégiques sont réparties sur six grands domaines hydrogéologiques : 

- Saharien ; 

- Sud Atlas, y compris l'Anti-Atlas ; 

- L'Atlas, y compris le Haut et le Moyen Atlas ; 

- L'Oriental (Est) ;

- L'Atlantique ; 

- Le Rif (Nord).

Sur les 98 aquifères superficiels, 13 sont connectés aux côtes marocaines, dont quatre disséminés tout le long de la Méditerranée : 

- Bouareg ; 

- Ghis-Nekor ;  

- Bokkoya ;  

- Martil-Alila.

Pour ce qui est de la côte atlantique, il y a neuf aquifères éparpillés du nord au sud comme suit  : 

- Mnasra ;  

- Chaouia ; 

- Sidi Abed Ouled Ghanem ; 

- Oualidia ; 

- Essaouira ; 

- Agadir ; 

- Chtouka-Massa ; 

- Foum El Oued ; 

- Dakhla.

Un tiers des eaux souterraines sont affectées

Toujours d'après la Direction de la recherche et de la planification de l'eau, 31% des eaux souterraines sont affectées par la pollution humaine et la dégradation naturelle, tandis que près de la moitié sont de bonne à très bonne qualité (47%) et plus d’un tiers sont de qualité moyenne (22%).

Pour schématiser, l'étude en question indique qu'au Nord, la salinité augmente en raison de la surexploitation et de l'effet du changement climatique par l'élévation du niveau de la mer et l'avancée du biseau salé, ainsi que de la contribution des activités anthropiques. 

Dans le Sud, la sécheresse accompagnée d'un pompage excessif dû à la densité de la population et à des activités agricoles intenses, "sont les principales raisons de la dégradation de l'environnement", soulignent les scientifiques. 

S'agissant des aquifères méditerranéens, celui de Bouareg, situé à l'est de la côte méditerranéenne, est le plus minéralisé. Sur la côte atlantique, la situation de l'aquifère de Foum El Oued, situé dans la partie Sud, est la plus préoccupante.  

Cette dernière est caractérisée par des valeurs de salinité très élevées dues à l'intrusion marine, en particulier dans les deux premiers kilomètres de la partie nord-ouest de la côte. En outre, "l'avancée de l'eau salée marine est également mise en évidence sur 4,3 km en direction du continent, notamment dans la zone de fort pompage de l'Office national de l'eau potable (ONEE)", précisent les auteurs de l'étude.

En plus de l'intrusion marine, d'autres facteurs contribuent à la forte salinité de l'eau de mer dans l'aquifère de Foum El Oued, notamment les rejets urbains et de l'industrie de transformation du poisson dans la ville de Laâyoune, où les prélèvements et l'industrie génèrent un abaissement progressif de la nappe qui favorise une avancée considérable de l'eau de mer en son sein. 

"Cette intrusion marine et l'abaissement de la nappe sont également favorisés par le manque de pluviométrie dans le sud du pays", complète Yassine Ez-Zaouy. De plus, en raison des températures élevées dans cette région du pays, le processus d'évaporation joue un rôle important dans l'augmentation de la salinisation du sol et de l'eau. 

L'effet de la tectonique et de l'interaction eau-roche

Dans la région de Bouareg, des processus similaires conduisent à la dégradation de la qualité des ressources en eau souterraine et à l'augmentation de leur salinité. En ce qui concerne les aquifères modérément minéralisés, à l’image de celui de Dakhla, la minéralisation est due à deux processus : l'intrusion d'eau de mer et l'interaction eau-roche, ce dernier processus étant plus dominant. 

L'effet de la tectonique est aussi un facteur important dans l'avancée de l'eau de mer dans les aquifères méditerranéens, comme c'est le cas de Ghis-Nekor, qui subit une contamination dans sa partie Nord-Est. 

"Cette situation peut également s'expliquer par la présence de la faille du Troûgoût, qui favorise le mouvement d'eau salée vers l'aquifère", assurent les chercheurs. La même situation a été observée dans l'aquifère côtier carbonaté du massif de Bokkoya, où l'intrusion d'eau de mer est accentuée par les séismes auxquels la région est soumise.

Une intrusion d'eau salée à l'Est de la rivière Nekor a également été constatée, alors que le phénomène n'est pas détecté sur les deux rives du Ghis. Concernant les aquifères modérément minéralisés de la côte Atlantique de Sidi Abed-Oulad Ghanem, Essaouira et Agadir, ce processus relève de l'intrusion d'eau de mer et de l'effet des évaporites. 

Dans l'aquifère d'Agadir (région de Souss-Massa), l'intrusion d'eau de mer et "des terrains triasiques dans la partie sud du Haut Atlas ont grandement participé à la salinisation des ressources de l'aquifère", nous assure Yassine Ez-Zaouy. 

Auteur d'une étude** réalisée dans le cadre d'une thèse, en collaboration avec l'Agence du bassin hydraulique de Souss-Massa (ABHSM), le spécialiste a étudié une zone d'étude située le long de la côte atlantique, au sud-ouest du bassin du Souss-Massa. Zone limitée par la rivière Souss au nord, la rivière Massa au sud et l'océan Atlantique à l'ouest. 

L'étude s'étend sur une zone d'environ 10 km à l'intérieur des terres et révèle qu'en s'éloignant des embouchures des deux cours d'eau, l'intrusion d'eau de mer provient directement de l'océan et progresse d'environ 2.500 m à l'intérieur des terres.

Densité des puits de pompage et pollution 

Concernant les aquifères faiblement minéralisés, l'étude montre que la minéralisation est la conséquence de l'intrusion d'eau de mer, mais avec une intensité plus faible. C'est justement le cas de l'aquifère de Martil-Alila.

Localisée au Nord-Ouest de la côte méditerranéenne, l'état des lieux de cet aquifère montre que les eaux souterraines sont affectées par une salinité due à l'intrusion de l'eau de mer le long de la rivière Martil, avec une extension latérale de 1,1 km, ainsi qu'un état progressif d'intrusion d'eau de mer, notamment dans la partie centrale de la plaine.

"Ceci s'explique par la densité des puits de pompage dans le centre de la plaine. En outre, la minéralisation est également due à l'eau polluée provenant de la rivière Martil et de la ville de M'diq", assurent les chercheurs. Pour ce qui est des autres aquifères de la partie atlantique, en particulier dans l'aquifère de Mnasra, sa dépréciation est très importante.

Ce constat est clairement établi dans la partie centrale et Sud-Ouest de l'aquifère, où l'exploitation est très intense. De surcroît, "l'aquifère est connu pour être fortement contaminé en nitrates en raison des fortes activités agricoles dans la zone de la Mnasra", déplorent les scientifiques.  

A proximité de l'aquifère de la Mnasara, celui de la Chaouia souffre du problème de pollution des eaux souterraines par la remontée de l'eau de mer et du lessivage des engrais chlorés, du recyclage des eaux d'irrigation, de l'évaporation et de l'interaction eau-roche. 

L'étendue de l'eau salée dans la zone de Chaouia, notamment au niveau de la partie Azemmour et Tnine-Chtouka (région d'El Jadida), atteint 2 km à l'intérieur des terres avec une profondeur de 45 m. Dans la partie Nord de l'aquifère, notamment entre la zone de Tnine-Chtouka et Casablanca, l'extension de l'intrusion marine est de 700 m vers le continent avec une profondeur de 20 m.

L'aquifère de Oualidia présente le même problème d'intrusion d'eau de mer, en plus de la contamination évaporitique et anthropique affectant à la fois les aquifères peu profonds et profonds. La partie la plus minéralisée est la zone d'Oulja (région de Oualidia), à vocation agricole. Les travaux géophysiques illustrent que l'avancée de l'eau salée est de 1.000 m vers le continent.

L'avancée de l'intrusion marine vers les terres

Les chercheurs indiquent à l'unisson que l'effet du changement climatique devrait aggraver la situation par des périodes de sécheresse sévère, ainsi qu'une élévation du niveau de la mer, ce qui favorise encore l'avancée de l'intrusion marine vers les terres.

Cette hypothèse hautement probable est envisagée pour les aquifères côtiers de la côte méditerranéenne et sur la côte d'El Jadida. "Mais l’intrusion marine est pour le moment favorisée en particulier par la baisse des ressources dans les nappes à cause de la surexploitation et le manque de recharge à cause de la sécheresse", estime Yassine Ez-Zaouy. "La hausse du niveau de la mer du fait du réchauffement climatique n’a pas encore d’impact significatif", ajoute-t-il. 

Une chose est sûre, dans tous les aquifères côtiers étudiés, la pollution de l'environnement côtier augmente, en particulier pour le sol. "Les agriculteurs prélèvent des ressources dont le taux de salinité est important et les utilisent pour l'irrigation. Cette même eau finit par s'infiltrer vers l'aquifère et augmente par conséquent sa salinité et celle des sols, impactant à terme la productivité des terres agricoles", déplore notre interlocuteur.  

Recharge artificielle et récupération des eaux de pluie

Il est possible d'atténuer la contamination et la dégradation de la qualité des eaux souterraines dans les aquifères côtiers marocains, via plusieurs actions : 

- La recharge artificielle ; 

- Le traitement des eaux de surface et/ou des eaux usées ; 

- La récupération des eaux de pluie ; 

- La technique de captage, de dessalement et de recharge par les eaux traitées.

D'autres techniques efficaces pourraient également être privilégiées :

- L'établissement de périmètres de protection dans les zones fortement exploitées ; 

- La construction de barrières hydrauliques et physiques

- L'installation de puits de circulation d'eau souterraine ;  

- La relocalisation des puits d'extraction en les déplaçant plus loin à l'intérieur des terres ;  

- La limitation de l'utilisation de l'eau en réduisant l'installation d'ouvrages d'alimentation en eau potable dans les zones vulnérables à l'intrusion de l'eau de mer, en particulier dans les zones proches de la côte.

Par ailleurs, l'installation de capteurs de conductivité électrique pour surveiller l'intrusion marine sera essentielle pour tous les aquifères côtiers du Maroc. Cette initiative a été adoptée dans la zone côtière de Souss-Massa. 

Concernant le secteur agricole, il est nécessaire de convaincre les agriculteurs d'opter pour des stratégies d'irrigation durables et de promouvoir le secteur par l'introduction de cultures résistantes à la salinité telles que le quinoa. C’est l'une des filières éco-responsables sur lesquelles le ministère de l'Agriculture mise dans le cadre de ses orientations agricoles pour les prochaines années, contenue dans la stratégie Generation Green 2020-2030. 

"Une expérience commencée dans la région de Souss Massa a donné des résultats prometteurs avec un mode d'irrigation goutte à goutte qui a prouvé son efficacité en matière de limitation de l'évaporation du sol, avec un taux d'économie d'eau de 30%", soulignent les auteurs de l’étude.  

Le dessalement de l'eau de mer pourrait également assurer une partie de l'eau pour l'irrigation. Une bonne alternative dans les zones agricoles dépendantes des aquifères de Chtouka, Chaouia, Oualidia et Bouareg.En termes d'urbanisme et du tourisme, les chercheurs mettent en avant l'utilisation d'eaux usées traitées, principalement pour l'irrigation des paysages et des terrains de golf.

Enfin, sur le plan institutionnel, la mise en œuvre du contrat de nappe entre les acteurs socio-économiques locaux au sein des bassins hydrologiques est une mesure capitale pour une meilleure gestion des ressources en eau à l'échelle du bassin versant et principalement dans les zones côtières critiques. 

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(*) L'étude "Les aquifères côtiers du Maroc : observations récentes, évolution et perspectives vers la durabilité" a été réalisée par Yassine Ez-zaouy (a), Lhoussaine Bouchaou (a, b), Aicha Saad (c), Mohammed Hssaisoune (b, d), Youssef Brouziyne (a), Driss Dhiba (a) et Abdelghani Chehbouni (a, e).

(a) Université polytechnique Mohammed VI (UM6P), Institut international de recherche sur l'eau, Ben Guerir ;

(b) Laboratoire de géologie appliquée et de géo-environnement, Université Ibn Zohr, Agadir ;

(c) Faculté polydisciplinaire de Taroudant, équipe d'exploration et de gestion des ressources naturelles et environnementales (EGERNE) Taroudant, Université Ibn Zohr, Agadir ;

(d) Faculté des sciences appliquées, Université Ibn Zohr, Ait Melloul ;

(e) CESBIO, Université de Toulouse, CNRS, CNES, France.

(**) L'étude "Méthodes géophysiques combinées pour étudier l'intrusion d'eau de mer dans la zone côtière de Souss-Massa" a été réalisée par Yassine Ez-zaouy (a), Lhoussaine Bouchaou (a,b), Henrik Schreiber (c), Nelly Montcoudiol (c), Ulrich Kalberkamp (d), Saadou Oumarou Danni (b), Amine Touab (b), Fatima Abourrig (e), Mohammed Hssaisoune (b, f).

(a) Université polytechnique Mohammed VI (UM6P), Institut international de recherche sur l'eau, Ben Guerir ;

(b) Laboratoire de géologie appliquée et de géo-environnement, Université Ibn Zohr, Agadir ;

(c) Institut fédéral des géosciences et des ressources naturelles (BGR), Hanovre, Allemagne ;

(d) Géophysicien-conseil, Hagen, Allemagne ;

(e) Agence du bassin hydraulique de Souss-Massa, Agadir ;

(f) Faculté des sciences appliquées, Université Ibn Zohr, Ait Melloul.

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