Sortie à l'international, dette intérieure, ligne modulable,... Entretien avec Faouzia Zaaboul

Pour Médias24, Faouzia Zaaboul, directrice du Trésor et des Finances extérieures, revient sur les principales actualités liées au marché de la dette et sur les enjeux de la montée de l'inflation et des taux. Entretien. 

Faouzia Zaaboul, directrice du Trésor et des Finances extérieures

Sortie à l'international, dette intérieure, ligne modulable,... Entretien avec Faouzia Zaaboul

Le 12 février 2023 à 19h01

Modifié 13 février 2023 à 7h41

Pour Médias24, Faouzia Zaaboul, directrice du Trésor et des Finances extérieures, revient sur les principales actualités liées au marché de la dette et sur les enjeux de la montée de l'inflation et des taux. Entretien. 

Les derniers événements sur le marché de la dette intérieure, à la suite de l'augmentation des taux, ont remis sous les feux des projecteurs la Direction du Trésor et des Finances extérieures (DTFE). Une direction de back office de l'Etat chargée de lui assurer ses financements.

Sa directrice, Faouzia Zaaboul, a effectué toute sa carrière au ministère des Finances, après un court passage au département de l'Urbanisme. De cheffe du service du financement bilatéral, à celui de la division du marché des capitaux en passant par le service du développement des instruments financiers, elle devient la numéro 2 en de la DTFE en 2007 avant d'en prendre les rênes trois ans plus tard.

Dans les années 2000, elle va aussi participer au retour réussi du Maroc sur le marché international de la dette privée. Pour Médias24, elle revient sur les principales actualités liées au marché de la dette et sur les enjeux de la montée de l'inflation et des taux. Affable et connue pour son franc-parler, elle n'hésite pas à user de pédagogie pour expliquer les fondements des actions de ses services. Entretien.

La base des investisseurs dans les bons du Trésor est assez diversifiée, et nous avons besoin d’une remontée d’informations de la part de toutes les sensibilités pour nous permettre de calibrer nos émissions

Médias24 : À chaud, quelle est votre évaluation du nouvel instrument de dette à taux indexé que vous avez proposé au marché ?

Faouzia Zaaboul : Tout d’abord, il faut souligner que nos émissions s’inscrivent dans la stratégie de financement globale du Trésor. Cette stratégie vise, bien évidemment, à assurer le financement du Trésor à travers plusieurs paramètres, dont celui de coller aux besoins du marché. Dans les conditions actuelles, le marché cherche à se prémunir contre d’éventuelles hausses des taux. L’indexation constitue un moyen de répondre à ce souci.

Une fois adopté le principe de l’indexation, nous cherchons à affiner l’instrument jusqu’à ce qu’il coïncide avec les besoins du marché.

Déjà en novembre 2022, nous avons émis du "5 ans" indexé sur le "52 semaines". Cet instrument a suscité un certain intérêt de la part des investisseurs, la levée ayant porté sur près de 9 milliards de dirhams.

Par rapport à l’émission du 31 janvier, l’appétit était plutôt pour une indexation sur le "13 semaines". C’est ce que nous avons fait et nous voulions, en même temps, tester cet instrument pour le moyen terme.

Bien entendu, on ne s’attendait pas à des offres importantes sur les maturités longues que nous devions toutefois proposer pour respecter notre calendrier d’émission, tel que communiqué aux acteurs du marché. Mais, on pensait que le "5 ans" indexé sur le "13 semaines" pourraient susciter de l’intérêt. Or, même le 5 ans n’a pas été porteur avec une offre de 1,6 milliard de dirhams seulement.

Suite à cette séance, nous avons eu des échanges avec nos partenaires et nous avons conclu qu’il fallait plutôt construire le consensus de manière progressive, maturité par maturité, en commençant par la partie courte de la courbe. C’est ce que nous avons fait en proposant, lors de la séance du mardi 7 février, une maturité "2 ans" indexée sur le "13 semaines".

- A priori, vous êtes toujours en discussion…

- Bien sûr. Vous savez, la base des investisseurs dans les bons du Trésor est assez diversifiée, et nous avons besoin d’une remontée d’informations de la part de toutes les sensibilités pour nous permettre de calibrer nos émissions.

Cette remontée d’informations s’opère d’ailleurs à travers plusieurs instances : nous avons le comité de la courbe des taux au sein duquel toutes les catégories d’investisseurs sont représentées en plus des autorités (Bank Al-Maghrib, AMMC, Direction du Trésor, banques IVT et ASFIM). Nous avons également des réunions régulières et des calls avec les IVT (Intermédiaires en Valeurs du Trésor) à la veille de chaque séance d’adjudication. Et bien sûr, il y a la lecture que nous faisons des offres reçues à l’occasion de chaque adjudication.

- Donc vous indexez les taux pour accompagner la hausse…

- Nous le faisons pour offrir un instrument qui réponde au souci des investisseurs dans le moment présent, étant donné que ces derniers ont tendance à investir dans le court terme, du fait des incertitudes entourant l’évolution des taux.

Si par la suite les anticipations changent, nous nous adapterons en conséquence. C’est la démarche des émetteurs souverains.

Les niveaux actuels des taux offrent plus de protection aux investisseurs contre d’éventuelles hausses, ce qui a attiré plus de demande

- Il y a eu une légère baisse des taux courts. Est-ce que vous pensez qu'il y a un début de consensus qui se constitue, du moins sur ces maturités ?

- D’abord, il y a lieu de rappeler que l’évolution des taux dépend de l’offre et de la demande des titres, qui découlent respectivement du besoin de financement du Trésor et des anticipations d’évolution des taux.

Les niveaux actuels des taux offrent plus de protection aux investisseurs contre d’éventuelles hausses, ce qui a attiré plus de demande. En parallèle, le besoin de financement du Trésor devient de moins en moins important, après les dernières levées sur le marché. Tous ces facteurs contribuent à la baisse des taux.

- Comment percevez-vous votre exposition sur les maturités très courtes, d'autant plus que durant 2022 l'essentiel des levées se sont faites sur ces maturités, et que ça continue ?

- L’engouement des investisseurs pour les maturités très courtes est un comportement rationnel de ceux-ci dans le contexte incertain qui prévaut. Par rapport à notre exposition sur le court terme, la durée moyenne de notre portefeuille de dette n’a baissé que de 6 mois, demeurant toujours au-dessus de notre objectif de 6 ans, du fait des marges de manœuvre reconstituées durant les années passées.

En effet, nous avons, profité de la conjoncture de baisse des taux qui a prévalu au cours de la dernière décennie pour augmenter la durée moyenne de notre dette, qui a dépassé les 7 ans en 2020. Pour rappel, nous avions vécu avec un portefeuille dont la maturité moyenne était autour de 4 ans entre 2001 et 2004. C’est une gestion dans le temps qui est réalisée en s’ajustant à la conjoncture.

- Donc l’appétit actuel sur les maturités courtes ne vous dérange pas... 

- Là, n’est pas la question. La vraie question, c’est l’état actuel du marché, qui découle d’ailleurs d’un certain nombre de facteurs. L’engouement pour les maturités courtes n’est qu’un symptôme.

25 MMDH de financements innovants en 2022

Les financements innovants ont permis de s’adresser à des investisseurs qui demandent une nouvelle classe d’actifs bien moins liquides que les bons du Trésor.

- Certains avancent que les financements innovants qui proposent un niveau plus élevé de rémunération (6%) ont créé un effet d’éviction sur les autres instruments, accentuant les tensions sur le marché…

- La rémunération n’est pas le seul facteur à prendre en considération, vu que le rationnel de construction de ce mécanisme est tout à fait différent. Nous avions le choix entre deux alternatives : soit continuer à détenir des actifs dont la valeur se compte en milliards de dirhams sans que cela  génère une valeur ajoutée pour l’Etat ; ou bien trouver des mécanismes pour les mettre sur le marché, ce qui permet, en même temps, de mettre sur ce dernier une nouvelle classe d’actifs qui peut générer des transactions financières.

En effet, ce mécanisme s’inscrit dans une vision à long terme de professionnalisation et de gestion active du patrimoine de l’Etat ; laquelle vision est basée sur le recours à des professionnels de gestion des actifs, en l’occurrence les sociétés de gestion des OPCI. Ceci permet de créer de la valeur au sein d’un nouveau segment du marché et de répondre ainsi au souci, qui nous anime tous, d’améliorer la qualité des services publics rendus aux citoyens, et non pas nous focaliser uniquement sur la question du propriétaire des murs d’une école ou d’un hôpital.

Concernant l’effet d’éviction soulevé, on peut poser la même question pour tout autre papier qui présente des rendements similaires et une séniorité élevée. Je pense que le marché est assez profond, et les financements innovants ont permis de s’adresser à des investisseurs qui demandent une nouvelle classe d’actifs bien moins liquides que les bons du Trésor.

D’ailleurs, quand on regarde les statistiques de 2022, cet instrument a mobilisé 25 MMDH, alors que nous avons mobilisé des bons du Trésor de 127 MMDH, notre principal moyen de financement.

- Vous avez levé plus de 40 MMDH avec cet instrument ; y a-t-il un plafond ?

- Comme cité précédemment, les actifs de l’État sont nombreux, donc le potentiel est très important. Il y a une volonté de migrer vers une gestion active du patrimoine public. Nous avons des besoins d’investissements sociaux importants qu’il va falloir financer. Mais bien évidemment, à un moment donné, il va falloir évaluer cet instrument.

La relation Banque Centrale - DTFE

- La récente intervention de Bank Al-Maghrib sur le marché secondaire a été lue comme une tentative de venir en aide au Trésor dans un contexte de fortes tensions sur le marché. Est-ce que vous travaillez en tandem avec la Banque centrale ?

- On travaille plutôt en concertation. Et c’est normal. La politique monétaire et la politique budgétaire doivent être coordonnées dès lors que Bank Al-Maghrib est une institution indépendante. Nous avons institutionnellement une réunion mensuelle, où l'on met toutes les questions sur la table. Puis nous avons des relations permanentes sur plusieurs autres sujets. Après, chacun prend ses décisions dans le cadre de ses prérogatives et en préservant son indépendance.

Nous n’avons pas le droit d’interférer avec les décisions de la Banque centrale. C’est statutaire et je dirais, même, salutaire.

- Vous êtes-vous concertés au sujet des dernières interventions de la Banque centrale sur le marché secondaire ?

- C’était une décision de politique monétaire où l’on n’interfère pas. Même au sein du Conseil de la Banque centrale, où la direction du Trésor est représentée, nous n’avons pas le droit d’interférer avec les décisions de la banque. C’est statutaire et je dirais, même, salutaire. Cependant nous nous devons d’apporter l’information dont nous disposons, pour compléter nos analyses respectives. Et c’est réciproque.

- Ces opérations ont été justifiées par l'apport de liquidité ; or il s’avère qu’il n’y a pas un problème de liquidité sur le marché, mais plutôt un problème de rémunération…

- Comme cela a été souligné par Bank Al-Maghrib dans ses communiqués et dans sa conférence de presse, il y a un besoin structurel de liquidité. La Banque centrale a décidé d’utiliser l’un de ses instruments de gestion de liquidité, à savoir les opérations d’open market, pour injecter de la liquidité de manière structurelle au lieu de le faire, chaque semaine, à travers les avances de 7 jours. D’ailleurs, suite à ces opérations, le recours des banques au financement de la Banque centrale a diminué presque du même montant.

Une sortie en 2023 à l'international en préparation

- Pensez-vous que l’absence de sortie du Trésor sur le marché international a été un facteur de tension supplémentaire sur le marché intérieur ?

- Nous avons une limite d’endettement, du fait de la loi de finances, à 40 MMDH. Or, dans les faits, nous avons mobilisé en prêts bilatéraux et multilatéraux 30 MMDH, dont 10 MMDH au cours du seul mois de décembre. En plus, nous avons mobilisé les fonds de la LPL qui étaient déposés à la Banque centrale pour 21 MMDH.

- Donc il n’y avait pas de besoin de sortir…

- Comme vous devez le savoir, le financement du Trésor est encadré par une stratégie qui vise à obtenir un mix entre le financement interne et externe, moyennant un arbitrage. Dans le financement extérieur, il y a tout ce qui est concessionnel, bilatéral et multilatéral, en plus du recours au marché international. Pour ce dernier, les conditions n’étaient pas réunies l’année dernière. Le marché a connu plusieurs perturbations pour l’ensemble des pays émergents. Par ailleurs, les besoins du Trésor n’ont pas augmenté par rapport à ce qui était prévu. Au contraire, ils ont baissé ! Et malgré le remboursement de l’Eurobond, le niveau des avoirs extérieurs n’a pas baissé.

Ce qu’il faut retenir, c’est que la stratégie au Trésor est d’être prêt pour saisir au vol toutes les opportunités qui nous permettent soit de reconstituer nos marges, soit de les consolider. Le fait d’avoir bloqué la LPL, alors qu’on aurait pu l’utiliser, c’est une marge. Le fait de ne pas avoir mobilisé les DTS est aussi une marge.  Nous sommes obligés d’avoir des buffers.

- N’y avait-il pas un besoin de fonds en devises ?

- C’est toujours bon d’avoir de la devise, mais quand les conditions le permettent. Nous sommes, d’ailleurs, en train de préparer une sortie pour 2023. Pour l’année dernière, le besoin de financement en devises a été comblé par le recours aux partenaires bilatéraux et multilatéraux.

- Les conditions sont-elles actuellement bonnes sur le marché international ?

- Les conditions, cette année, sont nettement meilleures. Les spreads appliqués à la signature du Maroc se situent au même niveau que celui des pays ayant une notation d’Investment grade. On a aussi constaté le retour de l’appétit pour la dette émergente en début année.

Donc, nous ne sommes plus dans la situation de l’an dernier où l'on ne savait pas vers où allait le marché. Les choses sont aujourd’hui relativement plus stables. On a plus de visibilité malgré l’incertitude.

- Malgré la hausse des taux ?

- Les taux qu’on a connus ces dernières années font partie du passé. Nous sommes dans un nouveau paradigme.

- Faut-il s’attendre à une hausse significative des taux ?

- Nous nous finançons aux conditions du marché. L’année dernière, il y avait plutôt un problème de profondeur du marché.

Le papier Maroc est très demandé sur le marché, ce qui le situe à un niveau proche des pays ayant la notation Investment grade.

- Aujourd’hui, quels sont nos benchmarks ?

- Le Maroc, grâce à la stabilité politique dont il jouit, offre la visibilité nécessaire aux investisseurs. La perte de l’Investment grade était liée à la situation de la Covid-19. Mais notre spread sur le marché se compare à des émetteurs Investment grade. Nous sommes à moins de 50% du CDS des pays émergents. On est à 148 pb alors que si l'on prend le marché des pays émergents, c’est 356 pb. En plus, nous ne sommes pas un émetteur fréquent et, du coup, nos titres sont une réelle opportunité de diversification pour les investisseurs. On a un Track record, une histoire à raconter, une discipline budgétaire, une gouvernance, des réformes engagées…. Le Maroc est également un pays où les règles du jeu sont respectées.

- La note souveraine n’est-elle pas un handicap ?

- En dépit de notre notation, le papier Maroc est très demandé sur le marché, ce qui le situe à un niveau proche des pays ayant la notation Investment grade. En parallèle, nous faisons tout pour l’améliorer.

- Est-ce déterminant pour la sortie du Maroc ?

- Nous sommes sortis en 2020 sans Investment grade. La principale force du Maroc, c'est sa stabilité politique. Après, il y a la crédibilité des engagements, la gouvernance, etc. Reste que la situation du marché, notamment en termes de profondeur, est également déterminante. La discussion avec les agences de notation est une discussion de longue haleine.

- Qu’en est-il de la ligne modulable en discussion avec le FMI ?

- C’est en cours de discussion. Nous attendons au moins le mois d’avril pour avoir une réponse. On travaille pour l’obtenir, et on garde notre optimisme.

- Est-ce une condition nécessaire pour la sortie à l’international ?

- Ce sont des ingrédients qui peuvent améliorer un peu les conditions du crédit. Mais, de manière générale, les investisseurs font leurs propres analyses.

- Quelles sont vos principales échéances ?

- Nous avons tout le temps des échéances, que ce soit, comme je l’ai dit, pour reconstituer nos marges ou pour les consolider. La plus importante est peut-être la tombée de 2024 pour la dette internationale. Mais notre stratégie, au niveau de l’endettement, est de consolider notre portefeuille de dette et de diversifier les sources de financement, tout en optimisant nos coûts, de lisser notre échéancier et de réduire notre risque de refinancement. Ce sont des paramètres qui nous guident dans le choix de nos instruments.

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