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Le CAM, banque universelle et de service public : une conversation avec Tariq Sijilmassi (3/3)

INTERVIEW. Fin connaisseur et grand passionné du monde rural, le président du directoire du Crédit Agricole du Maroc évoque, dans cet entretien, la situation du secteur agricole en cette année de sécheresse, la problématique de l’eau, ainsi que les résultats et la stratégie de la banque qu’il dirige.

Le CAM, banque universelle et de service public : une conversation avec Tariq Sijilmassi (3/3)

Le 12 avril 2022 à 17h51

Modifié 12 avril 2022 à 19h57

INTERVIEW. Fin connaisseur et grand passionné du monde rural, le président du directoire du Crédit Agricole du Maroc évoque, dans cet entretien, la situation du secteur agricole en cette année de sécheresse, la problématique de l’eau, ainsi que les résultats et la stratégie de la banque qu’il dirige.

Les deux premières parties de notre conversation avec Tariq Sijilmassi portaient sur le monde rural, la sécheresse, ses effets, les arbitrages à faire en matière de politique agricole, la problématique de la rareté de l’eau…

Dans cette troisième et dernière partie, nous passons à la banque ! Et il y a matière. En 2021, le Crédit agricole du Maroc (CAM) a brisé tous les plafonds : celui des 100 milliards d’épargne collectés et de crédits distribués, et les 4 milliards de PNB. Une première dans l’histoire de la banque du fellah qui, tout en maintenant son ADN rural, devient de plus en plus une banque universelle, urbaine, qui joue avec la concurrence sur le même terrain.

Tariq Sijilmassi explique comment le Crédit Agricole du Maroc a pu réaliser des résultats records dans un contexte difficile, précise comment la banque intervient dans le plan des 10 milliards débloqués pour lutter contre les effets de la sécheresse, et nous parle d’une vieille problématique, celle des fonds propres.

Une équation difficile pour cette banque publique qui, en plus d'une activité commerciale pure et dure, est dotée d’une mission d’intérêt public où rendement et gain financier ne sont pas prioritaires. Ce qui en fait depuis toujours une banque difficile à vendre pour les investisseurs… Une tendance qui est en train de changer, selon le patron du CAM qui pense qu'il est devenu un "titre" (il n’est pas encore coté, ndlr) très recherché aussi bien par les investisseurs marocains qu’étrangers. Par quel miracle ? Parole à l’intéressé.

Médias24 : Parlons banque. Quand on voit vos résultats de 2021, le premier chiffre qui saute aux yeux, c’est le montant de l’épargne collecté, qui a dépassé la barre des 100 milliards de dirhams, progressant de 9%. La collecte de l’épargne qui augmente pendant une année de crise, de quoi ce phénomène est-il le nom ? Y aurait-il une corrélation entre crise et épargne ?

Tariq Sijilmassi : En fait là, vous posez deux questions en une. Vous voulez savoir s’il y a un lien entre la crise et l’épargne et, implicitement, vous me demandez de vous dire comment nous sommes arrivés à réaliser ce chiffre pendant une année de crise.

Et je commencerai par répondre à la question implicite du « comment on a fait »… C’est tout simplement en gagnant des parts de marché, des parts prises dans un marché qui était porteur. Nous avons augmenté nos ressources pendant que d’autres les baissaient. On a donc pris de nouvelles parts de marché. Cela témoigne de deux choses : le dynamisme commercial du Crédit Agricole de manière générale et, deuxièmement, du fait qu’on est considéré de plus en plus comme une banque universelle. L’épargne, il ne faut pas se tromper, elle est en milieu urbain. Dans le rural, il n’y a pas d’épargne, et quand les gens veulent en faire, ils achètent du cheptel.

- Donc 'la banque du fellah' s'approprie des territoires nouveaux en milieu urbain, c’est bien cela ?

- Oui, on progresse dans le milieu urbain, et de manière spectaculaire. De plus en plus, le CAM est perçu comme une banque comme les autres. Ce qui est justifié, puisque notre réseau d’agences en milieu urbain est plus gros que celui de plusieurs autres banques de la place.

La deuxième partie de la réponse à votre question sur le lien entre la crise et l’épargne, là aussi, je peux vous dire qu’au Maroc, il y a de l’épargne, il y a de l’argent. Il y a d’abord énormément de cash qui circule. Et il y a de l’argent qui n’est pas en cash, et qui circule aussi. Peut-être qu’il y a eu une baisse de la consommation à cause du Covid, qui fait que les gens ont plus épargné. Peut-être aussi qu’il y a une économie marocaine qui ne va pas si mal que ça… Mais il y a de l’argent.

Et donc, le CAM capte sa part, et même un peu plus que sa part dans cet argent qui circule. Pour nous, c’est vraiment un motif de fierté de dépasser la barre symbolique des 100 milliards de dirhams d’épargne collectée, sachant qu’en 2003, quand je suis arrivé, on était à 12 milliards.

- La donne ne risque-t-elle pas de changer cette année ? Car, avec l’inflation galopante, le taux réel de l’épargne risque de devenir négatif, comme l’a signalé le gouverneur de la Banque centrale lors de sa dernière sortie. Cela ne va-t-il pas créer un phénomène de fuite de l’épargne bancaire vers d’autres canaux ?

- Vous pensez bien que je ne vais pas me permettre de commenter la politique monétaire marocaine après qu’elle a été commentée par le premier concerné, qui est le gouverneur de la Banque centrale.

- Oui, on comprend, mais on veut connaître l’avis du banquier que vous êtes, car au-delà de la politique monétaire, il s’agit d’une problématique purement commerciale pour les banques…

- Oui, je vais vous répondre. Monsieur le gouverneur de la Banque centrale fait le constat qu’il y a un risque que les taux d’intérêt deviennent à un moment donné inférieurs au taux de l’inflation. Et donc mécaniquement, il y aura un gap négatif, alors que traditionnellement, le gap doit être toujours positif.

Mais ne vous inquiétez pas, le marché se réajuste de lui-même. Si ceci est vrai, on constatera un réajustement des taux d’intérêt.

- Peut être aussi que l’épargne rémunérée se déplacera en dépôts à vue, ce qui est finalement une bonne chose pour une banque, non ?

- C’est possible. Mais ce qui est certain, c’est que le marché fait ses arbitrages tout seul. Il ne peut jamais y avoir des situations prolongées de déséquilibre dans un marché. Il y a une espèce d’intelligence collective qui fait que le marché se réajuste toujours.

Notre Banque centrale mène une politique monétaire extrêmement précise, donc ne vous inquiétez pas, le marché va se réajuster.

- Pour réajuster la rémunération de l’épargne, pensez-vous qu’on se dirige vers une augmentation des taux d’intérêt, ce qui risque de pénaliser la relance de l’économie ?

- Ceci est la question centrale qu’il faut se poser. Une augmentation des taux dans les prochaines semaines va, à coup sûr, réajuster la rémunération de l’épargne, mais va pénaliser mécaniquement l’investissement. Mais pour être honnête avec vous, je suis mal placé et incapable de répondre à cette question. Avec le Covid et la guerre en Ukraine, nous vivons dans une zone d’incertitude permanente, et personne ne peut vous dire de quoi demain sera fait. Il y a tellement de facteurs totalement inattendus qui entrent en jeu. Je vous mets au défi de me dire si la guerre en Ukraine va s’arrêter dans les prochains jours ou se prolonger dans le temps… Personne n’a la réponse.

Mais ce qui est certain, c’est que si ça dégénère, ça entraînera une récession mondiale. Et il pourrait y avoir un effet contraire. Car s’il y a récession, les besoins en crédit vont baisser. Le problème des taux peut donc se régler de la mauvaise manière.

Nous sommes la banque de la péréquation. On gagne dans le milieu urbain, dans l’agro-industrie, et on limite les dégâts dans le rural.

- Sinon, sur le plan de l’activité, vous cassez un autre plafond, avec un PNB qui dépasse les 4 milliards. C’est l’année de tous les records pour le CAM…

- On a cassé le plafond de 100 milliards d’épargne collectée, de 100 milliards de crédits collectés et de 4 milliards de PNB. C’est en ligne avec nos prévisions. Et c’est le fruit de stratégies lancées depuis presque vingt ans.

En fait, après le passage du CNCA au Crédit Agricole du Maroc, nous avons réalisé un plan d’entreprise en 2004, intitulé CAP 2008. Dans ce plan, nous avons acté avec le conseil de surveillance une stratégie qui vise à doter le CAM d’un portefeuille d’activité qui serait composé à 50% d’activités vertes, agro-industrie et agriculture, et à 50% en péréquation avec des activités non vertes : la grande entreprise, les particuliers, les investissements de toute nature, industriels, immobiliers…

Et on veille, depuis cette date-là, à toujours croître au même rythme. Quand on agrandit notre portefeuille agricole, on augmente en parallèle le reste. Aujourd’hui, nous recueillons les fruits de cette politique, d’abord dans tout ce qui est accompagnement du monde rural dans la sécheresse et les moments difficiles. Le portefeuille agricole représente somme toute une part très maîtrisée dans le portefeuille global.

Nous sommes en fait la banque de la péréquation. On gagne dans le milieu urbain, dans l’agro-industrie, et on limite les dégâts dans le rural. Et c’est cette politique-là qui nous mène aujourd’hui à faire plus de 100 milliards de dirhams en crédits et en dépôts ; et plus de 4 milliards de PNB.

- Comment se répartissent les crédits distribués par le CAM ? Qui se finance chez vous ?

- Ce sont des crédits universels. Nous avons de l’agriculture, c’est notre corps de métier, mais également beaucoup d’agroalimentaire, et puis presque toutes les autres activités économiques. La seule chose que nous n’avons quasiment pas, c’est le tourisme, le textile, les industries métallurgiques, mécaniques et électriques (IMME), le pharmaceutique… Ce sont des secteurs très minoritaires dans notre portefeuille.

A part ces métiers-là, nous sommes présents dans tous les secteurs de l’économie. Je vous rappelle que nous avons récupéré le portefeuille sain de la BNDE et de toute la BMAO. Ce qui fait de nous une banque à connotation urbaine très forte.

- Votre résultat net consolidé a également explosé de 89% à 387 MDH, un taux largement supérieur à la croissance de l’activité puisque le PNB n’a progressé que de 7%. Serait-ce un effet de base ?

- Il y a deux choses. Si vous regardez nos résultats, nous avons communiqué doublement. Nous avons communiqué sur un résultat hors provision sécheresse et sur un résultat sans provisions, qui est le résultat réel. Comme on avait contribué l’année d’avant au fonds Covid à hauteur de 200 MDH, un montant qui représente 50% de notre bénéfice, mécaniquement, l’année suivante on fait du +100%. Ce qui se reflète sur le résultat net hors provision sécheresse qui progresse de 135%.

Maintenant, hors Covid et cet effet de base du don de 200 MDH, on fait quand même une progression significative. Mais nous avons décidé de couper un peu dans le résultat parce que l’histoire se raconte bien. Que vous annonciez une croissance de 89% ou de 135%, le résultat est tout aussi spectaculaire. Nous avons donc considéré qu’il était de notre devoir, cette année, de constituer des provisions en prévision des effets de la sécheresse.

- Globalement, cette provision 'spécial sécheresse' se monte à 800 MDH. C’est considérable. Vous vous attendez à une grosse casse cette année ?

- En fait, nous avons constitué la provision avant les pluies de mars. Donc, on a mis du gras de côté sous forme de provisions pour risques généraux (PRG). Je vais vous donner un chiffre qui va vous surprendre. Aujourd’hui, nous avons 6 milliards de dirhams de provisions pour les crédits en contentieux, c’est un taux de couverture de 71%.

Et nous avons 1,5 milliard de dirhams de provisions pour risques généraux qui sont sur le portefeuille sain, pour nous prémunir de tout mauvais glissement qu’il peut y avoir, que ce soit sur la partie agricole ou sur le reste. Je pense que ça donne un matelas de sécurité significatif pour le CAM. On fait de bons résultats, mais pas au détriment de la sécurité.

- Dans le programme étatique des 10 milliards de dirhams, lancé pour contrebalancer les effets de la sécheresse, le CAM est une pièce maîtresse puisque vous portez à vous seul un engagement de 6 milliards de dirhams en crédits sur cette enveloppe totale. Comment intervenez-vous concrètement dans ce plan anti-sécheresse ?

- Je veux préciser d’abord que les 6 milliards que nous donnons sont des crédits, ils sont à ce titre remboursables. Ce ne sont pas des dons. Et nous ne les recevons pas de l’Etat, nous les puisons sur notre trésorerie, qui est suffisamment confortable pour le permettre.

Maintenant, ce qu’il fallait absolument faire au moment où l’instruction a été donnée par Sa Majesté, c’était d’abord de provoquer un électrochoc psychologique dans le monde rural pour signifier que l’Etat, dans toutes ses composantes, était mobilisé pour amortir les effets de la sécheresse.

Le rural a besoin de savoir qu’il va disposer de liquidité pour continuer à alimenter son bétail, replanter pour les cultures printanières, acheter l’orge… Donc, il était nécessaire qu’il y ait un maximum d’argent sur la table. Que cet argent vienne de crédits ou de subventions de l’Etat, cela importe peu in fine. Car, le plus important, c’est de donner de l’argent à l’agriculteur, à l’éleveur, au moment où il en a besoin.

Ensuite, il y a des logiques d’imbrication. D’abord pour la sécurité alimentaire, il était impératif d’ouvrir les portes pour importer l’orge et les céréales. L’orge que nous importons, c’est celle qu’on retrouve dans la distribution d’aliment de bétail faite par l’Etat. Il y a un cycle en fait, car il y a l’importateur privé qui importe de l’orge à travers des crédits bancaires. Il donne ensuite ce qu’il a importé à l’Etat pour alimenter les centres de distribution. L'État subventionne cette orge pour que le petit fellah ne paie que 2 DH. Donc le différentiel par rapport au prix qui est de 3,5 ou de 4 dirhams est pris en charge par l’Etat.

Le petit fellah ne paie que 2 dirhams, moyennant un certain nombre de mesures que le ministère a mis en place pour s’assurer qu’il n’y ait pas de spéculation, et que ce soit le petit fellah qui bénéficie de cette aide. C’est extrêmement bien suivi par les services du ministère. Maintenant, quand ce petit fellah vient acheter son orge, soit il a l’argent en poche, à ce moment-là, il fait son achat. Soit il n’a pas d’argent en poche, et il vient nous voir pour prendre un crédit.

- Dans ce plan anti-sécheresse, vous assurez le financement de l’amont et de l’aval ?

- Exactement. Nous intervenons à travers le crédit sur toute la chaîne, du financement des importations au financement du petit fellah. Grâce à ce crédit donné au petit fellah pour acheter son orge, il va pouvoir nourrir son bétail et éviter la catastrophe de perdre ses animaux qui constituent à la fois ses économies et son moyen de subsistance.

Les dix vaches d'un petit fellah, c'est l'économie de toute une vie

Ce qu’on ne comprend pas assez, c’est que quand vous avez un fellah qui a dix vaches et qu’il a mis vingt-cinq ans à acheter -sachant que ce fellah n’a pas d’épargne au Crédit agricole, n’a pas de compte à terme, n’a pas d’assurance, de portefeuille d’action, il n’a rien –, il s’agit pour lui de l’économie de toute une vie.

Lorsqu’il y a sécheresse et qu’il n’a pas de quoi les nourrir, il en vend quatre pour nourrir les six autres. C’est en fait 40% de son patrimoine qui s’envole. C’est de la perte de patrimoine.

C’est pour cela que dans les 10 milliards de dirhams, il fallait impérativement qu’il y ait une partie pour subventionner tout cela. Et puis les programmes annexes qui permettent aux gens de financer leurs besoins…

- Votre intervention est concentrée sur les aliments de bétail, c’est bien cela ?

- Pas du tout. Hormis ce programme sur l’orge, il y aussi une intervention sur les vaches laitières qui est faite. C’est un sujet important, car il fallait reconstituer le cheptel laitier. Quand vous perdez des chèvres ou des vaches, vous perdez et l’animal, et le lait qui va avec. Il fallait donc reconstituer le cheptel laitier pour qu’il n’y ait pas de pénurie de lait sur les marchés. Et tout le monde le constate aujourd’hui, en ce mois de ramadan, il n’y a pas de pénurie. Même si les choses sont très serrées, car les fabricants de lait rencontrent des difficultés à le collecter.

Il y a eu aussi la relance espérée sur les cultures printanières. S’il n’y avait pas les pluies de mars, on aurait mis tout le paquet sur l’orge pour nourrir le bétail, mais avec les dernières pluies, il y a les pâturages, ce qui a diminué les besoins en aliment de bétail. Ceci nous permet aujourd’hui de mettre le paquet sur les cultures printanières.

Nous sommes d’ailleurs en pleine campagne de communication sur ce sujet, et des caravanes mobiles sillonnent le pays pour dire au petit fellah que même s’il a des arriérés avec nous, nous sommes disposés à lui faire des rallonges de crédit pour la saison printanière.

On part d’une logique économique basique. Si on laisse le fellah coincé sur sa terre avec ses arriérés de dette, il ne va rien payer. Alors que si on l’aide à replanter sa terre et à faire de la production, il va pouvoir continuer et rembourser progressivement ses crédits.

- Le risque de crédit sur les 6 milliards est donc maîtrisé ?

- Le risque est extrêmement maîtrisé. Les 6 milliards sont distribués de manière bien étudiée. Vous savez, nous avons soixante-et-un ans d’expérience dans le domaine, on connaît parfaitement notre portefeuille de clientèle. On ne jette pas l’argent par les fenêtres.

- Sur les 6 milliards de crédits alloués au plan anti-sécheresse, combien avez-vous distribué à ce jour ?

- Je pense qu’on ne va pas s’arrêter à 6 milliards. Entre les importations d’aliments de bétail et l’engouement qu’il y a pour les cultures printanières, on va aller au-delà des 6 milliards probablement.

A l’heure où je vous parle, on a déjà financé toutes les importations. Et il y a les cultures printanières qui démarrent très fort. Et je m’attends à ce qu’il y ait, uniquement sur ces cultures, entre 1 et 1,5 milliard de dirhams de crédits distribués.

Maintenant, les importations ne vont pas s’arrêter. Il n’y a quasiment pas de limite. Les besoins sont tellement énormes que les 6 milliards ont été donnés à titre indicatif.

- Parlons un peu des fonds propres, un grand sujet pour le CAM. Aujourd’hui, on va dans un cycle où l’investissement privé doit monter en puissance pour constituer, dans quinze ans, les deux tiers de l’investissement global du pays, contre un tiers actuellement. Ce qui demandera des financements énormes et créera une forte demande. Le CAM, avec la structure de ses fonds propres actuels et la croissance qu’il génère déjà et qui consomme des fonds propres, est-il capable de suivre le rythme ?

- Sous l’angle purement bancaire, il n’y a pas de problème sur les deux ou trois prochaines années. Nous sommes à 9,5% de TIER 1, on est un peu limite, mais on fait de l’optimisation, on essaie d’être le plus créatif possible. Il est également évident qu’il y aura de l’érosion ; plus on donnera de crédits, plus la consommation de fonds propres sera importante, et plus on se rapprochera de la limite de 9% fixée par le régulateur.

Donc sur un horizon de trois ans, on est à l’aise, mais au-delà, ça va poser problème effectivement. Et des solutions existent. D’abord, il faut savoir que, sur le marché marocain, toutes les banques ont fait des augmentations de capital ces dernières années. La seule qui n’en a pas fait, c’est nous. A un moment donné, il va bien falloir que l’on fasse une augmentation de capital pour suivre le rythme de notre croissance. Ce ne sera pas une augmentation de capital pour couvrir des problèmes, au contraire, ce qui justifie cette opération, c’est que tout va bien et qu’on fait une belle croissance.

Aujourd’hui, avec une croissance annuelle de 6% à 7% de nos emplois et nos ressources, avec des pics de 10%, et une croissance du PNB de 6% à 7%, on est dans un processus extrêmement vertueux.

L’augmentation de capital a été d’ailleurs décidée dans un conseil tenu il y un an et demi, à hauteur de 1,5 milliard de dirhams, mais l’opération ne s’est pas encore faite.

- Qu’est-ce qui bloque ?

- A travers cette décision, les membres du conseil de surveillance ont reconnu qu’il y avait ce besoin de capitaux pour accompagner la dynamique de la banque, maintenant, vous savez bien que l’actionnaire principal de la banque, c’est l’Etat. Et l’Etat a aujourd’hui d’autres chats à fouetter avec des entreprises publiques qui, elles, ne vont pas bien. Donc, demander à l’Etat de faire une augmentation de capital de confort pour pouvoir accompagner la croissance, ce serait le rêve, mais la réalité fait que la priorité va à ceux qui ont des difficultés.

- Pourquoi compter exclusivement sur l’Etat alors que vous pouvez vous financer sur le marché ?

- Comme vous le savez, le capital social du CAM est détenu aujourd’hui à 75% par l'État, 15% par la Mamda-Mcma et 10% par la CDG. La loi qui a institué le Crédit Agricole du Maroc a prévu que l’Etat peut rester à 51%. En restant dans le cadre de la loi, sans demander des dispositions nouvelles ou des modifications de lois ou de statuts, il y a à peu près 24% à 25% du capital de la banque qui peut être cédé à des tiers dans le cadre d’une augmentation de capital. C’est pour cela que je ne suis pas inquiet par rapport à la problématique des fonds propres dans la mesure où nous avons cette soupape de sécurité.

- A combien se chiffre cette soupape de sécurité ?

- J’estime que le CAM vaut entre 12 et 15 milliards de dirhams. Donc les 25% valent entre 3 et 4 milliards de dirhams. C’est une soupape qui est disponible, qui est là, mais il ne me revient pas à moi en tant que salarié de la banque d’en décider. C’est à l’actionnaire et aux autorités de tutelle de décider. Et les autorités ont cette option qu’elles peuvent utiliser. Elle existe.

A partir du moment où vous avez une bonne dynamique économique, une bonne croissance intrinsèque et cette solution qui existe, ce n’est donc qu’une question de timing. On y a pensé l’année dernière, et cette année encore, mais le sujet est là, on sait que ce réservoir existe et qu’il nous donnera du souffle en matière de fonds propres pour les dix prochaines années.

Je vais même plus loin. La demande existe. Je n’arrête pas de recevoir des institutionnels, marocains comme étrangers, qui sont intéressés par le CAM.

- Mais comment valoriser et bien vendre le titre CAM, sachant qu’il porte une activité d’intérêt public qui n’est pas financièrement rentable, ou du moins qui ne génère pas le rendement normatif d’une banque classique, purement commerciale ?

- Il y a énormément d’investisseurs qui cherchent des investissements verts, des investissements socialement responsables, des investissements qui ont un impact public fort, qui ont un impact environnemental fort… Dans la transition verte de l’économie mondiale, des valeurs comme celles du CAM sont très recherchées. La banque ne sera pas recherchée pour son rendement intrinsèque, mais pour sa qualité de valeur verte. Et ce critère entre désormais dans la valorisation des compagnies.

- Donc, ce qui constituait un handicap il y a quelques années, ce mélange d’une activité commerciale avec une mission d’intérêt public, devient aujourd’hui un avantage, un argument de vente ?

- Il y a une notion qu’il faut introduire aujourd’hui dans l’analyse des performances : il y a le bénéfice comptable, mais il y aussi le bénéfice social. Notre bénéfice comptable est peut être inférieur à celui d’autres banques, mais notre bénéfice social est très important. Et les effets induits sont également très importants.

Et je peux vous donner des exemples concrets. La Mamda-Mcma est un de nos actionnaires, et elle y trouve son compte, parce que nous avons des synergies ensemble sur l’assurance agricole, l’assurance sécheresse, nous travaillons ensemble sur le monde rural, et peut-être que si la Mamda-Mcma avait placé la même somme qu’elle a mis chez nous ailleurs, elle aurait probablement, en effet direct, plus de rendement, mais en effet indirect, elle en aurait certainement moins. Et des partenaires comme ça, il y en a beaucoup dans le monde.

- L’Etat vit une année budgétaire assez compliquée. Est-ce que vous allez mettre la main à la poche en distribuant en dividendes tous vos bénéfices à l’Etat, à l'instar d'OCP ?

- Il y a une particularité chez nous. La Banque centrale a demandé d’abord aux banques d’avoir une politique de dividendes conservatrice, privilégiant la santé financière du secteur au détriment de la distribution des dividendes. Prendre des dividendes, c’est une action légitime pour un actionnaire, mais en temps de crise, ça peut être un acte égoïste.

Dans le cas de figure d’une banque comme la nôtre, au cours d'une année où il y a de la sécheresse, où il y a des circonstances difficiles, où l'on est fortement sollicités et où l'on va certainement devoir faire un allègement du poids de l’endettement des agriculteurs par des abandons d’agios, des rééchelonnements, des reports d’échéances… il faut aussi garder la capacité financière de le faire.

Maintenant, ce n’est pas à moi de décider de la politique de distribution de dividendes de la banque. Il y a un conseil de surveillance qui va se réunir, et qui décidera.

Sur 2022, sauf surprise majeure comme un élargissement du conflit en Europe, nous avons déjà une photographie de l’économie marocaine

- Avec l’inflation, la faible croissance du PIB, les difficultés sociales… comment se présente l’année 2022 pour la banque ?

- L’année est déjà faite. Toutes les banques ont déjà fait l’année 2022, sauf s’il y a un choc majeur, inattendu.

Si on parle de stock de denrées alimentaires, il est déjà fait. Les importations qui vont venir sont connues, couvrent l’année, ce sujet n’existe plus.

Quand vous parlez de l’activité industrielle, on est déjà à la mi-avril, et on voit bien qu’il y a une lancée, des investissements qui sont faits… L’année est déjà faite. S’il y a une remontée des taux, l’impact ne se ressentira pas en 2022. En revanche, on ne sait pas de quoi sera faite l’année 2023, encore moins 2024.

Sur 2022, sauf surprise majeure comme un élargissement du conflit en Europe, nous avons déjà une photographie de l’économie marocaine. On sait qu’il n’y aura pas une grosse croissance, pas aussi petite que celle qui était prévue avant les pluies de mars, mais on fera une croissance moyenne, ni aussi faible qu’on ne le pensait ni aussi bonne qu’on l’espérait.

Ce sera donc une année moyenne où il n’y aura pas de chocs majeurs. Le Maroc est une économie qui se bat avec les moyens dont elle dispose, avec beaucoup de courage. Et avec la vision éclairée de Sa Majesté, le Maroc engrange de nombreuses victoires en ce moment. Voyons plutôt toutes les victoires que le Maroc engrange dans un contexte difficile, et savourons cela.

Maintenant, sur le plan purement commercial de la banque, nous avons deux temps forts en cette année 2022, en plus de notre travail traditionnel de l’agriculture et du bouquet d’activités que nous avons.

- Lesquels ?

- Le premier temps fort sera dédié à l’accompagnement de l’opération Intelaka. Nous avons lancé des points d’accompagnement des jeunes entrepreneurs qui s’appellent Dar Al Moustatmir Al Qarawi. Son objectif est double, d’une part servir de point d’ancrage pour les jeunes qui veulent lancer des projets en milieu rural. Je rappelle que pour le crédit Intelaka dans le monde rural, le Crédit Agricole a à peu près 95% de parts de marché sur les crédits déjà réalisés. On fait la quasi-totalité des dossiers dans le monde rural.

Dar Al Moustatmir Al Qarawi servira donc d’un côté à étudier les dossiers, les initier pour les financer. Et sera, de l’autre côté, un incubateur pour ces jeunes promoteurs.

- Vous comptez donc traiter la problématique cruciale du financement des jeunes qu'est l’accompagnement…

- Nous considérons en effet que les jeunes ne sont pas suffisamment bien formés pour monter un projet. Ça n’a rien à voir avec la formation académique. Pour monter un projet, il faut du bon sens sur un certain nombre de sujets. A côté des aspects techniques liés aux projets, comme les études de marché, le marketing, il faut avoir une formation, un certain bon sens, dans la gestion de trésorerie, la gestion du besoin en fonds de roulement, le calcul des taux de rendement pour savoir si on est sur le bon chemin ou pas… Ces centres vont accompagner ces jeunes là-dessus.

Tous les pays qui réussissent dans ce genre d’initiative s’assurent d’abord que les jeunes qui se lancent ont toutes les chances de leur côté. Ils ont pris aussi conscience qu’une petite entreprise qui se lance est très fragile, c’est-à-dire qu’elle peut prendre un crédit d’un million de dirhams et couler ensuite parce qu’il lui manque les 50.000 derniers dirhams pour couvrir un imprévu sur le branchement d’eau et d’électricité, des formalités administratives non prévues à l’avance, des droits de douane sur du matériel importé qui n’étaient pas pris en compte…

Il y a X choses qu’un jeune peut oublier dans le montage de son dossier, il lui manque à la fin 50.000 ou 60.000 dirhams, et il meurt avant même de démarrer.

Il est donc impératif d’avoir une approche à la fois professionnelle mais aussi bienveillante, comprendre que ce jeune a droit à l’erreur. Et je dirais même qu’il a droit à l’échec. Un jeune qui prend des risques peut échouer. Et il ne va pas être condamné, parce qu’il a échoué, à rester à la marge de la vie financière et économique du pays. Il faut lui tendre la main à nouveau et l’aider à se remettre en selle. C’est comme ça que je vois les choses et j’essaie d’insuffler ce souffle aux équipes de la banque pour aider ces jeunes.

- Ces centres sont-ils déjà lancés ?

- On en a inauguré un récemment avec le ministre de l’Agriculture à El Hajeb. Il y en a 12 au total qui sont déjà prêts et qui vont démarrer incessamment. Et il y en a 12 autres qui vont ouvrir sur le reste de l’année. On aura donc 24 Dar Al Moustatmir Al Qarawi cette année, et on va élargir le maillage territorial progressivement.

En parallèle de ça, une de ces Dar Al Moustatmir, celle de Rabat, qui sera située dans la zone de Oulad M’taâ à Témara, sera une start-up factory pour aider spécifiquement les jeunes qui ont une idée liée à la technologie. Ce sera la CAM start-up factory, un incubateur où les jeunes qui veulent se lancer dans la green tech, le climat, la data, peuvent venir s’installer. Nous ciblons des projets qui vont soit améliorer les conditions de conduite agricole et contribuer au bien-être en milieu rural, soit apporter un plus sur la gestion du changement climatique et celle de l’eau.

- Vous avez évoqué deux temps forts en 2022. Le premier est lié à Intelaka, et le second ?

- L’autre temps fort de 2022 pour le CAM sera destiné à la population des CSP+ urbains. C’est un terrain où l'on ne nous attend pas, car on n’associe pas le Crédit Agricole aux populations aisées du milieu urbain, qui exercent des professions libérales, sont de hauts fonctionnaires, des hommes d’affaires… C’est une nouvelle cible commerciale pour nous, que nous avons déjà en partie dans notre portefeuille, mais l’objectif cette année, c’est de lancer un programme spécifique pour eux. On l’a dénommé 'Respire'.

Pourquoi ce nom ? C’est parce qu’on sort de deux années de pandémie, et que tout le monde a envie de respirer.

- En quoi votre programme sera-t-il différent de ce que proposent les autres banques qui sont bien implantées sur cette niche ?

- Ce programme vise à puiser dans une nouvelle tendance très forte qui existe à travers le monde, et au Maroc aussi, qui est la nouvelle passion du bien-être, du well being.

Sur le plan sportif, ça se traduit par du trekking, du yoga, des activités de plein air, etc. Sur le plan alimentaire, ça se traduit par le bio, le manger sain, équilibré. Sur le plan de l’éveil personnel, c’est un peu la méditation, la réflexion sur soi-même, etc. Sur le plan de la solidarité, c’est l’entraide, en particulier la solidarité avec le monde rural. Sur le plan de l’habitat, les gens cherchent de plus en plus à sortir des villes, à acquérir des résidences secondaires, voire des résidences principales qui sont des fermettes.

Nous avons d’ailleurs un produit précurseur qui s’appelle Assakane Al Qarawi qui encourage les urbains à acheter des fermettes aux alentours des villes. Donc toute cette tendance, ce grand mouvement, nous voulons y entrer en force.

Ce programme commence déjà à porter ses fruits. Évidemment, il s’accompagne de beaucoup de choses, d’un certain nombre de produits spécifiques, comme des cartes où les gens ont des abattements dans les clubs de yoga, de randonnées, de trekking, les gîtes ruraux, etc. Il se crée aussi un club de solidarité 'Respire' où les urbains peuvent donner de l’argent pour réaliser des actions sociales dans le monde rural.

- Ce sera à travers des dons ?

- On a imaginé des opérations spécifiques pour cela, comme les opérations cash back. Vous payez par carte, et on partage la commission avec vous. Mais en réalité, on vous restitue soit à vous, soit à votre œuvre préférée, une partie de la commission monétaire qui va aller financer des panneaux solaires en milieu rural ou le creusement d’un puits, etc.

On envisage aussi de partager avec les clients une partie des frais bancaires, notamment les frais de tenue de compte. Nous ne sommes pas partisans de la gratuité. La gratuité pour les CSP+ va leur faire économiser quelques centaines de dirhams, ce qui n’est pas significatif, mais on est pour la solidarité active sans effort. Au lieu d’avoir la gratuité sur les frais de tenue de compte, le CSP+ préfèrera donner la moitié à telle œuvre sociale en milieu rural. Et nous notons qu’il y a un réel  engouement sur ce sujet-là, de gens qui apprécient les valeurs du Crédit Agricole, sa proximité avec la campagne, du monde rural, des vraies valeurs de la vie, et s’inscrivent dans cet esprit de bienveillance avec les moins chanceux que nous.

Il ne faut pas l’oublier, au Maroc 90% de la population est liée au rural. Soit elle y vit, soit elle est d’origine rurale. Ce sont donc des notions qui sont en train de prendre à grande vitesse, et qui nous démarquent de la concurrence. Nous entrons dans un nouveau segment de clientèle, mais toujours par la porte de notre ADN vert et rural.

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