Habboub Cherkaoui (BCIJ) : Pour nous, le “tberguig” n’a aucune connotation négative

INTERVIEW. Trois mois après sa nomination, Habboub Cherkaoui, nouveau directeur du bureau central d’investigations judiciaires s’est lancé dans un véritable marathon médiatique pour expliquer la philosophie de son service, les réalisations et les priorités de ce dernier. Médias24 l'a questionné dans cette interview qui sera publiée en deux parties.

Habboub Cherkaoui (BCIJ) : Pour nous, le “tberguig” n’a aucune connotation négative

Le 13 mars 2021 à 18h13

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

INTERVIEW. Trois mois après sa nomination, Habboub Cherkaoui, nouveau directeur du bureau central d’investigations judiciaires s’est lancé dans un véritable marathon médiatique pour expliquer la philosophie de son service, les réalisations et les priorités de ce dernier. Médias24 l'a questionné dans cette interview qui sera publiée en deux parties.

- Médias24 : Pourquoi vous lancer dans un grand plan de communication juste après votre nomination à la tête du BCIJ ?

- Habboub Cherkaoui : Tout simplement parce que la DGST (direction générale de la surveillance du territoire), dont relève mon service, est ouverte depuis quelques années à la communication avec les organes médiatiques.

Comme Médias24 le sait, ce n’est pas une première sachant que vous avez interviewé plusieurs fois mon prédécesseur Ssi Abdelhak Khiame.

- On reproche parfois au BCIJ, dont la nature des missions exige le secret, de trop communiquer alors que la DGSI française ou le FBI américain sont bien plus discrets...

Comme vous le savez, le travail du BCIJ consiste à traiter les dossiers de terrorisme, de grand banditisme, de trafic de stupéfiants, les affaires liées à la santé publique, l'atteinte à la sûreté de l'État ainsi que les affaires importantes d’homicide volontaire comme celle du parlementaire Merdas.

Mais comme ce sont les renseignements fournis par la DGST qui constituent la base de notre travail, le BCIJ ne fait que communiquer au public les résultats de ses investigations et pas les méthodes.

Nous nous contentons donc de donner des éclaircissements à nos concitoyens pour qu’ils prennent conscience de la dangerosité des cellules terroristes démantelées.

- Qu’est ce qui a vraiment changé dans la police marocaine depuis que vous avez commencé votre carrière dans les services de sécurité en 1983 ?

Sous la houlette du directeur général qui coiffe le pôle DGSN-DGST, il y a eu de grands changements organisationnels et sociaux notamment au niveau de l’intégration de la femme au sein de la police.

De plus, la structure des concours d’accès a été complètement bouleversée en 2015 avec un nouveau type de recrutement qui ouvre la porte à des médecins, des ingénieurs et à des nouveaux profils au sein de la DGST ou de la DGSN y compris des spécialistes en scène de crime.

Le changement a concerné non seulement les niveaux de diplôme requis pour devenir officier de police mais aussi les disciplines qui auparavant n’étaient pas autorisées à travailler dans ce secteur.

Ainsi, un informaticien ou un médecin peuvent désormais postuler pour entrer dans les rangs des forces de l’ordre grâce à leurs compétences qui peuvent faciliter le travail d’enquête.

- Dans les années 80, les Marocains étaient effrayés par la police alors qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas, comment l’expliquez-vous ?

La politique d’ouverture et de proximité avec les citoyens qui a été initiée par Ssi Abdelatif Hammouchi est à mon sens la principale explication de ce changement de perception.

C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous communiquons beaucoup avec par exemple les journées portes ouvertes de la DGSN qui ont eu lieu dans les villes de Casablanca, Tanger et de Marrakech.

- Il n’y a donc plus de tabou, on peut parler de tout ?

Sachant que la Constitution de 2011 a consacré le droit à l’information des médias et du citoyen, nous n’avons rien à cacher sauf quand il s’agit de secret professionnel sur nos sources d’information.

Cette nouvelle culture est à mettre au crédit du directeur général de la DGSN et de la DGSN.

- Comment s’est passé 2020 pour le BCIJ, une année marquée par l’arrivée de la pandémie ?

Avant toute chose, il convient de rappeler que depuis sa création en 2015, le BCIJ a démantelé 82 cellules terroristes toutes acquises à l’idéologie de l’organisation terroriste Etat islamique (Daech).

En 2020, nous avons démantelé 8 cellules contre 21 en 2015, 19 en 2016, 9 en 2017, 11 en 2018 et enfin 14 en 2019, soit une évolution en dents de scie et une baisse durant l’année écoulée.

- C’est la crise sanitaire qui explique cette baisse ?

Bien au contraire car la dernière cellule acquise aux thèses de Daech qui a été interpellée à Tétouan, le 4 décembre 2020, a voulu profiter des circonstances de la pandémie pour passer à l’acte.

Les personnes arrêtées pensaient que nous allions relâcher nos efforts alors que la vigilance est le maitre-mot de notre travail dans le cadre de la stratégie sécuritaire adoptée depuis 2003 au lendemain des attentats terroristes qui avaient ensanglanté la ville de Casablanca.

- Sans trahir le secret professionnel, comment le BCIJ arrive à trouver des cellules suspectes ? Avez-vous des agents spécialisés dans l’infiltration qui se font passer pour d’apprentis terroristes ?

Non car le BCIJ est l’interface judiciaire de la DGST qui est le vrai service de collecte des informations nécessaires pour déclencher une enquête et de la judiciariser.

Avant de passer à l’action pour démanteler une cellule, nous devons d’abord exploiter les tuyaux fournis par la DGST qui est encore une fois en charge de la collecte des informations.

Dès que le BCIJ obtient un élément constitutif d’une infraction, notre service avise le parquet pour lancer les perquisitions et les arrestations s’il y a lieu de le faire.

- Ce sont donc les équipes de la DGST qui sont habilitées à infiltrer les groupes terroristes ?

Oui, ce sont ses agents qui recueillent toutes les informations intéressantes comme par exemple celle d’un suspect qui essaye d’acheter des matières inflammables pour confectionner des explosifs.

Cela ne nous empêche pas de participer aux investigations même si le BCIJ ne fait pas d’infiltration à proprement parler.

En effet, il y a des cas où nous sommes sollicités par des personnes qui dénoncent des intentions criminelles de leur proche ou qui nous préviennent d’une radicalisation de leur mari ou fils.

- Qui du BCIJ ou de la DGST est chargé de surveiller les apprentis terroristes sur internet ?

Les deux car chacun a son propre service chargé de veiller aux menaces cybernétiques.

- Combien de personnes travaillent dans ces services de surveillance informatique ?

Tout ce que je peux vous dire est que nos équipes de surveillance 24H/24 sont conséquentes. Les menaces cybernétiques sont devenues un défi sécuritaire pour les services de répression.

Nous faisons de plus en plus d’arrestations de ce que l’on appelle les islamonautes, c’est-à-dire des personnes qui s’activent sur la toile pour de la propagande, de l’incitation ou de l’apologie terroriste.

- Dans le monde entier, on parle beaucoup des services de renseignements marocains comme étant parmi les plus efficaces du monde, que pensez-vous de ceux qui attribuent cette efficacité au phénomène du Tberguig assimilé ailleurs à de la délation populaire ?

Si la population marocaine collabore en effet beaucoup avec la police, le fait de donner une information pour arrêter quelqu'un qui veut faire du mal à ses concitoyens n’est pas de la délation.

Dénoncer quelqu'un de nuisible est de l'assistance et à partir de là, il est vrai que les Marocains nous aident beaucoup dans les affaires de terrorisme.

En fait notre efficacité vient aussi de l'application stricte de la stratégie sécuritaire adoptée après les attentats de 2003 qui a restructuré le champ religieux mais aussi renforcé notre arsenal juridique.

De plus, la DGST donne une grande importance à la coopération internationale en partageant ses informations et son expérience. Il n'y a donc pas de rétention d'information entre nos services de renseignement ?

Dans ce cas, comment est-il possible qu’un service beaucoup plus riche que le BCIJ comme le FBI dépende parfois indirectement du votre ?

Chaque pays combat à sa manière les menaces terroristes mais peut-être que notre population est plus impliquée et que nos services intérieurs de sécurité collaborent plus.

En effet, nous n'avons pas de guerre des polices car la DGST, le BCIJ, la DGED, la gendarmerie et toutes les forces auxiliaires ne sont qu’une seule famille qui travaille la main dans la main.

Pour résumer, notre réussite s'explique par une collaboration sans faille entre nos services et avec la population qui n'a aucun scrupule à dénoncer tous les actes illégaux au commissariat du quartier qui fait remonter l'information soit à la DGST soit au BCIJ.

Pour nous, le tberguig n’a donc aucune connotation négative ou délatrice.

- Comment expliquer l’absence de guerre des polices comme en France ou aux Etats-Unis ?

Il ne nous appartient pas de commenter la situation de nos confrères étrangers mais au Maroc, ce phénomène contreproductif est banni de notre culture et la coopération sécuritaire est la règle.

Ainsi, nous avons des réunions interservices périodiques qui permettent de partager nos informations entre tous les services chargés du maintien de la sécurité et de l’ordre.

- Au niveau international, pourquoi est-ce la DST, service de contre-espionnage intérieur qui récolte les lauriers alors que ça devrait être la DGED service de contre-espionnage extérieur  ?

Parce que la DGED ne communique pas comme la DGST même s’il y a une coordination très étroite entre les deux services. 

Ainsi, dernièrement les responsables du FBI ont loué la coopération marocaine après que nous leur avons fourni des informations sur un soldat radicalisé de leur pays qui voulait commettre un attentat.

- Justement, sachant que ce militaire n’est jamais venu au Maroc, comment avez-vous pu avoir vent de sa radicalisation et de son intention de commettre un attentat ?

Je ne peux pas vous révéler la source de notre information mais nous avons eu connaissance par une tierce personne de son parcours djihadiste et de son projet terroriste.

Par conséquent, après avoir vérifié cette information précieuse nous ne pouvions pas la garder pour nous sans la transmettre aux services de renseignements américains.

- Il n'y a jamais eu d'erreur avec des délateurs malintentionnés qui dénoncent à tort un individu ?

Il y a eu des cas de personnes qui ont essayé de nous mentir; mais notre travail consiste justement à s’assurer de la véracité de leurs déclarations pour ne pas condamner à tort un individu.

>>Lire aussi: Habboub Cherkaoui : L’Algérie est le seul pays de la planète à refuser l'aide du Maroc

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