L'incertitude persiste chez les opérateurs économiques

Le démarrage de la campagne de vaccination ainsi que les dernières pluies peuvent laisser croire que la confiance se rétablit et que les perspectives économiques s'améliorent. Une perception que ne partagent pas certains experts et acteurs économiques sondés par Médias24. 

L'incertitude persiste chez les opérateurs économiques

Le 31 janvier 2021 à 16h31

Modifié 11 avril 2021 à 2h50

Le démarrage de la campagne de vaccination ainsi que les dernières pluies peuvent laisser croire que la confiance se rétablit et que les perspectives économiques s'améliorent. Une perception que ne partagent pas certains experts et acteurs économiques sondés par Médias24. 

Après une année 2020 de forte récession, le Maroc table cette année sur une croissance de 4,6%. Et mise sur la poursuite des mesures de relance, l’activation du Fonds Mohammed VI pour l'investissement, le lancement de la campagne de vaccination pour entamer une véritable reprise de l’activité économique et un retour assez rapide à la vie normale. Un espoir conforté en ce début d’année par les précipitions qui ont redonné espoir et augurent d’une bonne année agricole.

Théoriquement donc, l’année 2021 démarre sous de bons auspices.

Médias24 a sondé des acteurs économiques, des consultants, des économistes pour voir si cet optimisme est partagé ou non, si le climat économique est plutôt favorable ou pas. Leurs réponses sont assez mitigées. Et la grande majorité ne croit pas trop en cette reprise, malgré tout ce news-flow positif de ce début d’année.

"Les opérateurs sont toujours dans une posture d'attentisme"

Un dirigeant d’un grand cabinet de consulting, qui connaît bien la réalité du terrain et des entreprises, nous dit de prime abord que « c’est un peu tôt pour dire si le climat est bon ou pas ». 

« Le lancement de la campagne de vaccination est une bonne chose, mais ce n’est pas suffisant. On vit toujours dans l’incertitude. Cette crise a ébranlé toutes nos certitudes et nous a appris à être humbles et modestes dans nos prévisions et projections », explique-t-il d’un ton assez défaitiste.

Travaillant aussi bien avec des structures privées que publiques, notre consultant nous confie que les gens sont toujours dans une posture attentiste. « Mais ils ne sont pas non plus dans un état alarmiste », nuance-t-il.

« On sent un petit frémissement, mais de là à dire que la conjoncture est bonne, c’est trop tôt pour en juger. Il faut avoir des données concrètes, voir si les gens recommencent à consommer ou non, si l’investissement reprend ou pas… Ce sont ces indicateurs qui nous diront si le climat est bon ou pas. Mais pour l’instant on n’a pas de données sur ça. Et les remontées que nous avons sont plutôt négatives… Les entreprises, en tout cas, ne sont pas dans une logique d’investissement, mais de reconstruction. Il est tôt de dire que la crise est derrière nous », affirme-t-il.

"On est toujours dans le brouillard"

Cet état d’esprit est partagé également par un grand économiste qui se montre assez pessimiste, malgré les chiffres et statistiques économiques du dernier trimestre de 2020 qui montrent une certaine atténuation des effets de la crise et une reprise dans des secteurs exportateurs comme l’automobile.

« Les statistiques ne me disent plus rien. Et les sciences économiques non plus. Cette crise a cassé toutes les grilles classiques d’analyse. Les chiffres changent de mois en mois… On est dans le brouillard total », nous dit-il.

« On voit certes des chiffres et des tendances positives qui montrent une certaine atténuation de la crise, mais les remontées et la réalité du terrain disent autre chose. Donc, je ne sais pas trop répondre à votre question. Au-delà des tendances, des chiffres, il faut sonder le ressenti des gens, leur moral, leur psychologie… C’est cela le travail à faire aujourd’hui pour juger du climat économique. Les statistiques et l’analyse économique classique sont dépassées… », explique notre économiste qui semble avoir été ébranlé comme la majorité de ses pairs par cette crise et le fort degré d’incertitude qu’elle génère.

"On ne peut pas parler de relance, mais de simple rattrapage"

Professeur d’économie et membre du mouvement Maan, Nabil Adel est moins alarmiste. Mais n’est pas non plus très optimiste.

Il tient d’abord à nous préciser que malgré toutes les bonnes nouvelles que l’on peut avoir, on ne peut parler encore de relance. Mais simplement de rattrapage. 

« On a eu une chute de 7% du PIB en 2020. Avec une croissance de 4,6% prévue en 2021 et de 3% en 2022, on ne reviendra au niveau de production de 2019 qu’en 2023 », argumente-t-il.

Sur 2021, il croit en tout cas que le scénario d’une croissance de 4,6% est réalisable. Mais que ce taux ne nous permettra pas de réaliser un rattrapage rapide, car c’est cela selon lui l’enjeu actuel.

« Avec les données que nous avons aujourd’hui, on sera a priori sur une année positive. Surtout pour les secteurs qui sont sortis du confinement et qui ont repris leur pleine capacité de production. Mais il ne faut pas oublier qu’il y a d’autres secteurs qui sont toujours à l’arrêt ou qui tournent encore au ralenti, comme le tourisme et toutes les filières qui tournent autour, ainsi que tous les métiers qui nécessitent une forte mobilité… ».

Le rythme de rattrapage dépendra selon lui principalement de l’efficacité de la campagne de vaccination. Car stopper la pandémie est la seule solution qui nous permettra de retrouver le plus tôt possible une vie normale, et un rythme de production normal.

Ce qui n’est pas sûr selon lui. « Le lancement de la campagne de vaccination est acté. Mais pour l’instant, on n’a pas d’information sur ce qui se passera après la fin de cette campagne. On ne nous dit pas si on reviendra à une vie normale ou si les restrictions à la mobilité et les gestes barrières resteront de mise », s'interroge-t-il.

« Le cœur de l’économie ne tourne pas à plein régime. Si le vaccin est efficace et nous permettra de reprendre une vie normale, le rattrapage, je le pense, sera plus rapide qu’espéré. On pourra le faire sur une année et demie au lieu de deux ans par exemple. Mais si on nous impose encore des gestes barrières, des restrictions à la mobilité, je ne suis pas sûr que ce rattrapage sera rapide », ajoute-t-il.

Et c’est ce manque d’information qui pose, selon lui, problème et maintient les acteurs économiques dans le flou. « C'est cette information, que le ministère de la Santé doit communiquer, qui va décider du sort de l’année économique. Et pour l’instant rien n’est sûr. Il faut que le ministère nous dise ce qui se passera après la vaccination, c’est ce qui va permettre aux opérateurs économiques d’avoir de la visibilité et d’ajuster leurs prévisions », lance-t-il.

« Les agents économiques n’ont pas besoin de bonnes nouvelles, mais de nouvelles tout court, qu’elles soient positives ou négatives, pour ajuster leur comportement, prendre des décisions, avoir de la visibilité et sortir du flou. Et le flou on y est toujours, malgré ce début d’année qui paraît positif, surtout avec les récentes pluies, qui au-delà de leurs effets positifs sur l’année agricole, ont remonté quelque peu le moral des gens, les Marocains ayant toujours une mentalité agraire ».

Cette incertitude que l’on capte dans le discours de notre consultant et de nos deux économistes, est partagée également par les entrepreneurs.

CGEM : "Nous ne reviendrons à une vie quasi normale qu'en été"

La confédération qui les représente ne le dit pas directement. Sollicitée par Médias24 pour sonder sa perception, son sentiment en ce début d’année, la CGEM nous a envoyé une déclaration écrite, assez laconique.

"Le déploiement de la campagne de vaccination contre le Covid-19 dans notre pays nous donne de l’espoir quant à la relance économique. Toutefois, nous estimons que nous ne reviendrons à une vie quasi normale qu’en été, nous l'espérons, pour une reprise totale, au deuxième semestre 2021". 

"D’ici là, la difficulté dans certains secteurs comme le tourisme, la restauration, la culture, va certainement perdurer, d’où la nécessité de poursuivre le soutien aux entreprises impactées en prorogeant, s’il le faut, les mesures mises en place".

"Le déploiement prochain du Fonds Mohammed VI pour l’Investissement va également aider les entreprises déjà endettées dans le renforcement de leurs fonds propres en attendant une reprise effective". Fin de la déclaration.

Des hommes d’affaires contactés individuellement parlent eux sans trop de réserve.

Adil Douiri : "la conjoncture est assez molle"

C’est le cas de l’entrepreneur et financier Adil Douiri, qui nous dit d’emblée que « la conjoncture n’est pas bonne en ce début d’année. Elle est plutôt assez molle ».

Selon lui, mis à part l’immobilier où les transactions ont repris dès septembre dernier, grâce notamment aux exonérations accordées aux acheteurs sur les droits d’enregistrements, le reste est « médiocre ».

Il nous donne l’exemple d’un secteur révélateur : celui des biens de grande consommation qui ne se porte pas bien en ce début d’année. A cause d’une faiblesse de la demande, exacerbée par les pluies qui ont perturbé les circuits de commercialisation dans le monde rural.

« Les précipitations sont bonnes globalement pour l’année agricole. On verra leurs effets dans deux ou trois mois. Mais pour l’instant, elles ont créé beaucoup de perturbations. Les producteurs n’ont pas pu avoir accès aux Souks dans le monde rural et ça a impacté fortement leur activité en ce mois de janvier », explique-t-il.

Adil Douiri est également dubitatif sur les résultats de la campagne de vaccination.

« On pensait que la crise allait s’estomper dès avril ou mai grâce à la campagne de vaccination. Il est possible que ça soit plus long que prévu, vu les contraintes d’approvisionnement que l’on voit dans le monde. On risque donc d’avoir une année molle dans l’ensemble », affirme-t-il.

Mais tout cela selon lui n’affecte pas les entreprises de la même manière. Car malgré cette incertitude et cette mauvaise conjoncture, les investissements ne sont pas totalement à l’arrêt. En tout cas pas pour tout le monde.

« Les horizons de temps ne sont pas les mêmes pour tous. L’acte d’investir est long, il faut calculer, se projeter, s’équiper, installer, financer… Ça prend au moins deux ans pour les grands projets. Les sociétés sérieuses ne prennent pas des décisions conjoncturelles, mais se projettent dans le temps. Pour ce type d’entreprises, l’investissement ne s’est pas arrêté. Il y a eu un arrêt certes en mars dernier après la déclaration de la pandémie, car les gens avaient besoin de comprendre ce qui se passait. Mais dès l’automne, les choses ont repris, parce qu’on a intégré la réalité du moment, et on pouvait du coup planifier. Investir, c’est d'abord planifier. Maintenant, il y a des investissements marginaux qui sont repoussés. Les PME ou les petites entreprises qui devaient augmenter leur capacité de 5 ou de 10% sont dans l’attentisme », explique-t-il.

"La politique restrictive de Bank Al-Maghrib n'encourage pas la reprise"

Un autre homme d’affaires actif dans les biens de grande consommation et dans l’export ne croit pas non plus en un scénario de reprise rapide.

« Il est vrai que les nuages ne s’accumulent plus comme en 2020, mais quand on voit ce qui se passe en Europe, la situation semble toujours incertaine ».

Comme Adil Douiri, il croit également que la campagne de vaccination va prendre plus de temps que prévu. Ce qui n’augure pas d’un retour rapide à une vie normale.

"La campagne a commencé jeudi avec la réception de 2,5 millions de doses. Mais personne n’imagine que cette campagne sera bouclée dans les temps annoncées. Les opérateurs anticipent la fin de la campagne entre juillet et septembre. Et on est encore optimiste", lance-t-il.

Et même si la campagne réussit, ceci ne sera pas un gage de relance.

« La vaccination permettra d’avoir un peu plus de visibilité, un retour à une activité normale pour les secteurs qui sont aujourd’hui à l’arrêt, mais la reprise effective dépend de la situation en Europe », estime notre homme d’affaires. 

« L’Europe est notre premier partenaire commercial. Et vu l’Etat de la demande extérieure adressée au Maroc qui handicape tous les secteurs exportateurs, la vraie reprise ne sera visible que quand l’Europe va redémarrer. Ce qui n’est pas certain. Les européens eux-mêmes ne parlent d’une reprise que vers la fin de l’été. Ce qui veut dire que l’impact de cette reprise ne sera tangible au Maroc que 3 ou 4 mois plus tard », explique-t-il.

S’il considère que les récentes pluies sont favorables pour le climat général, « car au moins on ne vivra pas une nouvelle année de sécheresse », notre homme d’affaires estime qu’il persiste toujours des problèmes structurels qui empêchent la reprise et la relance des activités des entreprises.

Trois problèmes sont identifiés selon lui :

D’abord celui de la liquidité. « La liquidité se fait de plus en plus rare, les délais de paiement s’allongent… Des entreprises sont au bord de l’asphyxie et les banques ne lâchent pas assez d’argent pour soutenir le tissu des entreprises. J’ai vu certains banquiers afficher un certain optimiste. S’ils sont optimistes, ils n’ont qu’à lâcher de la liquidité aux entreprises », tonne-t-il.

La liquidité, ça sert d’abord à assurer la continuité des activités des entreprises, mais aussi à préparer la relance. « La question qu’il faut se poser, c’est de savoir si au sortir de la crise, les entreprises auront de la liquidité pour investir ou non. Le Fonds Mohammed VI viendra certainement répondre à cette problématique… Mais on est toujours dans l’expectative », souligne-t-il.

Deuxième problème, selon notre source : la demande. « Ce problème n’est pas encore réglé. Les gens sortent moins, consomment moins. C’est une tendance lourde… ».

La demande extérieure reste également très faible selon lui. « Elle recule beaucoup plus que la demande intérieure. Ce qui impacte tous les secteurs liés à l’export qui continuent de souffrir, sans parler du tourisme qui est encore à l’arrêt ».

Troisième problème, celui de l’offre. Et là, notre homme d’affaires pointe du doigt la politique étatique qui n’encourage pas une véritable relance de l’offre.

« L’Etat a accordé longtemps des avantages aux étrangers dans les secteurs d’avenir : automobile, aéronautique, offshoring… Des secteurs où l’entrepreneur marocain est quasi inexistant. L’offre marocaine reste très faible. Et cette crise n’a fait qu’aggraver ce constat », signale-t-il.

Pour lui, l’Etat n’a pas encore développé de politique claire de l’offre. « On parle d’import-substitution, de banque de projets, mais ceci n’est pas une vraie politique. Ce n’est qu’une ébauche d’une politique de l’offre ».

« On est en phase de reconstruction, on a besoin d’une politique étatique claire, et notamment d’une politique monétaire volontariste. Car sans liquidités, les entreprises ne pourront pas tenir, encore moins assurer la relance au sortir de la crise. On ne charge pas les banques. Mais la politique restrictive de Bank Al-Maghrib est assez sévère et empêche les banques d’être plus souples. Le gouverneur de BAM a un seul souci : sauvegarder la solvabilité de l'Etat et limiter au maximum l’endettement public. C’est le maître mot de sa politique. Le problème réside là en vérité », explique notre source.

Avec toutes ces données, notre homme d'affaires affirme « qu’on ne peut parler d’optimisme ou de climat favorable, mais qu'on ne peut pas non plus être outrageusement pessimistes », nuance-t-il.

>>Lire aussi : Récit. Mohamed Benchaâboun se confie sur la gestion de la crise Covid

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