Reconnaissance US de la marocanité du Sahara: la lecture de Bertrand Besancenot

Né à Casablanca, le jeune retraité du Quai d’Orsay Bertrand Besancenot est en visite au Maroc en qualité d’associé du cabinet de lobbying ESL & Netwok qui a ouvert une filiale à Rabat. L’occasion de recueillir l’analyse de cet ex-ambassadeur de la France au Qatar et en Arabie saoudite, fin connaisseur du monde arabe, sur l’avenir du conflit du Sahara après le soutien du président américain sortant et sur les perspectives de paix au Moyen-Orient après le rapprochement de certains pays de la région avec Israël.

Reconnaissance US de la marocanité du Sahara: la lecture de Bertrand Besancenot

Le 27 janvier 2021 à 19h41

Modifié le 11 avril 2021 à 2h50

Né à Casablanca, le jeune retraité du Quai d’Orsay Bertrand Besancenot est en visite au Maroc en qualité d’associé du cabinet de lobbying ESL & Netwok qui a ouvert une filiale à Rabat. L’occasion de recueillir l’analyse de cet ex-ambassadeur de la France au Qatar et en Arabie saoudite, fin connaisseur du monde arabe, sur l’avenir du conflit du Sahara après le soutien du président américain sortant et sur les perspectives de paix au Moyen-Orient après le rapprochement de certains pays de la région avec Israël.

Médias24 : Après la reconnaissance américaine de la marocanité du Sahara, pensez-vous que la France ou un pays européen finira par rejoindre la dynamique engagée par le président Trump ?

Bertrand Besancenot : Ne faisant plus partie du gouvernement français, je me dois d'abord de préciser que je ne parle pas au nom de la France et que je ne fais que donner ma lecture personnelle de l’actualité.

Ceci dit, s'il est clair qu’il y a eu un échange de bons procédés entre le Maroc et les USA avant la signature de l'accord tripartite avec Israël, les Européens et la France ont toujours souhaité trouver une formule bénie par les Nations unies pour régler ce problème qui dure depuis bien trop longtemps.

Si tout le monde sait que la France a toujours été du côté du Maroc, il n'y a cependant pas encore eu de reconnaissance claire de sa part sur la marocanité du Sahara qui est l’objet d’un conflit.

Aujourd'hui, ce qui importe vraiment est de savoir si l'initiative américaine va créer une dynamique qui fera boule de neige.

Selon moi, il n'est pas exclu que l'élément nouveau initié par le président Trump amènera les uns et les autres à dire que les choses traînent depuis trop longtemps.

En effet, après quarante ans de blocage, il est très possible qu’ils se disent qu’il serait peut-être temps d'essayer de trouver une formule sur la base de propositions existantes (autonomie sous souveraineté marocaine).

A partir de là, je pense que le mouvement américain doit être saisi comme une opportunité pour essayer d'avancer et de trouver une formule satisfaisante pour tous.

C'est donc une fenêtre de tir, une opportunité ?

Quelles que soient les raisons qui ont amené à prendre l’initiative US, quand vous avez un changement de donne, il faut toujours la prendre comme une opportunité à saisir pour sortir d'une impasse.

Interrogé par Médias24, l'ex-Premier ministre français Dominique de Villepin affirmait que la résolution de ce conflit ne passerait pas par le Secrétaire général de l'ONU mais par l'Algérie...

Dans cette affaire, l’implication de l'Algérie paraît évidente et il n'est absolument pas faux de dire que le Maroc devra trouver un arrangement avec les autorités de son voisin. Mais dans le même temps, on ne règle vraiment ce genre de problèmes qu’avec une bénédiction internationale.

Sachant cela, les Nations unies ont donc toujours un rôle essentiel à jouer notamment à travers le processus actuel débattu chaque année au Conseil de sécurité.

En fait, qu'il y ait des pays particulièrement intéressés qui doivent être impliqués d'une façon ou d'une autre est une évidence ; mais dans le même temps, l'arrangement se devra d’être béni par la communauté internationale pour obtenir une véritable légitimité indiscutable.

Je vois très bien ce que voulait dire mon ami Dominique de Villepin et je confirme qu’il faudra, qu'on le veuille ou non, trouver un arrangement avec les Algériens.

De plus, si un jour on veut relancer le projet du Maghreb arabe uni, il faudra également trouver des formules et des compromis.

Il y a donc lieu d’être optimiste pour la résolution de ce conflit qui traîne depuis trop longtemps ?

On sait qu'il y a des dossiers qui sont bloqués depuis des années et on sait pour quelle raison. Mais si les rapports entre la France et l'Angleterre ont été conflictuels pendant des siècles, rien n’est éternel quand on sait utiliser les opportunités qui surviennent, comme la création de l'ONU après la deuxième guerre mondiale ou la construction européenne.

Pourquoi cela ne serait pas le cas dans d'autres affaires comme celle qui oppose le Maroc et l'Algérie, alors que souvent les crises permettent de remettre les choses sur la table et de trouver une formule pour avoir une légitimité internationale.

Selon vous, le Maroc a-t-il pris un risque en se rapprochant d'Israël ? A-t-il beaucoup à gagner ?

Sachant que pour les opinions publiques arabes, la cause palestinienne a un caractère symbolique très fort, les gouvernements qui se sont rapprochés d'Israël ont effectivement pris un risque car ce dossier reste un abcès de fixation, naturellement exploité par tous les extrémistes du monde.

Il importe donc de trouver une solution qui passera par la poursuite d’un dialogue politique ouvert, comme a su le faire la diplomatie française avec l'Iran malgré ses désaccords.

Ainsi, si on arrive à trouver certaines formules de rapprochement sans pour autant lâcher des points fondamentaux, la cause palestinienne aura tout à gagner.

A ce propos, la politique marocaine a été très claire sur le fait qu’il faudra absolument trouver une solution acceptable pour les Palestiniens et le statut de Jérusalem qui aille bien au-delà du plan Kushner.

Si les opinions publiques arabes, dont celle du Maroc, ne sont a priori pas favorables au récent rapprochement avec Israël, il faut rappeler que certaines grandes avancées en France n'avaient pas l’assentiment général de sa population (création de la force nucléaire, abolition de la peine de mort …).

C'est donc de la responsabilité des dirigeants d'assumer leurs convictions pour ce qu’ils pensent être de l'intérêt de leur pays.

A partir de là, il n’y a pas de réelles menaces contre la stabilité des régimes arabes qui ont engagé ce rapprochement ; mais il ne faudrait pas que la cause palestinienne passe par la case pertes et profits.

Que faut-il penser du récent renversement de situation aux EAU et en Arabie saoudite qui viennent de se réconcilier avec le Qatar mais aussi avec leur ennemi éternel qu’était Israël ?

Avant cela, il est vrai que la situation au Moyen-Orient était très tendue avec une politique de pression maximale du président Trump à l’égard de l’Iran et des relations tendues entre Israël et tout son voisinage.

En fait, d'une façon générale le Moyen-Orient a été complètement déséquilibré depuis l'invasion de l’Irak en 2003 avec des équilibres régionaux bouleversés.

Ce qui expliquait que les Iraniens essayaient d'en profiter pour étendre leur influence régionale et que les pays du Golfe trouvaient que la tentative iranienne allait beaucoup trop loin et souhaitaient donc faire reculer cet expansionnisme.

C'est d’ailleurs la raison pour laquelle ces pays du Golfe et le Premier ministre israélien ont accueilli le président Donald Trump à la manière d'un messie qui allait mettre fin à l'hégémonie iranienne.

Il y a donc eu une sorte de réalignement général contre l’adversaire commun iranien qui a permis d’encourager des rapprochements inédits, voire impensables.

L’accolade entre le prince héritier saoudien et l’émir du Qatar signe-t-elle une réconciliation définitive ?

Il est dans l'intérêt général de mettre un terme à cette crise initiée par les Émirats arabes unis et par l'Arabie saoudite contre le Qatar qui n'a donné aucun résultat.

En effet, les pressions exercées sur Doha se sont avérées inutiles pour que ce pays révise sa politique étrangère spécifique en matière de communication ou d'exportation d'islam politique, sans parler de ses relations privilégiées avec la Turquie ou l’Iran.

Avec la nouvelle donne, il est préférable de défendre ses intérêts collectivement, en arrêtant de se tirer dans les pattes surtout que pour l'Arabie saoudite, le Qatar n'a jamais été une véritable priorité.

S’il est vrai qu'il y a eu des relations très difficiles entre les équipes dirigeantes d'Abou Dhabi et de Doha, entre l'Arabie et le Qatar, il y avait plus une forme d'agacement réciproque qu’une vraie animosité comme avec l'Iran.

En fait, ce qui a été signé le 5 décembre dernier est un très bon début qui va mettre un terme aux tensions politiques et aux campagnes médiatiques initiées de part et d'autre.

S'il y a encore des désaccords et une vraie antipathie entre les autorités émiraties et qataries qui ne vont pas disparaître du jour au lendemain, le mouvement en cours permettra de s'entendre sur un nouveau modus operandi avec une certaine dose d'autonomie de facto de part et d'autre.

De plus, il y a une série de projets communs mis de côté durant la crise qui vont pouvoir être remis sur la table, comme la monnaie unique, les réseaux électriques interconnectés, les réseaux ferroviaires …

Au final, l'Arabie saoudite va sûrement jouer un rôle de pater familias pour tenter de rapprocher les points de vue, car en définitif les gens du Golfe sont très pragmatiques et raisonnent en fonction de leurs intérêts.

Le Maroc a donc eu raison de ne pas se mêler du différend qui a opposé ces pays du Golfe ?

Absolument. Je voudrais d’ailleurs rappeler que quand j'ai été nommé ambassadeur au Qatar, le président Chirac m'avait conseillé de ne jamais me mêler d’affaires de familles qui finissent toujours par se réconcilier.

Je pense que le Maroc a donc été bien inspiré de ne pas prendre parti, car même si on peut avoir le verbe haut dans cette région, on finit toujours par se retrouver autour d'une table quand on a des intérêts communs.

Faut-il percevoir l'Iran comme une simple force régionale ou un danger pour ses voisins ?

L’Iran est un grand pays doté d'une grande civilisation et d’un potentiel considérable en termes d’hydrocarbures mais pas seulement, avec un niveau remarquable de développement sur le plan culturel ainsi que sur le plan technologique, qui a donc toute sa place dans la région.

En revanche, on ne peut que constater que depuis l'invasion américaine de l'Irak, le régime iranien qui a cherché à étendre son influence à travers toute une série de proxy dans les pays de la région est devenu un véritable facteur de déstabilisation régionale.

On peut donc très bien comprendre la crainte des pays du Golfe qui ont le sentiment que leurs alliés américains seront moins présents à l'avenir pour les soutenir.

Notamment après le début de désengagement du Moyen-Orient par l’ancien président Obama, pour qui la véritable priorité était de contenir l’indéniable montée en puissance de la Chine.

S’il n’y aura pas de désengagement total des Etats-Unis qui ont encore beaucoup d'intérêts dans la région, notamment dans le domaine énergétique, il est vrai que les relations seront à l'avenir différentes.

Sachant cela, les pays de la région essayent de s'organiser et c'est d'ailleurs une des raisons de la récente réconciliation entre le Qatar et ses voisins saoudiens et émiratis.

Ce sont d'ailleurs souvent des familles issues des mêmes tribus qui ont en commun le wahhabisme et une volonté de modernisation économique et sociale de leur pays.

Le processus qui est en cours en Arabie saoudite aura donc un impact régional évident au regard de son poids spécifique en termes politiques mais aussi religieux.

Que faut-il penser de la normalisation réalisée ou à venir des pays du Moyen-Orient avec Israël ?

Tout d’abord, s’il est vrai que le rôle de l'administration Trump a été très important, le prince héritier d'Abou Dhabi a également été très actif sur ce dossier.

En fait, il est clair que face à la perspective d'un désengagement des États-Unis du Moyen-Orient, les pays de la région ont préféré s'assurer d'autres garanties, en normalisant leurs relations avec Israël qui leur permettra de profiter d’aspects économiques et technologiques avec des coopérations qui commencent d’ailleurs déjà à s'instaurer avec les Émirats arabes unis.

Aujourd'hui, la situation est à la fois tendue mais avec de nouvelles perspectives qui sont en réalité des fenêtres d'opportunité, qui seront saisies ou pas.

Qu’est-ce qui risque de changer avec la nouvelle administration Biden ?

Si la politique de pression maximale sur l’Iran a donné des résultats avec un régime iranien isolé et un impact social très difficile sur sa population, les choses ne se sont cependant pas passées comme l'espérait le président américain, qui pensait que Téhéran finirait par céder à la pression internationale, comme l'avait fait l’ancien président Khomeiny à une certaine époque.

Avec l'arrivée du président Biden, une série d'éléments nouveaux sont apparus qui sont liés à la nouvelle perspective politique aux États-Unis, sachant qu'au Moyen-Orient, l’Amérique a été pendant très longtemps la puissance dominante, et qu'il est clair que dans cette région beaucoup de gens prennent leurs décisions en fonction de ce qu'ils pensent être la politique ou la volonté de Washington.

Aujourd'hui, les deux nouveautés essentielles sont que le président Biden a la volonté de reprendre le dialogue avec l'Iran et d'essayer de trouver un arrangement qui aille au-delà de l'ex-accord nucléaire.

Le but étant de compléter l'accord nucléaire signé par le président Barack Obama, notamment dans la durée, et d'aborder deux autres aspects qui préoccupent les pays de la région et d'Europe. A savoir, le programme balistique iranien et les activités déstabilisatrices de l'Iran dans l'ensemble de la région.

L'idée du président Biden est de mettre un terme à la politique de pression maximale initiée par son prédécesseur en réintégrant l'accord nucléaire, à condition qu'il y ait une vraie négociation qui prenne en compte les préoccupations des pays du Moyen-Orient et de la communauté internationale sur le programme balistique et l’influence iranienne sur la région.

N’étant qu'au tout début des négociations avec des positions de part et d’autre difficilement conciliables, il faut donc laisser un peu de temps à la nouvelle administration de s'organiser avant de démarrer et voir comment les négociations vont vraiment s'engager.

Contrairement aux États-Unis, la France donne l'impression d'être en perte de vitesse au Moyen-Orient et notamment au Liban...

Je ne suis pas tout à fait d'accord, car même si les Européens pourraient être plus présents, la France reste le pays le plus actif dans cettevrégion du monde.

S'il est vrai que la francophonie n’est plus aussi dominante au Liban, il faut rappeler qu’après l'explosion du 4 août qui a détruit Beyrouth, le seul pays qui se soit engagé à reconstruire cette ville est la France.

A partir de là, il est faux de prétendre que la France soit en perte de vitesse dans cette région, d’autant plus que durant toute la présidence Trump, la France s'est beaucoup investie contre la prolifération nucléaire et contre les menées déstabilisatrices du régime iranien tout en gardant le dialogue ouvert.

Aujourd'hui, si l'administration Biden aura un rôle déterminant dans les négociations à venir avec l'Iran, les Européens seront également essentiels, car c'est eux qui ont préservé l'accord nucléaire avec les Iraniens durant toute la présidence de Trump.

Pour conclure, croyez-vous vraiment à une résolution imminente du conflit israélo-palestinien ?

Oui car si on veut avancer sur la stabilisation du Moyen-Orient, on ne pourra pas faire semblant d'ignorer le dossier palestinien.

Evidemment, cela va être très difficile avec des Palestiniens divisés et en position de faiblesse face à des Israéliens plus forts que jamais.

C'est donc la raison pour laquelle il faudra des éléments extérieurs pour amener les Israéliens à aller plus loin que le plan Kushner qui, il faut le reconnaître est en l'état actuel totalement inacceptable.

Honnêtement, pensez-vous que Netanyahu est l’homme qui signera la paix ?

Pas forcément. Mais, comme les Israéliens doivent aussi tenir compte de ce qui est souhaité à Washington, il faudra donc attendre de savoir quelle sera la politique du président Biden dans cette région.

Bien sûr, les Européens auront également un rôle important à jouer pour tenter de relancer le processus de paix gelé sachant qu'ils sont à la fois des amis d'Israël et les premiers fournisseurs d'aide aux Palestiniens.

Sans sous-estimer les difficultés, il y a donc une fenêtre d'opportunité et une possibilité de mouvement, mais encore faudra-t-il saisir les opportunités actuelles.

De notre vivant ?

J'en suis persuadé, car aujourd’hui le monde va très vite avec des mouvements de fond qui font que des choses qui étaient impensables, il y a peu encore, ont néanmoins fini par se réaliser …

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