OPCI. Les défis réglementaires qui restent à relever, selon Ghizlane Mamouni

M.M. | Le 7/1/2021 à 18:49

INTERVIEW. Fondatrice du cabinet d’avocat d’affaires Capstone Law Firm, cette spécialiste du droit boursier a été derrière le montage juridique de plusieurs OPCI au Maroc. Elle nous parle de cette première génération d’OPCI lancée sur le marché et des défis juridiques et réglementaires qui restent à relever pour assurer un développement plus large de cette nouvelle industrie.

Avocate d’affaires, inscrite au barreau de Paris, et ancienne de l’Autorité des marchés financiers en France, Ghizlane Mamouni est rentrée au Maroc en 2012 pour créer son propre cabinet spécialisé dans le droit bancaire et financier, Capstone Law Firm. Elle est spécialisée notamment dans les opérations boursières, l’Asset management, les fonds réglementés, les fonds de titrisation et est à ce titre une des expertes du marché dans le montage juridique d’OPCI.

Elle a accompagné notamment l’IPO d’Aradei Capital et a été partie prenante dans le montage juridique des OPCI lancés récemment par la BCP et la BMCI.

Elle nous parle dans cet entretien de tous les aspects juridiques qui entourent cette nouvelle industrie, la nature des montages qui sont faits, les limites de la réglementation actuelle ainsi que des défis qui restent à relever pour le développement de ces instruments d’investissement qui semblent aujourd’hui fermés à un grand public pourtant très demandeur.

-LeBoursier: Les OPCI ont actuellement le vent en poupe. Mais jusque-là, on n’évoque que le volet financier de ces instruments, alors que leur montage juridique semble aussi être d’une importance cruciale. Que pouvez-vous nous dire sur le volet juridique des OPCI au Maroc et des montages qui se font jusque-là ?

- Ghizlane Mamouni: La première chose à signaler, c’est que tous les OPCI agréés jusque-là ont été créés sous la forme juridique d’une SPI, une société de placement immobilier, qui est basée sur le régime de la SA. Or, il y a dans la loi une autre possibilité, mais à laquelle aucun des OPCI créés à ce jour n’a eu recours, c’est celle des FPI, les fonds de placements immobiliers qui sont une copropriété sans personnalité morale. Le régime juridique des FPI est très peu encadré par les textes, comparé à celui de la SPI. Le régime juridique des FPI fait partie des défis, des choses qu’on peut encore améliorer dans la réglementation et qui ne sont pas suffisamment traitées aujourd’hui.

- Pourquoi tous les OPCI ont opté pour la SPI et non le régime des FPI qui est plus light comme vous dites ?

Pour deux raisons essentiellement. La première relève d’une question de gouvernance. Le régime des SPI est emprunté à celui de la SA. Ce sont des structures bien connues par les acteurs du marché et qui permettent d’avoir des organes de gouvernance classiques : un Conseil d’administration, des administrateurs qui contrôlent la gestion de l’OPCI.

Ce qui n’est pas le cas du FPI qui est constitué de façon similaire au FCP : OPCVM constitué sous forme de copropriété géré au titre d’un contrat. Le FPI offre finalement davantage de liberté d’organisation mais dans ce type de véhicules, on recherche davantage la sécurité juridique que la sophistication de l’ingénierie juridique. Lorsqu’on est sur des actifs stratégiques, la forme de la SPI est privilégiée car son fonctionnement est mieux maîtrisé. On peut avoir également dans un FPI des organes de gouvernance créés de manière contractuelle. Mais ça reste des organes qui ne sont pas régis par une loi comme celle de la SA qui offre beaucoup de sécurité juridique.

La deuxième raison est d’ordre fiscal. Dans la SPI, l’investisseur reçoit des revenus mobiliers, des dividendes, qui s’analysent comme des revenus de valeurs mobilières. Alors que les revenus tirés d’un FPI seraient plutôt considérés comme des revenus fonciers. Les taux d’imposition de ces deux types de revenus sont différents et le régime pourrait même avoir un impact sur la nature des actifs détenus par l’OPCI. Cette insuffisance de sécurité juridique et fiscale entre ces deux formes d’OPCI sont les principales raisons pour lesquelles le régime des FPI est déserté pour l’instant.

- Mais la possibilité de créer un FPI existe bel et bien dans la loi ?

Oui, elle existe. Mais elle n’est pas bien encadrée. A l’étranger également, c’est une forme qui a connu peu de succès.

Une des questions ouvertes actuellement sur le régime juridique, concerne les OPCI dédiés. Dans les sous catégories d’OPCI, il y a les OPCI grand public et les OPCI à règles de fonctionnement allégées (RFA) qui sont réservés à des investisseurs qualifiés. Or, au Maroc, la définition d’investisseurs qualifiés est très stricte.

- Au Maroc, un investisseur qualifié, ça doit être forcément un institutionnel, et ne peut pas être une personne physique même si celle-ci dispose de capacités financières et d’un savoir-faire dans l’investissement… C’est bien cela ?

En effet. Les investisseurs qualifiés au Maroc, ce sont les institutionnels (et prochainement leurs filiales) qui respectent les critères posés dans la Circulaire 03/19 de l’AMMC relative aux opérations et informations financières et qui figurent dans une liste tenue par l’AMMC. C’est très verrouillé. Et cela limite pour l’instant le champ de développement des OPCI patrimoniaux.

- Qu’entendez-vous par OPCI patrimoniaux ?

Ce sont des OPCI qui sont constitués pour structurer le patrimoine immobilier locatif d’une ou quelques personnes ayant entre elles un lien fort, par exemple, une famille qui possède un patrimoine immobilier conséquent. Si elle souhaite loger ce patrimoine dans un OPCI, elle ne peut pas bénéficier des avantages qu'offrent les OPCI à règles de fonctionnement allégées (RFA). Elle est obligée d'aller sur un OPCI grand public, qui impose la mobilisation en cash de 10% de la valeur du patrimoine logé dans l’OPCI : la « poche de liquidité ». Ce qui est très contraignant.

En France, par exemple, on peut créer des OPCI dédiés, réservés à un cercle restreint d’investisseurs non qualifiés tout en bénéficiant des règles de fonctionnement allégées, car il s’agit avant tout de leur propre patrimoine. On ne leur impose donc pas les mêmes contraintes que si elles allaient faire appel public à l’épargne. C’est aussi un des défis réglementaires qui se posent : ouvrir la voie aux OPCI dédiés, c’est-à-dire à des OPCI qui ne sont pas tenus de constituer une poche de liquidité de 10% sans être réservés à des investisseurs qualifiés, pourrait dynamiser l’industrie OPCI.

- Ces OPCI dédiés ou familiaux servent à quoi exactement ? Permettre à des familles qui ont un patrimoine immobilier de le loger dans des OPCI et en vendre des parts, le rendre liquide ?

Cet instrument sert essentiellement aux opérations de structuration et de transmission de patrimoine dans le cadre de la préparation d’une succession par exemple. Si le patrimoine est logé dans un OPCI, cela permet de répartir les actifs rationnellement tout en bénéficiant des avantages fiscaux. Il existe une forte demande sur ce type d’outils.

- La loi donne-t-elle au Maroc la possibilité de faire ces OPCI dédiés ?

On peut arriver à fermer les OPCI grâce à des mécanismes d’ingénierie juridique, de sorte à ce que leurs titres restent entre les mains des investisseurs initiaux sans l’accord desquels l'entrée d’une tierce personne peut être rendue impossible. On peut organiser juridiquement ce type d’opérations. Mais si les investisseurs n’ont pas la qualité d’investisseurs qualifiés, ils ne peuvent pas créer des OPCI à règles de fonctionnement allégées mais uniquement des « grand public » et seront contraints au ratio de liquidité de 10%. Le régime des OPCI RFA déroge à cette obligation de constituer la poche de liquidité.

Dès lors, si une famille de patrimoniaux veut constituer un OPCI, on pourrait, sous réserve de l’interprétation de l’AMMC, le fermer à l’entrée de nouveaux investisseurs mais on sera contraints de mobiliser 10% de la valeur de ce patrimoine en liquidités.

- Pourquoi avoir mis cette exigence de liquidité dans les fonds grand public ou les fonds dédiés ?

L'OPCI a un capital variable et il est censé être liquide. C’est le principe de la pierre-papier. Si l’actionnaire d’un OPCI présente un bulletin de rachat, la société de gestion devrait pouvoir procéder au rachat de son action dans les meilleurs délais. C’est principalement pour honorer ces demandes de rachat qu’on est obligé de garder une poche de liquidité minimum.

- Pour l’instant, dans tous les OPCI créés jusque-là, aucun n’est ouvert au grand public ?

A ce jour, non. Comme on peut le constater sur le site de l’AMMC, les premiers OPCI qui ont été agréés sont tous des SPI RFA avec, par conséquent, des tours de table constitués exclusivement d’investisseurs qualifiés. C’était assez prévisible lorsqu’on compare avec le démarrage des OPCI dans des pays voisins et que l’on se rappelle que les OPCI ont d’abord été créés pour permettre aux institutionnels de restructurer leurs bilans en se déchargeant des actifs immobiliers. La deuxième génération d’OPCI fera peut-être bouger les lignes sur ce point.

- Il y a un autre levier qui peut permettre de faire bénéficier le grand public de cet instrument d’investissement, c’est la Bourse. Est-ce que la cotation des OPCI en Bourse est possible aujourd’hui ?

Ce sujet fait aussi partie des défis qui restent à relever sur le plan réglementaire. La loi pose le principe de la possibilité de coter un OPCI, mais se contente simplement d’énoncer le principe. On n’a pas le modus operandi, on ne sait pas sur quel marché ni quel compartiment cela doit se faire et aucune procédure n’est décrite… Mais on va avoir sûrement des décrets et des circulaires qui vont préciser les choses dans l’avenir.

- Donc la cotation des OPCI n’est pas possible actuellement ?

Le principe est énoncé dans la loi. En l’absence de précision, on aurait tendance à vouloir appliquer le droit commun, et à vouloir considérer les SPI comme des SA de droit commun. Mais je pense que des textes viendront encadrer la cotation des OPCI, avec peut-être un compartiment dédié.

- Il y a actuellement deux sociétés cotées qui s’apparentent un peu à des OPCI, Immorente et Aradei. Et qui ont annoncé leur volonté de se convertir en OPCI avant que l'une d'elle se rétracte (Aradei qui va plutôt créer une filiale OPCI). Cela peut-il être possible sachant qu’il n’y pas de règles qui encadrent la cotation de ces instruments ?

La transformation d’une société existante en OPCI n’est pas possible au regard des textes à ce jour. Les réticences des autorités et du législateur à permettre la transformation en OPCI de sociétés ayant plusieurs années d’existence semblent fondées sur des raisons de transition fiscale principalement mais cela pourrait changer à l’avenir.

- Est-ce qu’il y a de nouvelles opérations qui arrivent ?

Il y a deux sociétés indépendantes qui viennent d’être agréées, IRG et MREM. Et qui dit nouveaux agréments, dit OPCI qui arrivent. J’ai hâte de voir ce que ces sociétés de gestion indépendantes vont proposer dans les mois qui arrivent.

- Combien il y a d’OPCI agrées aujourd’hui ?

Ajar Invest, qui a été pionnier, a 4 OPCI sous gestion. Les groupes Banque Populaire et BMCE ont également fait agréer leur OPCI. Et le dernier né est celui de BMCI qui est géré par REIM Partners. Ce qui en fait 7. Tous sont constitués sous forme de SPI RFA.

- Il y a un autre point qui pose problème dans la réglementation actuelle, c’est l’absence de marché secondaire pour les OPCI. Un investisseur qui détient des parts d’OPCI ne peut pas les vendre librement à une tierce personne ou à un autre investisseur. Que pensez-vous de cela ?

Rappelons que le principe des OPCI, c’est la variabilité du capital et la souscription, par les investisseurs, aux titres de l’OPCI sur la base d’une valeur liquidative calculée elle-même sur la base de la valorisation des actifs immobiliers par des professionnels agréés : les évaluateurs immobiliers. La loi évoque la possibilité d’ «acquisition» des titres d’OPCI à côté de la possibilité, classique , d’y souscrire par voie d’augmentation de capital. Néanmoins, aucune précision n’est prévue quant aux modalités de cette acquisition. Il est préférable de ne pas avoir de marché secondaire car cela parasiterait le travail de la société de gestion à la fois en termes de valeur liquidative que de maîtrise du tour de table.

- Un institutionnel qui veut vendre ses parts n’a donc d’autres choix que de passer par la société de gestion…

Exactement. Il fait une demande de rachat. S’il ne demande pas le rachat d’une grosse partie du capital, l’opération peut prendre quelques jours. Mais les sociétés de gestion disposent de quelques mois de délai, généralement, pour honorer un rachat, car s’il faut vendre un actif pour rembourser l’investisseur, il leur faut du temps. 

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