Faut-il continuer à soutenir le logement social ?

Pour Youssef Iben Mansour, professionnel de l'immobilier et ex-président de la Fédération nationale des promoteurs, revenir sur les acquis du passé en termes de soutien au logement social, sans alternative valable et concertée, pèserait très lourd sur la facture de l’Etat, aussi bien économique que sociale. Voici ce qu'il recommande.

Faut-il continuer à soutenir le logement social ?

Le 4 novembre 2020 à 10h51

Modifié 10 avril 2021 à 23h01

Pour Youssef Iben Mansour, professionnel de l'immobilier et ex-président de la Fédération nationale des promoteurs, revenir sur les acquis du passé en termes de soutien au logement social, sans alternative valable et concertée, pèserait très lourd sur la facture de l’Etat, aussi bien économique que sociale. Voici ce qu'il recommande.

Les interventions de l’Etat dans le secteur de l’habitat ne sont pas récentes et se sont succédé depuis plus de vingt ans, à travers des programmes et des dispositifs d’action dédiés à la production du logement.

Face au déficit en logements accumulé et des moyens réduits dont disposait l’Etat, aussi bien techniques que financiers, ce dernier n’avait d’autre choix que de faire appel au secteur privé émergent, apte éventuellement à s’ériger en force de production contre diverses mesures urbanistiques et fiscales incitatives.

Cette batterie de mesures a pris surtout la forme d’incitations fiscales ou de dépenses fiscales dont bénéficie tout un écosystème lié au secteur immobilier.

La conjoncture de l’époque, la lourdeur du déficit, la demande croissante sur le logement, l’exode rural, la bidonvilisation des villes et la faiblesse du pouvoir d’achat d’une grande frange de la société, sont autant de facteurs qui ont convergé vers la mise en place d’un programme ambitieux de logements sociaux au Maroc depuis 1996.

En 2010 arrive le dispositif des logements sociaux à 250.000DH avec une visibilité jusqu’à 2020. Des ajustements et aménagements ont été opérés dans différentes lois de finances en termes de spécifications techniques et de conditions d’exonérations fiscales. Conjointement, d’autres mesures d’accompagnement ont porté sur la solvabilité des ménages destinataires, dont notamment l’instauration des fonds de garantie et l’exonération de la TVA en faveur des acquéreurs du logement social.

Grâce à ce mécanisme et à la visibilité accordée aux opérateurs, ce produit a connu énormément de succès. Depuis sa promulgation, le dispositif du logement social a permis de réduire d'environ 80% le déficit en logements sur la période 2000-2020, le faisant passer de plus de 1,2 million à environ 200 000 unités, et par là d’infléchir la courbe structurellement ascendante de ce déficit.

En plus de la quantité de logements produits et des retombées économiques du dispositif, ce modèle a permis d’instaurer une paix sociale et de contribuer à la stabilité des populations.

Nous avons pu assister à une nouvelle dynamique économique et sociale caractérisée par un développement soutenu de la production, une mobilisation importante des investissements, un écosystème du bâtiment diversifié et des créations d’emplois importantes. Enfin, nous avons vu émerger une génération d’entrepreneurs de plus en plus structurée et professionnelle et un renforcement du système bancaire, grâce à la distribution de crédits à la promotion immobilière et en faveur des ménages.

Aujourd’hui, il est légitime de se poser plusieurs questions sur le devenir de ce secteur et surtout sur les leviers à l’origine de sa croissance dans ce domaine ces deux dernières décennies.

Quelle est la finalité de l’action gouvernementale, si ce n’est de garantir l’accès au logement décent à un prix relativement bas et accessible ? Quel mécanisme pourrait prétendre maintenir une cadence élevée de production de logements tout en permettant à tous les partenaires de trouver un équilibre, en participant dans un écosystème capable de retrouver une nouvelle dynamique de relance ?

Supprimer le dispositif conduirait à une crise sans précédent

Tous les scénarios à envisager doivent converger vers le maintien des prix du logement à un une VIT ne dépassant en aucun cas 250 000 DH (une échéance bancaire mensuelle de 1 500 DH). Le rendement financier doit également être garanti pour maintenir un niveau de marge relativement acceptable, pour inciter les promoteurs à continuer à investir dans ce segment.

Une nouvelle approche de cette problématique doit nous conduire à nous demander s’il faut maintenir le système incitatif actuel en l’état, le supprimer ou lui apporter un réajustement. Comment sortir le produit de logement social d’une vision purement fiscale, pour en faire un produit de qualité, abordable et où il fait bon vivre ? Et enfin comment entamer une nouvelle ère du logement social en se basant sur les acquis des deux dernières décennies et éviter les erreurs du passé ?

Dans le projet de LF 2021, il est prévu l’abandon du système de soutien au logement social sans offrir aucune alternative. Cette situation nous ramènerait à la période d’avant 1996 et nous serions sans doute face à une crise économique et sociale sans précédent. C’est pour cela qu’il faut maintenir le soutien à ce secteur compte tenu des besoins liés à la croissance démographique, à l’arrivé d’une population de plus en plus jeune, à un modèle familial de plus en plus restructuré et à l’accélération de l’urbanisation du pays. La désertion du monde rural et l’attrait de la ville mettra plus de pression sur l’offre actuelle et le stock de logements actuel, quand bien même suffisant pour résorber le déficit pour les deux à trois prochaines années, ne résoudra que partiellement la problématique de l’accès au logement social sur les années à venir.

La pénurie prévisible de logements sociaux provoquerait irrémédiablement la recrudescence des bidonvilles et des constructions non réglementaires, aussi bien à l’intérieur des villes que dans les périphéries. La faiblesse du pouvoir d’achat et l’absence de produit financièrement adapté pousserait les plus démunis à adopter la voie de l’informel pour se loger.

Enfin, l’abandon du système actuel de soutien mettrait en péril la stabilisation de la population et la paix sociale dans un climat économique très tendu et une conjoncture défavorable accentuée par la crise du Covid19.

Serions-nous prêts à renoncer à tout cela ? A quel prix et pour quelle finalité ? La sagesse préconiserait de prendre le recul nécessaire et de mettre en place de nouveaux paradigmes. Parce qu’il serait plus facile de supprimer tout le système d’incitation que de réfléchir à un nouveau modèle qui sache tirer des leçons du passé. Il y a certes beaucoup d’erreurs à recenser, mais beaucoup plus d’acquis et de réalisations salutaires sur lesquelles il faut d’abord penser capitaliser.

Il ne faut pas nier que le dispositif d’incitations fiscales lié au logement social a atteint ses premières limites après avoir réalisé, en grande partie, ses objectifs quantitatifs. Il est également temps de revoir le modèle du logement social et recadrer les priorités afin de mieux cibler les besoins.

Des réajustements du système actuel peuvent tout changer

Si aujourd’hui l’Etat admet qu’il ne veuille plus concéder une moindre dépense fiscale, l’enjeu est de faire preuve d’innovation pour reconduire le dispositif autrement. La production de logements sociaux à faible valeur immobilière totale doit continuer. L’Etat est le garant de l’accès à la propriété et il doit veiller à ce que les prix soient suffisamment abordables pour offrir au citoyen le logement décent qu’il mérite. Il est donc vital que l’Etat puisse garder la main sur les prix du logement social. Autrement, nous assisterons à une libéralisation des prix. Ceux-ci, faute d’incitations obéiront aux lois édictées par le marché et se situeraient au minimum entre 320 000 et 350 000 DH. Avec la rareté du produit et la spéculation aidant, ces prix pourraient connaitre des flambées dans certaines villes où la pression est plus forte sur la demande.

Autre piste de réflexion, la mise en place d’un système d’aide directe aux ménages bénéficiaires de logements.

Dans ce cas les mesures de ciblage et d’attribution doivent être maitrisées pour pouvoir faire bénéficier les efforts financiers à la véritable cible pour laquelle le logement social est destiné. La chaine de distribution devra être contrôlée. Un système d’aide directe signifie également que l’Etat puise dans sa trésorerie pour financer le logement. Une dépense fiscale est à priori un manque à gagner pour l’Etat dont les retombées directes ou indirectes sont censées créer un équilibre final. Autrement dit, la dépense fiscale permet à l’Etat de récupérer d’une main ce qu’il cède par l’autre.

Une troisième option serait de réfléchir à un système hybride, qui concilie entre l’ancien modèle (VIT 250 000 DH) et les orientations actuelles qui tendent vers la suppression des incitations.

Pour cela nous pouvons concevoir un système d’incitation qui maintienne uniquement l’exonération de l’IS pour le promoteur et la TVA pour l’acquéreur. Les autres taxes seront acquittées dans le cadre du droit commun. Ce type de modèle suppose que la marge du promoteur sera réduite du fait de la réduction des incitations. Il faudra donc veiller à ce que l’opération soit suffisamment séduisante pour maintenir un certain niveau de rendement. D’autres leviers peuvent être actionnés comme ceux du foncier par exemple pour atténuer la charge foncière dans le coût de revient du bâti.

De toutes les options citées ci-dessus, s’il y a toujours une volonté de produire du logement social, le plus judicieux serait de maintenir le système d’incitations actuel et le réajuster pour en faire un produit intégré, aussi bien au niveau fiscal que qualitatif et urbanistique. Si nous tenons compte des manquements de l’expérience passée conjugués aux réalisations encourageantes qu’il ne faut en aucun cas nier, nous nous rendrons compte que des réajustements peuvent tout changer.

Cela commence par une meilleure définition des besoins réels et un ciblage de la population bénéficiaire. L’absence de mécanismes de régulation de l’offre a été derrière la création des déséquilibres dans la production des logements sociaux. La dimension régionale dans la mise en place de la politique nationale de logement est primordiale faute d’une fiscalité régionale. La forte implication des walis et des présidents de régions est nécessaire pour cerner les besoins et piloter les signatures de convention. Cela doit être accompagné par l’amélioration du cahier des charges, en l’orientant vers plus de qualité architecturale et urbanistique.

La distribution des crédits pour le secteur immobilier n’a pas toujours été maitrisée. L’endettement des entreprises a été élevé à cause d’une constitution abusive des réserves foncières. D’autres facteurs ont porté préjudice au modèle, dont, principalement, une inflation importante du foncier générée par une mauvaise gestion urbaine (retard dans le renouvellement des plans d’aménagements urbains et le recours systématique aux dérogations), enfin une politique de logement plus axée sur la propriété au détriment du locatif.

Vers une nouvelle politique du logement

Aujourd’hui à la veille de l’échéance du 31 décembre 2020 marquant officiellement la fin du dispositif des incitations fiscales en faveur du logement social, la question que nous nous posons est la suivante : Faut-il continuer à soutenir le logement social et pourquoi ?

Balayer d’un revers de main les efforts consentis depuis ces deux décennies et toute la dynamique économique créée autour, serait une entreprise hasardeuse et probablement très lourde de conséquences.

A la date d’aujourd’hui aucun bilan objectif n’a été dressé pour évaluer l’impact des mesures incitatives sur le dispositif de logements sociaux au Maroc. Des bilans quantitatifs et rapports analytiques sont produits, sans pour autant apporter une réponse scientifique et technique sur les retombées et impact d’un arrêt net de telles incitations.

Si au fond, nous nous orientons vers la suppression du dispositif, c’est parce que nous estimons qu’il a atteint ses limites, qu’il n’est défini que par des dispositions fiscales, que la demande s’est essoufflée, que le Maroc dispose de stocks d’invendus et qu’il faudrait d’abord envisager d’écouler ces stocks existants, et que la qualité du logement ou cadre bâti sont en deçà des aspirations des citoyens.

Le nouveau modèle doit d’abord placer le citoyen au cœur de la problématique du logement, définir les besoins réels par ville et par région, en étroite concertation avec les autorités locales, grâce notamment à la définition d’un besoin quantitatif par région, et auquel les opérateurs soumissionneraient par appel d’offres. Ceci doit passer également par l’amélioration de la qualité urbanistique et architecturale du produit à travers l’assouplissement des procédures administratives, l’encouragement de la créativité des architectes au lieu d’exiger l’application d’un cahier de charges unique à dupliquer sur l’ensemble des villes, la mise en place d’un cahier de charges type pour le logement social, définissant les règles de soumission des entreprises et les spécificités techniques du projet.

La gouvernance de la politique du logement et spécialement le logement social doit être rattachée à la primature ; et ce, pour lui assurer une collaboration directe et permanente avec les différents ministères concernés, notamment l’Intérieur, les Finances, l’Agriculture, etc.

Sur le plan qualitatif, privilégions l’innovation et définissons intelligemment nos villes et leurs besoins, arrêtons les extensions urbanistiques trop coûteuses pour le pays, recadrons l’auto-construction qui représente la moitié de la production de logements au Maroc et qui défigure nos villes, et enfin améliorons la qualité de gestion de notre parc de logements (professionnalisation du syndic, renforcement de la relation client et développement de services après-vente....).

Revenir sur les acquis du passé sans alternative valable et concertée pèserait très lourd sur la facture de l’Etat, aussi bien économique que sociale. Sans parti pris, cette thèse soutiendrait en toute logique, et à la date d’aujourd’hui, le maintien des dispositifs actuels, probablement réajustés et recadrés, pour permettre à l’Etat de reprendre la main sur ce grand chantier.

Le soutien continu aux classes sociales les moins loties est un impératif incontournable pour le maintien d’une paix durable.

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