PLF 2021. La nouvelle contribution de solidarité, une mesure inéquitable ?

LECTURE A CHAUD. Ciblant les sociétés et les personnes physiques, cette taxe sera supportée essentiellement par une petite minorité de salariés et de fonctionnaires et par les rares entreprises structurées du pays. Ceci risque d'exacerber le sentiment d’injustice fiscale qui pèse déjà lourd sur ces contribuables qui continuent de payer cher le prix de la transparence.

PLF 2021. La nouvelle contribution de solidarité, une mesure inéquitable ?

Le 16 octobre 2020 à 19h02

Modifié 11 avril 2021 à 2h48

LECTURE A CHAUD. Ciblant les sociétés et les personnes physiques, cette taxe sera supportée essentiellement par une petite minorité de salariés et de fonctionnaires et par les rares entreprises structurées du pays. Ceci risque d'exacerber le sentiment d’injustice fiscale qui pèse déjà lourd sur ces contribuables qui continuent de payer cher le prix de la transparence.

Activée au moment du confinement, fin mars, via la création du fonds anti-Covid, la solidarité nationale sera désormais institutionnalisée via une contribution sociale de solidarité qui s’appliquera aussi bien aux sociétés qu’aux personnes physiques.

Une mesure nécessaire en ces temps de crise par laquelle l’Etat compte récolter 5 milliards de dirhams de recettes, qu’il injectera, selon les premiers détails du projet de loi des finances, dans le fonds d’appui à la cohésion sociale, qui sera par la même occasion revu, dans sa nomination mais aussi dans son usage, pour intégrer également le financement de l’élargissement de la protection sociale aux travailleurs de l’informel.

Saluée dans le principe de sa mise en place par plusieurs sources du monde économique et politique contactées par Médias24, cette nouvelle contribution sociale de solidarité soulève pourtant quelques critiques quant à sa structuration financière. Notamment dans son volet ciblant les personnes physiques.

Voici une lecture à chaud de cette mesure fiscale, sachant que le PLF 2021 n'a pas encore été présenté ni expliqué par le ministère des Finances, encore moins débattu au Parlement.

Les salariés et les fonctionnaires encore une fois sous pression 

Les personnes physiques seront ainsi appelées, si le projet de loi de finances est voté dans sa mouture actuelle, à contribuer à hauteur de 1,5% de leurs revenus mensuels net à l’effort de solidarité. Un taux qui s’appliquera à tout revenu, salarié, foncier, agricole ou professionnel, à partir d’un seuil de 10.000 dirhams net par mois. Soit, à titre d’exemple, un prélèvement minimum de 150 DH par mois pour un salarié qui perçoit un net de 10.000 DH.

« Le principe en soi de cette contribution est bien. Mais le problème qu’elle pose, c’est qu’elle ne fait pas la différence entre une personne qui vit avec 10.000 DH par mois et une autre qui touche un salaire de 60.000 DH ou une rente immobilière de 300.000 DH. Les trois sont taxés au même taux, sans aucune progressivité. Alors que le barème même de l’IR prend en compte une certaine progressivité. L'absence de ce principe rend cette mesure injuste d’un point de vue fiscal », souligne une de nos sources.

Cette injustice fiscale ne tient pas qu’au taux flat qui est appliqué à tout le monde sans distinction du niveau du revenu mensuel. Mais au fait qu’elle sera appliquée essentiellement aux revenus salariaux. Car à date d’aujourd’hui, plus de 70% de l’IR collecté par l’Etat vient des revenus salariaux (employés du privé et fonctionnaires), imposés à la source et ne pouvant échapper ainsi à l’impôt. Au moment où les revenus fonciers, immobiliers, professionnels et agricoles sont sous-taxés à cause du mode déclaratif, qui permet une certaine flexibilité au déclarant pour « jouer » sur le niveau de ses revenus.

Partant de ce constat, la contribution de solidarité frappera essentiellement les salariés et fonctionnaires du privé. C’est un biais de l’IR qui se retrouvera donc calqué mécaniquement dans la contribution sociale de solidarité.

C’est donc essentiellement les salariés et fonctionnaires qui paieront le prix de la solidarité. Et au milieu de cette catégorie de la population, seule une petite minorité sera concernée par ce nouvel impôt.

Dans le privé par exemple, seuls 7% des salariés déclarés touchent plus de 10.000 DH, selon les chiffres de l’année 2018. Une structure qui n’a pas dû trop changer depuis. En nombre, cela fait quelques 250.000 personnes.

Dans le public, cette proportion est plus élevée : 33% du personnel civil de l’Administration touche plus de 10.000, soit environ 186 000 personnes. Un chiffre qui n'inclut pas les militaires, les employés des établissements publics et ceux des collectivités territoriales.

Au total, ce sont ainsi entre 420.000 à 500.000 personnes au grand maximum sur des millions d'assujettis potentiels à l’IR qui porteront le poids de cette nouvelle contribution sociale de solidarité. Une petite minorité, dont l’essentiel fait partie de la classe moyenne qui subit déjà de plein fouet l'impôt et les frais de scolarité et de santé faute de service public de qualité.

Ce qui nous ramène au fond du problème que cette iniquité de la contribution de solidarité ne fait que mettre à nu encore une fois : la petite taille de l'assiette fiscale de l'impôt sur le revenu dans un pays qui compte des millions de travailleurs (professionnels ou employés de l’informel) et de rentiers échappant totalement ou presque à l’impôt.

« Mettre une contribution de solidarité, c’est bien. On est en crise. Mais la crise nous oblige aussi à réformer notre système fiscal pour que l’effort soit mieux réparti entre les différentes couches de la population. D’après les premiers éléments qui fuitent sur ce projet de loi de finances, il n’y a pas de mesures de réforme profonde qui seront conduites. Alors que la recette, tout le monde la connaît et a été largement débattue lors des dernières assises de la fiscalité », commente une de nos sources.

Un économiste qui a pris également connaissance de ces premiers éléments du PLF se dit déçu de ce montage fiscal : « L’Etat fait encore une fois le choix de la facilité en faisant payer toujours les mêmes. Alors que la fortune, le patrimoine ou les successions, qui représentent un grand gisement de recettes fiscales, ne sont pas touchés. Ca montre que l’on ne veut pas rompre avec le modèle néolibéral et entrer dans un modèle social juste et équitable, où les citoyens sont taxés chacun selon son pouvoir de contribution. Les néolibéraux ont également un problème avec la progressivité de l’impôt. Et au Maroc, on semble également avoir ce même problème ».

Contribution des sociétés : deux taux et deux bémols

Ce souci d’équité qui est pointé du doigt, en ce qui concerne les revenus des personnes physiques, a semble-t-il été relativement pris en compte pour la contribution des sociétés. Et ce, avec l'instauration de deux taux distincts :

- 5% pour les sociétés qui agissent dans des secteurs oligopolistiques, fermés à la concurrence, comme les télécoms, les hydrocarbures ou le ciment.

- Et 2,5% pour toutes les sociétés des autres secteurs.

MISE A JOUR : LES TAUX ONT CHANGE POUR LES ENTREPRISES

Ces taux s’appliqueront selon le PLF à toute société qui réalise un bénéfice net supérieur à 5 millions de dirhams au titre de l'exercice 2020.

Mais là aussi, deux petits bémols sont à signaler.

Le premier concerne l’exclusion des sociétés actives dans les zones d’accélération industrielle et à Casablanca Finance City du champ d’application de ce nouvel impôt de solidarité. Une discrimination qui peut être mal perçue par les acteurs nationaux.

Un politique de l'opposition généralement virulent avec le gouvernement trouve en effet cette mesure discriminatoire, mais dit la comprendre parfaitement : 

« Si on ne veut pas faire de populisme, il faut reconnaître que l’Etat ne peut pas toucher à ces sociétés. Car elles risquent simplement de plier bagage, alors que l’Etat a beaucoup investi dans ces zones et compte beaucoup sur ces entreprises pour la création d’emplois et de valeur. C’est une question de rapport de forces. Et ce rapport est en défaveur de l’Etat marocain qui fait justement tout, en ce moment de crise, pour éviter que ces compagnies quittent le pays, et mise surtout sur le contexte mondial pour en attirer d’autres. Ajouter de la pression fiscale dans ces zones industrielles peut casser cette stratégie et tous les efforts menés pour monter des écosystèmes solides tournés à l’export », explique-t-il.

Cela devait être certainement le raisonnement des pouvoirs publics, surtout, comme le précise notre source, que ces sociétés se sont installées au Maroc sur la base d’un pacte avec les pouvoirs publics. « Ces entreprises sont venues au Maroc car on leur a donné une visibilité fiscale sur le long terme. On ne peut pas venir changer les règles du jeu en cours de route. Ce n’est pas éthique et ca risque de casser la confiance des investisseurs étrangers vis-à-vis de l’Etat », explique-t-il.

Deuxième bémol soulevé par un fin connaisseur des pratiques fiscales dans les milieux des affaires : cet impôt sur les sociétés sera payé essentiellement par les grandes entreprises et les firmes structurées, qui contribuent déjà à plus de 80% des recettes de l’IS du pays. « Dans la pratique, ce ne sont que ces entreprises structurées qui représentent à peine 2% de l'ensemble des entreprises du pays qui vont subir ce nouvel impôt. Car elles ne peuvent pas jouer sur les comptes. Le reste des entreprises, la grande majorité, vont s'arranger pour payer ce qu’elles ont toujours l’habitude de payer en gonflant leurs charges ou en sous-déclarant leur chiffre d'affaires », explique-t-il.

Ce qui va renforcer, selon lui, le sentiment d’injustice fiscale que ressentent déjà les acteurs structurés du business, qui paient le prix de la transparence.

Notre expert se dit même en désaccord avec le principe même de l’instauration de cette contribution de solidarité : « Au lieu d'instituer un nouvel impôt de solidarité, il fallait d’abord commencer par renforcer le taux de réalisation des recettes fiscales actuelles, en élargissant l'assiette et en intégrant le secteur informel. En agissant sur les impôts qui existent déjà, et en les rendant plus efficaces et équitables, l’Etat peut collecter plus que ces 5 milliards qu’il espère collecter avec cette contribution de solidarité », explique-t-il.

Une minorité pour payer la généralisation la protection sociale ?

Au-delà de sa mise en place, cette contribution de solidarité est critiquée d'ores et déjà pour l’usage que l’Etat compte faire des recettes qu'elle générera.

Les 5 milliards de dirhams qui seront collectés via ce nouvel impôt iront en effet arroser le fonds d’appui à la cohésion sociale dans sa nouvelle version.

Ce fonds qui distribuait entre autres les aides aux familles nécessiteuses dans le cadre du programme Tayssir, qui finançait le RAMED ou octroyait un revenu aux femmes veuves, servira désormais, comme stipulé dans le PLF, au financement de l'élargissement de la protection sociale à l’informel. Le fonds changera ainsi de nom pour intégrer cette nouvelle mission et sera rebaptisé : "Fonds d’appui à la protection sociale et à la cohésion sociale".

Pour effectuer ce changement, le PLF propose que soient portés dans le débit de ce compte d'affectation spéciale trois nouveaux types de recettes, dont la contribution sociale de solidarité sur les bénéfices et les revenus.

Pour un acteur du secteur privé, ceci est un non-sens économique : « L'élargissement de la protection sociale est un chantier national qui doit être financé par toute la collectivité, à commencer par le secteur informel. Là, l’Etat demande à une petite minorité, qui paie déjà son impôt, de prendre en charge la réforme de la protection sociale. C’est totalement injuste », souligne notre source.

Et d’ajouter que « c’est à l’Etat de financer ce programme en imaginant de nouveaux mécanismes, en augmentant ses recettes fiscales, en élargissant l’assiette à ceux qui ne paient pas l’impôt, en intégrant l’informel... Les solutions ne manquent pas. On ne peut pas demander à une minorité de sociétés et de salariés qui paient déjà de lourdes charges sociales pour leur propre assurance maladie de payer pour tous les autres qui travaillent au noir ».

Des clivages qui vont certainement animer les débats entre secteur privé et gouvernement et même entre députés autour de ce projet de loi de finances, qui tombe dans un contexte certes assez particulier, mais où « l’on ne sent pas, comme l’exprime une de nos sources, une véritable envie de changer en profondeur les choses par une vraie réforme de la fiscalité, qui redonnera du souffle à l’Etat et allégera les injustices fiscales que subissent une petite minorité de contribuables ». 

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