Houssine Yamani : “La crise Covid-19 a désavoué les pourfendeurs de la Samir

Enterré par certains, le dossier La Samir redevient un sujet d'actualité avec la décision étatique d'exploiter les bacs de stockage du raffineur. Dans cet entretien, Houssine Yamani salue une démarche d'intérêt général en attendant le règlement global du dossier.

Houssine Yamani : “La crise Covid-19 a désavoué les pourfendeurs de la Samir

Le 14 juin 2020 à 16h06

Modifié 11 avril 2021 à 2h46

Enterré par certains, le dossier La Samir redevient un sujet d'actualité avec la décision étatique d'exploiter les bacs de stockage du raffineur. Dans cet entretien, Houssine Yamani salue une démarche d'intérêt général en attendant le règlement global du dossier.

L'Etat marocain s'apprête à exploiter, via la location, les importantes capacités de stockages de la Samir. L'objectif annoncé est de reconstituer les réserves du pays en carburants, aujourd'hui largement en dessous des stocks réglementaires. Provoquée par la pandémie Covid-19, l'importante baisse des prix du pétrole à l'international a motivé, entre autres, le choix des autorités.

Ce choix n'est pas celui d'un ministère, c'est une action étatique au sens régalien du terme. Un acte stratégique qui a remis le raffineur au centre de l'actualité, là où beaucoup le donnait pour mort ou, pire, espérait sa mise à mort. Houssine Yamani est bien placé pour le savoir. Dans cet entretien, le coordinateur du "Front marocain pour la sauvegarde de la raffinerie marocaine" analyse ce revirement dans un dossier tentaculaire.

Houssine Yamani, secrétaire du Front de sauvegarde de la raffinerie marocaine et secrétaire général du syndicat national du pétrole et du gaz (CDT) 

- Médias24 : L’Etat a décidé d’exploiter les capacités de stockage de la Samir. Une décision perçue comme une reconnaissance, après plusieurs années de mutisme, de l’utilité stratégique de cette entreprise que l’on croyait vouée à l’oubli. Quelle lecture faites-vous de cet événement ?

- Houssine Yamani : Il y a la Samir d’avant le Covid-19, et la Samir post-Covid-19.

La pandémie a provoqué un choc de perceptions. Tous les pays ont réagi. On en est arrivé à fermer les frontières, à quelques exceptions près.

Le Maroc ne dispose que de 30 jours de consommation en carburant. Imaginez si toutes les frontières étaient fermées, y compris pour les transits commerciaux ! Ici, c’est la paix générale qui aurait été mise en jeu. Et le devoir de la maintenir incombe à l’Etat. D’où sa décision d’exploiter les bacs de stockages de la Samir.

Permettez-moi cette analogie : La raffinerie, c’est un extincteur de feu. Quand tu achètes un extincteur, ce n’est pas forcément pour l’exploiter au quotidien. C’est pour l’utiliser en cas d’incendie. La même logique s’applique à l’achat d’armes par les Etats. C’est une action régalienne à caractère prophylactique.

La vocation d’une raffinerie, c’est de saisir les opportunités et de gérer les crises. Pour le Maroc, l’opportunité résidait dans la chute des prix de carburants à l’international. Et si demain, le pays est confronté à une flambée des prix ou une fermeture totale des frontières, la Samir sera là pour limiter la casse.

Les pays qui ne disposent pas de raffinerie adossée à une capacité de stockage importante de 15 millions de barils comme celle qu’offre la Samir, s’exposent de facto à un problème de sécurité énergétique.

Je salue cette initiative qui a été rapide. Même si on s’attendait à ce que l’entrée de l’Etat soit celle du sauveur dans le dossier. Autrement dit, nous voulions qu’il règle le dossier de manière globale et radicale. Primo, par la relance à la fois de l’activité de stockage et de raffinage. Secundo, en mettant fin à l’anarchie qui caractérise le marché des hydrocarbures au Maroc.

- Au début, vous avez opposé un refus à la location des capacités de stockage. Mais vous avez fini par y acquiescer. Qu’est-ce qui explique ce glissement ?

En tant que Front de sauvegarde de la raffinerie, nous avions établi un dossier en 2018. Nous y avions contenu des recommandations que tout le monde connait (faciliter la cession aux tiers, gérance libre, renationalisation, partenariat public-privé, etc.)

Mais nous sommes une force de proposition. Nous ne sommes pas en position d’imposer une quelconque décision. On ne peut pas exiger que nos demandes soient validées à 100% sous peine d’être rejetées à 100%.

Pour nous, le simple fait que l’Etat reconnaisse l’utilité de la Samir est une victoire en soi. Ajoutez à cela que la location se fera pour l’augmentation des stocks de sécurité, une démarche d’intérêt général qui fait d’ailleurs partie de nos revendications.

Au sein du syndicat, nous avons appris qu’un « tiens vaut mieux que deux tu l’auras ». Ce qui ne signifie pas que nous arrêterons de militer pour concrétiser les autres demandes. Notre revendication initiale est que l’activité redémarre dans son ensemble. Aujourd’hui, la fenêtre du stockage est ouverte, en attendant que suive la porte du raffinage.

- Le ministre de l’Energie a récemment déclaré que le Maroc a besoin du raffinage de pétrole. Il a troqué son discours auparavant sceptique, voire méprisant envers la Samir, contre des paroles qui laissent entrevoir la possibilité d’un redémarrage. Qu'en pensez-vous ?

Nous jouons un match. Il y a, d’un côté, une équipe qui pousse pour enterrer définitivement l’industrie du raffinage de pétrole. Avec des intérêts derrière. L’autre équipe défend le discours de souveraineté énergétique, de l’industrie créatrice de valeur ajoutée, de considérations sociales, etc. Chaque équipe apporte ses arguments qui évoluent.

Pour nous, la pandémie covid-19 a mis à nu l’impertinence du discours porté par la première équipe. Peut-être qu’elle a démontré qu’ils ont tort. Mais nous sommes disposés à écouter toute personne qui pourrait nous convaincre que le Maroc peut assurer sa sécurité énergétique sans industrie du raffinage. A contrario, il n’y a pas de problème quant au fait qu’un ministre qui, hier, déclarait que la Samir est obsolète, change aujourd’hui d’opinion pour défende le raffineur.

Nous ne sommes pas en conflit avec un ministre ou un quelconque responsable. L’intérêt général nous conduit à aller au-delà de ces petits calculs.

- Le même ministre a évoqué les difficultés auquel fait/ferait face le processus de cession de la Samir, un des prérequis au redémarrage de la raffinerie. Il a notamment parlé des garanties qu’exigeraient les acheteurs potentiels à l’Etat. Partagez-vous le même avis ?

Certains acquéreurs ne mettent absolument pas cet élément dans l’équation. Et sont prêts à l’acquérir tout en assumant les conséquences naturelles du marché. S’ils sont compétitifs, tant mieux. Sinon, les gens pourront toujours se tourner vers l’importation.

Je vais être clair dans ma réponse. Le non-aboutissement de l’opération de la Samir est imputable à une cause principale : la politique de l’Etat n’est pas claire vis-à-vis de l’encouragement et le développement de l’industrie du raffinage au Maroc.

Si le gouvernement -ou toute partie compétente- publie un communiqué clair où il explique que le pays a besoin de cette industrie et qu’il est prêt à accompagner, inciter et encourager tout investissement y afférent, 80% du dossier sera solutionné. L’Etat est-il prêt à s’engager dans ce sens ou pas ?

- Donc au-delà des paroles de tel ou tel ministre…

La démarche doit être franche et formelle.

Il faut revenir à la stratégie nationale du pétrole actée en 2004, sous la tutelle du Roi Mohammed VI. Elle était articulée autour de plusieurs piliers, dont l’encouragement des investissements, l’exploration et la prospection du pétrole et du gaz, la modernisation et le développement du raffinage du pétrole et le développement du stockage et de la distribution.

Que vaut aujourd’hui cette stratégie ? Que propose l’Etat sur le volet du raffinage ?

La deuxième clé pour débloquer la cession, c’est la lecture saine et souple du livre 5 du code de commerce. Il faut que l’interprétation soit conforme à l’objectif escompté par le législateur, qui est de, justement, faciliter la vente pour relancer l’activité et maintenir l’emploi.

- Ici, on interpelle directement la justice, puisque le dossier est entre ses mains ?

Les textes légaux sont ce qu’ils sont. Mais il faut en faire une lecture utilitariste et guidée par le résultat final. Celui de la procédure de liquidation, par la cession, est de raviver l’entreprise pour préserver l’emploi et les intérêts des créanciers. Ce n’est pas une logique de faillite, ni de fermeture.

Le traitement du dossier doit se faire de manière à lever tout obstacle à la réalisation de l’objectif.

- Quand on parle d’assouplissement de la lecture, est-ce que cela veut dire le recours à des prestataires externes à la procédure ? Une banque d’affaires à titre d’exemple ? Le code de commerce ne prévoit pas cette possibilité, mais ne l’interdit pas non plus...

En effet, rien dans la loi ne l’interdit.

Encore une fois, le législateur a fixé un objectif, qui est le sauvetage de l’entreprise en difficulté. En ce sens, tous les moyens et toutes les lectures sont permis. D’autant que toutes les parties y trouveront leurs comptes. Personne ne sera lésé ou viendra contester la décision si elle aboutit à la relance de l’entreprise.

Le dossier est entre les mains du juge. Ses décisions sont guidées par son intime conviction en faisant jouer son pouvoir d’interprétation. Mais l’essence même de la justice commerciale, a fortiori dans les procédures de difficultés, est la défense des intérêts.

Le dossier de la Samir présente des croisements entre les intérêts privés et publics. Et l’actualité le démontre.

- Ce dossier est une bonne manière de cerner la notion, parfois floue, d’ordre public économique…

C’est indéniable.

- Pourtant, l’annonce de la réactivation, par l’Etat, des capacités de stockage de la Samir semble avoir été mal accueillie par certains acteurs du marché pétrolier...

J’insiste sur la métaphore citée tout à l’heure. Il y a une équipe A et une équipe B. La première ne veut pas de la Samir. Ce qui est sûr, c’est que la situation actuelle profite à quelques-uns. Et le retour de la Samir dérange.

Pour le Maroc, l’intérêt est d’assurer une concurrence saine et une complémentarité entre la production nationale et l’importation. La finalité, c’est la protection du consommateur.

La sécurité énergétique, ce n’est pas le nombre d’opérateurs. C’est la capacité de constituer un stock stratégique sur le sol marocain dans les bonnes conditions de quantité et de prix. Quand un pays dispose du levier du raffinage, il agit sur les prix.

- Des observateurs voient en l’initiative de l’Etat un message aux opérateurs. « Malgré mon appui, vous n’avez pas réussi à atteindre les réserves de sécurité. Cela suffit, je prends le relai ». Partagez-vous cette lecture ?

D’ailleurs, je me demande pourquoi aucune sanction n’a été prononcée contre les acteurs qui ont pourtant failli à une obligation légale.

Quatre ans après la libéralisation, les réserves ne dépassent pas 30 jours alors que le minimum légal est de 60. Il est normal que l’Etat réagisse. C’est son rôle et sa responsabilité. Et il peut le faire par tout moyen, par l’exploitation des capacités de stockage de la Samir ou par d’autres scénarii.

- L’Etat va louer les bacs de stockage de la Samir. Une démarche présentée comme win-win. Le Maroc y gagne, notamment, le renforcement de ses réserves de sécurité. La Samir y gagne, entre autres, des revenus locatifs pour entretenir l’unité de production. Mais l’opération pourrait-elle préfigurer, ou du moins faciliter la relance globale de l’activité, à savoir le raffinage ?

Casquette de syndicalistes à part, nous sommes des Marocains. L’intérêt du Maroc prime. Nous allons œuvrer pour encourager toute opération qui va en ce sens. Aujourd’hui, notre pays a besoin de renforcer ses capacités de stockage pour prévenir d’éventuelles évolutions. L’initiative de l’Etat s’inscrit dans cette réalité immédiate.

Du reste, nous considérons que la cession est l’élément clé pour donner une issue globale au dossier. Nous espérons que cet épisode de la location persuade les réfractaires sur le fait que l’intérêt du pays passe par le sauvetage de la Samir.

Nous appelons à la libération de la Samir. Nous considérons aujourd’hui que la Samir est en captivité. C’est un monstre redouté. Mais l’intérêt du Royaume, c’est qu’il sorte pour jouer son rôle de contrepoids sur le marché.

- Je poserai la question autrement : la démarche de l’Etat peut-elle entraver le redémarrage de la Samir qui passe par la cession de ses actifs ?

L’ordonnance qui a autorisé la location a instauré des garanties. Elle énonce que le bail sera résilié de plein droit en cas de cession aux tiers.

Par ailleurs, nous suivons le dossier. Nous soutiendrons et applaudirons toute démarche dès lors qu’elle ne constitue pas un obstacle à la cession. Nous n’avons pas signé un chèque en blanc.

Mais ce qui nous rassure aujourd’hui, c’est que le locataire est l’Etat marocain. C’est une garantie en soi. S’il s’agissait d’une autre partie, notre position aurait été différente.

- Avez-vous été sollicité ou impliqué dans l’opération ?

Chaque partie aura ses fonctions. Nous aurons la nôtre. Mais à l’heure actuelle, il n’y a pas de décision officielle sur la conclusion du contrat.

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