Inflation & croissance : Abdellatif Jouahri répond aux critiques sur sa politique monétaire
Pour plusieurs économistes, Bank Al Maghrib doit lâcher du lest sur l’inflation pour relancer la machine de la croissance. Une idée que le gouverneur de la Banque centrale réfute catégoriquement. Voici ses arguments.
La banque centrale était attendue ce mardi 19 mars sur sa décision de maintien ou non du taux directeur à son niveau actuel de 2,25%. Depuis début 2019, plusieurs économistes appellent le Wali de Bank Al Maghrib à plus de souplesse dans sa politique monétaire, à lâcher l’inflation pour booster le financement de l’économie et relancer donc la croissance du PIB.
Mais le Conseil de BAM a encore une fois décidé de ne rien changer : le taux étant maintenu pour trois mois encore à 2,25%.
Toutes les conditions (théoriques) plaidaient pourtant pour une baisse du loyer de l’argent : une croissance qui ralentit à 2,7% en 2019 en raison de la mauvaise année agricole (BAM prévoit une récolte de 60 millions de quintaux contre une prévision initiale de 80 millions), et une inflation qui chutera à 0,6% en 2019. Un niveau tellement bas qu’une baisse du taux directeur n’aurait eu que peu d’impact sur les prix à la consommation.
« On a besoin d’une bonne inflation », disait à ce titre Ahmed Lahlimi, le 16 janvier, à l’occasion de la présentation du bilan économique de l’année 2018. «Presqu’aucun pays en voie de développement n’a une inflation inférieure à 2%... », avait martelé le Haut commissaire au plan.
Une critique à peine voilée à la politique jugée conservatrice de Abdellatif Jouahri, premier responsable de la maîtrise de l’inflation.
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« Je n’ai pas un bouton pour mettre plus d’inflation »
« Je suis ahuri quand je lis des choses comme ça », répond Abdellatif Jouahri quand on l’interpelle sur le sujet lors de la conférence de presse suivant le Conseil.. « Les agrégats marco économiques, ce n’est pas quelque chose qui s’administre. Je n’ai pas un bouton pour mettre plus d’inflation », lance-t-il
« Pour le taux directeur, nous avons nos propres modèles. Des modèles utilisés par les banques centrales les plus développées. Ils nous sortent un taux directeur compatible avec les données que nous avons. On se base également sur les analyses des experts. Décider d’une baisse du taux directeur ne se fait sur la seule base de l’inflation sur une année. On raisonne à moyen terme», explique Jouahri.
Pour lui, même si une baisse du taux directeur est opérée, ses effets sur le rythme de distribution de crédit et sur la croissance ne sont pas garantis à 100%.
«Nous sommes à 2,25% aujourd’hui, que font les crédits ? Vous croyez qu’avec un quart de point de moins, on va accélérer le financement de l’économie ?», tonne-t-il.
Le gouverneur de la Banque centrale met ici le doigt sur une problématique essentielle : la transmission de la politique monétaire.
Selon lui, une baisse du taux directeur n’agit pas forcément sur les crédits. En tout cas pas en premier. En revanche, les épargnants la ressentent immédiatement. « La première chose que fait une banque en cas de baisse du taux directeur, c'est de baisser la rémunération de l'épargne. Après, vous devez vous battre pour obtenir une transmission de votre décision dans le sens que vous voulez», explique-t-il.
Si cette partition du taux directeur n’a pas été jouée pour l’instant par Jouahri, il affirme toutefois que la banque centrale fait le maximum pour dynamiser l’activité économique.
« On a fait une politique non conventionnelle, on a accepté de prendre dans notre portefeuille les effets des PME, on a dit qu’on était prêts à allouer 30% des liquidités sur le marché monétaire aux PME, on s’est même dit prêts à favoriser les banques les plus dynamiques dans l’octroi des crédits, et nous sommes allés encore plus loin en disant que nous pouvons même rémunérer les réserves obligatoires des banques les plus actives sur le crédit. Nous jouons toutes les partitions possibles. Mais nous restons malheureusement tributaires des conditions climatiques », détaille le Wali de la Banque centrale.
Sinistrose économique et rôle des politiques
Evoquant le sentiment de sinistrose générale dans l’économie et dans le milieu des affaires, Abdellatif Jouahri a tenu à préciser que cela est d’abord du ressort des politiques.
« Ce sont les politiques qui commandent tout. L’opérateur économique a besoin de visibilité, de confiance. Il a besoin de savoir où on va. Mais quand il voit tous les jours les politiques se crêper les chignons, comment voulez-vous qu'il prenne des risques? », lance-t-il.
Pour illustrer ce manque de vision chez les politiques, il donne l’exemple du digital, un sujet qui est en train de chambouler l’ordre établi, mais qui semble ne pas trop intéresser les politiques pour l’instant.
« La Banque centrale s'est préparée et j'ai même reculé d'un trimestre la présentation de notre plan stratégique pour pouvoir y intégrer la stratégie digitale. Tout y est maintenant, les budgets, les ressources humaines... Mais nous sommes une institution parmi tant d'autres. Où en est-on au Maroc? », s'interroge-t-il.
Autre exemple cité : les crypto-monnaies. « Il y a des banques centrales qui ont fait un virage à 90 degrés. Où en est la législation? Si vous ne préparez pas ça maintenant, vous resterez sur le quai...".
Idem pour la fuite des cerveaux. Ici, Jouahri déplore le fait que les responsables publics n’aient pas préparé le terrain pour que les jeunes ingénieurs qui quittent le pays pour travailler ailleurs s’épanouissent chez eux.
Un discours que l’on peut taxer de pessimiste, mais que Abdellatif Jouahri assume : « si je suis optimiste dans ma vie privée, je suis souvent pessimiste dans la vie professionnelle. Le monde est en train de se complexifier. Je préfère mettre la difficulté devant moi, pas derrière moi… ».
Pour regarder le live de la conférence de presse de Abdellatif Jouahri :
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