Loi sur les travailleurs domestiques : la surprenante résistance des employés de maison

M.M. | Le 22/1/2019 à 14:19

Selon une source impliquée de très près dans le dossier de la régularisation des employés de maison, ces derniers s’opposent, par manque d’information, à la signature des contrats soumis par leurs employeurs. Ils préfèrent rester dans le noir, par peur de perdre l’avantage de la souplesse de l’emploi. Un obstacle psychologique que les pouvoirs publics n’ont visiblement pas anticipé.

L’adhésion du public à la nouvelle loi sur les travailleurs domestiques n’est pas encore acquise. Selon les chiffres du ministère de l’Emploi, à peine 133 contrats ont été déposés à fin décembre 2018. Et ce, depuis l’entrée en vigueur de la loi, le 2 octobre dernier.

Par ville, c’est Marrakech qui arrive en tête avec 56 contrats. Elle est suivie de Rabat (31), Casablanca (16) et Agadir (13). Le reste (17) étant réparti sur les autres régions du pays.
Un volume très faible qui provient pour une bonne partie d’employeurs étrangers résidant au Maroc, selon notre source au ministère.

A la CNSS, les immatriculations n’ont pas encore démarré non plus. Le décret d’application relatif à l’affiliation des employés de maison à la sécurité sociale a été adopté en Conseil de gouvernement le 10 janvier. Il faudra donc attendre sa publication au Bulletin officiel pour que la CNSS lance les premières opérations d’intégration. 

« Les affiliations commenceront trois mois après la publication du décret dans le bulletin officiel. C’est, pour être plus précis, le premier du quatrième mois suivant la publication au BO », précise le service communication de la CNSS. 

La balle est donc dans le camp du Secrétariat général du gouvernement, à qui incombe la tâche de publier les textes de loi dans le BO.

Un contrat ? « Non, merci ! »

Comment s’explique ce démarrage timide et ce manque d’adhésion des Marocains à cette nouvelle loi ? Plusieurs obstacles se posent, parmi lesquels l'obligation du contrat. Cette obligation apporte certes une protection aux employés de maison. Mais dans le cas des domestiques, plusieurs informations font état, d'une part, d'une réticence et d'un attentisme des employeurs et d'autre part, d'une méfiance des employés.

Si le premier obstacle peut être réglé par des mécanismes de contrôle, prévus d’ailleurs par la loi, le second, lui, est d’ordre psychologique et semble donc difficile à lever. 

Une source de premier rang, impliquée dans ce dossier, nous explique ainsi que beaucoup d’employés de maison refusent de signer leur contrat et sortir du noir. « Nous avons des remontées d’informations de plusieurs employeurs qui nous disent que leurs employés de maison refusent de signer le contrat de travail. Les gens croient que la signature du contrat les engage, et les empêcherait surtout d’être libres de quitter leur emploi à n’importe quel moment. Le législateur n’a pas pensé à cela en préparant la loi. Mais il s’avère que c’est un obstacle de taille».

Un fait assez surprenant au vu des nombreux avantages qu’apporte pourtant cette loi : contractualisation de la relation de travail, salaire minimum, heures fixes de travail, congés payés, assurance maladie, allocations familiales, retraite… De quoi sortir des centaines de milliers de personnes du noir et de la précarité. Mais mal informée, cette population semble aujourd’hui livrée à elle-même et à l’influence des intermédiaires (semsara). 

La main invisible des semsara ?

Habituées à une grande flexibilité de l’emploi, les femmes de ménage, cuisinières et autres nounous, craignent en effet que la signature d’un contrat de travail rendrait plus rigide leur mouvement. Des mouvements qui sont souvent, comme observé dans la pratique, encouragés par les intermédiaires dont le business repose sur le « turn over » des effectifs. Plus ça tourne, plus les commissions sont consistantes. La stabilité de l’emploi n’arrange pas donc leurs affaires. 

« Nous ne sommes pas sûrs. Mais ce discours doit être véhiculé par les intermédiaires. C’est quelque chose que nous devons vérifier. Mais ce qui est sûr, c’est que les gens ont peur de signer, de se conformer à la loi », explique notre source.

La loi, pourtant, n’instaure aucune rigidité de l’emploi. Le contrat type, mis en circulation par les services du ministère, ne prévoit également aucun préavis en cas de volonté de l’employé de quitter ou de changer son travail. 

Mais dans ce genre de sujets, ce n’est pas tant la vérité ou les faits qui comptent, mais la perception du public. Et le public concerné perçoit justement cette loi de manière négative. Elle a été édictée pour leur rendre la vie plus facile; eux y voit surtout une contrainte. 

Une agence organisée de placement de femmes de ménage et de nounous à Casablanca nous confirme cet état de fait : « les employés de maison, surtout les femmes de ménages et les nounous, tiennent à la souplesse du travail. Pour elles, signer un contrat, c’est s’engager à vie avec un employeur. Ceci n’est pas vrai bien évidemment, et on l’explique à toutes les femmes inscrites chez nous, mais c’est quelque chose de culturel. Pour elles, un contrat, c’est quelque chose qui engage à vie. Difficile de les convaincre du contraire », raconte une responsable de l’agence.

Une campagne de sensibilisation s’impose

Pour remédier à ce « grand malentendu », comme le qualifie notre source, une campagne d’information et de sensibilisation doit être vite lancée par les pouvoirs publics. « Le ministère n’a rien fait pour prévenir ce genre de problèmes. Aucune campagne de communication ou de sensibilisation n’a été lancée pour l’instant. C’est à se demander si le ministère veut réellement que cette loi soit appliquée… », affirme notre source.

Pour lui, une large campagne de sensibilisation dans les mass media doit être lancée. Elle doit s’adresser directement aux gens concernés pour lever les ambigüités autour de cette question de la souplesse, expliquer les engagements de chaque partie et corriger cette perception négative. « Si nous n’avons pas l’adhésion des travailleurs, cette loi restera inapplicable », conclut notre source. 

Au ministère, on tente toutefois de rassurer : « il est tout à fait normal que le niveau d’adhésion soit faible à ce stade. C’est un changement de mentalité et de culture qui doit s’opérer. Des campagnes de sensibilisation seront bientôt lancées. Et nous avons choisi de les mener justement avec la société civile. Car si on se présente en tant que ministère, ca va compliquer les choses. Un ministère, ca incarne l’autorité chez les gens. Et ca risque de les rendre encore plus méfiants », explique notre source du département de Mohamed Yatim.

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