Enseignants-stagiaires, reconstitution d'une crise qui s'éternise

Après plus de 5 mois de suspension des cours en octobre 2015, la crise des enseignants stagiaires au Maroc semble s'éterniser. Dans cet entretien avec Bilal Youssfi, membre de la coordination nationale des enseignants stagiaires, Médias 24 reconstitue cette épineuse crise.

Enseignants-stagiaires, reconstitution d'une crise qui s'éternise

Le 7 avril 2016 à 12h20

Modifié 11 avril 2021 à 2h38

Après plus de 5 mois de suspension des cours en octobre 2015, la crise des enseignants stagiaires au Maroc semble s'éterniser. Dans cet entretien avec Bilal Youssfi, membre de la coordination nationale des enseignants stagiaires, Médias 24 reconstitue cette épineuse crise.

-Quand avez-vous passé le concours?

-Le concours a eu lieu le 21 septembre et l'examen oral en octobre. Les résultats ont été affichés le 8 octobre et nous avons démarré la formation le 12 du même mois.

-Quand avez-vous pris connaissance de l'existence des décrets?

-Nous avons pris connaissance des décrets à travers une annonce sur les nouvelles conditions d'accès au centre de formation avant le concours de septembre, mais nous n'étions pas au courant des détails, vu que la plupart d'entre nous ne maîtrisaient pas l'aspect juridique du sujet.

-De quoi parlait l'annonce?

-Elle précisait que nous allions passer un concours pour accéder au centre de formation, que la bourse serait de 1.200 DH et qu'au mois d’août 2016, nous allions passer un autre concours de recrutement.

-Quand avez-vous estimé  que les 2 décrets étaient ''illégaux'', pour reprendre vos propos?

-Avant le concours, un groupe de lauréats avait organisé un sit-in pour protester contre les deux décrets. C'est là que le débat a commencé.

Quand nous avions rejoint les centres de formation, nous nous étions adressés à nos formateurs pour en savoir plus sur ce sujet. Ils n'en savaient pas plus que nous, car ils n'étaient pas impliqués dans la préparation des décrets. Ils ne savaient rien sur le prochain concours, puisque tout avait été préparé en catimini.

Nous avons commencé nos investigations et dans la foulée, je me suis entretenu avec l'un des conseillers du chef du gouvernement, ainsi qu’avec d’autres intervenants dans l'élaboration des décrets et c'est là que nous nous sommes trouvés devant un vrai carnage, que ce soit au niveau de la date et du contenu que concernant la base juridique.

Nous estimons que les deux décrets répondaient aux intérêts du secteur de l'enseignement privé.

La première réaction a été le boycott de la formation dans le centre de Tanger. Même si, au départ, le gouvernement misait sur notre échec, nous avons pu mobiliser les enseignants stagiaires, grâce à l'encadrement et à la sensibilisation, en créant des coordinations régionales.

Notre première rencontre nationale a duré plus de 10 heures. Ensuite, plusieurs rencontres ont été organisées pour lancer un plan d'action commun.

-Avez-vous vraiment signé un PV pour accéder aux centres comme étudiants?

-Non, c'est uniquement le cas de quelques enseignants stagiaires de Rabat. Nous avons tous rejoint les centres en tant qu'enseignants stagiaires et nous avons même reçu des attestations de formation en notre qualité d'enseignants stagiaires et non d’étudiants.

Le gouvernement désinforme l'opinion publique, en récupérant le cas des rares stagiaires qui ont signé ces PV.

-Est-ce que le gouvernement a réagi à votre mouvement au début?

-Ce gouvernement a une phobie des manifestations. Les PJDistes n'ont pas assez de recul pour gérer la contestation et considèrent que toute mouvance contestataire est forcément instrumentalisée contre leur parti.
Nous avons annoncé la suspension de la formation et nous nous sommes réunis avec les directeurs des centres de formation au niveau national, en leur présentant notre dossier revendicatif pour le transmettre au ministère, en vue d'une rencontre avec nos représentants, mais en vain.

Le gouvernement n'a pas réagi et c'est d'ailleurs pour cette raison que nous avons organisé notre première marche nationale, le 12 novembre 2015.

-Qu'en est-il du feedback  de cette marche nationale?

-Lors d'une conférence, Benmokhtar a utilisé un discours menaçant et paternaliste, en évoquant notre problématique.

Pour réagir officiellement, le gouvernement a adopté le même discours violent et méprisant à l'égard des 10.000 enseignants stagiaires et du secteur de l'enseignement.

-Pourquoi parlez-vous de réduction de salaire et non de bourse?

-Avant l'adoption des deux décrets, les enseignants stagiaires recevaient un matricule de fonctionnaires et percevaient donc un salaire.

Nous refusons la réduction de ce salaire de moitié, devenu bourse, par un simple décret.

La loi sur la fonction publique précise que le concours de diplomation des centres régionaux de formation aux métiers de l'éducation est considéré comme étant un concours de recrutement. Dernièrement, les ministres PJD au sein du gouvernement ont affirmé au sujet du courrier de Boussaid répondant à la proposition de l'opposition, qu'un décret ne peut en aucun cas changer ou modifier une loi.

Partant de ce principe, les deux décrets du gouvernement, dans notre cas, ne peuvent pas changer la loi de la fonction publique, qui donne raison à nos revendications.
Si la séparation entre formation et recrutement s'inscrit dans le cadre d'une stratégie nationale globale, pourquoi ne pas l’exécuter dans le contexte des juges, des policiers ou des militaires?

-Est-ce vrai que vous êtes appuyés par Al adl wal Ihsan?

-Absolument pas. Le gouvernement a un problème avec les adlistes, c'est pour cette raison qu'il accuse systématiquement cette organisation d’être derrière tout mouvement contestataire.

C'était également le cas des étudiants médecins. Nous saluons tous ceux qui nous soutiennent, peu importe leur casquette idéologique ou positionnement politique.

-Qu'en est-il des membres de cette organisation qui participent activement à vos manifestations?

-Les membres d'Al adl wal ihsan sont des Marocains comme les autres, avec les mêmes droits et devoirs. Ils n'ont fait que répondre à notre appel. Si cette organisation voulait récupérer notre mouvement, elle aurait infiltré ses membres au sein de la coordination nationale des enseignants stagiaires.

-Pouvez-vous préciser qui était derrière le slogan ''A bas le régime'' lors de la dernière marche à Casa?

-Il est très difficile de maîtriser une manifestation de plus de 30.000 personnes pour faire respecter les slogans propres à notre coordination. Ce sont des lâches et des opportunistes, car ils n'ont pas la capacité d'assumer leurs convictions et positions de manière solennelle et ne font que s'immiscer au sein des autres mouvements sociaux pour le faire.

-Quand vous êtes-vous réunis avec le gouvernement et qu'avez vous débattu?

-Juste avant le dialogue prévu avec le gouvernement début janvier 2016, les enseignants stagiaires ont été violemment réprimés dans plusieurs villes marocaines.

A Inzegane, l'intervention musclée des forces de l'ordre cachait une manœuvre politique de la part de quelques courants au sein de l'Etat, qui ne voulaient pas trouver une solution sans recours à la répression.
Pour nous, le premier responsable politique de cette extrême violence des forces de l'ordre est le chef de gouvernement, tandis que le responsable direct, c'est le ministre de l'Intérieur. On s'est attendus vainement à l'ouverture d'une enquête pour appliquer la loi et pénaliser les responsables. Notre collègue Lamiaa Zakiti est toujours hospitalisée; elle doit débourser 70.000 DH pour payer 3 opérations.
Le gouvernement a fait une grande erreur politique en mandatant le ministère de l'Intérieur pour mener le dialogue, au même moment où ses éléments violentaient les enseignants stagiaires.

-Qui devrait mener le dialogue?

-C'est la présidence du gouvernement et le ministère de l'Education nationale, qui ont conçu les deux décrets et non le ministère de l'Intérieur.

Le fait que ce dernier soit mandaté par le gouvernement pour dialoguer prouve que l'approche sécuritaire domine. C'est une approche dépassée et inefficace.
En confiant un dossier très important politiquement et socialement au département de l'Intérieur, le gouvernement désapprouve implicitement les élections pour lesquelles les citoyens choisissent leurs représentants pour résoudre toutes les problématiques.

-Pourquoi refusez-vous la proposition gouvernementale du recrutement en deux vagues?

-Ceci n'est pas une proposition de recrutement, c'est une manœuvre du gouvernement.

Il n'y a aucun recrutement en deux vagues, il s'agit de deux concours de recrutement, dont un premier en septembre pour 7.000 stagiaires et un deuxième en janvier 2017 pour 3.000.

Ceux qui réussiront le concours vont être recrutés pour les années scolaires 2016/2017 et 2017/2018. Ce qui veut dire que les deux tranches ne seront pas recrutées au titre du même exercice.

-Si la présidence du gouvernement valide par écrit cet engagement, seriez-vous prêt à accepter cette proposition?

-Pour l'instant, nous refusons cette proposition. Nous croyons que la solution est celle proposée par les syndicats et l'initiative nationale pour la médiation au profit des enseignants de demain. Elle consiste à ouvrir le débat sur les deux décrets, en exemptant cette promotion de leur application.

-Avez-vous demandé à rencontré Ilyas Omari? Qu'avez-vous discuté avec lui?

-Non et c'est impossible qu'on le fasse. Je ne crois pas qu'il ait promis aux membres de la coordination de résoudre ce conflit en 24h, il s'agit d'une rumeur*, car il n'a même pas dévoilé sa proposition au gouvernement à la coordination, après la fin de la rencontre.

La coordination a expliqué nos revendications à El Omari, comme elle le fait publiquement avec tous les acteurs. J'estime qu'en intervenant, le secrétaire général du PAM a compliqué les choses, vu les conflits existants entre son parti et le gouvernement.

-Que pensez-vous de la position du ministre de l'Economie, Mohammed Boussaid, dans sa réponse au PAM et à l'USFP? 

-Cette proposition n'est qu'un aspect parmi d'autres de la cacophonie au sein de ce gouvernement. Elle découle de calculs politiques à la veille des élections entre les composantes de la coalition gouvernementale et nous refusons d’être les pions de ce jeu. Nous continuerons notre lutte, nous n’avons pas grand chose à perdre.

-Si le gouvernement réagit favorablement à vos revendications, pensez-vous que la période qui reste est suffisante pour achever votre formation?

-Dans ce cas, il y a plusieurs solutions viables, surtout que le plan stratégique des centres régionaux stipule que la partie importante du processus de formation des enseignants stagiaires se fait après l'affectation dans le cadre du stage. Je précise que c'est le gouvernement qui est responsable de ce temps perdu.

-Si ce blocage perdure après la fin d'année, seriez-vous considérés comme redoublants ou bien seriez-vous exclus?

-S'ils nous considèrent comme étudiants et c'est le cas, après l'adoption des deux décrets, il y aura possibilité de refaire l'année de formation. Sinon, si nous sommes des enseignants stagiaires comme nous le revendiquons, notre place est d’enseigner dès la prochaine rentrée.  

(*) NDLR : Il ne s’agit pas d’une rumeur. Une source officielle de la coordination des enseignants-stagiaires l’a déclaré à la presse.


 

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