Réformer le calendrier musulman: pourquoi on peut utiliser l'astronomie (2e partie)

Khalid Chraibi a planché sur la possibilité de réformer le calendrier musulman au moyen de l'astronomie. Voici la deuxième partie de son article.

Réformer le calendrier musulman: pourquoi on peut utiliser l'astronomie (2e partie)

Le 5 octobre 2015 à 10h04

Modifié 5 octobre 2015 à 10h04

Khalid Chraibi a planché sur la possibilité de réformer le calendrier musulman au moyen de l'astronomie. Voici la deuxième partie de son article.

D'où viennent les faiblesses du calendrier musulman?
 
Un calendrier a pour raison d'être d'associer une date spécifique à chacun des jours d'une semaine, d'un mois ou d'une année donnée, afin de permettre aux hommes de gérer toutes leurs activités sur une longue période. Il doit leur permettre de prévoir, de planifier et d'organiser longtemps à l'avance tout ce qui a besoin de l'être. 
 
Or, les sociétés musulmanes se basent sur l'apparition de la nouvelle lune, à chaque fin de mois lunaire, pour déclarer le début du nouveau mois. Un tel calendrier ne permet pas de planifier d’activités, en associant des dates à des jours déterminés, au-delà du mois en cours.
 
De plus, les dates du calendrier sont associées à des jours différents dans différents Etats musulmans. Par exemple, le 1er chawal 1426, jour de célébration de l’aïd el fitr (fin du jeûne de ramadan), correspondait au mercredi 2 novembre 2005 dans 2 pays; au jeudi 3 novembre dans 30 pays; au vendredi 4 novembre dans 13 pays et au samedi 5 novembre dans 1 pays. Cet état des choses n’est nullement exceptionnel, mais se renouvelle chaque mois.
 
En effet, la nouvelle lune ne devient généralement visible que quelque 17 h après la “conjonction”, et sujet à l’existence de conditions favorables résultant de facteurs tels que le lieu où l’on procède à l’observation; le nombre d’heures écoulées depuis la conjonction; les positions relatives du soleil, du croissant lunaire et de l’observateur; l’angle formé avec le soleil au moment du coucher; l’altitude de la lune au coucher du soleil;  les conditions d’observation (pollution, humidité, température de l’air, altitude); la limite de détection de l'œil humain; etc... 
Si la “conjonction” se produit tôt dans la journée, la nouvelle lune sera peut-être visible, le même soir, après le coucher du soleil, dans des régions déterminées du globe terrestre où des conditions favorables d’observation seront réunies. D'un mois à l'autre, ces conditions favorables existeront dans des sites différents du globe terrestre. Sinon, dès le deuxième soir après la “conjonction”, la nouvelle lune pourra être observée facilement à partir de nombreuses régions du globe. C'est pour cette raison que différents Etats et communautés du monde musulman débutent souvent le nouveau mois lunaire en des jours différents, avec un décalage de 24 h les uns par rapport aux autres, au cours des 48 h qui suivent la “conjonction”. 
 
Que peut-on faire pour remédier à ces faiblesses?
 
Pour améliorer le fonctionnement du système basé sur l'observation de la nouvelle lune, il faudrait appliquer la démarche suivante: 
- les observateurs doivent se positionner chaque mois aux sites où les meilleures conditions d'observation sont réunies;  
- la première observation fiable effectuée où que ce soit sur Terre devrait être validée par les autorités locales et diffusée à l'ensemble du monde en utilisant tous les moyens de télécommunications modernes.
 
De cette façon, tous les pays musulmans pourraient commencer le jeûne du mois de ramadan et célébrer les différentes fêtes religieuses en même temps. Mais la mise en œuvre de cette approche est entourée de grandes difficultés. 
 
Déterminer pour chaque mois des zones de visibilité optimales
 
A partir du 8è s. et s'étendant jusqu'au 13è siècle, des astronomes musulmans renommés ont fait faire de grands progrès aux connaissances astronomiques en accordant un intérêt particulier à l’étude des critères de visibilité de la nouvelle lune. Ils avaient pour objectif de développer des techniques de prédiction fiables du début d’un nouveau mois. Les noms de Ibn Tariq (8è s.), Al-Khawarizmi (780?-863), Al-Battani (850-929), Al-Bayrouni (973-1048), Tabari (11è s.), Ibn Yunus (11è s.), Nassir al-Din Al-Tousi (1258-1274?) sont associés à ces travaux. 
 
Mais, ce n’est qu'au 20è s. que des astronomes et des informaticiens réputés ont réussi, en conjuguant leurs efforts, à établir des procédures permettant de prédire à l’avance, chaque mois, dans quelles régions du globe les conditions optimales seront réunies pour observer la nouvelle lune. Ainsi, en 1984, un physicien de Malaisie, Mohamed Ilyas, a pu tracer au niveau du globe terrestre une ligne de démarcation, ou ligne de date lunaire, à l'ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à l’est de cette ligne que le soir suivant. 
 
Aujourd’hui, les cartes détaillées des zones de visibilité de la nouvelle lune sont établies de manière mensuelle, à l’avance, et publiées dans des sites tels que “Moonsighting.com”. Elles permettent de savoir avec une grande précision dans quelles régions de la terre la nouvelle lune sera visible au plus tôt, dans quelles régions elle sera visible avec difficulté, et dans quelles régions elle ne sera pas visible du tout.
 
Se baser sur la première observation effectuée où que ce soit sur Terre
 
Au temps de la Révélation, les premiers astronomes convertis à l'islam (et dans leur sillage les juristes musulmans) savaient bien que la durée du mois lunaire se situait entre 29 j et 30 j, entre deux “conjonctions”, ou entre deux observations de la nouvelle lune, comme le Prophète l'avait souligné dans différents hadiths. En ce qui les concernait, le début du mois et sa durée étaient, évidemment, indépendants de la présence ou de l'absence d'observateurs et des conditions de visibilité. 
 
Par conséquent, la première observation d'une nouvelle lune devait, logiquement, marquer le début du nouveau mois lunaire pour l'ensemble de la Terre, et la durée de tout mois lunaire, entre deux nouvelles lunes, devait être identique pour toutes les communautés.  
 
Mais, une fois ces principes posés, encore fallait-il les mettre en œuvre, ce qui n'était guère facile. En effet, une fois la nouvelle lune observée de manière fiable, quelque part, comment cette information serait-elle portée à la connaissance de populations vivant sur de vastes territoires, ou parfois même en des régions très éloignées (comme l'Espagne par rapport à l'Arabie)? A qui cette information s'imposait-elle avec toutes ses implications (telles que commencer le jeûne, célébrer la fin du ramadan, etc.)?  
 
Les juristes des premiers temps de l'islam donnèrent un vaste éventail de réponses à ces questions épineuses. On peut en dégager un noyau central de principes fondamentaux, qui continuent d'être d'un grand intérêt aujourd'hui: 
 
(1) L'observation de la nouvelle lune ne peut être prise en compte que par les communautés auxquelles l'information parvient. 
(2) L'observation de la nouvelle lune dans un pays d'Orient marque, sur le plan théorique, le début du nouveau mois pour tous les pays situés à l'ouest du lieu de cette observation. Car, au fur et à mesure que l'âge de la nouvelle lune augmente, entre le moment de sa naissance (à la conjonction)  et son premier coucher, la possibilité de l'observer s'améliore. C'est le cas en allant d'Est en Ouest, de la Mecque vers Casablanca, par exemple, du fait que la nouvelle lune est âgée de 3 h de plus à son coucher au Maroc qu'à son coucher en Arabie Saoudite. 
(3) Une observation de la nouvelle lune doit être considérée comme nulle, lorsqu'elle est rapportée alors que la conjonction n'a pas encore eu lieu.  
(4) En règle générale, compte tenu des difficultés de communication entre les communautés musulmanes, sur le plan géographique, les habitants de chaque pays doivent appliquer la décision des autorités nationales, concernant le début des mois lunaires.
 
Aujourd'hui, seul ce dernier principe est scrupuleusement respecté dans le monde musulman. 
 
Les obstacles à l'utilisation de la première observation effectuée où que ce soit sur Terre
 
- le décalage horaire entre les différents fuseaux a des effets: une fois la première observation fiable annoncée où que ce soit dans le monde, il appartient aux autorités des différents pays de lui donner la plus large diffusion à travers les médias (TV, radios, médias sur internet...). Cependant, compte tenu de la multiplicité de fuseaux horaires associés aux différentes régions du globe terrestre, il est possible que l'annonce d'une observation effectuée au coucher du soleil dans une région donnée ne puisse être prise en compte dans d'autres régions où la nuit est déjà très avancée ou bien où le jour suivant a déjà pointé.
 
De ce fait, d'après une proposition des experts en ce domaine, la Terre devra être divisée en deux grandes zones, dont l'une observera le premier jour du mois lunaire avec un décalage d'un jour par rapport à l'autre. On se souviendra, dans ce contexte, qu'Ilyas a pu tracer en 1984, au niveau du globe terrestre, une ligne de démarcation, ou ligne de date lunaire, à l'ouest de laquelle le croissant est visible le soir du nouveau mois, alors qu’il ne peut être vu à l’est de cette ligne que le soir suivant. 
 
- les autorités des différents pays musulmans font, de bonne foi, des annonces erronnées: c'est le talon d'Achille de cette méthode. A titre d'illustration, d'après une étude de l'astronome saoudien Kordi publiée en 2003, sur 42 rapports d'observations de la nouvelle lune du Ramadan, annoncées par le Conseil supérieur de la magistrature d'Arabie saoudite (Majlis al-Qada 'al-A'la) entre 1962 et 2001 (1381 H - 1422 H), plus de la moitié des observations avait été faite trop tôt, sur des bases erronées (telles que la confusion avec une étoile, une planète lumineuse comme Vénus, une traînée d'avion à l'horizon...).
 
De même, les autorités saoudiennes ont annoncé que la nouvelle lune de chawwal 1436 indiquant la fin du mois de ramadan avait été observée en Arabie Saoudite le soir du jeudi 16 juillet 2015. Pourtant, les observatoires astronomiques internationaux avaient indiqué longtemps à l'avance que cette nouvelle lune ne serait vue facilement qu'en Polynésie, et avec de grandes difficultés dans certaines zones du continent sud-américain, mais qu'elle ne serait visible nulle part ailleurs dans le monde, ce soir-là.
 
L'annonce saoudienne était d'autant plus étonnante que la nouvelle lune n'était âgée que de quelques 14h, quand l'annonce de l'observation fut faite en Arabie Saoudite, et jamais une lune aussi jeune n'a été observée dans les annales astronomiques. Cependant, d'après les statistiques du site spécialisé “moonsighting.com”, plus de 40 pays et communautés musulmanes à travers le monde ont célébré la fête de l'aid-el-fitr (1er chawwal 1436) sur la base de l'annonce saoudienne.
 
Les prédictions officielles correspondent rarement aux prédictions astrologiques
 
De telles erreurs dans l'observation de la nouvelle lune sont faites de bonne foi et sont également bien documentées pour ce qui concerne de nombreux pays arabes du Moyen Orient et d'Afrique du Nord, sur des durées de plusieurs décennies, comme en témoigne une étude de Karim Meziane et Nidhal Guessoum portant sur la période 1963-1994 en Algérie. 
 
Sur 98 dates analysées par Meziane et Guessoum, il s'est avéré que, dans 14 cas, le mois avait été décrété par les autorités alors que la conjonction n'avait même pas encore eu lieu et/ou que la Lune s'était couchée avant le Soleil (l'observation du croissant était alors strictement impossible). Dans environ 50% des cas, une des limites absolument établies a été violée. Dans 75% des cas, les prédictions officielles étaient en contradiction avec les prédictions astronomiques.
 
Ces études démontrent que, malgré toutes les précautions qui peuvent être prises, il est difficile de s'assurer de la fiabilité d'une annonce faite par un pays tiers. C'est pour cette raison que chaque Etat continue, pour le moment, d'appliquer sa propre stratégie en la matière et ses propres méthodes pour déterminer le début des mois lunaires.
 
Dans le prochain article, l'auteur cherchera à déterminer si la méthode d'observation de la nouvelle lune est imposée par la charia.
 
Khalid Chraïbi, économiste (U. de Paris, France, et U. de Pittsburgh, USA), a occupé des fonctions de consultant économique à Washington D.C., puis de responsable à la Banque Mondiale, avant de se spécialiser dans le montage de nouveaux projets dans son pays. Il est l'auteur de nombreux articles d'analyse économique publiés dans le magazine "Economia", ainsi que de plusieurs chapitres de l'ouvrage collectif: "The Kingdom: Saudi Arabia and the challenge of the 21st century", Mark Huband and Joshua Craze (Editors), Columbia University Press/Hurst, New York, 2009.
 
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