Document. Ali Najab: «Dans le goulag du polisario» (2)

37 ans après avoir été capturé par le polisario, le capitaine Ali Najab revient pour Médias 24 sur les 25 années de captivité subies dans les camps de Tindouf. Témoignage émouvant d’un héros ordinaire, qui met la patrie au dessus de toute autre considération. 

Document. Ali Najab: «Dans le goulag du polisario» (2)

Le 23 juillet 2015 à 13h52

Modifié 11 avril 2021 à 2h37

37 ans après avoir été capturé par le polisario, le capitaine Ali Najab revient pour Médias 24 sur les 25 années de captivité subies dans les camps de Tindouf. Témoignage émouvant d’un héros ordinaire, qui met la patrie au dessus de toute autre considération. 

Après avoir raconté son engagement et ses premiers faits d’armes au Sahara, Ali Najab revient sur les circonstances de son interpellation et sur le début de sa captivité dans les geôles du polisario.

Médias 24: D’après votre précédent récit, avant que vous ne tombiez entre  les mains de l’ennemi, l’avantage militaire semblait dans le camp du polisario?

Ali Najab: Pour contre-attaquer efficacement, il nous fallait du matériel du même type que celui de nos ennemis.

Hormis un pays de l’Est qui a toujours été fidèle pour nous approvisionner, les autre, y compris l’ex-URSS, étaient du côté du polisario. Le président Carter qui n’était pas un vrai ami du Maroc, était réticent pour nous mais les choses ont bien changé avec  l’avènement de Ronald Reagan. On dit que Mitterrand aurait conditionné la fourniture de pièces de rechange de nos Mirage français à l’acceptation du principe du référendum d’autodétermination.

Il n’en demeure pas moins que malgré le succès de certaines de ses intrusions, le polisario n’a pas été en mesure de prendre le moindre territoire du Sahara marocain. Hassan II était d’ailleurs conscient du fait que c’était une guerre de longue haleine et a eu l’intelligence de rectifier le tir en dotant les unités au front d’armements plus adaptés aux conditions particulières que notre ennemi nous imposait.

-La plupart des Marocains faits prisonniers par le polisario l’ont été entre les années 1976 et 1989?

-Absolument, et leur technique était bien rôdée, ils rassemblaient entre 2.000 et 4.000 combattants pour attaquer une localité pendant un laps de temps court, de 2 heures maximum. Ils prenaient quelques prisonniers avant de s’évaporer dans la nature. Ils ont procédé de cette manière à Tan Tan, à Smara … avec l’espoir de mettre à genoux l’armée marocaine, mais n’ont jamais réussi à occuper le terrain de manière durable.

Certes, nous avons eu des morts, des blessés et des prisonniers, mais au final leur victoire était relative, car la finalité de toute guerre est de garder ses positions, ce que nous avons toujours réussi à faire.

-Le dimanche 10 septembre 1978, c’est à votre tour de tomber entre les mains de l’ennemi?

-Ce jour là, je volais aux commandes d’un F5 et j’étais accompagné par un autre avion pour une mission classique de reconnaissance au nord de Smara. Tout à coup, je ressens des secousses à l’arrière et les voyants des deux réacteurs s’allument brutalement. Mon collègue m’indique par radio que j’ai le feu à l’arrière de mon avion. Pendant quelques secondes, j’ai eu l’espoir de récupérer un de mes deux réacteurs pour rentrer à ma base mais très vite, je comprends qu’il me faut m’éjecter d’urgence.

Arrivé au sol, je planque mon parachute sous terre avant de me mettre à courir en direction de mon unité. J’étais à 50 kilomètres de Smara mais à seulement 15 kilomètres d’une des unités des FAR et à 20 km d’une autre de nos unités située au nord. J’étais donc à mi-chemin entre deux bases marocaines.

-Vous voulez dire que vous auriez pu être récupéré par vos collègues de l’armée de terre?

-L’ironie du sort a voulu que le lieutenant coiffant l’unité militaire la plus proche de mon lieu de crash a été capturé dans une bataille de Smara un an après moi. Il m’apprendra que dès qu’il avait vu la fumée de l’explosion de mon avion, il avait appelé le commandement pour demander la conduite à tenir.

Sa hiérarchie lui a demandé de patienter avant de lui ordonner de foncer à mon secours avec son unité. Malheureusement, quarante minutes s’étaient déjà écoulées, dont le polisario a su profiter.

Le lieutenant n’était pas autorisé à prendre des initiatives personnelles, car il devait attendre les ordres du commandement central de mara. À 40 minutes près, je n’aurais peut être pas passé un quart de siècle dans les camps de l’ennemi.

-Peut-on mettre ce cafouillage sur le compte d’une certaine bureaucratie de l’armée?

-À mon avis, il n’y avait pas de consignes claires pour que les officiers sur le champ de bataille soient libres de prendre des initiatives personnelles en cas d’urgence.

-Peut-on mettre laces cunes tactiques et stratégiques au passif du général Dlimi, commandant de la zone sud, présenté comme un stratège initiateur entre autres de la fameuse ceinture?

-Dlimi n’était pas formé pour la guerre, je soutiens qu’il était «the wrong man at the wrong place», sa réputation usurpée de renard du désert reste du domaine de la littérature de roman.

Ce sont des officiers de valeur à qui personne n’a jamais donné d’importance qui sont à l’origine de l’idée d’édifier un mur de sécurité pour isoler l’ennemi.  Pourquoi n’a-t-on jamais vanté les mérites du colonel Bernichi et de tant d’autres, à qui nous devons d’avoir récupéré notre Sahara en seulement six mois, même si la guerre a duré 18 ans?

Plusieurs de nos plus brillants stratèges sont sortis à la retraite ou ont donné leur vie sur le champ de bataille, sans tambour ni trompette. Si la société civile ne les connaît pas, leur souvenir reste cependant gravé à jamais dans la mémoire de leurs frères d’armes.

-Comment se passe concrètement votre arrestation par les combattants du polisario?

-J’ai appris par la suite que mes poursuivants avaient parcouru 35 km pour me faire prisonnier. Ils ont dû me voir m’éjecter ou ont vu la fumée du crash, mais il est possible qu’un de leurs indicateurs les aient informés.

Au bout d’une demi-heure de fuite, je m’arrête, cerné par les balles qui sifflaient autour de moi. Mes assaillants m’entravent les mains et me battent comme plâtre avant de me jeter dans un Land Rover. Devant la violence des coups, je perds connaissance et je ne me réveille que le lendemain matin.

On m’emmène chez un petit homme assis sur une natte sous un acacia, entouré de combattants. Il me demande mon nom et je lui décline alors mon identité.

"Si c’est toi le fameux Najab, je dois donc remercier Dieu que l’on t’ait fait prisonnier car maintenant nos combattants pourront se promener de jour comme de nuit dans le Sahara sans crainte aucune".

-Une prise de pilote était particulièrement prisée par l’ennemi ou est-ce votre réputation de chef d’escadrille qui vous avait précédé pour vous valoir cette attention?

-Il y a sans doute des deux, car les pilotes de chasse étaient la plus grande menace pour nos ennemis.  Hormis le fait que notre précision et puissance de feu, ainsi que notre mobilité étaient redoutables, j’étais le chef de l’escadrille de 10 chasseurs en plus d’être chef des moyens opérationnels.

J’étais une prise de choix, car j’étais le patron de la seule escadrille de 15 pilotes des provinces du sud.

Ma position de chef ne m’a pas épargné, car si je commandais 15 pilotes, cela ne m’empêchait pas de partir voler quand mon tour arrivait pour les missions.

Même quand ce n’était pas mon tour et que la situation était difficile, je m’envolais, car mes hommes avaient autant d’importance que ma petite personne. J’étais d’abord pilote, avant d’être leur chef.

-Que s’est-il passé pendant votre entretien avec le petit homme qui semblait être un chef militaire?

-D’abord, on a arrêté de me frapper et il m’a fait asseoir à ses côtés en m’offrant du thé. Parmi ses questions, il m’a demandé si ma femme vivait avec moi à Laayoune. Un de ses collègues lui a alors dit "pourquoi ramènerait-il son épouse alors qu’il a toutes les femmes sahraouies à sa disposition?"

J’ai bondi en lui répondant que nous n’étions pas des voyous et que nous étions venus pour les secourir. "Secourir de qui?" me demande le petit homme. «De l’Algérie, j’imagine» répond son collègue. «C’est juste ce qu’il vient de dire?». J’ai alors préféré ne pas entrer dans ce débat.

J’ai découvert par la suite que le petit homme en question était le plus grand chef militaire de nos ennemis. Il avait dirigé les plus grandes opérations militaires contre nous dans le Sahara marocain.

Ce responsable s’appelle Ayoub Lahbib et a fait partie des 7 fondateurs historiques du front polisario. Il a rallié le Maroc en 2002 et a d’ailleurs été reçu en grande pompe par le Roi Mohammed VI.

J’ai passé 4 jours dans ce camp improvisé, avant d’être transféré car le défunt Hassan II avait ordonné à l’armée un ratissage total pour me récupérer vif ou mort dans nos bases.

On m’amène directement chez Mohamed Abdelaziz, président de la prétendue RASD et à peine m’avait-il posé 2 ou 3 questions que trois officiers algériens font irruption dans la salle.

Le capitaine et ses deux lieutenants, en uniforme de l’ANP, lui disent brutalement «On le prend avec nous». Surpris, Mohamed Abdelaziz n’a pas eu son mot à dire.

De son campement, on m’embarque à Tindouf, pour me mettre dans une cellule avec une sentinelle munie d’une mitraillette Kalachnikov, baïonnette au canon pointée sur moi.

Menottes aux mains et fers aux pieds, j’ai alors été soumis aux interrogatoires. Les Algériens ont commencé à me torturer psychiquement avec des propos humiliants et grossiers.

Tout y passait, insultes à la personne du Roi et au peuple marocain … , la haine du Maroc semblait être  leur principal leitmotiv.

À chaque fois qu’ils voyaient qu’ils ne pouvaient rien obtenir de moi, ils m’envoyaient deux types voilés pour me tabasser très violemment. Ils utilisaient un câble électrique tressé pour me battre tout en me distribuant des coups de pied, de poing… Ces interminables séances de torture ne s’arrêtaient que quand mes bourreaux algériens commençaient à fatiguer.

Leur but principal était de me faire signer un papier attestant que l’aviation royale avait bombardé les populations civiles du Sahara et qu’elle avait utilisé du napalm contre elles. Ils ont fait des mains et des pieds au sens violent du terme pour m’obliger à signer en vain cette déclaration. J’ai complètement refusé de le faire.

-Comment est-il possible de ne pas craquer quand on est soumis à de telles violences qui vont à l’encontre de la convention de Genève réglementant le traitement des prisonniers de guerre?

-Je ne suis pas un héros mais j’aurai préféré la mort plutôt que de mêler mon nom à ce mensonge éhonté. Si j’avais signé cette fausse déclaration qui aurait été transmise à la presse internationale, le Maroc aurait été mis à genoux aux Nations-Unies sur le plan diplomatique.

Même si la crédibilité de cette information aurait été sujette à caution, la presse pro-polisario s’en serait donné à cœur-joie pour salir notre pays.

Quarante-cinq jours après mon arrestation, les Algériens ont organisé une conférence de presse à Tindouf.

Un colonel de l’ANP m’a alors posé la même question devant les caméras de la télévision algérienne.

«Quel est votre sentiment quand vous bombardiez la population civile (femmes, enfants et vieillards) et quand vous utilisiez le napalm?»

J’ai répondu en lui lançant un regard farouche: "Je vous défie d’amener un ou une Sahraouia qui témoigne devant la presse internationale qu’il a reçu des bombes ou que l’on a utilisé du napalm, je donnerai ma tête à couper ici devant la presse internationale, si vous ramenez un témoin".

Un responsable du polisario a déclaré qu’il produirait bientôt des témoins en ce sens, mais c’était des paroles en l’air puisque ces témoins n’ont jamais été produits car l’aviation marocaine n’a jamais bombardé de populations ni utilisé de napalm de toute son histoire.

Concernant les méthodes de torture utilisées par les Algériens et leurs affidés, après cette conférence de presse organisée à Tindouf, on ne m’a pas battu, mais on m’a mis debout pendant une demi-journée sous un soleil de plomb.

En lisant les termes de la résolution des Nations Unies sur la torture, on se rend compte qu’il ne se passait pas une journée sans que plusieurs Marocains ne soient soumis à des traitements avilissants contraires à toute éthique de guerre.

La notion de torture est à la fois vague et très large, car si elle commence par des sévices physiques, nos ennemis ne dédaignaient pas l’agrémenter de torture morale. Ils n’ont pas manqué de me martyriser en torturant mes frères d’armes devant moi.

Prochainement, la suite du témoignage du capitaine Ali Najab: «Esclave du polisario pendant 25 années»

PRÉCÉDENT ARTICLE: "Ma guerre contre le polisario"

 

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