Umberto Eco: un pamphlet et un roman sur la presse
Intitulé Numéro Zéro, le dernier ouvrage d’Umberto Eco pourrait presque aussi s’intituler Italie Zéro. Mais si Eco part du sujet Italie, c’est pour mieux parler de la presse. D’un système médiatique qui tire la qualité vers le bas et dispose de solides appuis politiques et économiques.
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Jamal Amiar
Le 14 juin 2015 à 16h09
Modifié 14 juin 2015 à 16h09Intitulé Numéro Zéro, le dernier ouvrage d’Umberto Eco pourrait presque aussi s’intituler Italie Zéro. Mais si Eco part du sujet Italie, c’est pour mieux parler de la presse. D’un système médiatique qui tire la qualité vers le bas et dispose de solides appuis politiques et économiques.
C’est l’histoire d’un rédacteur en chef qui rassemble six journalistes pour créer un nouveau journal, Domani, Demain en italien. Derrière le groupe se trouve un homme. Un politicien et magnat des médias, quelqu’un qui ressemblerait à l’ancien président du conseil italien Silvio Berlusconi, propriétaire aussi de chaines de télé et de journaux. Le groupe MédiaSet c’est lui.
Capacité de nuisance potentielle
Eco raconte une situation italienne, de son pays d’origine. L’objectif du journal n’est pas, en tant que tel d’informer. Et donc certainement pas d’informer un tant soit peu dans le fond et d’enquêter. Il s’agit pour Domani et ses initiateurs de démontrer sa capacité de nuisance potentielle au fil des 12 numéros zéro prévus.
La critique du sensationnalisme et de l’évaporation de l’esprit critique traverse les 220 pages de l’ouvrage. «Approfondir l’actualité», indique Eco au Monde; «plus d’enquêtes», mettre «en perspective les enjeux».
L’explosion des modèles économiques des médias avec Internet à la fin des années 1990 mais surtout depuis 10 ans ont créé une forme de panique. Course à l’audience effrénée, modèles télé faits de jeux, de concours, de talk shows vaseux et d’émissions de variétés. La presse papier décline quand elle n’a pas su aller quand il le fallait vers le bi-média et valoriser le numérique.
Mais des dizaines de succès existent: du Financial Times et The Economist à Londres, à Médiapart à Paris. Des modèles bien pensés avec des moyens et beaucoup de professionnalisme et parfois sans aucune publicité comme dans le cas français mais avec des lecteurs payants. Comme le notait récemment un observateur des médias, «lorsque c’est gratuit, c’est le lecteur qui devient le produit».
Umberto Eco, 83 ans, de par son expérience, critique des dérives de la presse mais aussi des dérives politiques, faites de corruption généreusement tolérée et d’omerta.
Eco dénonce un système de presse en perdition car il aime les journaux. «C’est ma prière quotidienne». Numéro Zéro est l’histoire d’une évolution qui n’est pas définitive ni incontournable. D’abord parce que si le sensationnalisme et le caniveau existent, le choix aussi existe à l’heure d’Internet.
On oublie souvent que «la liberté, c’est le choix» et qu’à l’ère d’Internet, le choix existe même si le trash domine. Mais là encore, c’est une question de libertés.
Eco tape fort sur les théories du complot et la paresse intellectuelle. Chez nous récemment, on a pu entendre un professeur universitaire déclarer que «sans le soutien des autorités françaises, Nabil Ayouch n’aurait pas pu faire Much Loved» … Much Loved étant considéré comme «antivaleurs» traditionnelles, c’est l’Occident qui encourage de telles productions …
Ainsi vont certains de nos raisonnements et déductions. Et ce ne sont pas les seuls. Idéalement, le fauteur de trouble, c’est l’autre. L’étranger, le juif, l’occidental.
Malheureusement aujourd’hui comme le note Eco, tout antimusulman, antisémite ou antioccidental dispose des canaux nécessaires pour faire passer des messages malveillants avant que la mauvaise information ne puisse être contrée.
Quelques poncifs
Quant aux poncifs, certains écrits sur l’émigration subsaharienne ou l’homosexualité font tout sauf contribuer à comprendre des sujets de sociétés, les expliquer aux lecteurs qui on le suppose lisent d’abord pour apprendre et avoir en mains les termes d’un débat. Mais beaucoup de lecteurs aiment aussi que des médias –qui l’ont compris- aillent dans le sens de leurs lieux communs.
La presse a vocation à s’intéresser aux sujets délicats et difficiles. A les expliquer, à les mettre en contexte et à les mettre en perspective. La réalité est toutefois autre. On répète des banalités, on banalise l’ignorance et on l’entretient.
Quand parfois on se réclame quatrième pouvoir dit en substance Eco, il faut faire l’effort de le mériter. Avec la responsabilité qui va avec. Il y a plein d’autres métiers qui s’exercent sans responsabilité aucune. Numéro zéro, un ouvrage dérangeant sur les pratiques de la presse.
Umberto Eco, Numéro zéro. Grasset. 210 pages, 290 DH.
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