Comptes spéciaux. Bientôt la fin de l’opacité?

Des milliards de dirhams appartenant à l’Etat échappent à la traçabilité et au contrôle transparent et démocratique. Des députés essaient de légiférer pour mettre fin à cette opacité, mais se heurtent au refus du gouvernement marocain. Y arriveront-ils ?  

Comptes spéciaux. Bientôt la fin de l’opacité?

Le 7 juillet 2014 à 14h29

Modifié 11 avril 2021 à 2h36

Des milliards de dirhams appartenant à l’Etat échappent à la traçabilité et au contrôle transparent et démocratique. Des députés essaient de légiférer pour mettre fin à cette opacité, mais se heurtent au refus du gouvernement marocain. Y arriveront-ils ?  

La commission des Finances à la Chambre des représentants a été le théâtre d’un houleux débat.

Ce dernier n’aurait jamais eu lieu si l’Exécutif s’était bien imprégné des dispositions de la Constitution de 2011, notamment celles instituant la transparence.

Et pour cause, un article du projet de la loi organique des Finances. Ce projet de loi est un texte que l’on attend depuis des années- et par lequel on veut mettre fin à la non-transparence des dépenses et des recettes extrabudgétaires dans le cadre de ce qu’on appelle les comptes spéciaux du Trésor. En l’état actuel des choses, ces comptes spéciaux méritent bien la qualification de "caisses noires", bien que celles-ci désignent plusieurs autres sortes de revenus qu’on veut garder loin des radars.

Ce projet de loi organique comporte un article, le huitième, qui allait obliger l’administration à inclure ces comptes de trésorerie ainsi que toutes les dépenses et recettes qui y sont liées dans le Budget général du Royaume, ce qui permettra un meilleur contrôle de ces opérations financières.

L’article 8 allait, pour ses auteurs -la majorité parlementaire-, être la seconde étape après l’inscription dans la loi des Finances de 2013 de l’article 18 bis qui laissait au gouvernement un délai de deux ans avant de devoir budgétiser ces comptes spéciaux.

Selon cet article 18 bis:

"Seront intégrées parmi les composantes du budget de l’Etat, à compter du 1er janvier 2015, les recettes et les dépenses résultant des opérations relatives aux comptes de trésorerie gérés par le ministère chargé des finances et qui ne sont pas liés à l’application d’un texte législatif particulier, d’engagements contractuels, de conventions internationales, ou à des emprunts à court et à moyen termes ou à la gestion des titres émis au profit de l’Etat ainsi qu’aux recettes ou aux dépenses provisoires en instance d’imputation définitive. Les modalités d’application des dispositions du présent article seront fixées par voie réglementaire".

Pour la petite histoire…

Tout le monde se rappelle de l’affaire des primes croisées que s’offraient réciproquement l’ancien ministre des Finances, Salaheddine Mezouar, et Noureddine Bensouda, Trésorier général du royaume. Quoique pratique courante sous plusieurs mandats précédants, cette affaire a attiré l’attention sur les comptes spéciaux, où sont puisées ces primes et à leur gestion quasi-clandestine.

Opposition et majorité réclament alors la réintégration de ces comptes dans les dépenses et les recettes ordinaires. Cette demande de transparence s’est heurtée à la résistance du ministre des Finances de l’époque, Nizar Baraka, qui a rejeté des propositions d’amendement du parlement, avant d’accepter d’intégrer l’article 18 bis.

Le camp anti-transparence sort alors les grands moyens. Les parlementaires découvrent avec stupéfaction que le projet de loi distribué aux membres de la deuxième chambre comporte un document de plus, glissé à la sauvette, évoquant "une erreur matérielle" dans la rédaction de l’article 18 bis et corrigeant ce dernier pour le vider de sa substance.

L’affaire éclata au grand jour, et prit une allure de scandale dans les médias. Sous la pression, le ministre Nizar Baraka retira "le document de correction". L’article 18 bis, l’original, a été adopté.

L’opposition déterminée

Médias 24 a appris que des négociations sont actuellement menées entre le ministre Mohamed Boussaid et les parlementaires de la majorité afin de trouver une solution à la crise des comptes spéciaux.

Selon les sources de Médias 24, le ministre a proposé de retirer l’article 8 et de ne se référer qu’à l’article 18 bis de la loi des Finances. “Cela rendrait cette disposition précaire puisqu’elle court le risque d’être modifiée ou enlevée à chaque exercice, son inscription dans la loi organique en ferait un fondamental” affirme un cadre du ministère des finances ayant requis l’anonymat.

Pour sa part, l’opposition formée principalement de l’Istiqlal, l’USFP et le PAM reste déterminée à faire passer l’article 8 de la loi organique. Pour Khalid Sbiaa, membre du groupe istiqlalien de la première chambre, même si les députés PJD acceptent de faire marche arrière, il n’en est pas question pour ses frères élus du parti.

Dépenses irrationnelles et pertes importantes pour l’Etat

En plus de l’opacité dans leur mode de gestion, l’existence de ces comptes spéciaux sous une comptabilité “parallèle” pose un problème de normes et de critères dans le choix des dépenses à exécuter.

A ce titre, l’exemple des primes du personnel du ministère des Finances est édifiant: plus d’un milliard de dirhams est annuellement distribué aux fonctionnaires du ministère. Non seulement ce chiffre n’apparaît pas dans la masse salariale, mais mis à part les directeurs et le ministre, personne ne sait selon quels critères les primes sont distribuées.

Ces méthodes créent des sentiments d’injustice dans les rangs du personnel du ministère.

Ce sentiment d’injustice existe également entre les départements productifs et ceux “pas très rentables” du ministère.

Ainsi, le député Khalid Sbiaa nous signale que l’Administration des douanes (ADII), la Direction générale des impôts (DGI) et la Trésorerie générale du royaume (TGR), directions qui totalisent le plus grand nombre de comptes spéciaux, sont les plus généreuses avec leurs personnels, en leur distribuant des primes supplémentaires, tout en sachant que chaque direction est libre de décider des primes qu’elle souhaite, sans qu’elle soit obligée de dévoiler les détails ou les montants de ces gratifications accordées aux cadres.

Par ailleurs, l’existence de ces comptes spéciaux ne garantit aucune optimisation des ressources.

Ainsi, l’abondance, par exemple, des ressources du compte qui récolte les pénalités et condamnations pécuniaires du ministère de la Justice est un facteur de laxisme chez ce département qui ne fait aucun effort pour recouvrer 10 milliards de DH de stock selon le député Abdellah Bouanou.

Ce dernier a, dans un article d’opinion qu’il avait publié en janvier 2013, souligné que "le maintien desdites ressources en dehors du budget de l'Etat constitue une entorse majeure aux principes budgétaires d'unité, d'universalité, de spécialité et de sincérité consacrés par les dispositions de la loi organique relative aux lois de Finances. Il porte aussi atteinte aux règles de bonne gouvernance et de transparence inscrites dans la nouvelle constitution et nourrit la défiance et la suspicion des citoyens à l'égard de l'Administration".

Notons enfin que les Comptes spéciaux font l'objet d'un rapport annuel diffusé chaque année à l'occasion de la Loi de finances. Sur le dernier rapport de 2013, par exemple, le document ne mentionne pas les fonds qui drainent le plus de moyens cités dans l'article ci-haut, notamment ceux gérés par les départements des Douanes, des Impôts et du Trésor.

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