Le monde arabe s'enfonce dans un tunnel, entre dictatures et guerres civiles

En Syrie, une coalition internationale se met en place pour une frappe limitée, risquant de mener la région à un embrasement généralisé. En Egypte, la purge contre les Frères se poursuit.

Le monde arabe s'enfonce dans un tunnel, entre dictatures et guerres civiles

Le 29 août 2013 à 10h00

Modifié 27 avril 2021 à 22h21

En Syrie, une coalition internationale se met en place pour une frappe limitée, risquant de mener la région à un embrasement généralisé. En Egypte, la purge contre les Frères se poursuit.

En Tunisie, la lutte contre le terrorisme est devenue une vraie guerre, avec avions militaires d’attaque et des plans jihadiste cherchant à mettre le pays à feu et à sang.

Le monde arabe est entré dans un interminable tunnel, suscitant des angoisses et des interrogations.

Le nombre de victimes, les guerres régionales qui se préparent, l’escalade, le chaos, la faillite économique, la perte de repères, la montée de la violence, le terrorisme, la désillusion, les perspectives de démembrement, le confessionnalisme, la montée de la haine… tout cela fait craindre le pire. La question que tout le monde se pose est la suivante : pourquoi ? Qui est responsable ? Est-ce un complot international contre les Arabes ou contre une partie d’entre eux ? Ou s'agit-il plus simplement d'une dynamique endogène?

 

 

1. Une situation confuse, des commentateurs désorientés :

Les pays des révolutions arabes vivent au rythme de la mort : terrorisme en Tunisie, luttes entre factions armées en Libye et attentats non revendiqués, purge contre les Frères musulmans en Egypte, sans oublier le tragique quotidien de la Syrie.

Ce mercredi, la décision de lancer une frappe punitive contre la Syrie était actée. Une frappe qui n’est ni « licite ni légitime », souligne un commentateur. Mais le problème n’est pas uniquement là. Il est dans le fait que la communauté internationale tout comme la population sont sommés de choisir entre deux visages hideux : le régime de Bachar ou les jihadistes du Front Nosra.

A moyen terme, la Syrie n’a pour seul horizon que la mort et le chaos.

En Tunisie, pays berceau du printemps arabe, réputé pacifique, c’est une vraie guerre contre le terrorisme qui est lancée. Les seules montages du pays, limitrophes de l’Algérie, sont déclarées zone militaire et sont bombardées quotidiennement par l’aviation.

Le pire, ce sont les révélations du ministre tunisien de l’Intérieur, faites ce mercredi en milieu de journée devant la presse : la Tunisie fait face à une vraie organisation terroriste, dotée d’armes de guerre et ayant des instructions de mener des boucheries dans tout le pays. Les ramifications, les moyens, les effectifs, les arsenaux découverts, tout cela donne froid dans le dos. C’est cette organisation, Ansar Charia, qui a organisé et exécuté les assassinats politiques des opposants Chokri Belaid et Mohamed Brahmi . En même temps, le processus de transition démocratique, qui a été l’espoir et l’objectif de la révolution, est complètement en panne.

En Egypte, l’espoir d’un redémarrage du processus politique est très mince. Le général Sissi est le vrai maître du pays et les haines accumulées de part et d’autre sont telles que l’on a du mal à les imaginer assis autour de la même table.

En Libye, l’actualité quotidienne est faite d’attentats, d’affrontements entre factions tandis que les exportations de pétrole risquent d’être arrêtées pour une longue période.

 

2. La théorie du complot à la rescousse.

Ce qui est remarquable avec la théorie du complot, c’est qu’elle est modulaire. Chaque camp, dans les pays concernés, a développé la sienne.

La théorie du complot désigne des responsables qui font déjà l’objet de haine ou d’opprobre. Chez les islamistes comme chez les libéraux, les Américains et les Israéliens sont la main invisible qui a mis le monde arabe à feu et à sang.

 

Obama-Cameron sur les traces du tandem Bush-Blair.

 

3.Quel rôle ont joué les Etats-Unis ?

Depuis le milieu des années 90, le Département d’Etat américain a lancé une stratégie de démocratisation du monde arabe de l’intérieur. Comme il l’avait fait, avec plus ou moins de succès, en Amérique latine, en Europe orientale ou dans des pays d’Asie.

Le département d’Etat ne visait pas, selon les recoupements que nous avons faits et selon notre enquête, des révolutions, mais simplement une dynamique de pression sur des régimes dictatoriaux ou autoritaires pour les pousser à se démocratiser.

Aux yeux des Israéliens et des Américaines, seules les démocraties sont des régimes suffisamment stables et pacifiques. On ne peut pas dire que ces pays qui se targuent d’être démocrates respectent le droit international, le droit des peuples, ou sont pacifiques. Mais c’est un autre débat.

En première ligne contre Benali, il y a eu des cybernautes formés par des ONG américaines, financées par le contribuable américain. On leur a appris la démocratie, la mobilisation, l’usage du net pour la subversion, l’anonymat sur le net, comment filmer et diffuser sur le web et d’autres ficelles.

Le système a fonctionné de la même manière en Egypte où les cybernautes formés par les yankees ont été également en première ligne de la mobilisation contre Moubarak.

En Syrie, des moyens beaucoup plus sophistiqués ont été livrés à la rébellion syrienne, par exemple des centaines de téléphones satellites.

 

4. Enjeux externes, enjeux internes.

Gilles Kepel dira, avec raison, que lorsque les enjeux externes prennent le pas sur les enjeux internes, les révolutions n’ont pas abouti. Il voulait parler des cas du Yémen, du Bahreïn et de la Syrie.

Mais les enjeux externes vont parfois dans le sens de l’encouragement aux rébellions. C’est le cas lors du soulèvement tunisien ou en Libye.

En réalité, notre propos est de dire que les révolutions arabes correspondent à une dynamique endogène, d’abord. Tout le reste est venu soit aider, soit contrecarrer. Mais la dynamique est bien là.

Pour comprendre cette dynamique endogène, il faut remonter aux sources, aux temps fondateurs, comme l’a expliqué d’une manière unique Abdou Filali-Ansary, dans une étude inédite publiée par Médias 24 en quatre parties.

L’auteur de ces lignes va citer trois penseurs et un journaliste  dont les propos permettent de comprendre la situation actuelle:

-Abdou Filali-Ansary, philosophe, islamologue, auteur d’ouvrages de référence et qui a publié donc cette étude sur les quêtes de légitimité dans les contextes musulmans ;

-Ali Mezghani : l’un des plus brillants esprits du monde arabe, juriste reconnu, et dont le plus récent ouvrage, L’Etat inachevé  (Gallimard) démontre entre autres qu’Etat de droit et charia sont tout simplement incompatibles.

-Yadh Ben Achour, auteur intéressant, qui a défendu l’idée de réconcilier l’islam aux droits humains dans leur portée universelle actuelle. Yadh Ben Achour cite volontiers Marshall G. S. Hodgson, le célèbre historien américain qui a replacé la civilisation issue de l’islam à sa juste place dans l’histoire mondiale. Yadh Ben Achour insiste sur le fait que si les sociétés arabes choisissent les idéologies issues du passé, elles vont sortir de l’histoire.

-Guy Sitbon, journaliste tunisien, bien connu à Paris où il a animé de nombreux titres tels L’Obs ou Marianne. Guy Sitbon, passionné du monde arabe, a eu depuis plusieurs années, cette phrase prémonitoire au sujet de l’aire arabe : « Entre la dictature et la guerre civile, il n’y a rien ».

 

5. Une dynamique endogène :

Il faut lire Abdou Filali Ansary pour bien comprendre les quêtes de légitimité. Tout provient de la volonté des humains de conquérir le pouvoir et de la nécessité pour les sociétés humaines de disposer d’un pouvoir. Les légitimités ont toujours été recherchées pour asseoir les pouvoirs politques. Aujourd'hui, dans le monde moderne, on a rajouté un autre concept, la légalité.

Comme dans tous les clans ou toutes les sociétés, les premières organisations ont été basées sur la force brutale, à laquelle sont venus se greffer du mysticisme, de la magie, du surnaturel, voire du divin, réel ou supposé, pour renforcer cette légitimité, car la spiritualité est un besoin humain, encore plus fort quand les temps sont à l’incertitude et aux angoisses.

La religion musulmane est venue défendre les affligés, promouvoir une égalité, instaurer une éthique et une morale. Selon Yadh Ben Achour (In La deuxième Fatiha, PUF éd),  l’islam est non seulement compatible mais également précurseur des droits humains tels qu’on les connait aujourd’hui.

Mais le système de gouvernement mis en place aux temps fondateurs n’a pas résisté à la mort du prophète. Il a tenu un seul « mandat », celui de Abou Bakr, avant de connaître les divisions, les discordes et les morts brutales.

Pourquoi cela ? eh bien parce que la religion, toute religion, a besoin et a eu besoin de l’épée pour s’imposer.

La religion révélée a adouci et réduit l’arbitraire de la force brutale. Mais sans la force, elle n’a pu survivre.

Dès l’avènement des Omeyyades, c’est donc de nouveau le guerrier, le chef militaire, le représentant de la force militaire, qui s’assoit sur le fauteuil de calife.

Les chefs religieux, les savants, feront alliance avec le pouvoir militaire nous explique Abdou Filali Ansary.

C’est ce tandem, ce couple que l’on a vu partout à l’œuvre dans le monde arabo-musulman ; le savant religieux explique, légitime, justifie et parfois adoucit ou constitue un garde fou en face des risques d’absolutisme. Ibn Toumert et Abdelmoumen, le religieux et le chef militaire nous donnent un bon exemple de ces alliances.

 

6. Et la démocratie ?

Si l’on considère que la démocratie est un système qui permet de régler les différends sans recourir à la violence ; et si l’on considère que la démocratie doit être aujourd’hui un objectif, on peut alors conclure ce qui va suivre.

Les systèmes autoritaires, qu’ils soient à habillage religieux ou à habillage militaro-idéologique (le Baas de Saddam, le FLN), ne peuvent tenir sur le long terme. Car ils ne résolvent les problèmes que par la violence, or la violence ne garantit ni stabilité ni prospérité.

La relation entre religieux et régimes autoritaires est une relation dialectique, faite d’affrontements discrets, secrets ou publics.

Quand les religieux veulent faire tomber un régime, leur objectif est politique, c’est la prise de pouvoir. Tout le reste n’est que rhétorique et cosmétique.

Les forces religieuses du monde arabe arrivent pour certaines avec leurs propres ailes militaires (salafiya jihadiya, Frères musulmans) et dans ce cas, leur action va se focaliser sur une destruction, au minimum un affaiblissement, de l’Etat existant. C’est ce qu’avait commencé à faire Morsi et dans une moindre mesure Ennahdha en Tunisie.

Les courants religieux réellement pacifiques concluent généralement un modus vivendi avec le pouvoir, pour une cohabitation ou une alliance.

Dans le cas égyptien, les deux plus grandes forces post révolution étaient justement l’armée et les Frères musulmans. Les seconds ont cru pouvoir se passer de la première. La première est convaincue de se passer des seconds, car les oulémas qui sont contre les Frères sont nombreux. Surtout lorsqu’on sait les convaincre.

Dans un cas comme dans l’autre, Frères musulmans ou armée, il s’agit bien d’une contre-révolution, car le processus démocratique reste sur la touche et la force brutale reste indispensable ; tant qu’on n’arrive pas à instaurer un système de résolution pacifique des conflits, on n’aura pas réussi la révolution. Ni la démocratie évidemment.

En Egypte, nous sommes revenus à la case de départ. Il faut choisir entre l’armée et les Frères musulmans. Or les Frères musulmans, non seulement ne sont pas rétifs à la violence, mais en plus considèrent la charia comme source unique ou essentielle de la législation. Ali Mezghani a définitivement montré que charia et Etat de droit sont incompatibles.

La seule issue à cette dialectique, à ces contradictions exacerbées, c’est d’aller vers la démocratie, la souveraineté du peuple et de la nation.  La seule solution en Egypte, c’est à la fois un retour du processus démocratique et une révision idéologique par les Frères musulmans.

Appliquez la même grille d’analyse ailleurs : en Tunisie, Ennahdha et les libéraux sont face à face, et c’est un vrai combat, différent du cas égyptien. En Tunisie, il ne s’agit pas de trancher entre une dictature et une autre. Mais de sauter un palier, en élaborant une constitution libérale, moderne, démocratique, compatible avec les droits humains.

En Libye, on en est encore au stade de la violence primaire, même pas emballée d’un discours faussement conciliant. En Syrie, on a le choix entre être égorgé, bombardé, affamé ou gazé. On est bien en face d’une quête de pouvoir, ou son maintien, par la seule violence.

La seule issue, pour n’importe quel pays arabe, est le règne du droit, la souveraineté de la nation, qui seuls autorisent la résolution des conflits d’une manière pacifique.

On le voit, on est bien, d’abord et avant tout, dans une dynamique endogène.

Le cas marocain est parfaitement lisible à travers cette grille. Légitimité religieuse et monarchique, maîtrise sécuritaire, mais place de plus en plus importante accordée au droit et automatiquement, aux libertés individuelles. C’est une explication de l’exception marocaine. Le Maroc est bien en pays en transition démocratique et il le fait d'une manière maîtrisée.

Plus généralement, le long cheminement du monde arabo musulman est bien celui là : comment substituer le droit positif, cette œuvre humaine, aux précédents mécanismes de régulation des sociétés. L'Europe a connu le même cheminement depuis le 18e siècle, entre révolutions et contre-révolutions.
(Photos et inforgraphie AFP)

Vous avez un projet immobilier en vue ? Yakeey & Médias24 vous aident à le concrétiser!

Si vous voulez que l'information se rapproche de vous

Suivez la chaîne Médias24 sur WhatsApp
© Médias24. Toute reproduction interdite, sous quelque forme que ce soit, sauf autorisation écrite de la Société des Nouveaux Médias. Ce contenu est protégé par la loi et notamment loi 88-13 relative à la presse et l’édition ainsi que les lois 66.19 et 2-00 relatives aux droits d’auteur et droits voisins.

A lire aussi


Communication financière

TAQA Morocco: AVIS RECTIFICATIF DE CONVOCATION DES ACTIONNAIRES À L’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE ANNUELLE

Médias24 est un journal économique marocain en ligne qui fournit des informations orientées business, marchés, data et analyses économiques. Retrouvez en direct et en temps réel, en photos et en vidéos, toute l’actualité économique, politique, sociale, et culturelle au Maroc avec Médias24

Notre journal s’engage à vous livrer une information précise, originale et sans parti-pris vis à vis des opérateurs.