Corruption: les confidences de Abdeslam Aboudrar

L’Instance de Abdeslam Aboudrar est-elle un simple alibi ? Elle a des moyens très limités et pas souvent l’oreille des autorités publiques. Et on attend toujours l’Instance nationale promise par la nouvelle Constitution.  

Corruption: les confidences de Abdeslam Aboudrar

Le 17 juin 2013 à 9h54

Modifié 17 juin 2013 à 9h54

L’Instance de Abdeslam Aboudrar est-elle un simple alibi ? Elle a des moyens très limités et pas souvent l’oreille des autorités publiques. Et on attend toujours l’Instance nationale promise par la nouvelle Constitution.  

Le président de l’ICPC reste serein et confiant, et agit avec les moyens du bord. Faute d’une action de grande envergure, il a le mérite de bien communiquer et de poser les bons diagnostics.

Les Marocains sont-ils plus corrompus que d'autres peuples ?

Je suis de ceux qui récusent l'idée d'une corruption plus forte dans certains pays. Il y a de la corruption plus ou moins systémique ou exceptionnelle selon les pays, mais on ne peut pas dire qu'il y en ait qui soient plus corrompus que d'autres. Elle finit par gagner les esprits, mais celà ne veut pas dire qu'elle soit dans les gènes d'un peuple.

Certaines conditions sociopolitiques liées à la gestion de la chose publique ont rendu possible l'expansion de la corruption. Mais le vrai problème réside dans la gouvernance de l'Etat et non pas dans la nature humaine.

Quels faits historiques ont rendu le Maroc si corrompu ?

Bien avant la colonisation, l'histoire a démontré que certains gardes-fous n'ont pas été activés. Pendant longtemps, l'administration ne payait pas ses fonctionnaires, mais la situation n'était pas si critique puisqu'elle était contenue dans une société de vis-à-vis. La conjoncture démographique et économique devenant plus corsée, les Marocains ont été tentés, surtout dans un système de contrôle qui n'était pas effectif.

La colonisation a apporté avec elle une économie capitaliste moderne, où l'argent devenait l'étalon des rapports sociaux. Sans sanction ni contrepouvoirs aux hautes responsabilités, il y a nécessairement eu recrudescence de la corruption.

La corruption est-elle la maladie de la décolonisation ?

Les pays décolonisés font face à une tâche majeure de la reconstruction ou de construction de l'Etat. Au Maroc, l'Etat précolonial était léger et adapté, et la colonisation a apporté un Etat moderne. La phase d'adaptation a été relativement courte. Cette période peut devenir plus longue en cas de conflits politiques ou ethniques tel qu'on peut l'observer en Afrique. En fait, tout dépend de la gouvernance des Etats.

La corruption au Maroc est-elle plus importante de nos jours ?

Globalement dans le monde, il y a davantage de corruption. En même temps, on en parle beaucoup plus aujourd'hui qu'auparavant.

La sphère financière internationale en est un exemple parlant, puisque des pays qui passaient pour en être exempts ont nourri les plus grands scandales comme le cas Madoff aux Etats-Unis.

Au Maroc, le tabou a été brisé: la société civile discute le sujet, les journaux en font leurs choux gras, les instances étatiques publient leurs rapports dont se saisit la société civile. Tout cela contribue à donner cette impression que la corruption est davantage présente aujourd'hui.

La corruption est-elle la règle ou l'exception ?

La corruption est endémique. S'y applique la fameuse règle des 20/80 : on peut dire que 10% des citoyens sont honnêtes, 10% sont corrompus et que les 80% restants peuvent pencher d'un côté ou de l'autre suivant l'environnement et les circonstances.

Les Marocains se complaisent-ils dans la corruption ?

Personne n'y va de gaïté de coeur sauf celui qui d'emblée, et c'est une minorité, cherche un passe-droit.

Les citoyens souhaitant obtenir leurs droits et contraints à corrompre, seraient sans doute bien plus heureux s'ils n'avaient pas à payer de pots-de-vin.

Bien sûr, on peut avancer l'idée qu'ils sont contents de mettre la main au portefeuille mais pour le coup, il est possible de convaincre les citoyens qu'ils n'en ont pas besoin en réalité.

En mettant en place des services modèles dans les différents secteurs, notamment administratifs, le Maroc sera en mesure de fixer un nouvel étalon et c'est là que la communication peut jouer son rôle.

La corruption est-elle un mal ou le symptôme d'un mal social plus profond ?

Les deux. La corruption est un mal en soi parce qu'elle suppose la prévalence de l'intérêt individuel égoïste sur l'intérêt général. Dans ces circonstances, le lien social se rompt.

Les citoyens n'ont pas le sentiment que l'administration est à leur service, ils se sentent corvéables à merci. Elle-même existe pour être truandée.

D'un autre côté, la corruption est liée à beaucoup d'autres maux, comme l'absence de conscience de l'importance de la démocratie et des grandes valeurs humaines qui sont battues en brèche.

La corruption est symptomatique du déficit du sens citoyen et de l'éthique publique.

Faut-il s’engager dans une grande campagne nationale contre la corruption ?

Nous avons déjà avisé le gouvernement qu'il était maladroit de lancer cette campagne indépendamment ou sans mettre en place une stratégie. Cette stratégie demeure indispensable puisqu'elle permet aux citoyens, aux observateurs et aux investisseurs de mesurer le degré de progrès en matière de lutte contre la corruption.

Lorsque les pouvoirs publics s'engageront dans une telle stratégie, ils réussiront à réellement transmettre un message, celui d'un Etat protecteur.

Mais si le message est isolé, les citoyens auront le sentiment qu'ils portent le fardeau de la corruption.

Quelle stratégie le Maroc doit-il adopter en matière de lutte contre la corruption ?

La meilleure stratégie se décline en trois étapes :

-à court terme, il faut supprimer certains actes administratifs inutiles tels que les autorisations. L'utilisation de la carte d'identité nationale biométrique participe de cette politique.

-A moyen terme, il faut supprimer les vis-à-vis inutiles et passer par exemple à l'administration électronique, mais il faut également penser à gommer les goulots d'étranglement qui provoquent les files d'attente et parfois des impossibilités.

-Enfin, à long terme il s'agit de miser sur l'éducation, la culture et les mentalités pour qu'on ne confonde plus corruption et cadeau, corruption et hospitalité.

La législation en vigueur est-elle adaptée ?

Les peines ne sont pas assez dissuasives. La législation en matière de lutte contre la corruption, comme pour beaucoup d'autres domaines, est aujourd'hui obsolète. Les peines, en particulier pécunaires, deviennent ridicules avec le temps.

Par ailleurs, l'appréhension de la gravité n'est plus la même de nos jours : la notion de conflit d'intérêt n'avait pas tant d'importance dans les années 1970. En tout cas, il faut augmenter le coût de la corruption.  

Avez-vous le sentiment d'être écoutés par les pouvoirs publics ?

 

Je crois au pouvoir de la communication. Nous en faisons beaucoup pour populariser nos propositions et nos rapports.

Nous prenons notre bâton de pèlerin et allons voir les différents opérateurs (ministères ou organismes privés tels que la CGEM ou l'ANPME) mais on ne peut jamais être satisfait.

Nous regrettons la lenteur de la réaction des pouvoirs publics.

La lutte contre la corruption est-elle une priorité gouvernementale ?

Elle est sans nul doute une priorité majeure.

D'ailleurs, il n'y a qu'à regarder ce que le printemps arabe a apporté comme éclairage à ce niveau, en l'occurrence pour la jeunesse qui place la corruption et le déficit démocratique en tête de ses exigences.

Le coût de la corruption est énorme dans le monde : il est estimé à 1 voire 5 points du PIB selon les pays.

Mais il ne s'agit pas d'un mal facile à combattre.

La corruption est-elle l'apanage des pays pauvres ?

Pendant longtemps, il y a eu cette tendance de lier la pauvreté et la corruption.

Selon certains experts de la question, qui à mon sens sont allés trop vite en besogne, moins un pays est riche et plus il est corrompu. En réalité, ils se basent sur l'indice de perception de la corruption développé par Transparency International, un indice purement déclaratif et qui ne concerne que la corruption de tous les jours.

Si cet indicateur révèle qu'effectivement, les pays les plus pauvres sont les moins bien lotis en matière de corruption, il faut rappeler qu'il ne prend pas en compte la grande corruption, celle qui est beaucoup moins visible.

Ainsi, les pays riches qui connaissent la grande corruption figurent aux premiers rangs de ce classement alors que la plupart sont en réalité des paradis fiscaux qui profitent largement de la fuite des capitaux dans les pays du tiers monde notamment ceux d'anciens chefs d'Etat ou de grandes figures politiques qui bénéficient de l'immunité diplomatique internationale.

Lorsque les institutions fonctionnent, quel que soit le niveau de richesse du pays, il y a nécessairement moins de corruption.

Ne faut-il pas s'attaquer prioritairement à la grande corruption en coupant quelques têtes pour l'exemple ?

Il fut un temps où les expérimentations des pays ont privilégié la stratégie dite des gros poissons. Aujourd'hui, et sauf cas majeur, la corruption est systémique et nécessite donc des réformes qui finiront par rendre difficile la grande corruption.

Il ne faut pas se leurrer, elle ne sera jamais complètement arrêtée. Mais pour nous, c'est la stratégie de l'endiguement qui prime. Lorsqu'on fait face à une corruption endémique et qu'on s'attaque aux personnes notoirement bien placées, celles-ci sont capables de vous casser les reins et de mettre un terme à tout ce processus de réforme engagé. Cela revient à jeter des os à ronger à la population en lui faisant croire qu'on lutte contre la corruption alors qu'il s'agit d'un travail institutionnel de longue haleine.

Avez-vous le sentiment que l'instance que vous dirigez est limitée dans ses prérogatives ?

Nous l'avons déjà dit : l'ICPC telle qu'elle fonctionne aujourd'hui est très limitée.

Bien que nous soyons indépendants, nous restons contraints par le fait que nous émargeons au budget de la primature. D'ailleurs, notre propre budget est limité et nos prérogatives sont restreintes puisque nous n'avons pas le droit de saisine ni d'autosaisine.

Quant à l'instance nationale de probité et de lutte contre la corruption prévue par la nouvelle constitution, nous sommes encore en attente de son effectivité. Le projet de loi est actuellement au niveau du gouvernement et nous espérons qu’il sera soumis au parlement au plus vite.

Quels sont les modèles de lutte anti-corruption dont vous vous inspirez ?

Il n'y en a pas vraiment. Je dirai plutôt qu'il y a des leçons à prendre de chacun.

Mais pour en citer quelques uns, Hong Kong et Singapour disposent d'instances de lutte contre la corruption très puissantes, qui misent essentiellement sur la répression.

La Pologne est également un exemple parlant puisqu'en quelques années, ce pays a mis en place un ensemble de réformes (administration, économie, justice, dynamisation du parlement ...) qui ont écourté la période de transition. L'incitation majeure de l'entrée au sein de l'Union européenne a également favorisé ce processus. D'ailleurs, le partenariat du Maroc avec l'UE ou les Etats-Unis impose de plus en plus ces exigences de progrès en matière de transparence.

Pour la plupart des Marocains, l'exemple de corruption le plus parlant est celui du pot-de-vin remis au gendarme ou au policier. Quelles solutions proposez-vous à cette situation ?

Il ne suffit pas de mieux payer les fonctionnaires, d'autant que le Maroc est ce qu'il est, et qu'il dispose des moyens qu'il a.

Souvent lorsqu'un fonctionnaire rançonne, il le fait avec un citoyen bien moins loti que lui. Mais j'estime que la situation s'est améliorée depuis que l'on a imposé la charge de la preuve à celui qui donne la contravention (flashage par exemple).

C'est cette dématérialisation qui doit être mise en place, outre la suppression de l'argent de la transaction et la multiplication des contrôles banalisés.

Evidemment, il faut également que le citoyen fasse preuve de civisme. J'invite tous les citoyens à dénoncer les actes de corruption avec les moyens dont ils disposent (photos, vidéos ...).

Un site est d'ailleurs disponible (stopcorruption.ma) et la loi protège les citoyens. Bien sûr, le risque de dénonciations calomnieuses demeure, mais il faut avoir foi en la justice qui compte d'honnêtes gens autant affectés par la corruption que nous tous.

 

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