Les Marocains du monde, un vivier pour les métiers sous tension au Maroc

L'une des questions qui font débat en ce moment dans l'Hexagone, ce sont les départs de Français issus de l'immigration. Différents articles, des plateaux de télévision ainsi qu'un livre ("La France, tu l'aimes mais tu la quittes") ont été récemment consacrés à ce thème. Médias24 donne la parole à Samir Bouzidi, CEO d'Impact Diaspora, première start-up africaine spécialisée en mobilisation 2.0 des diasporas.

Les Marocains du monde, un vivier pour les métiers sous tension au Maroc

Le 30 avril 2024 à 11h40

Modifié 30 avril 2024 à 16h42

L'une des questions qui font débat en ce moment dans l'Hexagone, ce sont les départs de Français issus de l'immigration. Différents articles, des plateaux de télévision ainsi qu'un livre ("La France, tu l'aimes mais tu la quittes") ont été récemment consacrés à ce thème. Médias24 donne la parole à Samir Bouzidi, CEO d'Impact Diaspora, première start-up africaine spécialisée en mobilisation 2.0 des diasporas.

→Une tendance au retour définitif qui ne date pas d’hier…

Contrairement aux idées véhiculées, les retours définitifs individuels d’immigrés marocains et de leurs descendants ont toujours existé. Ainsi, les générations actuelles de chefs d’entreprise et cadres dans les banques, administrations, industries… ont souvent étudié et exercé à l’étranger avant de revenir s’installer dans le Royaume. Ces migrants "transitoires" caractérisent profondément l’immigration de retour au Maroc aux côtés des retraités, étudiants…

Par Samir Bouzidi CEO Impact Diaspora

Ce qui diffère aujourd’hui, c’est le regain d’intérêt pour le retour au pays observé chez les plus jeunes, les femmes et les enfants d’immigrés, tous plus qualifiés. Une tendance qui s’est accélérée avec la crise du Covid, depuis la France notamment, un pays où le contexte identitaire est particulièrement exacerbé. Enfin, il y a les médias qui aiment couvrir ces histoires personnelles de femmes et d’hommes sur fond de patriotisme.

→Des flux encore marginaux mais qui s’accélèrent

Même si les statistiques publiques marocaines manquent pour quantifier et qualifier précisément la tendance, les quelques données officielles étrangères tendent à indiquer que ce phénomène n’est pas massif et plutôt conjoncturel.

En analysant les chiffres émanant des consulats de France, d'Espagne, de Belgique et des Pays-Bas au Maroc, on constate une légère augmentation du nombre d’immatriculés, avec une tendance accélérée depuis la période pandémique. En substance, ils sont à peine 2.500 nouveaux inscrits annuellement sur le registres consulaires pour l’ensemble de ces quatre principaux pays d’accueil des Marocains du monde (MDM) ; on peut admettre raisonnablement que la grande majorité d’entre eux sont des binationaux (maroco-français, maroco-espagnols...). Combien parmi eux sont des compétences venues investir ou faire carrière ? Combien sont des inactifs (retraités, sans profession, enfants… ) ?

A fortiori, ces flux rapportés aux quelques centaines de milliers de compétences MDM traduisent une tendance encore infinitésimale, même si l’idée de revenir au pays pour y apporter sa contribution au développement est profondément ancrée dans l’imaginaire collectif de la diaspora.

→Les MDM en Europe, une cible stratégique…

Compliqué de résumer d’un trait les dispositions des MDM face au projet de retour tant ils constituent une mosaïque complexe selon leur pays d’accueil, région d’origine, profil socioprofessionnel, âge, ancienneté migratoire… avec des réalités très différenciées.

Statistiquement notoire, les MDM vivant en Europe et particulièrement en France sont aujourd’hui ceux les plus à même de chercher à s’ancrer davantage au Maroc. Cela répond à des logiques multifactorielles : proximité géographique et organisation transnationale, maturité de certains profils migratoires (cadres, chefs d’entreprise…), crise économique et identitaire dans la zone (aggravée par la situation au Moyen-Orient)…

Pour eux, le Maroc peut être perçu comme une alternative sérieuse afin de briser enfin le "plafond de verre" du pays d’accueil (discriminations par les origines, la religion…), gagner en qualité de vie et redonner du sens à leur vie. Les Marocains des USA et du Moyen-Orient sont davantage dans une logique d’opportunité, et donc moins réceptifs à l’idée du retour car mieux insérés dans les sociétés d’accueil.

Avec les réseaux sociaux, la plupart savent désormais que le parcours d’intégration au Maroc peut s'avérer aventureux du fait notamment du décalage culturel. Et certaines catégories de candidats au retour sont particulièrement vulnérables : femmes célibataires, jeunes nés à l’étranger… De quoi en faire réfléchir beaucoup !

→Les diasporas musulmanes et africaines, l’autre gisement…

Dans un monde instable à l’avenir brouillé, le Maroc offre une belle fenêtre de visibilité et d’opportunités, avec comme point d’orgue l’organisation du Mondial de football en 2030. Il y a là tous les ingrédients pour un narratif très positif à destination des MDM et d’autres diasporas cibles. En Europe de l’Ouest et en France particulièrement, les diasporas musulmanes sont en plein doute (cf. dernière étude d’avril 2024, publiée en France : "La France, tu l'aimes mais tu la quittes - Enquête sur la diaspora française musulmane") et peuvent se montrer réceptives aux opportunités d’une économie en devenir et aux appels d’un pays aux valeurs proches.

Idem pour les talents africains, passés par les écoles marocaines, en prise aujourd’hui à des instabilités sans précédent dans leur pays d’origine. À leurs yeux, le Maroc peut représenter une nouvelle Allemagne au soleil ou un Dubaï plus authentique…

→Premier postulat d’une stratégie gagnante : l’importance du ciblage

Grace à l’open data, il est aujourd’hui possible de modéliser, à partir de larges échantillons, les profils de la diaspora suivant leur secteur d’activité, cursus, fonction, expertise, métier et leur séniorité. D’ailleurs chez Impact Diaspora, nous avons récemment mené un tel profilage pour le ministère marocain de l’Industrie et la mairie de Rabat.

En ce qui concerne les cadres et chefs d’entreprise marocains à l’étranger, on sait qu’ils sont très concentrés dans les NTIC, la finance, le consulting, l’enseignement et la recherche, et la santé même si, dans leur globalité, ils exercent dans plus d’une vingtaine de secteurs nettement différenciés selon les trois grandes zones d’implantation (Europe, Moyen-Orient, Amérique).

Une analyse empirique des profils des "repats" marocains met en exergue ces marqueurs communs : célibataires, nés au Maroc, avec 3 à 5 années d’expérience dans des secteurs internationaux (Ntic, conseil, finance…)... A contrario, les séniors forts de 10 à 15 années d’expérience, chefs de famille avec de jeunes enfants, sont plus compliqués à attirer en dehors du salariat dans un cadre très sécurisé et matériellement avantageux (multinationales…), ou de l’investissement pour leur propre compte.

S’il est plus compliqué de rapatrier des ingénieurs tech au vu des tensions mondiales sur ce marché, il y a une marge certaine chez les financiers et consultants (tech, RH, énergies, environnement…). Des métiers en tension au Maroc…

→Pour des stratégies publiques et privées plus proactives visant à conquérir les talents

Dans cette chasse aux talents hyper concurrentielle, la première erreur serait de surestimer la portée des appels patriotiques vis-à-vis de ces compétences bien insérées socialement, et professionnellement très courtisées.

Seule une stratégie conjointe – public et privé – de relocalisation des compétences peut produire les impacts durables à la hauteur des enjeux. Dans cette perspective, il faut établir en premier lieu un référentiel des métiers déficitaires et des besoins RH pour le développement de l’économie nationale et des territoires. Le secteur public, les professionnels RH et les fédérations professionnelles telles que la CGEM doivent assumer leur leadership dans cette dynamique !

Toute stratégie doit prévoir en amont un plan pour endiguer l’hémorragie actuelle de milliers d’ingénieurs, médecins… cibles des pays développés et des multinationales étrangères et, par ailleurs, tout autant de jeunes qui partent étudier à l’étranger et qui pour la plupart ne reviendront pas. Dans ce domaine, il y aurait certainement de la pertinence à renforcer l’adéquation du système d’éducation nationale et de formation professionnelle à l’économie. Et les cadres expérimentés, préretraités et retraités de la diaspora peuvent apporter une contribution de valeur dans ce domaine en tant que formateurs, mentors… de standards internationaux.

À l’échelle mondiale, on a un aperçu du catalogue d’actions communes des Etats ayant réussi à mobiliser les talents de leur diaspora ou des étrangers :

  • Un marketing territorial offensif déclinant des opportunités et une marque "employeur" du pays (et des entreprises) clairement identifiées ;
  • Un sourcing rationnel des compétences clés et du matching des opportunités (via digital, réseaux…) ;
  • La mise à niveau du cadre législatif facilitant le recrutement d’étrangers, le télétravail, les contrats de travail plus souples pour ceux à l’étranger voulant se tester avant de s’engager durablement ;
  • Un arsenal d’incentives stimulant le recrutement de talents "métiers en tension" : bonus salariaux, rémunération en devises, exonérations fiscales, franchises douanières, assurances, conciergerie…
  • Un programme de stages pour la diaspora dans des entreprises et administrations du pays d’origine ;
  • La formation professionnelle et l’accompagnement via les cadres expérimentés ou retraités de la diaspora ;
  • L’émergence de plateformes online de partage de connaissances et d’expertises autour de sujets stratégiques clés ;
  • Des programmes de migration circulaire par des bourses pour des étudiants ou jeunes actifs s’engageant à revenir à la fin des études ou stages.
  • ./..

Au Maroc de fixer le cap et de faire les bons arbitrages !

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