Mettre notre capital immatériel au service de la modernité

Le 13 décembre 2017 à 10h57

Modifié 11 avril 2021 à 2h44

Le Conseil économique, social et environnemental (CESE) et Bank al-Maghrib (BAM) viennent enfin de publier leur rapport intitulé “La richesse globale du Maroc entre 1999 et 2013”.

Rappelons-en la genèse: dans sondiscours du Trône du 30 juillet 2014, le Roi avait mis en lumière la notion de capital immatériel en faisant référence aux travaux menés par la Banque mondiale qui avait conclu qu’à un niveau de 78%, le poids du capital immatériel dans la richesse globale du Maroc en 2005 était équivalent à la moyenne des pays de l’OCDE (82%) et devançait la moyenne des pays de la région MENA.

Partant de là, le Roi avait invité le CESE et BAM“à entreprendre une étude permettant de mesurer la valeur globale du Maroc entre 1999 et fin 2013”.

Une deuxième étude de la Banque mondiale sur “le Maroc à l’horizon 2040”présentée en mai 2017 considère que pour “rejoindre le club des pays émergents,” le Maroc se doit de renforcer son capital immatériel, “source principale de toute prospérité future partagée”.

Le CESE et BAM aboutissent à de conclusions similaires et présentent un ensemble d’idées et de propositions intéressantes. De ce fait, il serait dommage que leur rapport ne soit qu’un rapport de plus. C’est aux divers départements ministériels et organismes publics aussi bien qu’au corps social (société civile, organisations économiques, universités et grandes écoles, simples citoyens etc.) de s’en saisir et d’en déduire des pistes d’actions.

C’est ce que le Roi avait souhaité dans son discours: “Et pour que le rapport final ne reste pas lettre morte, ou seulement une matière pour consommation médiatique, nous avons décidé que la plus large diffusion possible lui soit assurée. Nous appelons le gouvernement, le parlement, toutes les institutions concernées et les forces vives de la nation, à se pencher sur les recommandations constructives figurant dans le rapport, et à œuvrer pour en assurer la mise en œuvre”.

Je ne détaillerai pas ici cette notion de capital immatériel qui a été très clairement analysée dans un récent article du Pr. Larabi Jaïdi publié dans ces mêmes colonnes. Je rappellerai seulement que selon la Banque mondiale, ce capital se compose principalement du capital humain, du capital social et du capital institutionnel.

Ce qu’il faut retenir de l’étude CESE-BAM (et ce qui avait déjà été souligné par la Banque mondiale), c’est que notre pays possède d’importants gisements de création de richesses qui restent sous-utilisées, ce qui ralentit notre marche vers le progrès, l’inclusion et l’émergence.

Pour mobiliser ces friches dormantes, le rapport CESE-BAM établit un référentiel méthodologique dont le but estde “sensibiliser les décideurs publics à identifier de manière structurée les composantes du capital immatériel qui pourront être prises en compte par les politiques publiques menées”.

Le rapport préconise d’actionner sept leviers pour “augmenter la richesse globale du pays”, à savoir:

(1)la consolidation des compétences du capital humain,

(2)le renforcement du capital institutionnel,

(3)l’instauration d’un nouveau pacte social pour renforcer la citoyenneté en garantissant le respect des droits et en réduisant les inégalités,

(4)la promotion des valeurs sociétales communes,

(5)la création d’emplois de qualité et en nombre suffisant,

(6)une meilleure gestion de notre capital naturel

(7)la transformation du Maroc en pôle de stabilité et de partenariat à travers le renforcement de son positionnement stratégique.

 

Le débat sur ces questions est potentiellement riche et devrait intéresser des artistes, des économistes, des chercheurs en sciences sociales, des acteurs associatifs, des artisans, des juristes, des ingénieurs, des médecins, des sociologues, des historiens, des chefs d’entreprise, des syndicalistes, des spécialistes de l’environnement etc. autour d’une question essentielle: comment donner vie à ces leviers de progrès dans le but d’augmenter notre richesse globale et d’en assurer une meilleure répartition ?

 

Je voudrais examiner ici plus particulièrement la recommandation qui s’attache au quatrième levier proposé et qui s’exprime ainsi: “Consolider le socle commun de valeurs et ériger la culture en levier de développement.”

Interrogeons-nous sur les moyens nécessaires à une meilleure mobilisation de notre “marocanité”(composante essentielle de notre capital immatériel) au service de la modernité, comprise comme l’obéissance à des schémas d’action régis par la rationalité, par le respect du bien commun, par la norme (discipline) et s’appuyant sur les meilleures pratiques (“best practices”)et les nouvelles technologies de l’information.

Il s’agirait en l’occurrence de proposer des pratiques novatrices pour des activités séculaires, de manière à mieux saisir les opportunités qui peuvent s’offrir pour augmenter leur contribution à la richesse nationale.

 

Le Maroc a déjà entrepris ce chemin avec un certain succès à travers plusieurs initiatives.

Citons pêle-mêle quelques “success stories”ayant trait à des choses aussi différentes que:

-l’Institut Mohammed VI de formation des imams (tradition théologique + formation moderne de prédicateurs et de cadres spécialistes de questions religieuses) ;

-le Salon du Cheval d’El Jadida (tradition équestre + structuration des troupes de cavaliers, exposition d’articles de sellerie artisanale, vente de produits du terroir, échanges internationaux etc.);

-la revitalisation de certains produits dits “duterroir”depuis le lancement de l’INDH, comme par exemple la rationalisation de l’utilisation de l’arganier (savoir-faire ancestral + stratégie de modernisation, de constitution de coopératives de paysannes, d’innovation, d’extension et de conquête de marchés);

-l’adaptation par certains créateurs et créatrices de produits puisés dans notre héritage et leur ajustement au goût du jour, tout en mobilisant de façon hautement professionnelle les outils de l’internet, et ce dans plusieurs domaines: prêt à porter (Diamantine, Marwa, Bakchik), tapis (Soufiane Zarib), objets en faïence et produits de maison (Chabi Chic) etc.

 

Je citerai aussi le cas de notre compatriote Abdelmajid Jamaleddine établi au Canada, dont l’entreprise -société Zinda- a créé à partir du couscous traditionnel, de nombreuses déclinaisons (couscous au sirop d’érable servi au petit-déjeuner, à la tomate et au basilic, aux épinards, méditerranéen, couscous bio etc.).

 

Des étrangers également ont su exploiter notre capital. Au Maroc, parmi la multitude de cas, l’architecte décorateur américain Bill Willis a, dans les années 60-70, créé le style de décoration actuel des maisons et riads de Marrakech, célèbre aujourd’hui dans le monde entier.

À l’étranger, les exemples sont nombreux comme celui de la chilienne Carmen Tal qui a fondé une marque nommée tout simplement "Moroccanoil” dont le chiffre d’affaires est estimé à environ 70 millions de dollars. Présente sur les marchés américains et européens, "Moroccanoil” propose un ensemble de produits à base d’huile d’argan pour le corps, les cheveux, contre les rayons du soleil etc. 

Je pourrai ajouter d’autres exemples comme celui des tajines électriques fabriqués par plusieurs marques (Koenig, Tefal, Techwood, Evatronic etc.) qui se vendent entre 60 et 80 Euros. Ou encore celui de sociétés françaises et même anglaises produisant de la tadelakt!

 

Ce mouvement de dynamisation et de modernisation de produits et de façons de faire restées trop longtemps immuables doit s’amplifier de façon consciente. Les exemples ci-dessus montrent comment une activité traditionnelle peut engendrer de la richesse si elle est mise en adéquation avec les exigences de la modernité.

 

Voici quelques autres champs d’action éventuels parmi tant d’autres:

–    Souks ruraux et moussems: Il est certainement possible de mieux gérer ces rassemblements du point de vue de l’organisation, de l’hygiène et de la protection de l’environnement, tout en les utilisant comme vecteurs de bonnes pratiques dans de nombreuses directions (sécurité routière, écologie, santé etc.). Le souk et le moussem, comme "fusées porteuses"de civisme et de citoyenneté, voilà un objectif pouvant être pris en charge par le Régions et par certaines ONG.

–    Aïd al adha: La régulation des sacrifices de l’aïd devient une nécessité, spécialement dans les grands ensembles d’habitation urbains; des solutions peuvent et doivent être trouvées pour éviter cette situation de désordre d’un autre âge, en opposition totale avec les règles les plus élémentaires de salubrité. Un travail de recherche, à engager par les municipalités (en consultation avec les citoyens), devrait pouvoir dégager des solutions de progrès bénéfiques à toutes les parties.

–    Espaces d’ablutions des mosquées: Les schémas traditionnels deviennent aujourd’hui inadmissibles; de nouvelles pratiques peuvent être mises en place sur la base d’un nouveau modèle intégrant hygiène et confort.Les services de ces salles d’eau devraient être payants (même pour un montant modique) de façon à sensibiliser les usagers et à couvrir tout ou partie des frais.

–    Architecture traditionnelle: À part quelques rares architectes marocains (comme Élie Mouyal à Marrakech) qui ont développé des techniques modernes de construction en terre, ni l’État, ni les Régions, ni les écoles d’architecture, ni la plupart des maîtres d’œuvre ne semblent prendre en considération la valeur de notre exceptionnel héritage architectural, alors que des pays aussi différents que les États Unis, l’Autriche ou l’Australie développent des solutions nouvelles compatibles avec les exigences de l’économie durable.

En mobilisant des équipes de recherche multidisciplinaires composées d’architectes, d’artisans bâtisseurs (maâlmine), d’ingénieurs, de laboratoires etc. le Maroc pourrait inventer des procédés écologiques innovants de construction durable pour toutes sortes de bâtiments. Il pourrait même devenir un pôle mondial en la matière et exporter son savoir-faire.

–    Yennayer(nouvel an amazigh): Depuis quelques années, Yennayer a gagné en visibilité auprès du public marocain; il serait judicieux d’organiser les célébrations qui l’accompagnent en se  basant sur un travail de recherche qui pourrait être piloté par l’IRCAM et qui reposerait sur une consultation des communautés concernées.

L’étude CESE-BAM, et avant elle les études susmentionnées de la Banque mondiale, montrent à la fois que nous disposons d’un remarquable capital immatériel et que ce capital apparaît comme sous-utilisé. Et par conséquent, son rendement (son “yield”) s’en trouve affaibli.

En d’autres termes, avec la même quantité de facteurs de production (capital et travail) qu’il possède aujourd'hui et avec son niveau de progrès technique actuel, le Maroc serait capable d’augmenter sa productivité globale s’il arrivait à mieux mobiliser ses énergies, à s’organiser de façon plus cohérente et à miser davantage sur son capital immatériel.

Engageons davantage de moyens dans la recherche-développement pour définir, à partir de notre capital, de nouveaux modes opératoires et de nouveaux produits et services; créons des standards basés sur les meilleures pratiques; améliorons le partage des connaissances et des savoir-faire par le biais du numérique et par une communication multimédia.

Cette approche pourrait être une direction prometteuse du nouveau modèle de développement voulu par le Roi.

 

Alors, à nous de jouer. 

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