Mario I. Blejer

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L'indépendance des banques centrales est un concept dépassé

Le 30 avril 2013 à 9h50

Modifié 9 avril 2021 à 19h44

BUENOS AIRES, 17 avril 2013 – La crise financière mondiale soulève des questions fondamentales quant au mandat des banques centrales. Au cours des dernières décennies, la plupart des banques centrales ont eu pour unique objectif la stabilité des prix. Cette priorité accordée à un objectif en matière d'inflation a conduit à l'indépendance opérationnelle des banques centrales. Ce fut un succès : la discipline imposée par la focalisation sur cet objectif unique a permis aux responsables politiques de contrôler parfaitement l'inflation.  

En raison de ce cadre réducteur, les responsables politiques ont négligé la formation de bulles des actifs et des matières premières et l'instabilité qui en a résulté dans le secteur bancaire. Après l'éclatement de la crise financière, les banques centrales ont été amenées à considérer peu à peu d'autres objectifs et à prendre toute une série de mesures monétaires non orthodoxes pour amortir les conséquences de la crise et favoriser la reprise.

Les pays avancés luttent pour éviter un effondrement financier, échapper à la récession, diminuer le chômage et restaurer la croissance. C'est pourquoi on demande aux banques centrales de lutter (parfois simultanément) contre des déséquilibres croissants. D'où la recherche d'une redéfinition radicale de leur mission et la remise en question de leur indépendance.

L'attitude des banques centrales durant la crise montre que la lutte contre l'inflation ne constitue pas un cadre adapté en cas de choc systémique et plus largement qu'il ne faudrait peut-être pas le conserver tout au long des cycles économiques. Un régime qui abandonne son seul objectif à l'occasion d'une crise n'a sans doute pas la capacité de faire face à des problèmes inattendus. Tel est selon les critiques le principal problème posé par le fait que les banques centrales ont pour objectif exclusif la lutte contre l'inflation.

Des arguments théoriques peuvent justifier la distance prise récemment par rapport à cet objectif.  Dans le monde de post-crise, l'objectif des banques centrales des pays avancés ne se limite plus au maintien de la stabilité des prix. Ainsi aux USA la Réserve fédérale a adopté un objectif quantitatif en matière de création d'emploi, tandis que d'autres pays envisagent des objectifs analogues, par exemple en matière de PIB nominal. La stabilité financière figure à nouveau dans les objectifs des banques centrales, en particulier la très conservatrice Banque centrale européenne.

Cette évolution vers des objectifs multiples ne peut que réduire l'indépendance des banques centrales. Certains analystes ont déclaré récemment que la croissance du PIB, la création d'emplois, la stabilité financière et le choix de priorités lorsqu'il y a des compromis à faire sont des décisions politiques qui ne doivent pas être abandonnées à des fonctionnaires non élus. Par ailleurs, en poussant les taux d'intérêt vers zéro, la politique actuelle de relâchement monétaire (l'augmentation de la masse monétaire par l'achat de titres d'Etat) a des conséquences très négatives sur les revenus. Les adversaires de l'indépendance des banques centrales prétendent qu'en raison des effets de la politique monétaire en cours en terme d'allocation et de distribution, le processus de décision des banques centrales devrait être soumis à un contrôle politique.

Mais cet argument néglige un point important. S'il est vrai que la poursuite d'objectifs multiples tend à accroître la nature politique des décisions des banques centrales, leur donner pour seul objectif la stabilité des prix est aussi lourd de conséquences politiques, notamment en terme de distribution. En matière monétaire, la nature politique d'une décision est plus affaire d'échelle que de transformation substantielle du processus de décision.

L'indépendance des banques centrales est de plus en plus fragile dans le cadre d'un régime de politique monétaire à objectifs multiples et elle tend à produire un déficit démocratique parce que les deux principaux arguments en faveur de cette indépendance ont perdu leur pertinence.

Premier argument en faveur de l'indépendance des banques centrales : sans elles, à l'approche d'une consultation électorale, les dirigeants politiques risquent de s'engager dans une politique monétaire expansionniste pour tirer avantage de ses effets positifs à court terme, sans prendre en considération le risque d'inflation à long terme. Cet argument perd de sa pertinence lorsque la stabilité des prix n'est pas le seul objectif des responsables politiques.  Il est à noter que contrairement au recours à la planche à billets ou à la baisse des taux d'intérêt, la politique budgétaire et la politique de taux de change n'impliquent généralement pas de choisir entre l'intérêt à court terme et à long terme, il est donc malaisé de les utiliser dans une perspective électoraliste.

Le second argument en faveur de l'indépendance des banques centrales est qu'elles bénéficient  d'un avantage comparatif manifeste lorsqu'elles traitent des questions monétaires et que de ce fait on peut leur faire confiance pour poursuivre en toute indépendance leurs objectifs. Mais cet avantage comparatif ne s'étend pas à d'autres domaines. 

Etant donné que les banques centrales vont sans doute continuer à poursuivre pendant encore une longue période toute une série d'objectifs, leur indépendance va continuer à s'éroder. Dans la mesure où les Etats n'interviennent pas abusivement dans leur processus de décision, cette évolution permettra de rétablir l'équilibre en matière de prise de décision et d'améliorer la coordination politique, particulièrement en période de stress.

Pour parvenir à un résultat positif, les responsables politiques doivent établir un cadre totalement transparent avec des "règles d'engagement" bien définies. Un cadre strict qui autorise et limite simultanément l'intervention de l'Etat dans le processus de décision des banques centrales est d'une importance cruciale pour les pays émergents. Car pour la plupart d'entre eux, l'indépendance des banques centrales a contribué non seulement à l'éradication de l'inflation, mais aussi à la construction institutionnelle.

L'indépendance des banques centrales est une innovation institutionnelle particulière. Sous-tendu par des modèles théoriques qui semblaient irréfutables, le paradigme de leur indépendance ne peut plus être maintenu en l'état, si ce n'est au risque de graves problèmes politiques. Que cela leur plaise ou non, les responsables politiques doivent accepter l'idée que les banques centrales continueront à perdre de leur indépendance. Ils doivent se préparer à faire face aux conséquences de cette situation.

Traduit de l’anglais par Patrice Horovitz

© Project Syndicate
 

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