Les grands problèmes politiques contemporains

Le 6 janvier 2016 à 12h52

Modifié 10 avril 2021 à 4h41

Publiée dans le courant de l'année académique 1995-1996, cette chronique de Abdelmoughit Benmessaoud Tredano a une résonance étonnamment actuelle.

Un monde sans repères

Le monde a basculé d'un certain sens au non-sens. Le monde a perdu le sens de l'humain. Au quotidien et en direct, nous assistons d'une manière quasi-passive à une destruction progressive et rampante de sa quintessence. L'image envahit. L'écologie se dégrade, pour ne pas dire que le seuil de la rupture est déjà atteint. Le politique dégénère pour ne refléter qu'une image pâle de la vie en société.

Le droit, qui est censé établir une relative justice entre les Etats n'est désormais qu'une farce et une hypocrisie internationales permanentes. La raison des Etats prime sur les intérêts et les aspirations des peuples. Quant aux rapports entre groupes d'Etats, notamment entre le Nord et le Sud, nous ne pouvons que constater que la fracture est cyclopéenne. L'Occident et l'Orient retrouveraient leurs velléités et des relents d'antagonismes d'antan et pourraient, si ce n'est déjà fait, se remémorer leurs vieux démons.

La cause de cette dérive? On vit présentement une période de transition. Et le propre de toute période transitoire est le flottement et l'incertitude. Certes. Mais est-ce suffisant pour appréhender, expliquer et surtout supporter le grand gâchis qui se généralise sous nos yeux? En fait, il s'agit d'une véritable rupture. La période 1945-89 de "paix" relative, musclée et casquée sur la toile de fond de la guerre froide n'était d'évidence que passagère.

Le monde ne vit en fait qu'à coups de ruptures. Le sociologue et anthropologue français Jean Duvigraud disait à ce propos: "Nous vivons une période de cassure, comme il y en eut au cours de l’histoire. Peut-être l’histoire n'est-elle, au fond, faite que de ruptures. Ce n'est pas la continuité qui compte. A mes yeux, l'essentiel réside peut-être dans des moments flous, comme celui où nous sommes." (1)

Au niveau économique, notamment dans les pays développés mais aussi dans les pays sous-développés à cause d'un mimétisme imposé et aveugle, on ne vit qu'au rythme de chiffres, de courbes et de graphiques... Et on ne jure qu'en termes de concurrence, de productivité, de compétitivité et de croissance. Dans la préface de l'ouvrage du sociologue iranien Ehsan Naraghi, le démographe français Alfred Sauvy disait: "En cherchant à vivre mieux, l'Européen, l’Américain ont oublié de vivre." (2)

En effet, depuis 1973 (les trente glorieuses sont désormais un vieux souvenir), la crise ne cesse de s'éterniser. Les quelques embellies enregistrées ces derniers temps, ici et là, ne devraient pas tromper. La raison en est simple; le seuil de rupture entre les besoins de plus en plus illimités de l'homme et les possibilités et potentialités limitées de la planète est quasi-atteint.

Les différentes actions, d'ordre écologique sur le plan scientifique, économique et idéologique, restent en deçà de l'ampleur du désastre occasionné par une production déchaînée. Depuis l'aube des temps, l'homme a toujours agi pour maîtriser la nature et la réalisation du progrès. Aujourd'hui, il ne maîtrise ni l'une ni l'autre.

Dans un monde devenu cité, la survie de l'économie mondiale dépendrait de l'ampleur de l'ouverture des frontières nationales, le spectre de la loi des puissants viendrait réguler les rapports de demain. L'OMC servirait d'arène. Les moins performants seraient sacrifiés et mis en marge de l’histoire.

Un gâchis écologique et humain

Mais le tout se fait et se fera au détriment de l'homme et de son environnement. Il y a 22 ans, le Club de Rome avait tiré la sonnette d'alarme. Ses membres étaient pris pour des farfelus. Qu'est ce qu'ils disaient, dans leur fameux "Halte à la croissance"?

"La religion de l'Expansion doit s'effacer au profit, non d'un arrêt de la croissance, mais d'une croissance contrôlée, pour préparer de grands équilibres écologiques... " Et d’ajouter: "Nous ne faisons pas de la prévision. Nous disons: voilà ce que donnent, à telle ou telle échéance, les tendances actuelles. Eh bien, sauf renversement, elles donnent la catastrophe." (3)

L'état actuel de la planète ne peut démentir leurs appréhensions. L'environnement se dégrade sous la pression continue d'une propension à l'exploitation et à l'expansion. Mais l'homme n'est pas, non plus, épargné. Pour la première fois, le progrès n'est plus au service de l'homme. Au contraire, il le dessert. 

Le chômage endémique en est la parfaite illustration; les taux de croissance, somme toute relative, remarqués ces derniers temps notamment dans les économies occidentales et qui sont sans perpectives de créations d'emplois, en sont un des indices.

Penser autrement la croissance et la chose économique est devenu, depuis quelque temps déjà, une nécessité impérative; elle passe, entre autres, par un traitement nouveau des deux équations homme/machine et homme/environnement. Les rapports qu'ils connaissent et les tendances qui s'en dégagent doivent être repensés pour une meilleure vie, pour ne pas dire toute simplement la survie de l'homme.

L'homme est, en effet, au terme d'une ère civilisationnelle et au seuil d'une nouvelle. Mais pour que celle-ci soit prometteuse et porteuse d'espoir, les rapports entre les pôles civilisationnels doivent changer, car ils sont sur une mauvaise pente. Que constatons-nous depuis la chute du mur de Berlin? Une fracture entre le Nord et le Sud et une cassure entre l’Occident et l'Orient, notamment avec sa composante arabo-musulmane.

Une coopération entre les pôles civilisationnels

Faute de repères et d'ennemis, certains milieux en Occident sont enclins à ériger l'islam, en le caricaturant et en le réduisant, en l'épouvantail de demain, un objet et une piste expiatoires. Une "guerre sainte" médiatique sous de fausses couleurs de tolérance et de dialogue est savamment orchestrée contre une certaine conception de l'islam; des approximations et amalgames aidant, celui-ci est traité comme une religion intolérante, envahissante, excluante, voire exclusiviste.

Il va sans dire que cette voie est pétrie de dangers. Il importe de repenser ces rapports Nord/Sud en matière de coopération et de développement, et ceux entre l'Occident et les contrées de l'islam, au niveau aussi spirituel et civilisationnel. Plus globalement, il est de plus en plus urgent et salutaire de substituer la coopération à la confrontation. Ce n'est pas une vue de l’esprit, mais c'est une nécessité pour le devenir de l'humanité.

Une des préoccupations majeures qui devrait être prise en considération est la problématique du développement. Sans cela, il est à craindre que l'état du monde n'empire; cela se traduirait par la généralisation des conflits, l'extension de la pauvreté et de la famine et l'amplification du sous-développement, ce qui ne peut que compromettre davantage la stabilité et la sécurité internationales.

C'est une vision nouvelle. C'est d’une option novatrice qu'il est question, tranchant avec les calculs d'épiciers et les intérêts nationaux égoïstes et étriqués. Cela suppose une gestion en commun du monde. Bien que paraissant immature et difficilement réalisable, cette formule devrait désormais impérativement constituer une des préoccupations et un des centres d'intérêts des décideurs de par le monde.

En attendant, il faudrait que le politique, au niveau de chaque nation et de chaque composante des différents pôles politico-économiques et civilisationnels, connaisse de nombreuses et profondes réformes; les dirigeants politiques devraient, en outre, se libérer des contingences, de la pression pesante des sondages et de la recherche incessante de popularité...

Des réformes du politique et des médias

Au Nord, le politique, dans sa version démocratique, devrait se régénérer, et au Sud s'améliorer en s'enracinant. L'image et les médias doivent accompagner les grandes réformes du politique. Les dégâts que produit ce 4e pouvoir sont énormes. En effet, l'image envahit tous les foyers. Le citoyen du monde consomme avec boulimie, dans sa solitude et son confort individuel, sans réagir.

La petite boîte magique appauvrit l'imaginaire et abêtit à doses homéopathiques; il est de plus en plus difficile de s'en passer. C'est une drogue nécessaire mais nuisible à fortes doses... L'image a contribué, entre autres facteurs, à la déliquescence du système démocratique au Nord. Au Sud, monopole et monolithisme aidant, l'idée et la pratique démocratiques se fraient difficilement un chemin.

En somme, notre fait quotidien est et sera de plus en plus marqué par une multiplication des conflits de toute nature, un appauvrissement et une marginalisation de nombreux pays et de grandes masses de population à travers le monde... Il s'agit là d'un tableau sombre. Sans doute. Mais c'est un constat qu'on ne peut évacuer par un haussement d'épaules, par une attitude d'indifférence ou/et de fuite en avant.

Il est vrai, que les politiques et les décideurs, prisonniers qu'ils sont du taux de leur popularité ou/et de l'équilibre et de l'avenir de systèmes politiques en place, aussi bien au Nord qu'au Sud, ne peuvent ou ne veulent pas avoir le détachement et la distance nécessaires pour s'en convaincre.

Une finalité pour l’homme

Cela ne peut aider à une prise de conscience collective du danger qui guette le cheminement et le devenir du genre humain dans un monde éclaté. Mais le citoyen du monde, désarmé qu'il est, ne peut que constater, car il n’a aucune prise sur les réalités nationales et internationales de plus en plus compliquées et complexes.

La courageuse et louable action des ONG demeure largement insuffisante, car elles ne peuvent répondre à tous les besoins et réparer tous les dégâts, dans une situation marquée, de plus en plus, par la défaillance et la déliquescence des Etats. Il semble, désormais, que la seule issue pour l'homme est de continuer à espérer un profond renversement de tendance. Le présent lui échappe. Et l'avenir lui fait peur.

Il est vrai qu'il n'y a pas de recettes magiques pour opérer les changements nécessaires et vitaux, dans un monde aussi complexe et déboussolé. Un monde de plus en plus sans repères, sans éthique et plus grave encore, sans finalité.

Penser l'homme, en tant qu'unité, son devenir en tant qu'universalité intégrant et conjuguant les différences et les spécificités et répondant à ses besoins réels, matériels et immatériels, et non pas suivant les caprices et les lubies du marché et des différents groupes de pression et d'intérêts, est une piste à défricher et à creuser.

C'est d'évidence une belle mais difficile aventure; elle ne peut être que prometteuse, ouvrant des perspectives différentes de celles que connaît actuellement et connaîtra la communauté internationale, si des changements d'envergure n'interviennent pas.

Certes, c'est une vision féerique, platonique et idéaliste. Mais il vaudrait mieux penser, voire rêver autrement, que de se soumettre à la tyrannie de la médiocrité de la pensée et de l'action.

Agir et faire en sorte que l'ignorance, l'indifférence et l'agressivité des attitudes et des comportements de l'ordre régnant ne soient pas les seules alternatives au genre humain.

(1) Le Monde 18 Janvier 1994

(2) L'Orient et la Crise de l'Occident, Ed. Entente, 1977, p. 8

(3) Halte à la croissance, ouvrage collectif, voir p. 13 et sommaire.

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