La matière économique doit s'élargir pour s'améliorer

Le 29 mars 2019 à 14h31

Modifié 11 avril 2021 à 2h41

A l'instar de la reine Elizabeth II, qui s'est interrogée dans une intervention célèbre de novembre 2008 sur les raisons pour lesquelles personne n'avait vu la crise arriver, nombre de citoyens se montrent de plus en plus sceptiques quant à la capacité des économistes à expliquer et anticiper les évolutions économiques, sans même parler de leur faculté à proposer des recommandations judicieuses aux dirigeants politiques. Plusieurs sondages placent les économistes parmi les professionnels qui inspirent le moins confiance (après les politiciens, bien entendu, dont les économistes ont également perdu la confiance). Une solide formation en économie n'est plus considérée aujourd'hui comme un must aux plus hauts postes des ministères des finances et banques centrales. Cette marginalisation vient encore davantage affecter la capacité des économistes à informer et influencer les décisions relatives à des problématiques pourtant directement liées à leur domaine d'expertise (ou à ce qu'ils décriraient comme leur avantage comparatif et absolu).

La détérioration de la réputation de la profession s'explique en grande partie par un recours excessif à ses propres orthodoxies auto-imposées. En s'ouvrant davantage aux approches interdisciplinaires ainsi qu'à une plus large utilisation des outils analytiques existants, notamment issus de la science comportementale et de la théorie des jeux, l'économie dominante pourrait commencer à surmonter ses défaillances.

Un mauvais diagnostic 

Trois évolutions récentes soulignent l'urgence de ce défi. En 12 mois entre les rassemblements annuels de 2018 et 2019 du Forum économique mondial de Davos, les participants sont passés de la célébration d'une hausse de croissance globale et synchronisée à une inquiétude autour d'un ralentissement mondial. En dépit du déclin des perspectives de croissances en Europe, ni l'ampleur, ni la rapidité du changement dans le consensus ne semblent appuyées par des événements économiques et financiers, ce qui suggère que les économistes pourraient avoir mal diagnostiqué les conditions initiales.

La politique monétaire constitue un deuxième domaine d'inquiétude. Les professionnels de l'économie n'ont à ce jour pas encore décrit suffisamment clairement les défis autour de la stratégie de communication de la Réserve fédérale américaine, bien que certains ratés même minimes, comme celui observé au quatrième trimestre de l'an dernier, soient susceptibles de provoquer d'importants épisodes d'instabilité financière, qui menacent la croissance. Les économistes se sont contentés de suivre la conception moderne selon laquelle une plus grande transparence de la Fed serait toujours une bonne chose.

De l'eau a coulé sous les ponts depuis l'époque du jargon de la Fed employé par l'ancien président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan ("J'ai appris à marmonner avec une grande incohérence", disait-il). Or, un nouveau problème se présente: l'illusion de la précision. La Fed conclut désormais chaque réunion de politique par la publication de déclarations, comptes rendus, transcriptions, graphiques, ainsi que par une conférence de presse, signalant aux marchés un niveau de sophistication qui n'est guère réaliste dans un monde de fluidité et d'incertitude accrue.

La guerre commerciale 

Plutôt que d'accepter docilement la conception selon laquelle "trop" vaudrait mieux que "pas assez", les économistes devraient pousser la Fed à adopter une approche davantage comparable à celle de la Banque d'Angleterre, qui place l'accent sur les analyses de scénarios et les graphiques en éventail. Les économistes pourraient également œuvrer davantage pour informer – et pourquoi pas influencer – l'examen continu auquel procède la Fed autour de son cadre de politiques et de sa stratégie de communication. En effet, la littérature économique relative aux asymétries d'informations démontre combien une plus grande participation des économistes en dehors de la Fed se révèle à la fois appropriée et nécessaire à des résultats optimaux sur le plan des politiques.

Un troisième motif de préoccupation réside dans le conflit Chine-Amérique, qui en raison de sa nature politique apparaît plus controversé. A ce jour, l'immense majorité des économistes martèle l'argument conventionnel selon lequel les tarifs douaniers (réels ou constitutifs d'une menace) seraient systématiquement mauvais pour tous. Ce faisant, ils ignorent les travaux de certains de leurs homologues, qui démontrent que les bienfaits promis du commerce, bien que substantiels, peuvent être mis à mal par les imperfections des marchés et institutions. Ceux qui entendaient apporter une contribution productive au débat auraient dû adopter une approche plus nuancée, en appliquant les outils de la théorie des jeux pour établir la distinction entre d'une part l'objet et de l'autre les modalités de la guerre commerciale.

Ces trois exemples parmi tant d'autres révèlent combien les économistes faillissent à leur tâche. Ils peinent également à expliquer les récentes évolutions en matière de productivité, les retombées des inégalités croissantes, l'impact des taux d'intérêts continuellement négatifs dans la zone euro, les effets à plus long terme des mesures de politique monétaire non conventionnelles (amplifiés par la dernier virage politique de la Banque centrale européenne), ou encore le ralentissement soudain de la croissance en Europe. Ils n'ont pas non plus su prévoir la saga du Brexit, ni l'explosion politique de colère et d'aliénation dans l'Occident de manière générale.

Rien de tout cela n'est véritablement surprenant, compte tenu du penchant de la profession pour les hypothèses théoriques simplistes, et son recours excessif à des méthodes mathématiques qui font primer l'élégance sur l'applicabilité dans le monde réel. L'économie dominante place beaucoup trop l'accent analytique sur la condition d'équilibre, tout en ignorant largement l'importance des transitions et points d'inflexion, sans parler des scénarios d'équilibres multiples. La profession échoue par ailleurs fréquemment à prendre suffisamment en compte les liens financiers, les enseignements de la science comportementale, ainsi que les forces séculaires et structurelles à évolution rapide, telles que l'innovation technologique, le changement climatique, et la montée en puissance de la Chine.

Concevoir de nouveaux modèles analytiques

Tous ces manques devraient inciter les économistes à prendre conscience de l'importante marge d'amélioration existante, ainsi que de la nécessité d'étendre la portée de leur analyse pour tenir compte des interactions humaines, des effets de distribution, des boucles de rétroaction entre finance et économie, sans oublier le changement technologique. Mais il ne s'agit pas seulement de concevoir de nouveaux modèles analytiques au sein de la discipline; les économistes doivent également intégrer à leur profession des enseignements issus d'autres disciplines et trop longtemps ignorés.

Matière longtemps dominée par les maîtres à penser, l'économie doit désormais adopter un état d'esprit plus ouvert. Ceci implique de reconnaître et de remédier aux penchants inconscients, notamment en fournissant un effort concerté pour améliorer l'inclusion et la diversité dans le domaine. Il est également nécessaire de placer davantage l'accent sur les approches interdisciplinaires et les effets de distributifs, plus que sur la pureté des modèles mathématiques, les conditions moyennes, et le nombril des répartitions. Ces changements structurels nécessiteront de meilleures et plus nombreuses "zones de sécurité" intellectuelles et institutionnelles, de sorte que les perturbations analytiques puissent être gérées et canalisées dans des directions productives.

Sans ajustements significatifs, l'économie dominante demeurera à la traîne par rapport aux réalités changeantes du terrain, et les économistes risqueront de perdre encore davantage en crédibilité et en influence. A l'ère des réflexions autour du changement climatiques, des révoltes politiques et de la rupture technologiques, les lacunes de l'économie dominante doivent être comblées sans plus tarder.

Traduit de l'anglais par Martin Morel

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