Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

Désenclaver le Sahel tout en désenclavant les mentalités

Le 30 décembre 2023 à 9h18

Modifié 30 décembre 2023 à 9h18

Proposer et Initier des grands chantiers régionaux qui lient les peuples, mobilisent les ressources et libèrent les énergies, est une grande vertu politique. Certains États cherchent à s’imposer par la force et par les manigances pour servir leurs propres intérêts croyant desservir ceux des autres. Par une initiative structurante et ouverte pour le Sahel, le Maroc privilégie la coopération régionale pour favoriser le développement et la paix.

L’initiative annoncée lors du discours royal à l’occasion du 48e anniversaire de la marche verte a visé deux objectifs concomitants et complémentaires. Le premier est la dimension atlantique que le royaume développe avec tous les pays africains donnant sur cet espace. Le second est de permettre aux pays du Sahel d’y participer en accédant directement à l’océan atlantique pour leur commerce et approvisionnements. Quand l’un vise le grand sud, l’autre tend vers l’Est.

Certains de nos proches voisins n’ont retenu de cette initiative sur le Sahel que la dimension politique et la volonté du royaume d’imposer la marocanité du Sahara aux yeux du monde alors que ce projet œuvre d’abord à instaurer une zone de codéveloppement beaucoup plus large. Pourtant tous les pays concernés, y compris ceux qui partagent de longues frontières avec l’Algérie, ont été invités et ont participé activement aux travaux tenus à Marrakech.

Le processus de coordination entre les Etats africains de l’Atlantique est donc la matrice de l’ouverture vers les pays du Sahel. Plusieurs réunions ont été tenues durant les années 2022 et 2023 pour faire avancer la coopération des pays riverains de l’Atlantique. L’enjeu était de faire de cette façade une zone de prospérité et de faire face, collectivement, aux défis politiques, économiques et climatiques qui s’accumulent. Devant l’élan que prenait cette initiative, l’ouverture vers le Sahel est politiquement justifiée et moralement nécessaire.

Mais on n’est encore qu’au début d’une réinitialisation stratégique régionale. Les délégations des pays du Sahel qui se sont réunies à Marrakech le 23 décembre dernier l’ont bien compris. Les ministres des affaires étrangères du Mali Abdoulaye Diop, et son homologue nigérien Bakary Yaou Sangaré ont exprimé ouvertement leurs accords et la disponibilité de leurs pays pour concrétiser l’initiative marocaine qui créera une zone de coprospérité et réduira du même coup les foyers de tension dans la région.

Dans le communiqué final qui a sanctionné cette première réunion entre le Maroc, Burkina, Niger, Mali, et Tchad on pouvait lire que les délégations ont exprimé leur adhésion à l’initiative et relevé son importance stratégique. Elles ont également mis l’accent sur ce qu’elle offre comme opportunités pour la transformation économique de l’ensemble de la région, en accélérant la connectivité régionale, et en augmentant les flux commerciaux menant à une prospérité partagée.

Cette ambition commune de consolider les relations de coopération a été donc ouvertement réaffirmée. Elle se déploiera dans un avenir proche à travers des partenariats conjoints, multisectoriels, structurants et novateurs, reflétant les valeurs de la coopération sud-sud, pour reprendre les termes du communiqué final. Pour traduire cette adhésion à l’initiative royale, chaque pays constituera une Taskforce pour préparer et proposer les projets qui seront soumis aux chefs d’État pour validation.

Toute initiative de cette envergure nécessite à l’évidence des grands projets qui, pour le cas des pays du Sahel, dépassent leurs capacités financières et technologiques. Mais c’est en exprimant leur volonté politique, en mutualisant les efforts, et en créant les conditions d’un vrai co-développement qu’on viendra à bout des difficultés pour désenclaver cette région. Au moment où se dessine l’avènement d’une nouvelle réorganisation des rapports mondiaux, ce projet place le Sahel dans une perspective prometteuse.

La façade atlantique du sud marocain, longtemps sous exploitée et peu valorisée, connait actuellement des développements structurels qui modifieront, à court et à long terme, le visage de la région. Le Maroc retrouve ainsi sa vocation historique qui a fait son identité en tant que trait d’union entre l’Afrique et l’Europe. Ceci permettra aux pays du Sahel de s’ouvrir davantage sur le grand large et d’atténuer leur enclavement par une coopération régionale plus diversifiée.

Mais pour ce faire, les préalables à toute intégration régionale réussie, passe inéluctablement par le développement des infrastructures portuaires d’envergure, ce que le Maroc a déjà entamé par sa stratégie portuaire 2030. Le port Dakhla Atlantique en eau profonde, annoncé aussi lors du discours royal à l’occasion de la marche verte en 2015, en est l’exemple parfait. Il est censé conforter les échanges entre le Maroc la Mauritanie le Sénégal et la Côte d’Ivoire.

La construction de de routes et des chemins fer pour connecter toute la région est aussi importante pour faciliter les échanges mais exigeront des financements conséquents. De même il est primordial de penser dès aujourd’hui aux projets énergétiques, dont l’énergie verte renouvelable, pour maitriser les coûts et s’inscrire dans les recommandations de la communauté internationale. Tout désenclavement passe aussi par l’amélioration des moyens de communication et la mise en place d’infrastructures de télécommunication pour connecter les pays entre eux et avec le reste du monde.

L’autre grand défi de la région reste la problématique de la sècheresse et de la gestion des ressources aquatiques. Le Maroc a une expérience dans le domaine de la gestion de cette denrée rare ainsi que dans les techniques de dessalement qu’il peut mettre au service des pays du Sahel. La question stratégique de l’eau est étroitement liée à la sécurité alimentaire et au développement de l’agriculture. Le dessalement peut donc servir l’irrigation et encourager la mise en place de techniques agricoles adaptées pour améliorer la production vivrière et assurer la sécurité alimentaire.

Mais au-delà de tous ces aspects économiques, ce sont les menaces terroristes et séparatistes qui risquent de miner cet ensemble. La région est très vaste et demeure difficile à contrôler en raison de l’immensité des territoires sahéliens et des foyers de tensions qui se multiplient. La déstabilisation française de la Libye a aggravé la situation par la circulation des armes à feu. Le rapport de l’Office des Nations-Unies contre la Drogue et le Crime, UNODC, édité en février 2023 a dénombré des milliers de victimes en 2022 suite aux actes de banditisme, de violence intercommunautaire et de terrorisme.

Coordonner les moyens de sécurité et lutter contre tous les trafics sont des conditions à tout développement qu’il soit national ou régional au Sahel. Il faut faire appel, pour chaque projet économique d’envergure, aux investissements privés et internationaux qui, souvent, sont frileux face à l’instabilité politique et à l’insécurité qui en découle. Ceci nécessite à l’évidence de leur offrir les meilleures garanties pour les intéresser à investir et à s’impliquer dans tout projet de développement. La stabilité politique des pays du Sahel demeure la condition sin qua non aussi bien pour la résolution des conflits internes qu’à l’aboutissement du projet d’intégration régionale.

Le royaume qui compte relier l’Europe à l’Afrique via le détroit de Gibraltar, qui a mis sur les rails le train à grande vitesse Tanger-Casablanca et compte le prolonger vers Marrakech, qui a bâti le grand port de Tanger-Med et cherche à le dupliquer à Dakhla, qui a relié cette ville à Tiznit par une route rapide tout en développant un réseau autoroutier de qualité, qui avance dans son projet de gazoduc avec le Nigeria, et qui a établi des partenariats d’exception avec les grandes économies du monde dont le plus récent avec les Emirats, voit maintenant plus grand en permettant aux pays du Sahel l’accès commercial à l’Atlantique. Nos autres voisins, encore réticents à cette initiative, seraient avisés de la considérer comme une opportunité à saisir, plutôt qu’un risque à rejeter. Désenclaver le Sahel paraît plus simple que désenclaver certaines mentalités.

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