Abdallah-Najib Refaïf

Journaliste culturel, chroniqueur et auteur.

A vol d’oiseau

Le 5 janvier 2024 à 11h28

Modifié 5 janvier 2024 à 13h20

La poésie, qu’on peine encore et toujours à définir, est d’abord et toujours autre chose. Et ce qui reste, disait un poète de la tribu, la poésie le fonde.

"Ceux qui sont vieux dans le pays le plus tôt sont levés

à pousser le volet et regarder le ciel, la mer qui change de couleur

et les îles, disant : la journée sera belle si l’on en juge par cette aube."

Ainsi commence le XVIe poème du recueil Éloges de Saint-John Perse qui se termine par ce vers odorifère :

"C’est alors que l’odeur du café remonte l’escalier."

Le même poète des partances exhorte son congénère qui s’en va, dans le bien nommé recueil Exil :

"Et c’est l’heure, ô poète, de décliner ton nom, ta naissance, et ta race."

Comment, en égrenant ces poèmes (pendant que la radio matinale rapporte le bruit du monde), ne pas penser à ceux qui partent pour un ailleurs indéfini, sans regarder la mer qui change de couleur, ni le ciel qui reçoit sans y répondre, prières, suppliques et sanglots, ni encore l’horizon qui s’éloigne effacé par des vagues en furie ? On les a nommés "brûleurs", parce qu’il brûlent leur identité et coupent les amarres. Et leurs embarcations anonymes et sans mâture, dont nulle vague n’estompe la partance, voguent vers des rivages inconnus. Ils arriveront, s’ils arrivent, face à des murailles hostiles sur lesquels les sentinelles de l’autre rive ont déjà planté des tessons de bouteilles. Le pays de Cocagne est une contrée hostile hérissée de bris de verre et de fer barbelé. Et c’est l’heure, pour ces oiseaux migrateurs d’un paradis perdu, avant même d’être retrouvé, de décliner leur nom, leur naissance et leur race. Ainsi que vaticinait le poète ce matin accompagné de "l’odeur du café qui remonte l’escalier". Et les poètes ont toujours raison.

Émigrés ou immigrés ? Voilà encore deux autres appellations contrôlées, ô combien, pour désigner tous les oiseaux migrateurs, êtres errants, demandeurs d’asile, réfugiés, exilés avec ou sans papiers. Chiens perdus sans collier. Ils ont cru que le monde était à portée de main ; mais qu’il est long et qu’il est loin le chemin ! Celui-là même qui les a conduits de leur nid vers un nulle part de l’autre côté du rivage, à l’autre bout du mirage.

Émigrer ou immigrer ? En français, ces deux verbes se rapprochent par la forme et l’intonation autant que par le sens. Quitter son pays pour s’installer ailleurs ou arriver dans cet ailleurs pour s’y installer. Quelle différence puisque c’est du même être humain qu’il s’agit ? Seul le point de vue les différencie, sauf qu’on est toujours l’étranger de quelqu’un, ou à quelque chose. Etrange mot que celui qui désigne ce sentiment de ne pas être chez soi, de ne pas être au bon endroit, ni au bon moment. La peur, les idéologies de la haine et les justifications économiques, qui sont d’abord politiques et électoralistes, ont depuis un certain temps exacerbé l’image de l’étranger. Même si la peur de l’autre remonte à la nuit des temps, car comme dit encore le poète : "L’exil n’est pas d’hier." Mais aujourd’hui, la peur est partout et porte sur tout, car elle porte elle-même plusieurs visages. Peur des immigrés, de l’Islam, peur de l’insécurité, du chômage dont on accuse ces derniers, peur encore et surtout que ces étranges étrangers opèrent "le grand remplacement" qui sonnera la fin et donc l’extinction de leur civilisation. La Civilisation. Celle, salvatrice et fondatrice, selon eux, de l’humanité tout entière, mais dont sont exclues, par essence et par définition, ces hordes d’oiseaux migrateurs qui n’ont jamais intégrés l’Histoire. Ou que cette dernière n’a jamais intégrés.

Ces derniers temps, partout en Europe, on parle moins de ceux qui partent, traversent les frontières ou sont traversés par elles, que de ceux qui restent, traversent la rue en rasant les murs. L’immigration est devenue une spécialité, quasiment une science, qu’on n’oserait qualifier d’humaine. Pour s’y exercer, les médias apeurés, notamment à la télé, invitent toutes sortes d’experts en tout et en presque rien, de journalistes verbeux transis de peur, d’hommes et de femmes politiques xénophobes de tous bords, mais d’abord d’extrême droite, voire d’une gauche percluse de doutes et de contradictions, ou, hélas, d’intellectuels tourmentés et frileux. Ils sont là non pour informer, débattre, argumenter ou convaincre, mais pour participer en chœur à l’extension du domaine de la peur. Aussi sont-ils dans l’état d’esprit de ce personnage auquel Kafka fait dire dans son roman Le Château : "Nous (…) les gens d’ici avec nos tristes expériences et nos continuelles frayeurs, la crainte nous trouve sans résistance ; nous prenons peur au moindre craquement du bois, et quand l’un de nous a peur, l’autre prend peur aussitôt, sans même savoir exactement pourquoi. Comment juger sainement dans de telles conditions ?"

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