Ahmed Faouzi

Ancien ambassadeur. Chercheur en relations internationales.

À bord du porte-avions Gerald Ford

Le 11 janvier 2024 à 10h34

Modifié 11 janvier 2024 à 10h34

Le Gerald Ford quitte la Méditerranée. Il s'agit du plus grand porte-avions du monde, une véritable base aérienne et militaire, un fleuron technologique, une force de feu impressionnante. Il ne s'agit pas d'une décision anodine, décrypte Ahmed Faouzi.

La décision des États-Unis d’ordonner à un de ses porte-avions de se déplacer vers une région du monde est toujours un acte lourd de sens. Cette initiative reflète l’ordre et l’importance des priorités stratégiques que Washington assigne à ses forces marines. Ordonner à un porte-avions de naviguer vers une zone donnée est une décision politique qui traduit un message aux alliés comme aux adversaires. L’objectif est toujours de défendre des intérêts, sauvegarder des équilibres et épauler un allié en difficulté.

Au lendemain de l’attaque du Hamas début octobre dernier, la Maison Blanche avait ordonné au porte-avions Gerald Ford et ses huit escadrilles de se diriger vers la Méditerranée orientale en soutien à Tel-Aviv. Ce n’est qu’au début de ce mois de janvier que la décision lui a été ordonnée de quitter cette zone après avoir rempli sa mission qui a duré presque trois mois. Sa présence était surtout de dissuader l’Iran et le Hizbollah de tenter d’élargir le conflit palestino-israélien à l’échelle de toute la région.

Deux semaines avant la fin de l’année 2023, les autorités militaires américaines avaient envisagé de retirer le Gerald Ford de cette zone de conflit. En prolongeant son séjour, Washington a tenu à rassurer Israël dans sa lutte coûteuse contre Hamas. Il n’est pas exclu que ce retrait soit aussi le reflet d’un désaccord avec Netanyahou pour le coût excessif de cette guerre dont les Palestiniens paient le prix fort. Washington a, en vain, adressé à ce dernier des messages pour plus de retenue. Désavoué par la Cour suprême qui a invalidé sa réforme judiciaire, l’avenir du Premier-ministre israélien semble, aux yeux des Américains, scellé.

Cette décision souveraine de Washington d’éloigner le Gerald Ford des lieux de confrontation a donc été ressentie par Israël comme un retrait inquiétant et un abandon, au moment où les combats contre les Palestiniens s’intensifient. Les responsables de l’État hébreu ont averti que la guerre contre le Hamas durera encore des mois et qu’ils préféraient se servir encore de la présence de la flotte américaine comme parapluie aux éventuelles attaques extérieures.

Mais Biden qui est en pleine année électorale, doit faire face aux nombreuses voix qui s’élèvent contre son soutien inconditionnel à Israël, y compris au sein de la communauté juive et au sein de son propre parti démocrate. De même chez ses alliés européens et arabes, on estime qu’Israël est allée, impunément, loin dans le massacre des populations civiles palestiniennes. Le mécontentement et les critiques s’étendent aussi à travers le monde pour ce deux poids deux mesures entre le conflit ukrainien et palestinien.

Le retrait du Gerald Ford de la région peut donc être lu comme un avertissement à Netanyahou qui a toujours tenté, dans sa fuite en avant, d’élargir le conflit, pour attaquer les pays voisins comme le Liban, la Syrie ou l’Iran. Certains de ses ministres envisagent même d’expulser définitivement les gazaouis vers l’Egypte comme solution finale à ce sempiternel conflit. Tout en lui demandant de la retenue, l’administration américaine qui ne partage pas les visées du gouvernement extrémiste israélien, l’a cependant assuré que le Gerald Ford reviendra, si Israël est menacé.

Ce fleuron de la marine américaine, mis au service de l’allié israélien, est le plus grand et le plus sophistiqué des onze porte-avions américains. Il a été conçu pour remplacer les porte-avions ancienne génération de classes Nimitz. Il est le plus cher de tous les temps, puisqu’il a coûté plus de 12 milliards de dollars pour sa construction. Annoncée en 2007, sa construction ne fut lancée qu’en 2013, et il n’a pu être livré qu’en 2017. Après de nombreux essais, il est entré en opération l’année dernière en raison des adaptations technologiques pour être plus efficace en cas de guerre.

Le Gerald Ford est long de 332 mètres et large de 78 mètres, quand l’unique porte-avions français Charles De Gaulle est de 261 mètres de long. Pour comparaison, le futur porte-avion que la France compte mettre en service en 2036 pour remplacer l’actuel, est de 302 mètres de long, bien loin de l’américain. À pleine charge, le porte-avions américain est capable de transporter 112.000 tonnes et 74 avions de combat, sans compter les drone, les hélicoptères et autres matériels de guerre.

Le Gerald Ford est en fait une base aérienne et militaire flottante, symbole de la force américaine qui projette, à travers les océans et les mers, la puissance de frappe des États-Unis. Il embarque en son sein des milliers de personnes qui s’occupent et font fonctionner le porte-avions, les aéronefs et les autres navires d’escorte. Il est propulsé par deux réacteurs nucléaires les plus avancés et les plus efficaces par rapport aux réacteurs classiques. Des efforts ont été également menés pour réduire sa signature radar.

Mais la prouesse technologique de ce porte-avions est la gestion rapide des décollages et atterrissages des avions de combat. L’utilisation d’un nouveau système électromagnétique de lancement remplaçant la traditionnelle catapulte à vapeur est la dernière nouveauté. Ce système, que les Américains nomment EMAL, pour Electro Magnetic Aircraft Launch, offre une plus grande flexibilité et précision dans le lancement des aéronefs et une rapidité dans l’exécution en cas de menace ou d’attaque. Pour l’atterrissage, le Gerald Ford est équipé d’un autre système d’arrêt des avions, Advanced Arresting Gear, ou AAG.

Ces deux systèmes combinés, EMAL et AAG, améliorent l’efficacité opérationnelle de l’armée de l’air pour exécuter plus d’opérations en un temps record et avec précision améliorée. Le Gerald Ford est par ailleurs équipé de systèmes de défense avancés comprenant des radars modernes, des systèmes de missiles anti-aériens, et dispose de grands hangars pour le stockage et l’entretien des aéronefs. Toutes ces nouvelles avancées technologiques ont permis la réduction des techniciens à bord chargés de l’entretien et de la maintenance, au profit d’hommes de combats et de soldats.

L’envoi de ce super porte-avions en Méditerranée orientale est donc en soi un signal politique fort et une projection de puissance pour peser sur les forces en présence. C’est aussi un geste de solidarité active avec Israël, le plus proche allié de Washington qui, volontairement, a mis en difficulté la diplomatie américaine au sein de l’ONU comme auprès de l’opinion internationale. Tous les peuples n’ont jamais été aussi mobilisés que lors de cette crise autour des Palestiniens, accusant le gouvernement américain d’être complice de cette tragédie.

Toute cette armada américaine venue en soutien à Tel Aviv a été vue par l’opinion mondiale comme une complicité et un soutien aux crimes intentionnels que l’État d’Israël commet contre les civils palestiniens. L’Occident en général, et les Etats-Unis en particulier, ont perdu ici toute leur crédibilité de n’avoir pas pu protéger les Palestiniens de ce génocide. Leur double langage, contre la Russie dans sa guerre en Ukraine d’une part, et le soutien aveugle à Israël qui tue délibérément femmes enfants et vieillards de l’autre, les a définitivement discrédités.

Au Conseil de Sécurité des Nations Unies, les résolutions pour condamner Israël et demander l’arrêt des combats et la protection des populations civiles palestiniennes, ont reçu une fin de non-recevoir par Washington qui a exercé, comme à ses habitudes, son droit de véto. Il n’y avait pas que la menace des porte-avions américains qui mouillaient au large de la Palestine. La diplomatie américaine a déployé également, pour sa part, toute son artillerie au sein du Conseil de sécurité pour qu’Israël ne soit pas condamné. On se demande comment l’Occident pourrait encore venir évoquer des droits de l’Homme et promouvoir la défense des valeurs humaines à travers le monde alors qu’il est le premier à les bafouer ?

Le porte-avions Gerald Ford a donc rempli son objectif et reparti vers des océans plus cléments. Il a rassuré pour un temps l’allié israélien pour qui tout est devenu permis, tout en dissuadant ses adversaires dans la région de ne pas commettre l’irréparable. Le Gerald Ford va voguer en attendant la prochaine conflagration au Moyen-Orient pour revenir mouiller encore et encore. La projection de sa puissance était donc voulue pour impressionner et réduire les menaces. On dit que la force militaire sert souvent à être montrée et déployée, pour ne pas avoir à l’utiliser. Sa mission est donc réussie.

Mais au-delà de son rôle dans la défense des intérêts américains, le Gerald Ford est surtout l’expression du désir de Washington de continuer toujours à dominer les mers pour mieux contrôler les terres. Les trois quarts du commerce mondial se font par voie maritime et le resteront pour toujours. L’explorateur anglais Sir Walter Raleigh ne disait-il au 16e siècle que celui qui commande la mer commande le commerce, celui qui commande le commerce commande la richesse du monde et par conséquent le monde lui-même ?

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