Keynésianisme vs. Néolibéralisme: Le clash d'idées sur le modèle économique idéal pour le Maroc

Sara El Hanafi | Le 18/1/2019 à 15:47

Au milieu du débat sur le nouveau modèle de développement que devrait adopter le Maroc, le débat est ravivé entre préconiseurs d'une approche de gauche Keynésienne basée sur la demande, et une autre de droite néolibérale qui se focalise plutôt sur l'offre. Décryptage des deux théories et de leurs implications pour le pays.

Lors de sa dernière conférence de presse à l'occasion de la présentation de la situation économique en 2018 et de ses perspectives pour 2019; le Haut commissaire au plan Ahmed Lahlimi a préconisé une politique économique aux fondements Keynésiens afin de relancer la machine économique au Maroc.

Son appel à lâcher l'inflation et le déficit budgétaire pour permettre à l'économie marocaine de décoller ravive le débat sur l'orientation que devraient prendre les politiques économiques marocaines, entre une approche Keynésienne qui prône les dépenses et l'investissement et une autre néolibérale qui soutient plutôt une rigueur budgétaire et une préservation des équilibres macroéconomiques.

Saïd Saadi, économiste et ancien ministre issu du PPS, affiche son accord avec le patron du HCP: "Nous allons mourir de cette lutte constante contre l'inflation", indique-t-il à LeBoursier. "Nous affichons une inflation faible depuis au moins une dizaine d'années, sans que cela se traduise concrètement par de la croissance".

Il ajoute: "C'était cela l'hypothèse avancée depuis plusieurs années: Baisser l'inflation pour donner de la confiance aux investisseurs et leur aménager un bon climat des affaires qui pourrait améliorer leurs profits. Alors qu'en fait une inflation modérée sert les banquiers qui en profitent pour proposer des taux d'intérêt consistants".

Cet économiste qui affiche des positions clairement Keynésiennes souligne qu'en dépit des multiples cadeaux offerts aux investisseurs privés, notamment les dépenses fiscales; le secteur privé reste défaillant: "Il n'y a que quelques grands groupes qui assurent l'essentiel des investissements, qui d'ailleurs ne sont pas orientés vers des secteurs productifs mais plutôt vers les services et la finance, en plus de l'investissement à l'étranger notamment en Afrique subsaharienne", martèle-t-il.

"Nous avons un problème de légitimité du secteur privé qui ne livre pas des résultats socio-économiques probants", persiste notre interlocuteur.

Pour M.Saadi, il est important de rompre avec ce modèle néolibéral, qui connaît une crise non seulement au Maroc mais à l'échelle mondiale: "Les pays qui s'en sont sortis sont des pays qui ont appliqué des politiques hétérodoxes, avec une forte intervention de l'Etat en tant que principal investisseur", nous explique-t-il.

Il prône donc d'agir à deux niveaux: Au niveau de la demande, il propose de supprimer les politiques d'austérité "qui font mal à l'économie". A un second niveau, Saïd Saadi propose de réhabiliter l'Etat dans son rôle économique: "Il faut agir sur la distribution des richesses, ainsi que les dépenses sociales liées à l'éducation et à la santé qui sont fondamentales pour la productivité et la compétitivité. Et là nous touchons à plusieurs aspects, dont la fiscalité et la protection sociale", explique-t-il.

Des propositions indéniablement budgétivores qui se retrouvent heurtées à l'orthodoxie budgétaire mise en place aussi bien par le gouvernement que par les autorités monétaires à savoir Bank Al-Maghrib et notamment son patron Abdellatif Jouahri, qui avait indiqué à multiple reprises que toute hausse du déficit budgétaire mènerait vers une hausse de l'endettement, et conduirait le pays vers un cercle non vertueux de déficits. Le Gouverneur de la Banque Centrale avait déclaré qu'il privilégie "une croissance modérée mais saine".

Saïd Saadi affiche son désaccord avec ces propos et avance que le budget doit impérativement stimuler la croissance: "Le déficit n'est pas mauvais dans des conditions de manque de dynamisme des investissements privés", souligne-t-il. Quant au spectre de l'endettement, notre interlocuteur estime que si l'endettement est utilisé à bon escient, c'est-à-dire pour financer un investissement public rentable, "le rendement à moyen terme sera plus élevé que le taux d'intérêt, et la croissance y gagnera".

Encore des efforts à consentir sur l'offre

Contacté par LeBoursier, l'économiste Youssef Saadani se maintient plutôt du côté des autorités monétaires sur la question de la dette: "Avec près de 65% du PIB en dette directe du Trésor et plus de 80% en PIB de dette publique globale, notre endettement est déjà élevé en comparaison à d'autres pays émergents", précise-t-il.

Par ailleurs, M.Saadani prône plutôt un renforcement supplémentaire de l'offre avant de songer à un soutien supplémentaire la demande. Il indique que la croissance potentielle du Maroc, c'est-à-dire la croissance estimée lorsque les facteurs de production (travail, capital) sont utilisés de manière optimale, n’est que de 3%.

"Les entreprises ne sont donc pas assez productives, l’entrepreneuriat n’est pas assez dynamique et notre compétitivité structurelle est faible. Il faut donc continuer tout ce qui se fait sur les stratégies sectorielles et tout ce qui peut renforcer le développement de l'entreprise", souligne notre interlocuteur.

Dans ce contexte, Youssef Saadani rappelle qu'une relance supplémentaire de la demande sans soutien de l'offre, alors que la première est déjà satisfaite en grande partie par les importations, mènerait indéniablement à un creusement supplémentaire du déficit commercial: "Cela se traduirait donc par une dépréciation de la monnaie nationale et une baisse des réserves de change, une mauvaise piste à emprunter alors que le Maroc s'est engagé à libéraliser graduellement son régime de change", explique-t-il.

D'une autre part, notre interlocuteur estime que les taux d'intérêt au Maroc aujourd'hui sont déjà "très bas", et qu'une réouverture du robinet du crédit bancaire ne conduirait pas forcément à un décollage de l'inflation: "Même quand nous avons eu une flambée de la demande entre 2005 et 2008, il n’y a pas eu d’inflation" argumente-il.

Cette inflation faible au Maroc est liée selon notre interlocuteur au régime de change marocain qui est quasi-fixe, en plus de l’intégration commerciale à l’Europe: "Puisque nous avons une monnaie stable, que nous sommes très intégrés commercialement à l’Europe et que notre ancrage monétaire est donc principalement un ancrage à l’Euro, l’évolution des prix au Maroc est très proche de l’évolution des prix en Europe.  Nous importons donc la faible inflation Européenne", explique-t-il.

Il ajoute par ailleurs que les niveaux d’inflation importants enregistrés par d'autres pays émergents sont liés à la volatilité importante du taux de change de leurs monnaies.

"Le fait d’avoir une inflation faible au Maroc n'implique pas que l'économie marocaine est sujette à des politiques restrictives. Je pense que nous avons plutôt des politiques macroéconomiques neutres qui ne sont restrictives ni expansionnistes", conclut notre interlocuteur.

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