Voyage dans l’Anti-Atlas des créatures du monde marin disparu

La chaîne montagneuse de l’Anti-Atlas marocain offre des paysages exceptionnels grâce à ses sommets mais aussi ses villages dont l'authenticité ne semble pas avoir subi le passage du temps. Moins connus sont ses affleurements immenses : plus de 12.000 km2. On y trouve des restes de placodermes - les ‘poissons’ disparus du monde marin-, mais aussi des fossiles d’autres organismes non vertébrés : trilobites, crinoïdes, brachiopodes, mollusques... etc. L’étude de ces faunes anciennes et des sédiments propulse le royaume au devant de la scène paléontologique avec son riche patrimoine géologique. Le point avec Nour-Eddine Jalil, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHM) de Paris et paléontologue spécialiste de l’évolution des vertébrés.

Pr. Nour-Eddine Jalil sur des affleurement du Crétacé supérieur (-84 à 67 millions d'années) continental, dans la région de l'Oriental, à environ 60 km de la ville de Figuig. Ces sédiments conservent des restes d'animaux terrestres. CP. Pr. Nour-Eddine Jalil

Voyage dans l’Anti-Atlas des créatures du monde marin disparu

Le 2 décembre 2023 à 14h00

Modifié 5 décembre 2023 à 8h02

La chaîne montagneuse de l’Anti-Atlas marocain offre des paysages exceptionnels grâce à ses sommets mais aussi ses villages dont l'authenticité ne semble pas avoir subi le passage du temps. Moins connus sont ses affleurements immenses : plus de 12.000 km2. On y trouve des restes de placodermes - les ‘poissons’ disparus du monde marin-, mais aussi des fossiles d’autres organismes non vertébrés : trilobites, crinoïdes, brachiopodes, mollusques... etc. L’étude de ces faunes anciennes et des sédiments propulse le royaume au devant de la scène paléontologique avec son riche patrimoine géologique. Le point avec Nour-Eddine Jalil, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHM) de Paris et paléontologue spécialiste de l’évolution des vertébrés.

Dans ses sédiments riches en enseignements sur plusieurs époques géologiques et autant d’espèces, l’Anti-Atlas fait figure d'exception. Au-delà de ses célèbres villages et sommets, il offre d'autres possibilités de voyage : celui dans le temps. Médias24 lève le voile sur une partie méconnue du riche patrimoine paléontologique de cette région : les placodermes. Ces poissons disparus figurent parmi les plus fascinants spécimens de monstres marins. Ils sont même considérés aujourd'hui comme les premiers et plus anciens vertébrés à mâchoires.

Véritable référence mondiale pour les études paléontologiques et géologiques, l'Anti-Atlas présente des couches sédimentaires qui témoignent de la grande diversité de ces animaux, mais aussi des autres faunes marines qui ont côtoyé les placodermes. "À l’image des paléontologues qui décortiquent le message des fossiles pour reconstituer l’histoire de la vie, la lecture des reliefs et l’étude des roches sédimentaires de l’Anti-Atlas permettent aux géologues de reconstituer l’histoire géologique de la région", explique Nour-Eddine Jalil, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle (MNHM) de Paris, paléontologue spécialiste de l’évolution des vertébrés, et surtout grand pédagogue.

Dans le monde éteint des placodermes, la vie était essentiellement aquatique. Un monde où les plantes à fleurs, les forêts et les dinosaures n’existaient pas encore. Environ 120 millions d’années séparent la fin des placodermes et les premiers dinosaures. Le paléontologue, Nour-Eddine Jalil nous familiarise avec ces formes de vie très lointaines qui occupaient jadis les eaux marocaines.

>> Lire aussi l'entretien : Nour-Eddine Jalil :  Les Kem Kem ont permis de donner un visage à l’un des plus grands dinosaures carnivores 

Dans cet entretien, le scientifique nous plonge dans des eaux vieilles de plus de 400 millions d’années. Il faut alors imaginer un Maroc recouvert par la mer. Si ce n’est plus le cas aujourd’hui, ses régions ont néanmoins gardé la mémoire de la diversité de ces espèces dont certaines étaient des mégaprédateurs comme le Dunkleosteus, qui pouvait atteindre 8 mètres de long. (voir photo)

Crâne de Dunklosteus marsaisi, du Dévonien du Maroc (coll. MNHN, @MNHN_JC_Domenech)

Dunklosteus est le nom du mégaprédateur de l’époque qui pouvait atteindre 8 mètres de long

Médias24 : Les placodermes figurent parmi les premiers vertébrés à mâchoires. Comment aident-ils à la compréhension de l’évolution des vertébrés ?

Nour-Eddine Jalil : La première phrase répond à la question. Les placodermes nous aident à comprendre l’évolution des vertébrés à mâchoires parce que justement ils sont les premiers représentants de ce groupe appelé aussi "gnathostomes". L’étude des placodermes nous porte vers les tout premiers débuts de l’histoire évolutive des vertébrés à mâchoires ou gnathostomes. Elle nous montre à quoi ils ressemblaient au début de leur histoire, quand est-ce qu’ils sont apparus, quels sont leurs plus proches parents, ou groupe-frère dans le jargon des systématiciens phylogénistes, où et comment ils vivaient, quels étaient leurs paléoenvironnements, etc.

- Que nous apprend la paléontologie à ce jour sur l’évolution des vertébrés plus généralement ?

- Parler de vertébrés à mâchoires suggère qu’il existe des vertébrés sans mâchoires, ou agnathes. Ces derniers sont représentés actuellement par les lamproies et les myxines. La quasi-totalité des vertébrés actuels correspond aux vertébrés à mâchoires, ou gnathostomes. Mais ce ne fut pas toujours le cas. Au début de leur histoire, les vertébrés étaient tous sans mâchoires. Ils étaient d’une grande diversité morphologique et taxinomique (grand nombre d’espèces). Les vertébrés à mâchoires sont apparus plus tard. Depuis leur apparition, ils n’ont cessé de se diversifier jusqu’à devenir le groupe de vertébrés dominant. Ils ont évolué vers une diversité de formes et de tailles étonnantes. Pour s’en rendre compte, il suffit de comparer un dinosaure, un ptérosaure, une souris, un éléphant, un serpent, une sardine ou encore une baleine. Mais, malgré leurs différences, tous ces animaux partagent des caractères communs comme la colonne vertébrale et des mâchoires, qui permettent de les classer ensemble dans le groupe des vertébrés gnathostomes, et de leur supposer une même origine et une histoire commune.

Au début de leur histoire, les vertébrés étaient tous sans mâchoires

Comptant parmi les premiers gnathostomes, les placodermes permettent un voyage dans le temps pour documenter l’origine, la biologie et les modes de vie des premiers gnathostomes ainsi que leurs environnements anciens. Leurs plus anciens fossiles permettent par exemple de proposer un âge minimal à l’apparition des mâchoires et, par conséquent, l’apparition des vertébrés à mâchoires. Des restes vieux de 444 millions d’années permettent aujourd’hui de dire que les gnathostomes sont apparus il y a au moins 444 millions d’années, au début d’une époque géologique qui porte le nom de Silurien. Ils se sont surtout diversifiés lors de l’époque géologique suivante, le Dévonien (- 419 à -359 millions d’années). La disparition des placodermes coïncide avec la fin du Dévonien.

Paléocarte montrant la géographie de la terre au Dévonien supérieur (Frasnien-Famennien) (-382 à 372 millions d’années). Le Maroc était à l'époque recouvert par la mer.

 

>> Lire aussi l'article : Les dinosaures du Maroc : quand l’Atlasaurus raconte l’histoire de la vie sur Terre

- Pourquoi les placodermes sont-ils aussi appelés poissons cuirassés ?

- La tête des placodermes, l’avant de leur corps (thorax) et parfois aussi leurs nageoires pectorales (nageoire de l’avant) étaient recouverts d’une lourde armure osseuse, d’origine dermique. C’est la raison pour laquelle ils portent le nom de "Placodermes" ou encore "poissons cuirassés", car ces plaques osseuses faisaient office de cuirasses qui devaient les protéger des prédateurs et parfois même de l’attaque de leurs propres congénères. Le reste de leur corps était généralement nu.

Crâne du placoderme Dunkleosteus et divers types de mâchoires de placodermes illustrant la variété de leurs régimes alimentaires. (coll. MNHN, @MNHN_JL_ Charnais)

Henri Termier eut beaucoup de mal à convaincre ses collègues que ce n’étaient pas des restes de dinosaures, mais de placodermes  

- Où a-t-on découvert pour la première fois l’existence de placodermes au Maroc, et grâce à quel groupe de scientifiques ?

- Les premières découvertes de restes de placodermes au Maroc remontent au début du siècle dernier. C’est en effet en 1937 que des géologues et paléontologues français (Louis Clariond, Jean Marçais, et Henri Termier) mirent à jour, dans la région d’Erfoud, des restes de ces vertébrés. Les restes de certains de ces placodermes étaient si imposants qu’Henri Termier eut beaucoup de mal à convaincre ces collègues que ce n’étaient pas des restes de dinosaures mais de placodermes. Il faut croire qu’à l’époque, l’histoire géologique de la région ne devait pas être bien connue, puisque les dinosaures et les placodermes n’ont pas évolué dans les mêmes environnements, les premiers étant terrestres et les seconds marins, et qu’ils étaient séparés par plusieurs dizaines de millions d’années… Ces premiers restes de placodermes marocains restèrent inédits à cause de la guerre. Il a fallu attendre 1950 pour que reprennent les travaux de terrain par le service géologique du Maroc, accompagné en cela du paléontologue français Jean-Pierre Lehman. C’est ainsi qu’un abondant matériel de placodermes fut récolté et publié dès les années 1950. Ainsi, 1956, date de la publication du premier article, marque le début des études des placodermes du Maroc

- Quelles sont, à ce jour, les régions qui contiennent des fossiles de placodermes dans notre pays ?

- L’histoire des placodermes commence au Silurien et s’étend jusqu’à la fin du Dévonien, couvrant environ 68 millions d’années. Leur diversité est restée faible jusqu'au Dévonien inférieur (les premiers âges du Dévonien), après quoi, ils sont devenus les vertébrés dominants des mers du Dévonien. Ils étaient tous aquatiques et formaient le groupe le plus diversifié de vertébrés du Dévonien. Leurs restes sont connus partout dans le monde et dans tous les environnements, aussi bien d'eau douce que d’eau marine.

Au Maroc, leurs restes se trouvent surtout dans l’Anti-Atlas (Tafilalet, Maider et Draâ) et dans la région de M’Rirt dans le Maroc Central. L’Anti-Atlas offre des affleurements immenses, plus de 12.000 km2, où l'on trouve des restes de placodermes, mais aussi des fossiles d’autres organismes non vertébrés : trilobites, crinoïdes, brachiopodes, mollusques... L’étude de ces faunes anciennes et des sédiments permet aujourd’hui de reconstituer les environnements anciens des placodermes et des faunes qui étaient leurs contemporaines. L’Anti-Atlas est une référence mondiale pour ces études.

Les placodermes du Maroc sont tous du Dévonien. Jusqu’à présent, on n’a pas encore trouvé de restes plus anciens que le Dévonien (Silurien). Ils n’en couvrent qu’une période d’environ 61 millions d’années, de -419 à -358 millions d’années.

- Quelles sont les parties de fossiles de placodermes trouvées au Maroc, et qu’est-ce que cela nous dit sur leur passage sur Terre ?

- Comme le squelette interne - la colonne vertébrale et les os des nageoires - des placodermes est cartilagineux, sa préservation est extrêmement rare, contrairement aux os minéralisés du crâne et de l'armure qui protège le thorax. Par conséquent et pendant longtemps, les plaques constituaient la base pour reconstituer la morphologie de ces animaux. Ainsi, les hypothèses du mode de vie et de l'écologie de ces animaux restaient spéculatives. La découverte de sédiments à conservation exceptionnelle (lagesrtätte) a permis d’améliorer nos connaissances sur l’anatomie, la morphologie et le mode de vie de ces animaux. Un lagerstätte est un terme d’origine allemande qui désigne un dépôt sédimentaire contenant des fossiles avec une conservation exceptionnelle. On distingue deux types de lagerstätte : les Konzentrat-lagerstätten qui sont des dépôts avec une grande concentration en fossiles et les Konservat-lagerstätten qui sont des dépôts avec des fossiles d’une qualité de conservation exceptionnelle, même les parties molles (contours du corps, muscles, tube digestif…) sont conservées. Ces deux types de conservation ont été mis en évidence dans le Dévonien marocain. Un placoderme récemment décrit provient de ces gisements exceptionnels au Maroc, il porte le nom d’Amazichthys trinajsticae, ainsi nommé car ces restes ont été trouvés dans la terre amazighe, et son nom d’espèce trinajsticae lui a été donné en hommage à une paléontologue australienne qui a beaucoup contribué à l’étude des premiers vertébrés.

La forme du corps d’Amazichthys et de sa nageoire caudale hétérocerque, non symétrique, avec une partie dorsale plus développée que la partie dorsale, suggère qu'il était un nageur pélagique, passant une grande partie de son temps dans la colonne d’eau, actif et capable d'atteindre des vitesses de nage élevées.

Environ 120 millions d’années séparent la fin des placodermes et les premiers dinosaures

 

- Comment peut-on décrire le monde dans lequel les placodermes ont vécu ?  Et à quoi ressemblaient les océans à cette époque-là ?

- Dans le monde des placodermes, la vie était essentiellement aquatique. Les plantes à fleurs n’existaient pas encore, les forêts et les dinosaures non plus. Environ 120 millions d’années séparent la fin des placodermes et les premiers dinosaures. Sur terre régnaient surtout les arthropodes. Les vertébrés terrestres, les tétrapodes, ne se sont hasardés sur la terre ferme que vers la fin du Dévonien, au cours du Frasnien. La sortie des eaux des tétrapodes a coïncidé avec les premières forêts qui sont apparues aussi vers la fin du Dévonien avec des plantes, Archaeopteris, dont les troncs atteignaient un mètre de diamètre. Des troncs fossilisés d’Archaeopteris ont été trouvés et décrits au Maroc (voir photo ci-dessous). Les mers étaient dominées par les placodermes. Ils étaient très abondants et diversifiés, vivant aussi bien dans les récifs ou les deltas que dans le grand large. La forme de leur mâchoires (coupantes, broyeuses…) témoignait de régimes alimentaires d’une grande diversité avec des formes brouteuses d’algues, d’autres broyeuses de mollusques, d’autres encore carnivores et d’autres même planctonivores, se nourrissant de plancton, à l’instar des baleines actuelles. Dunklosteus est le nom du mégaprédateur de l’époque qui pouvait atteindre 8 mètres de long. Les restes de Dunklosteus ont été trouvés dans le Dévonien supérieur du Maroc. En même temps que les placodermes, les mers étaient peuplées d’organismes qui ont disparu sans laisser de descendance, tels les trilobites, et d’autres qui ont des représentants actuels, tels les lys de mers (les crinoïdes).

Affleurements du Famennien (Dévonien supérieur), montrant un tronc d'Archaeopteris. CP. Pr. Nour-Eddine Jalil.

 

Crâne du Placoderme  Dunklosteus marsaisi  du Dévonien supérieur des États-Unis (coll. MNHN, @MNHN_JC_Domenech)

 

- Quelles seraient les conditions qui auraient participé à leur développement dans ces régions du Royaume ?

- Les placodermes avaient une répartition quasi mondiale, surtout au cours du Dévonien où ils se sont diversifiés. Les régions du Maroc qui, à l’époque, étaient couvertes par la mer faisaient partie des aires de distribution de ces animaux. Elles ont gardé la mémoire de cette diversité. C’est le cas par exemple de ce qui est aujourd’hui l’Anti-Atlas. Ses sédiments livrent de nombreux restes de placodermes, ils nous parlent aujourd’hui de la grande diversité de ces animaux, mais aussi des autres faunes marines qui ont côtoyé les placodermes. À l’image des paléontologues qui décortiquent le message des fossiles pour reconstituer l’histoire de la vie, la lecture des reliefs et l’étude des roches sédimentaires de l’Anti-Atlas permettent aux géologues de reconstituer l’histoire géologique de la région. Là où nous voyons un superbe paysage désertique avec des monts et des reliefs, le sédimentologue y voit un bassin où des sédiments se sont déposés, des mers anciennes qui leur parlent de leur profondeur, de leur richesse en oxygène ou gaz carbonique et même de leur paléotempérature.

Les affleurements du Dévonien supérieur du Maroc, en particulier ceux du Tafilalt et du Maider, sont les plus riches en restes de vertébrés               

- Quelles sont les spécificités des placodermes marocains ?

- Les restes de placodermes se trouvent au Maroc dans les couches sédimentaires du Dévonien. Ces couches sont mondialement réputées pour l’abondance, la diversité et la haute qualité de conservation de leurs fossiles d’invertébrés et de vertébrés. Dans le Tafilalt et le Maider, le Dévonien est quasiment complet, s’étendant de sa partie la plus ancienne, le Lochkovien (-419 à 411 Millions d’années), jusqu’à sa partie la plus récente, le Famennien (-372 à 359 millions d’années). Les restes de vertébrés sont présents tout le long de la série sédimentaire.

Les plus anciens restes de placodermes décrits sont de l'Emsien (Dévonien inférieur, -407,6 - 393,3 millions d’années). Ils ont été récoltés dans la vallée du Draâ (près d'Akka et d'Assa), Tafilalt et Maider. Ces placodermes portent des noms qui rendent hommage à des géologues et paléontologues qui ont travaillé sur le Dévonien du Maroc, Henri Hollard (Atlantidosteus hollardi) et Jean-Pierre Lehman (Antineosteus lehmani). Les placodermes du Dévonien inférieur du Maroc sont cruciaux, car ils fournissent un aperçu unique de l'évolution précoce des vertébrés à mâchoires.

L'Eifélien qui est un étage du Dévonien moyen, de la vallée du Draâ, a livré des restes des placodermes Maideria falipoui (région de Maider) et Hollardosteus marocanus.

Enfin, les affleurements du Dévonien supérieur du Maroc, en particulier ceux du Tafilalt et du Maider, sont les plus riches en restes de vertébrés. Le Dévonien supérieur de la vallée du Draâ n'a jusqu'ici livré que très peu de restes de placodermes. Le Frasnien qui est l’étage le plus ancien du Dévonien supérieur, du Maider est relativement bien exposé au nord-est du Fezzou, près de djebel Issoumour, alors que dans la région de Tafilalt, il est moins bien exposé et était pendant longtemps considéré comme très pauvres en restes de vertébrés, jusqu’à la mise en évidence d’une riche faune de vertébrés dans le Tafilalt. Le Famennien est bien exposé dans le Tafilalt, où les restes de placodermes sont relativement abondants avec occurrences de formes de grande taille comme Dunkleosteus, Tafilalichthys (le poisson du Tafilalet) et Titanichthys (le poisson titan).

Pour résumer, les placodermes du Dévonien inférieur du Maroc sont importants scientifiquement, car ils apportent des informations inédites sur l’évolution des premiers vertébrés à mâchoires. Les vertébrés sont relativement abondants dans le Dévonien supérieur de l’Anti-Atlas marocain, avec la présence de nombreux placodermes souvent de grande taille tels que Titanichthys et Dunkleosteus. La récente découverte dans le Frasnien du Maroc de fossiles de vertébrés préservés en trois dimensions a permis d’affiner les connaissances anatomiques des placodermes. L’histoire biogéographique des placodermes et l’histoire phylogénétique des formes marocaines renforcent l’hypothèse d’une affinité biogéographique et un contact étroit entre les mégacontinents Laurussie (Europe et Asie) et Gondwana (Afrique-Amérique du Sud-Australie), au cours du Dévonien supérieur, qui est une représentation paléogéographique distincte de celle proposée par les modèles des géophysiciens.

Reconstitution du placoderme Tafilalichthys lavocati, restes trouvés dans le Dévonien de la région d’Erfoud (coll. MNHN, @MNHN_JC_Domenech)

 

- Quand les placodermes ont-ils disparu au Maroc, et quelles sont les hypothèses quant aux causes de leur extinction ?

- La vie est apparue sur Terre il y a au moins 3,8 milliards d’années. Les géologues et les paléontologues divisent le cours de son histoire en deux grandes parties : la partie où ses restes sont discrets dans les sédiments qu’on appelle le Cryptozoïque (de Cryptos qui veut dire caché, c’est donc la période de la vie cachée) ; et l’autre période qu’on appelle le Phanérozoïque (vie apparente), qui est l’époque géologique où les traces de la vie deviennent apparentes et plus abondantes dans les sédiments. Cette dernière a débuté il y a environ 539 millions d’années. Au cours de ces 539 millions d’années, la vie a connu des périodes de crise, où subitement et à l’échelle planétaire un grand nombre d’êtres vivants disparaît sans laisser de traces. C’est ce qu’on appelle les périodes d’extinctions massives. Le Phanérozoïque a connu cinq crises biotiques, c’est pourquoi on parle actuellement de la sixième crise. Les placodermes ont disparu lors de la deuxième de ces crises, qui a eu lieu vers la fin du Dévonien. Le Dévonien supérieur est en effet connu pour avoir été une période de perturbations environnementales majeures qui ont profondément affecté les écosystèmes marins. Cela s’est passé en deux épisodes, l’événement de Kellwasser et l’événement de Hangenberg. Le premier survient vers la fin de l’étage Frasnien, il y a environ 372 millions d’années, et le deuxième vers la fin du Famennien, il y a environ 359 millions d’années. Le deuxième est décrit comme un goulot d'étranglement dans l'évolution des vertébrés.

Reconstitution de quelques vertébrés des mers dévoniennes du Maroc (d’après P. Janvier).

 

- Existe-t-il aujourd’hui dans le monde marin des espèces qui ressemblent aux placodermes, comme les oiseaux qui sont "les descendants" des dinosaures ?

- Contrairement aux dinosaures, qui n’ont pas complètement disparu puisqu’ils ont survécu par une lignée qui a conduit aux oiseaux, les placodermes ont complètement disparu sans laisser de descendance.

- En quoi la découverte des placodermes au Maroc, et leur étude, sont importantes pour la paléontologie et la compréhension de l’origine de la vie sur terre ?

- Les placodermes ne nous renseignent pas sur l’origine de la vie sur Terre. L’origine de la vie est bien plus ancienne, puisque les plus anciennes preuves de l’existence de la vie sur terre datent de 3,8 milliards d’années. Les placodermes sont les plus anciens et les premiers vertébrés à mâchoires. Ils jouent un rôle clé dans la compréhension de l’origine et les premières évolutions des vertébrés à mâchoires ; ils nous informent sur comment sont apparues les mâchoires, les dents et les nageoires pelviennes qui n’existaient pas chez les vertébrés sans mâchoires.

- Les humains sont-ils alors en quelque sorte des descendants de placodermes ?

- Dans le grand arbre de la vie, les placodermes correspondent à un rameau qui a bifurqué au tout début de l’évolution des vertébrés à mâchoires, avant la ramification qui a conduit aux requins, aux poissons osseux tels que les sardines et les vertébrés à quatre pattes (tétrapodes). Ce rameau a connu de nombreuses ramifications avec des formes diverses et variées, mais il n’a pas survécu à la deuxième (dans le temps) des cinq crises biotiques majeures qui ont ponctué l’histoire de la biosphère. Heureusement que d’autres rameaux ont survécu à cette crise, ils ont continué de pousser et de se ramifier au cours des temps géologiques pour aboutir à la biodiversité des vertébrés qui nous entourent aujourd’hui, et dont nous faisons partie.

 

>> Quelques références pour en savoir plus sur les placodermes du Maroc

- Lehman, J.P. 1956. Les arthrodires du Dévonien supérieur du Tafilalet (Sid marocain). Notes et mémoires du Service Géologique du Maroc, 129: 1-70.
- Rücklin, M. & Clément, G. 2017. Une revue des placodermes et sarcoptérygiens du Dévonien du Maroc,  In Mémoire de la Société Géologique de France, n.s. T 1080: 79-101.
- Jobbins et al. 2022. A new selenosteid placoderm from the Late Devonian of the eastern Anti-Atlas (Morocco) with preserved body outline and its ecomorphology. Front. Ecol. Evol. 10:969158. doi: 10.3389/fevo.2022.969158
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