Le cyberféminisme au Maroc ou comment les pratiques militantes se réinventent

De l’engagement individuel aux mobilisations collectives, les femmes marocaines s’emparent activement des réseaux sociaux pour faire valoir leurs droits et mettre en avant leurs revendications. De plus en plus nombreuses à se mobiliser en ligne ces dernières années, elles représentent la nouvelle vague de militantisme féministe.

D'après un dessin de base de dekabristen.org Licence creative commons

Le cyberféminisme au Maroc ou comment les pratiques militantes se réinventent

Le 21 août 2023 à 9h12

Modifié 27 août 2023 à 19h43

De l’engagement individuel aux mobilisations collectives, les femmes marocaines s’emparent activement des réseaux sociaux pour faire valoir leurs droits et mettre en avant leurs revendications. De plus en plus nombreuses à se mobiliser en ligne ces dernières années, elles représentent la nouvelle vague de militantisme féministe.

Cyberféminisme, militantisme féministe virtuel, ou encore féminisme 2.0, ces dénominations font référence à une nouvelle forme d’activisme qui investit les réseaux sociaux. Toutefois, il est important de distinguer entre plusieurs façons de s’engager, nous fait remarquer Leila Bouasria, sociologue marocaine et membre associée au Laboratoire de recherche sur les différenciations sociales et les identités sexuelles (LADSIS): "On peut militer sur le web simplement en adhérant à des comptes féministes, comme on peut être militant à travers le partage de publications engagées. Ensuite, on peut militer à travers la production de contenu et sa diffusion".

Par ailleurs, l’appropriation de l’espace numérique est à appréhender sous différents angles. Certains mouvements naissent dans le virtuel et en font leur seul et unique espace d’activisme, sans forcément vouloir se transformer en collectif institutionnel. D’autres considèrent le virtuel comme un tremplin et une première étape d’engagement avant de s’institutionnaliser, détaille la sociologue.

Il ne faut d’ailleurs pas exclure les militantes féministes traditionnelles de l’engagement virtuel, car "plusieurs d’entre elles utilisent les réseaux sociaux comme un prolongement de leur militantisme, étant donné qu’il s’agit d’un créneau médiatique qui permet de ratisser plus large".

Rendre dicible ce qui est tabou

À travers la dénonciation des violences, le mouvement #MeToo a permis une libération généralisée de la parole féminine, et la genèse puis la prolifération de plusieurs comptes Instagram féministes dans le monde entier, notamment au Maroc, rappelle Leila Bouasria.

Cette nouvelle génération de militantes, qui structure ses luttes via les réseaux sociaux, représente ainsi le renouveau du mouvement féministe marocain. "Elles utilisent l'espace virtuel pour s’exprimer et donner la parole aux personnes qui ne l’ont pas. Elles ont aussi une manière de s’engager qui est propre à leur génération et reflète leur désir d’être autonomes et indépendantes des institutions", poursuit la sociologue.

Parmi les pages engagées dans la lutte féministe sur Instagram : @moroccan.outlaws.490 qui lutte pour la dépénalisation des relations sexuelles hors mariage ; @Féminicide.maroc qui met en lumière les crimes de genre ; @7achak.maroc qui lutte contre la précarité menstruelle ; @Kifmama_kifbaba qui œuvre pour l’égalité devant la justice et la protection des droits de l’enfant, etc.

Cette sélection n’est pas exhaustive, mais il s’agit des comptes les plus actifs (individuels ou collectifs), portés par des jeunes étudiants et de jeunes actifs ou cadres.

Ces militantes ont notamment le mérite d’aborder des questions ensevelies sous le voile du tabou ou de l’intime : le viol conjugal, les violences conjugales et toutes les violences systémiques que subissent les femmes, la précarité menstruelle, etc.

Elles investissent de plus en plus l’espace virtuel pour porter un discours critique et pousser les politiques à s’emparer de la cause féministe. Dans leur façon d’aborder les sujets féminins, elles retranscrivent généralement des situations du quotidien, point de départ de leur réflexion et de leur discours militant.

"Ce cyber-militantisme porte la cause féministe, mais ne l’exprime pas avec la théorie ou avec des actions militantes inaccessibles. Cela part généralement d’une histoire personnelle à laquelle on s’identifie et qu’on extrapole par la suite. Je pense notamment à la jeune Khadija, victime d'un viol collectif en 2019, ou encore à la petite fille de Tiflet qui a été violée", explique Leila Bouasria.

Ce mode opératoire réduit ainsi la distance entre les personnes qui portent la cause et leurs interlocuteurs. Ces derniers vont s’identifier aisément grâce au storytelling et à la personnification de la cause.

Le militantisme 2.0 crée également une relation de proximité avec les internautes, malgré la distance physique imposée par l’espace virtuel. Une proximité qui se tisse notamment via un discours militant façonné par un langage numérique accessible à tous et renforcé par des outils de communication visuelle (images, vidéos, témoignages).

Notons aussi que sept militants de la nouvelle génération ont décidé d'unir leurs forces dans le cadre du mouvement "Hiya", dont les cofondateurs sont : Ghizlane Mamouni et Karima Nadir de @kifmama_kifbaba ; Sarah Benmoussa, créatrice de @7achak.Maroc ; Houda Charhi, créatrice de @BentDarhoum ; Camélia Echchihab, créatrice de @Feminicides.Maroc ; ainsi que Abdelmajid Moudni et Dina El Moukhtari, militants.

Le collectif "Hiya" avait d'ailleurs organisé le 25 juin dernier un sit-in à Casablanca pour réclamer la refonte totale de la Moudawana, portant le militantisme virtuel vers l'espace public.

Même combat, même projet sociétal

"L’ancienne et la nouvelle générations de féministes ont le même combat et portent le même projet sociétal. Les modes d’engagement et les canaux de diffusion sont certes différents, mais je ne peux qu’être fière de cette adaptation au contexte actuel", se réjouit Saida Idrissi, militante féministe et ex-présidente de l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM), lorsqu’on l’interroge sur sa perception du cyberféminisme.

Pour cette militante, il se n’agit pas d’un basculement de l’activisme vers les réseaux sociaux, mais plutôt d'une évolution. Ces militantes 2.0 ont "même dépassé les anciennes générations de féministes, dans le sens où elles ont abordé des questions pour lesquelles on n’osait pas militer à l’époque, notamment la question des relations sexuelles hors mariage entre adultes consentants, l’avortement, etc.", explique-t-elle.

"Cela me réconforte de voir que ce genre de militantisme existe aujourd’hui. Cette génération dit haut et fort non à la négociation des causes féministes". Pour illustrer ses propos, Saida Idrissi nous raconte que, dans le cadre de la refonte du Code de la famille, les militantes féministes de l'ancienne génération avaient dû faire des compromis pour éviter que les conservateurs bloquent le processus de réforme. "On avait par exemple mis de côté notre combat pour l’égalité de l’héritage, pour ne pas risquer un refus de la nouvelle mouture de la Moudawana", se remémore-t-elle.

Nous remarquons ces dernières années que les militantes féministes de l’ancienne génération sont très peu présentes dans l’espace virtuel et investissent de moins en moins l’espace public. Dans la cadre de sit-in et de manifestations, l’espace public est accaparé par une majorité écrasante de jeunes militants, notamment ceux derrière les pages Instagram engagées.

Un constat partagé par l’ex-présidente de l’ADFM qui explique que la génération dont elle fait partie n’est pas très active sur les réseaux sociaux, et a rarement ce réflexe de consulter les publications et nouveautés sur les canaux virtuels de communication, d'où l'omission de certains événements.

"En tout cas, je suis surprise de l’audace et du courage de ces jeunes militants", conclut-elle. Toutefois, si Saida Idrissi ne cesse de tresser des lauriers à ces nouvelles militantes féministes, elle nous explique que les conflits d’idées entre les deux générations surgissent par moments, notamment concernant la question des libertés individuelles. Il est par ailleurs "primordial que ces militantes de la nouvelle génération capitalisent sur l’histoire du mouvement traditionnel pour le renforcer et le pérenniser", a-t-elle tenu à rappeler.

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