Françoise Atlan : le récit enchanteur de ses voyages musicaux au Maroc

La soprano, spécialiste des musiques traditionnelles arabo-andalouses et juives séfarades, nous raconte son histoire avec le Maroc à travers ses rencontres musicales et humaines. Françoise Atlan nous offre un kaléidoscope des répertoires arabes, andalous et juifs séfarades, tous ancrés dans la tradition musicale marocaine.

Françoise Atlan : le récit enchanteur de ses voyages musicaux au Maroc

Le 24 juin 2023 à 9h55

Modifié 26 juin 2023 à 18h25

La soprano, spécialiste des musiques traditionnelles arabo-andalouses et juives séfarades, nous raconte son histoire avec le Maroc à travers ses rencontres musicales et humaines. Françoise Atlan nous offre un kaléidoscope des répertoires arabes, andalous et juifs séfarades, tous ancrés dans la tradition musicale marocaine.

Françoise Atlan est une conteuse. En se remémorant son parcours personnel et professionnel passé au Maroc, qui se poursuit toujours, l'interprète, spécialiste des musiques traditionnelles arabo-andalouses et juives séfarades, tisse une toile faite de territoires, d’émotions et de récits rythmés. Elle fait défiler cette histoire en recréant des dialogues avec ses "interlocuteurs". Le récit est théâtral.

Son cheminement personnel s’entremêle avec l’histoire familiale, celle de juifs kabyles immigrés en France. Son vécu au Maroc est une "réparation" de cet arrachement de la terre natale. C’est un véritable retour aux sources.

"Je suis marocaine. Lors de la venue du pape au Maroc en 2019, Sidna Allah Inasrou (Sa Majesté que Dieu L’assiste, ndlr) m’a fait l’honneur et la joie de m’octroyer la nationalité marocaine par décret royal. Donc, je me sens encore plus impliquée à rendre service à mon pays." Son histoire avec le Maroc commence, néanmoins, bien avant. C'est celle qu'elle va nous raconter.

D’une voix posée, accompagnée du tintement de ses bracelets en argent de Tiznit, l’artiste revient pour Médias24 sur les rencontres musicales et humaines qui ont jalonné sa carrière de chanteuse professionnelle dans son pays d’adoption.

Françoise Atlan conclut chacun de ses souvenirs par un chant issu du répertoire musical traditionnel marocain. S’apprêtant à chanter, elle nous prévient avec sérieux : "C’est le matin. Je n’ai pas fait ma voix. Je vais faire ce que je peux." Il a fallu seulement quelques secondes à cette voix de soprano d’une immense tessiture pour emplir le vaste hall de l'hôtel casablancais où se déroule notre rencontre, et de captiver, sans micro, l’attention de ses hôtes, même les plus indifférents.

Al Ala pour retomber en enfance

"La première fois que je suis venue au Maroc, j’avais à peine 23 ans. J’ai chanté pour l’une des premières éditions du Festival des musiques sacrées de Fès. Cette date-là est très importante pour moi. Je me souviens que Sidi Faouzi Skali m’a dit : ‘Tu vas chanter pour la soirée d’ouverture, et tu représenteras la tradition juive. Il y a aura aussi sœur Marie Keyrouz qui, elle, représente la tradition chrétienne, et Aïcha Redouane qui représentera la tradition musulmane.’ Donc j’étais très impressionnée, évidemment. Il avait ajouté : ‘Tu vas travailler avec M. Briouel’ et j’ai dit ‘Ah, qui est M. Briouel ?’ ‘C’est un grand maître. C’est le maître actuel de la tradition musicale de Fès, et il est l’élève et le successeur du grand L’Haj Abdelkarim Raïs’.

Donc, on entre dans le jardin de Batha. Et je m’en souviendrai toujours : il était 9 h du matin, les oiseaux chantaient et les fontaines bruissaient. C’était vraiment magnifique. Et je vois Si Mohamed Briouel, qui avait sept ou huit musiciens, je m’assieds et je me mets à chanter. On s’est donc écouté chanter parce qu’on n’avait aucune idée de ce qu’on pourrait faire ensemble. Et puis eux ont chanté aussi. Et quand je les ai entendus, j’ai eu un choc. Je me suis dit : ‘Mais, ce n’est pas possible ! Je connais ces mélodies.’ Ce sont les mélodies que j’entendais enfant avec mon père, quand j’étais encore petite à la synagogue, en bas. Les femmes sont en haut. On est séparés. Quand j’étais petite, assise à côté de mon père, j’entendais ces mélodies. Pourquoi ? Parce que toute la liturgie juive séfarade s’appuie sur les mélodies des zaouïas. Et à ce moment-là, il y a eu une espèce de robinet  qui s’est ouvert, et j’ai commencé à déverser tout ce que j’avais entendu. Le concert a été magnifique !"

 

Les accords d’Abraham, moi je les ai commencés avec mon maître il y a vingt-cinq ans 

 

L’appel des origines

"Et après, je me suis dit qu’il fallait que je continue, que j’étais en train de me réapproprier mes racines dont j’avais été amputée. Ce n’est pas une critique, mais juste une constatation. Je suis issue d’une famille juive séfarade, d’origine kabyle d’Algérie. On connaît l’histoire des juifs d’Algérie. Ma grand-mère disait : ‘On est partis une main devant, une main derrière.’ Tous ces juifs d’Algérie, dont ma famille, sont partis dans la douleur, et n’ont donc pas voulu parler de cette histoire aux enfants de ma génération. Parce que c’est une histoire trop douloureuse. Et finalement, je me souviens très bien qu’il y avait eu un article dans le journal Le Matin. Et le journaliste avait écrit : 'Françoise Atlan se réapproprie ses racines juives au Maroc.' C’était en 1997, je pense. C’était tôt quand même, on n’avait pas encore parlé des accords d’Abraham.

"Des fois, je rigole, parce que je me dis que les accords d’Abraham, moi je les ai commencés avec mon maître il y a vingt-cinq ans (rires). Il y avait déjà des choses qui se faisaient musicalement. On a toujours chanté ensemble, juifs et musulmans. Et à ce moment-là, j’avais 25 ans, j’ai voulu passer du temps à apprendre cette tradition. C’est-à-dire, me réapproprier cette tradition. Parce que je savais qu’il y avait quelque chose qui m’interpellait dans mes propres racines. J’ai demandé alors à obtenir le prix Villa Médicis hors les murs, pour le collectage de la tradition musicale juive de Fès, la tradition Al Ala. J’ai eu la chance d’être lauréate de ce projet. J’ai donc passé six mois à Fès, avec Si Mohamed Briouel, à apprendre petit à petit les nûbas (suites vocales et instrumentales dans le répertoire arabo-andalou, ndlr)."

 

Si Mohamed Briouel était une école extraordinaire

 

Mohamed Briouel, le maître

"Alors moi, j’ai été élève au conservatoire, bardée de prix de musicologie, premier prix de piano, etc. Donc, je suis arrivée avec mon petit esprit d’Occidentale et mon petit papier à musique. Si Mohamed Briouel me dit : ‘C’est quoi ça ?’, je réponds : ‘C’est pour noter ce que vous allez chanter’ ; et là il me dit : ‘Tu notes pas, tu m’enlèves ce papier, tu écoutes et tu répètes !’ Et c’est comme ça que j’ai appris à travailler, à l’ancienne.

Aujourd’hui, puisque je suis aussi dans un rôle de transmission à côté de ma carrière de chanteuse, je fais la même chose avec mes élèves: ‘Vous écoutez, vous vous imprégnez.’ Jeune, j’étais très pressée. Je voulais apprendre et surtout je voulais sauter les étapes. Et Si Mohamed Briouel, me disait : ‘Non, tant que tu ne répètes pas parfaitement ce que je te donne, tu n’improvises pas et tu ne rajoutes aucune note. Lorsque tu répéteras et lorsque la répétition sera parfaite, à ce moment-là, tu pourras y mettre du tien.’ C’était une école extraordinaire. Et justement, l’un des premiers chants que j’avais travaillés et qui est toujours dans mon cœur, c’est un passage de la nûba Hijaz Kabir : Li Habibi Oursil Salam."

Un chant de noces en haketia à Tanger

"J’ai une autre partie de moi qui m’est très chère. C’est le répertoire judéo-espagnol en haketia, qui est le judéo-espagnol que l’on parle dans le nord du Maroc, à Tanger. Lorsque les juifs ont été expulsés d’Espagne, en 1492, ils se sont disséminés dans les pays du bassin méditerranéen, dans l’ancien Empire ottoman, les Balkans, des villes comme Istanbul, Thessalonique, Sarajevo. Ils parlaient un judéo-espagnol qu’on appelle le ladino. C’est l’espagnol du XVe siècle, qui a été influencé par les langues des pays d’accueil et, d’un autre côté, il y avait tout ce répertoire en haketia."

Bahaâ Ronda et le gharnati

"Je crois que la rencontre qui a été la plus forte pour moi avec une chanteuse ici (au Maroc, ndlr), c’est Bahaâ Ronda, qui est une sœur pour moi. Elle est, à mon avis, la plus belle chanteuse de gharnati, au Maroc du moins. Et elle a travaillé avec son maître Si Ahmed Pirou que je salue. Moi aussi, j’ai eu la chance d’étudier un peu et de partager des chants avec eux […]."

(Voir et écouter la suite dans l’entretien filmé)

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