Ce que cachent les derniers chiffres de la croissance économique

Les derniers chiffres de la Comptabilité nationale, publiés par le HCP, éclairent d’un regard nouveau la crise multiforme dans laquelle s’embourbe l’économie marocaine. Décryptage.

Ce que cachent les derniers chiffres de la croissance économique

Le 7 juin 2023 à 11h21

Modifié 7 juin 2023 à 17h12

Les derniers chiffres de la Comptabilité nationale, publiés par le HCP, éclairent d’un regard nouveau la crise multiforme dans laquelle s’embourbe l’économie marocaine. Décryptage.

Selon les derniers chiffres du HCP, publiés en début de semaine, la demande intérieure a baissé de 1,5% en 2022. Un agrégat de la Comptabilité nationale qui reprend aussi bien la consommation finale des ménages que l’investissement et la consommation publique (les subventions et les appointements des fonctionnaires).

Le Covid est passé par là

Une première depuis pas mal d’années, excepté l’année 2020, qui a connu plusieurs épisodes de confinement liés à la pandémie du Covid-19. Les dépenses de consommation finale − une des composantes essentielles de la demande nationale − ont baissé de 0,7% en 2022 contre une augmentation de 6,9% une année auparavant. Cette baisse significative a grignoté 0,4 point de la croissance au lieu d’une contribution positive au PIB de 4% en 2021.

Il faut dire que la consommation des ménages a un impact direct sur la croissance puisque, rapportée au PIB, celle-ci tourne autour de 60% (61% en 2022 et 59% en 2021). Autant dire que si la consommation ralentit, le PIB stagne.

L’investissement, autre composante de la demande intérieure selon les agrégats de la Comptabilité nationale, a lui aussi marqué le pas en 2022. Ainsi la FBCF (formation brute du capital fixe), représentant l’ensemble de l’investissement public et privé, a baissé de 6,5% en 2022 contre une hausse de 13,8% en 2021. Cette baisse a engendré un impact négatif sur la croissance de 2 points au lieu de +4 points de base en 2021. La FBCF contribue à 27% au PIB.

La consommation finale des administrations publiques a maintenu une dynamique positive de +3,3% en 2022 contre +7,2% en 2021, contribuant à hauteur de +0,6% au PIB au lieu de +1,3% une année auparavant.

Les diverses composantes de la demande ont ainsi toutes connu une diminution substantielle, poussant à la baisse le taux de croissance de l’économie nationale.

Un effet de rattrapage de la période Covid exacerbé par la crise géopolitique en Europe et ses multiples conséquences, notamment en termes d’inflation.

Rattrapés par la crise

Cependant, ce ne sont pas seulement les effets exogènes qui ont induit cette baisse de la consommation, notamment celle des ménages. Selon les divers avis que nous avons recueillis, il s’agit ni plus ni moins des effets de second tour induits par l’arrêt de l’activité économique de 2020.

Il faut ainsi lier cette baisse de la demande finale des ménages à la baisse du pouvoir d’achat en lien avec l’inflation, mais aussi en termes de déperdition de revenus.

On se souvient qu’en 2020, l’économie avait perdu plus de 430.000 emplois, selon les chiffres du HCP. Et malgré la création de 230.000 postes en 2021, la tendance à la perte d’emplois a repris en 2022, avec la perte de 24.000 emplois supplémentaires, toujours selon les chiffres du HCP. En gros, il y a encore au moins 224.000 emplois manquants par rapport à 2019. Ce gap se reflète sur le niveau des revenus des ménages et donc de leurs dépenses, c’est-à-dire la demande finale.

La faible dynamique de l’emploi, et en conséquence les taux de chômage élevés (11,8% en 2022) et un taux d’activité qui ne cesse de baisser (44,3% en 2022, un des plus bas au monde), s’expliquent en grande partie par la faible dynamique de l’entreprise. Ainsi, on peut retrouver dans les chiffres de défaillances d’entreprises quelques éléments d’explication.

Éclairages microéconomiques

Selon les chiffres d'Inforisk (qui suit la situation depuis 2009), en 2022, plus de 12.300 entreprises ont fermé leurs portes contre 10.556 en 2021. Près de 99% d’entre elles étaient des TPE. Un record absolu depuis 2009. Par ailleurs, en termes de création de nouvelles entreprises, pour chaque entreprise défaillante, seulement 4,3 entreprises ont été créées en 2022, contre 5,5 en 2021 et 6,7 en 2020. Cet indicateur de renouvellement de l’écosystème est le plus faible depuis 2009, alors même qu’en chiffres absolus, la création d’entreprises était de plus de 93.000 en 2022.

Les entreprises nouvellement créées sont, ces dernières années, essentiellement des entreprises individuelles ou de personnes physiques, et assez rarement des entreprises personnes morales à plusieurs associés. Sur les 93.300 entreprises créées, plus de 70.000 étaient constituées d’une seule personne.

Cela laisse supposer que de nombreuses créations sont advenues à la suite d’épisodes de chômage ou de licenciement post-Covid, comme l’affirme Amine Diouri, directeur Études & communication chez Inforisk. Et permet de penser que malgré la dynamique de création d’entreprises, la dynamique économique ne suit pas étant donné la taille des entreprises créées et les secteurs concernés, dont les deux tiers sont concentrés sur les services (27,3%), le commerce (19,3%) et le BTP et activités immobilières (19%), et leur faible niveau d’entraînement. 69% des défaillances d’entreprises concernent quasiment les mêmes secteurs.

À cette faiblesse intrinsèque s’ajoutent d’autres éléments. On remarque que, durant la dernière période, le taux d’endettement des entreprises a augmenté. Selon le rapport de stabilité financière présenté par Bank Al-Maghrib et par les divers régulateurs, l’endettement des entreprises non financières a augmenté de 3,9% en 2020 et de 3,1% en 2021. Une tendance qui s’est poursuivie en 2022.

Selon la note crédit et dépôt de BAM, les crédits aux entreprises non financières ont connu, en avril, une hausse annuelle de 10,9%, principalement due à la hausse de 14,6% des facilités de trésorerie à 218 milliards, et à la hausse de 8,2% des crédits à l’équipement à 108 milliards de dirhams.

Ce maintien de la dynamique du crédit, qui suppose une activité économique soutenue, montre surtout que les entreprises recourent à des solutions de financement de leurs bas de bilan essentiellement pour se maintenir à flot. D’autant que comme montré par les chiffres d’Inforisk, les crédits interentreprises restent assez élevés à plus de 375 milliards de dirhams, soit près de 35% du PIB.

Cercle vicieux

C’est donc un cercle vicieux auquel est confrontée l’économie. De plus, la demande intérieure est affectée par la faiblesse du revenu disponible pour les ménages du fait du chômage et de l’inflation qui érodent le revenu réel, engendrant une forte baisse de la consommation et donc une baisse du chiffre d’affaires des entreprises.

Cette baisse de la dynamique de l’entreprise est aussi impactée par son endettement, le renchérissement de ses intrants et l’érosion de ses marges. S’ajoutent à cela plusieurs années de sècheresse, et l’on obtient les ingrédients d’une crise sourde qui se répercute sur la croissance potentielle actuelle et future.

Le pire, c’est que ces éléments sont cumulatifs et dépriment l’investissement, ce qui maintient l’économie dans un régime de croissance bas, que ce soit comme montré plus haut pour l’année 2022, mais aussi pour cette année 2023 où la situation est quasi identique, voire pire, avec, en plus, le renchérissement des taux d’intérêt.

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