HCP : les ménages sont les premiers employeurs au Maroc !

C’est ce que révèle le Compte satellite de l’emploi produit pour une première en Afrique par le HCP. Un exercice qui fournit des données plus affinées sur le travail et révèle de manière flagrante les fragilités et les nombreuses aberrations du marché de l’emploi au Maroc. Florilège.

HCP : les ménages sont les premiers employeurs au Maroc !

Le 1 juin 2023 à 16h00

Modifié 1 juin 2023 à 16h00

C’est ce que révèle le Compte satellite de l’emploi produit pour une première en Afrique par le HCP. Un exercice qui fournit des données plus affinées sur le travail et révèle de manière flagrante les fragilités et les nombreuses aberrations du marché de l’emploi au Maroc. Florilège.

Le Maroc dispose désormais de son Compte satellite de l’emploi (CSE). C’est le premier pays en Afrique et le quatrième au niveau mondial (avec l’Australie, l’Iran et le Danemark) à disposer de cette nouvelle base de données complète et plus affinée que tout autre rapport produit jusque-là sur le marché de l’emploi. Et c’est au HCP, organe officiel et indépendant de production de statistiques au Maroc, que l’on doit ce travail.

"Nous avons souvent eu l’occasion de mettre l’accent sur le ralentissement tendanciel de la croissance et de la productivité de l’économie nationale, ainsi que sur les défis du marché du travail caractérisé par l’augmentation continue de l’inactivité et du chômage, et le faible contenu de la croissance en emploi. Dans ce contexte, la disponibilité des données fines, apurées et en relation avec les différents blocs de l’économie est aujourd'hui une exigence. C’est à cette exigence que répond le Compte Satellite de l’Emploi qui met en relation les données relatives à l’emploi et à la production", souligne le haut-commissaire au Plan, Ahmed Lahlimi, dans un mot introductif à l’occasion de la conférence de présentation du CSE à la presse, le mardi 30 mai 2023.

Plus qu’une simple mesure du chômage, du taux d’activité ou du taux d’emploi, ce que fait déjà le HCP de manière régulière, le CSE permet de mettre les données du recensement, des enquêtes de structure auprès des entreprises, des enquêtes sur l’informel et des registres administratifs, scrutées, confrontées et réconciliées, dans un cadre cohérent et unifié de concepts, de définitions et de nomenclatures, comme l’explique Ahmed Lahlimi.

Une sorte de passerelle, ajoute-t-il, entre l’univers de la production des biens et services, tel que délimité par le dernier Système de la Comptabilité nationale des Nations unies de 2008, et celui du travail dont les statistiques sont tenues en respectant les normes de l’Organisation internationale du travail.

Objectif : faire converger les données sur la production et le travail utilisé pour l’obtenir en s’ouvrant sur la présentation du marché du travail à partir d'une approche plus élaborée, avec de nouveaux indicateurs de l’emploi qui portent sur les effectifs en personnes physiques, les effectifs en équivalent temps plein, les durées mobilisées dans le processus de production et les rémunérations perçues par les salariés en contrepartie de leur force de travail. Des données qui offrent également un détail désagrégé permettant l’analyse de la structure du facteur travail mobilisé par branche d’activité, secteur institutionnel, statut dans la profession, sexe et catégorie socioprofessionnelle.

En somme, l’analyse des données fournies par le Compte satellite de l’emploi concernant les effectifs employés, les heures travaillées, les effectifs en équivalent temps plein (EEPT) et la valeur ajoutée, permet de ressortir plusieurs faits stylisés.

Le premier est la prédominance de l’emploi informel dans l’économie. Le deuxième est que les femmes sont les plus exposées tant au travail informel qu’au travail vulnérable. Le troisième fait stylisé est que quelques branches ayant une productivité élevée opèrent à côté d’un grand nombre de branches de faible productivité.

Ce système qui produit par conséquent de faibles rémunérations salariales moyennes "devrait constituer une grande préoccupation pour la politique économique et sociale", signalent les concepteurs de cette base de données.

Ces faits sont des conclusions globales, mais plus on va dans le détail, plus on apprend de choses nouvelles sur l’économie marocaine.

97% des emplois dans l’agriculture sont informels

Un exemple parmi d’autres cités par Ahmed Lahlimi : le surplus de l’emploi agricole par rapport à sa contribution à la valeur ajoutée nationale, secteur que le haut-commissaire au Plan qualifie de "contributeur à l’expansion de l’informel" et "source de l’emploi précaire" dans le pays.

 

"Les résultats du CSE ne font que refléter l'image de notre structure productive, et mettent en exergue le rôle majeur que joue toujours le secteur de l'agriculture dans la détermination de la croissance et de l'emploi, en contribuant à hauteur de 12% à la valeur ajoutée totale tout en employant 39,7% de l'emploi total. L'emploi dans ce secteur, qui ne s'améliore et ne se modernise que très faiblement, reste peu rémunéré et peu qualifié et majoritairement informel, en représentant d’ailleurs 97% de l'emploi dans ce secteur", révèle Ahmed Lahlimi en se basant sur les résultats obtenus par le CSE.

L’évolution de l'emploi dans le secteur de l’agriculture se caractérise également par une réduction continue du nombre de personnes employées, en raison des conditions climatiques difficiles que connaît le pays. Or, la libération de ce surplus de main-d’œuvre qui, dans les économies qui se sont développées, va vers le secteur secondaire, industriel, se traduit au Maroc par une prolifération du secteur des services, qui représente 41,3% de l'emploi total, et qui reste, en dehors de certaines activités modernes, dominé par les petits métiers dans le commerce et l’artisanat.

"Ces réallocations de l'emploi entre secteurs à faible productivité ne favorisent pas une transformation des structures de production de l’économie nationale et contribuent à une stagnation de productivité et à la faiblesse de la croissance économique tout en permettant un environnement favorable au développement d'une sphère informelle qui imprègne l'ensemble des branches d’activité. Cette sphère s'étend à l’ensemble des activités à travers l'expansion du travail informel qui représente une part de 67,6% de l’emploi total", souligne Ahmed Lahlimi.

 

Les travailleurs informels travaillent plus que leurs homologues dans le formel

Pis encore, la prédominance du travail informel, chiffré à 67,6% de l’emploi total dans le pays, entraîne toujours, selon l’analyse du haut-commissaire au Plan, d’importantes disparités en termes de durée de travail, de rémunération et de productivité.

Les employés informels travaillent, en moyenne annuelle, 145 heures de plus que leurs homologues formels, tout en recevant une rémunération moyenne cinq fois inférieure. De plus, en termes de productivité apparente du travail, celle des employés formels demeure 3,7 fois supérieure à celle des employés informels.

Les statistiques détaillées par branche d’activité sont à ce titre édifiantes. Elles montrent sans surprise que les branches 'Agriculture et pêche' et 'Commerce et réparation' créent plus de la moitié des emplois au Maroc avec 39,7% et 16,4% respectivement. Et nous apprennent que ce sont les services qui créent le plus d'emplois. Une autre caractéristique de l’emploi au Maroc, c’est son exercice sous statut non salarial dans 55% des cas. Mais la donnée la plus surprenante et choquante, c’est le fait que ce ne sont ni les sociétés financières ou non financières, ni les administrations et entreprises publiques, ni les activités organisées sous forme de personnes morales de manière générale qui sont le réceptacle de l’emploi, mais les ménages ! Ces derniers contrôlent, selon les chiffres du CSE, 67% de l’emploi. Une conséquence naturelle, précise le HCP, de l’informalité de l’économie du pays, mais aussi du fait que pratiquement tout l’emploi agricole dans le pays est contrôlé par les ménages.

Des discriminations flagrantes envers les femmes

Autre donnée peu reluisante : le taux de féminisation de l'emploi, qui atteint seulement 29,7% au niveau national et qui demeure encore loin de la parité. Selon Ahmed Lahlimi, ce taux risque de baisser davantage avec les mutations de l'emploi agricole. "La faible qualification des femmes actuellement en emploi et la concentration d'une grande partie du travail féminin dans les aides familiales du secteur de l'agriculture augmentent le risque d'inactivité, avec la libération du surplus de main-d'œuvre agricole", explique-t-il.

Les résultats du CSE donnent aussi une nouvelle illustration de la précarité de l’emploi féminin qui est sous-représenté dans les emplois à forte qualification en termes qualitatif et quantitatif, où la proportion des femmes occupant des postes de cadres et de techniciennes ne dépasse pas 15% de la population féminine occupée, tandis que 71% sont des manœuvres.

Autre discrimination relevée par le CSE : les écarts importants entre les salaires selon le sexe. À l’échelle de l’économie, le salaire moyen annuel par employé atteint 73.000 DH. La rémunération salariale horaire moyenne est égale à 32.2 DH. De toute évidence, les branches qui distribuent la rémunération salariale moyenne par employé, la rémunération salariale moyenne par employé équivalent plein temps et la rémunération salariale horaire les plus basses sont la branche 'Agriculture et sylviculture', et la branche des 'Services rendus aux ménages ou autres services'.

La branche 'Activités financières et d’assurances' vient en tête des branches d’activité qui distribuent les salaires moyens les plus élevés au sein de l’économie. En effet, le salaire moyen par employé de cette branche est presque 12 fois et demi le salaire moyen par employé observé dans la branche 'Agriculture et pêche'. Voilà pour les données générales sur les rémunérations. Par sexe, les disparités sont flagrantes.

Hormis la branche 'Éducation, santé humaine et activités d’action sociale' où le salaire moyen des femmes est plus proche de celui des hommes, les indicateurs caractéristiques des distributions du salaire moyen des hommes et du salaire moyen des femmes montrent que, dans neuf branches d’activité, le salaire moyen des hommes est le double ou plus du salaire moyen des femmes.

La fourchette de variation des salaires des femmes dans les différentes branches va d’un minimum de 24.616 dirhams par an à un maximum de 180.814 par an, quand les salaires des hommes fluctuent entre un minimum de 52.067 dirhams par an et un maximum de 249.244 par an !

La productivité augmente, mais pas les salaires !

En plus de cette distribution hétérogène des salaires par genre ou par secteur, où l’on constate par exemple que la rémunération moyenne par salarié dans l'agriculture est inférieure de 60% à celle de l’industrie et de 73% à celle des services, des aberrations sont relevées également quand on compare le niveau des rémunération à la productivité des travailleurs.

Le CSE montre ainsi que la croissance de la productivité a évolué de 1,9% entre 2014 et 2019, sans s'accompagner d'une amélioration des salaires moyens réels, qui se sont au contraire détériorés d'environ 0,88%. Ce qui aura, commente Ahmed Lahlimi, "des implications importantes sur la demande agrégée, principale moteur de la croissance durant ces vingt dernières années, via la détérioration du pouvoir d’achat et l’importance de la part des revenus salariaux dans le total des revenus des ménages".

Cette évolution à deux vitesses de la productivité et des salaires est plus marquée dans le secteur primaire, de l'industrie et du transport où la productivité a augmenté de 4,4%, 1,1% et 0,2% respectivement, comparativement à une baisse du salaire moyen réel de 1,7%, 0,5% et 2,1% respectivement. Tandis que dans les quelques services 'à forte valeur ajoutée', le salaire moyen et la productivité se sont détériorés, toutefois avec une baisse plus importante du salaire réel moyen que celle de la productivité.

"Les disparités significatives de productivité entre les différents secteurs d'activité et l'absence de secteurs moyennement productifs et intensifs en emplois témoignent de l’émergence d’un dualisme économique entravant les gains des réallocations de l’emploi libéré par le secteur agricole vers des emplois mieux rémunérés et plus productifs, et limitant ainsi la contribution de la mobilité intersectorielle de l’emploi dans l’accélération du processus des transformations structurelles de notre économie et l’amélioration de sa productivité totale", précise le haut-commissaire au Plan.

Le Maroc face à un phénomène de "désindustrialisation prématurée"

Une situation qu’il qualifie de "désindustrialisation prématurée" et qui remet en question le rôle de l’industrie manufacturière dans la création d’emplois et en tant que levier d’une croissance soutenable.

Les données sur l’emploi du secteur de l’industrie reflètent, selon Ahmed Lahlimi, les symptômes de cette désindustrialisation à travers sa faible part dans l’emploi total, s’élevant à 11%, et sa part dans la valeur ajoutée de 22%. En outre, la faible intégration des activités manufacturières dans le tissu productif domestique et sa forte dépendance en inputs importés entraînent un affaiblissement de ses liens intersectoriels et, en conséquence, contribuent à la réduction de son intensité en emploi et à l’affaiblissement de ses effets multiplicateurs.

"Relever le défi de l'emploi au Maroc est plus pressant que jamais. Notre pays bénéficie encore d'une manne démographique considérable, concrétisée par l'entrée d'un nombre important de personnes en âge de travailler sur le marché du travail. Cette opportunité, une fois qu’elle est perdue, pourrait se transformer en un fardeau qui pèse lourdement sur les équilibres sociaux si l'on ne parvient pas à accroître la productivité et à générer une croissance intensive en emploi", estime ainsi Ahmed Lahlimi.

Et cela reste tributaire, selon lui, de "la réussite des transformations structurelles de l’économie nationale favorables à l'émergence d'une industrie moyennement productive et étroitement intégrée à l'économie domestique, et aussi à la création d'un environnement propice pour l'amélioration de la compétitivité et l'expansion des petites et moyennes entreprises formelles".

"Cela nous permettra non seulement de réduire la taille de l'économie informelle, mais aussi de valoriser le travail, d’intensifier les qualifications par le Learning by Doing, et de promouvoir une allocation optimale de l'emploi", conclut-il.

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