FOOT. Raja de Casablanca, une citadelle ingouvernable ?

Les Rajaouis vont élire, ce vendredi 25 mai, un nouveau président, le huitième en dix ans. Le président sortant qui, comme ses cinq derniers prédécesseurs, n’a pas tenu un an à la tête du club, laisse derrière lui un club en quasi faillite, avec des dettes cumulées estimées à 100 MDH, et qui joue sportivement sur un seul front, celui de la Coupe du Trône. Comment le "Raja Mondial" en est-il arrivé là ?

FOOT. Raja de Casablanca, une citadelle ingouvernable ?

Le 25 mai 2023 à 17h51

Modifié 25 mai 2023 à 18h52

Les Rajaouis vont élire, ce vendredi 25 mai, un nouveau président, le huitième en dix ans. Le président sortant qui, comme ses cinq derniers prédécesseurs, n’a pas tenu un an à la tête du club, laisse derrière lui un club en quasi faillite, avec des dettes cumulées estimées à 100 MDH, et qui joue sportivement sur un seul front, celui de la Coupe du Trône. Comment le "Raja Mondial" en est-il arrivé là ?

Présenté il y a exactement 11 mois comme le messie qui allait sauver le Raja de Casablanca, Aziz Badraoui a jeté l’éponge. Il présentera officiellement sa démission de la présidence du club, le vendredi 25 mai, à l’occasion d’une assemblée générale extraordinaire que son bureau a convoquée pour entériner son départ et permettre aux adhérents du club d’élire un nouveau président.

Un départ précipité pour un président qui tenait à terminer son mandat de 4 ans et qui a promis monts et merveilles aux supporters rajaouis. Mais le patron du Groupe Ozone n’a pas pu tenir plus de 11 mois… Un peu comme ses prédécesseurs, nombreux, dont certains n’ont pas dépassé les six mois à la tête du club bidaoui. Avec ces élections, le Raja élira donc son huitième président en 10 ans ! Un turn over inédit pour le Raja et pour la Botola marocaine qui en dit long sur la situation de ce club mythique, qui a longtemps été une des locomotives du football national.

Tous les présidents qui sont passés ces dix dernières années expliquent cette incapacité à tenir un mandat entier par les pressions exercées sur eux, les insultes dans la vie réelle comme virtuelle, les menaces qu’ils subissent de la part d’une partie du public et qui les poussent finalement à abandonner le navire. Et tous ont en effet été chassés par le public après des campagnes de dégagisme qui prennent quelquefois des allures violentes.

Le dégagisme, une culture rajaouie qui plombe le club

Même l’homme d’affaires, Aziz Badraoui, président ovationné par le public depuis son arrivée, quoiqu’il n’ait jamais été membre ou adhérent du Raja, et qui a été imposé par le public et les adhérents sans respect des statuts du club, a vu le vent tourner contre lui.  En cause,"les insultes" et "la campagne de dénigrement" qu’il a subies, comme il l’a expliqué à nos confrères de Radio Mars, lors de sa première sortie médiatique après l’annonce de sa démission au lendemain de la défaite contre Al Ahly en quart de finale de la Ligue africaine des Champions. "Le gros problème du Raja, c’est son environnement", a-t-il martelé, un peu comme ses prédécesseurs qui ont tous fini par jeter l’éponge.

Pour le remplacer donc, il a été difficile de trouver de nouveaux candidats à même d'apporter du sang neuf, de la fraîcheur, un projet pour le club et un nouveau style de management. Des noms comme Mohamed Horani, patron de HPS, ancien président de la CGEM et grand Rajaoui devant l’éternel, tout comme Salaheddine Mezouar, ancien ministre des Affaires étrangères, de l’Economie et des finances, et ancien patron des patrons, ont été évoqués par quelques sages. Mais personne n’a réussi à les convaincre de tenter l’aventure, les deux hommes sachant exactement ce qui les attend : un club à haut risque, ingouvernable, où un président est jugé sur un seul et unique critère : le nombre de titres gagnés !

Sauf que dans le foot, pour gagner des titres, il faut des moyens, de l’argent, beaucoup d’argent... Ce dont le club ne dispose pas. Pour faire plaisir au public, quelques-uns des anciens présidents qui se sont succédé à la tête du Raja depuis 2013 ont pourtant suivi cette ligne "populiste" : aller chercher des titres quitte à faire exploser la bourse. Et ce qui devait arriver arriva : un cumul de déficits et de dettes depuis dix ans, qui a conduit le club à l’asphyxie financière. Ce qui a fait du Raja tout au long de cette décennie une sorte de serpent qui se mord la queue, avec un public qui veut des titres, la gloire, des dirigeants qui n’ont pas les moyens de suivre, mais ne le disent pas, produisant une frustration générale, des espoirs déçus, de la colère populaire et du dégagisme…

Même phénomène qui explique la grande ferveur qu’il y avait, il y a un an, autour de Aziz Badraoui, un self made man qui a réussi dans les affaires, que l’on voyait comme riche, capable d’injecter du cash dans le club, de le sortir du rouge et de le mettre enfin sur la voie de la victoire. Un Nasser al-Khelaïfi marocain ou une sorte de Saïd Naciri bis, le président du WAC qui a battu tous les records avec le rival éternel du Raja.

Mais la sauce ne prendra pas, un homme à lui seul ne pouvant absorber les dettes colossales héritées du passé, sans parler de l’aberration de demander à un président de mettre ses propres deniers dans une association sportive sans possibilité de pouvoir les récupérer plus tard.

Une ardoise de plus de 100 MDH à payer sans attendre…

Pour sauver le soldat Raja, seuls deux candidats se sont présentés pour la succession de Aziz Badraoui. Et ce ne sont pas des inconnus au bataillon puisqu’il s’agit des deux anciens présidents, Mohamed Boudrika (2013-2016) et Said Hasbane (2016-2017), eux-mêmes chassés par le public durant leur premier mandat. Ils veulent revenir et proposer aux adhérents un nouveau projet à même de sortir le Raja de la crise.

Une mission presque impossible quand on voit le bilan financier du club estimé à fin juin 2023, sauf si un des deux arrive à convaincre le public de faire le dos rond et d'oublier les titres, le temps de restructurer les finances du club et de repartir sur de nouvelles bases dans deux ou trois saisons.

Car, concrètement, celui qui prendra les rênes du Raja ce vendredi a déjà une ardoise de 100 MDH à régler, selon les estimations de l’équipe de campagne de Boudrika et les chiffres annoncés par le président sortant. Des dettes échues qui doivent être payées sans attendre et qui se composent dans le détail :

- des arriérés à verser aux joueurs au titre des primes de signatures et des salaires impayés de l’équipe actuelle pour 45 MDH ;

- du règlement des litiges au niveau de la Fédération royale marocaine de football pour 15 MDH ;

- des arriérés à payer aux joueurs de l’équipe de la saison dernière pour 13 MDH ;

- des litiges à régler au niveau de la FIFA pour 13 MDH ;

- des dettes fournisseurs d’un montant de 10 MDH ;

- des salaires à verser du mois de mai pour 2,5 MDH ;

- des frais de transfert des joueurs à régler pour un montant de 3 MDH.

Total : 100 MDH, soit pratiquement le double des recettes ordinaires du club qui ne dépassent pas, bon an mal an, les 55 MDH. Et ceci, sans compter 20 MDH d'autres dettes fournisseurs qui doivent être expertisées et qui pourraient alourdir le compte.

Comment cette dette colossale s’est-elle accumulée ? Par une politique sportive ambitieuse qui vise les sacres, alors que le club n’en a pas les moyens.

Un club qui vit largement au-dessus de ses moyens

Preuve par les chiffres des trois dernières saisons, présentés par l’équipe de campagne de Boudrika et qui sont tirés des données transmises par l’actuel bureau dirigeant du club.

Pour la saison actuelle (2022-2023), le club est engagé dans une masse salariale des joueurs, comprenant les primes de signature, de 57 MDH. Sans compter les charges de structure, de l’ordre de 35 MDH. Pour faire tourner le club, le Raja doit disposer d’un budget minimal de 92 MDH. Or, les recettes ordinaires du club (billetterie, cartes d’abonnement, cotisations des adhérents, sponsoring, école de foot, etc.) ne dépassent pas les 55 MDH. Soit un déficit d’exploitation de 37 MDH.

Pour le couvrir, le club n’avait que les recettes exceptionnelles tirées de la participation à la Coupe de de la CAF qui sont de 12 MDH, dont 5 MDH accordés par la fédération à titre de subvention. Des recettes brutes, puisque le club a dépensé au titre de la même compétition quelque 8 MDH. Le gain à la Coupe de la CAF n’est donc que de 4 MDH. Ce qui réduit le déficit initial à 33 MDH.

Autre recette exceptionnelle venue alléger l’ardoise de l’année : les transferts et les prêts des joueurs du club qui ont rapporté 7 MDH, ramenant le déficit à 26 MDH.

Pour financer ce trou, l’actuel président a tenté de lancer une opération de crowdfunding, avec l’objectif de collecter 20 MDH auprès du public rajaoui. Une opération qui a fait pschitt, poussant le président à injecter dans les caisses du club près de 25 MDH selon ses propres déclarations. Un montant que Aziz Badraoui ne veut pas récupérer comme il l’a annoncé sur les ondes de Radio Mars, et qu’il considère comme un don au club.

Mais cela ne résout rien. Cet équilibre apparent ne prend pas en compte les déficits cumulés des deux derniers exercices, qui sont estimés à 33 MDH par l’équipe de campagne de Boudrika, ni les litiges, les arriérés de salaires et de primes à payer, encore moins les dettes fournisseurs citées plus haut.

Un déficit qui aurait pu être beaucoup plus important sans les recettes exceptionnelles engrangées entre 2020 et 2022 par le Raja après sa victoire à la Coupe arabe, sa participation aux compétitions africaines, les gros deals réalisés sur certains joueurs comme El Yamiq, Rahimi ou Malongo (162 MDH au total)… Si l'on ne se fie qu’à l’exploitation, aux recettes et aux dépenses récurrentes, le déficit structurel du Raja a été de 90 MDH sur les deux saisons 2020-2021 et 2021-2022.

Et c’est toujours la même histoire : le club vit largement au-dessus de ses moyens et compte sur les titres et les primes encaissées pour boucler la boucle. Pour les deux dernières saisons par exemple, les recettes récurrentes (billetterie, sponsoring, abonnements, adhérents…) ont atteint 86 MDH. Même pas de quoi couvrir les salaires et les primes de signature des joueurs qui étaient de 107 MDH !

Le Raja et le futur président qui sera élu ce vendredi doivent donc faire un choix : poursuivre la politique sportive ambitieuse qui consiste à faire de gros recrutements, "acheter" des joueurs stars, pour aller chercher la Botola, la Champions League Africaine, la Coupe arabe et autres championnats. Dans ce cas, l’un des deux candidats devra mettre la main à la poche pour éponger les dettes actuelles et absorber chaque année les déficits structurels qui naissent de l’activité ordinaire du club.

Soit - et c’est l’option la plus raisonnable selon tous les sages du Raja - revoir pour quelques années les ambitions du club à la baisse, s’appuyer sur la formation des joueurs, baisser la masse salariale, régler les arriérés, équilibrer les finances de l’association, lancer des projets à moyen terme pour améliorer les recettes dans l’objectif d’assainir la maison Raja. Un travail de fond que les deux candidats promettent de réaliser, sans promettre des résultats sportifs immédiats aux millions de supporters du club.

Reste à savoir si le peuple rajaoui saura se montrer patient. Ce qui n’est pas gagné d’avance...

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