Reportage. À 30 km de Settat, sur les berges asséchées du 2e plus grand barrage du Maroc

Le deuxième plus grand réservoir artificiel d’eau au Maroc est à son niveau le plus bas jamais enregistré. Il contient moins de 100 millions de mètres cubes, dont une partie est composée de vase. Une situation critique aux effets socio-économiques désastreux.

Illustration de la sécheresse qui accule le barrage d'Al Massira

Reportage. À 30 km de Settat, sur les berges asséchées du 2e plus grand barrage du Maroc

Le 22 mai 2023 à 11h17

Modifié 26 mai 2023 à 15h40

Le deuxième plus grand réservoir artificiel d’eau au Maroc est à son niveau le plus bas jamais enregistré. Il contient moins de 100 millions de mètres cubes, dont une partie est composée de vase. Une situation critique aux effets socio-économiques désastreux.

Malgré les dernières précipitations printanières, le barrage Al Massira est loin d’être tiré d’affaire. Les épisodes de sécheresse consécutifs affectent grandement les ressources mobilisables de la deuxième plus grande retenue d’eau artificielle du Royaume, par la taille de son bassin de retenue, après celui d’Al Wahda. La capacité du barrage, quasiment inutilisée aujourd’hui, est de 2,657 milliards de mètres cubes.

L’entrée du barrage Al Massira.

Outre les traditionnelles parties de pêche dont les berges de ce lac ont été le théâtre, plusieurs exploitations agricoles limitrophes du barrage ont été abandonnées par les agriculteurs. Une amère réalité aux fâcheuses conséquences socio-économiques.  

En ce vendredi 19 mai, à plus de 30 kilomètres de Settat, nous marchons sur une terre blanche sous l’effet des sédiments et minéraux. Une dizaine d’années auparavant, nous n’y aurions certainement pas eu accès à pied. L’immense étendue qui craquelle sous nos pas a été exposée au soleil par une sécheresse intense.

Le sol est jonché de débris, vestiges du temps où les eaux du barrage étaient assez puissantes pour charrier tout ce qui se trouvait sur leur passage. Un lointain souvenir. Car actuellement, le barrage Al Massira est à son plus bas niveau historique, depuis que les statistiques sur la situation des barrages sont relevées dans le pays. 

Ci-dessous, le barrage au temps de sa splendeur, il y a à peine quelques années.

100 millions de m³, une situation critique 

D’après la Direction générale de l’eau, relevant du ministère de l’Équipement, le taux de remplissage du barrage est de 3,7% (99,7 Mm³) contre 7,6% (200,6 Mm³) il y a un an, jour pour jour. Alors qu’il répond à une partie de la demande en eau potable de certaines villes les plus peuplées du Royaume, à l’image de Casablanca et Marrakech, faut-il s’attendre à de probables perturbations en termes d’approvisionnement ? 

Contactée, l’Agence du bassin hydraulique (ABH) d’Oum Errabiâ concède que la situation est en effet critique, sans pour autant s’étendre sur les mesures qui seront prises à court terme.

Lorsque les réserves du barrage sont passées en-dessous du seuil d’alerte des 10%, une année auparavant, la même source nous indiquait que si ce taux atteignait 3 ou 4%, sans apport au niveau de la pluviométrie et des écoulements avant le mois d’août, "nous serons peut être amenés à mettre en place des mesures d’économies d’eau, en plus de plusieurs actions de sensibilisation contre le gaspillage dans les grandes villes". 

Justement, à l’été 2022, plusieurs villes d’habitude alimentées par le barrage Al Massira ont été concernées par des restrictions et des coupures d’eau potable. Quid de cet été ? Le 8 mars dernier, lorsque le taux de remplissage d’Al Massira avait atteint 5%, nous avions interrogé l’ABH d’Oum Errabiâ sur l’éventualité d’opérer des lâchers d’eau à partir de l’ouvrage Ahmed El Hansali vers celui d’Al Massira. 

"Pour l’instant, les ressources disponibles dans les barrages relevant de l’Agence du bassin hydraulique d’Oum Errabiâ sont strictement réservées à l’approvisionnement en eau potable. Il n’y aura donc pas de lâcher d’eau", nous avait-on répondu. 

Une inaction forcée, imposée par le déficit pluviométrique mais aussi par la diminution du taux de remplissage du barrage Ahmed El Hansali. D’une capacité de stockage de 668,2 Mm3, ses réserves sont seulement de l’ordre de 46,5 Mm3 (7%)

Depuis 2015, une chute inexorable des réserves du barrage 

Le douar Oulad Si Ghanem a une vue imprenable sur le lac du barrage Al Massira. Du moins, ce qu’il en reste. En sortant de la mosquée du village après la prière du vendredi, Khalid (les prénoms ont été modifiés) a du mal à se faire au nouveau décor.  

"Même si le barrage est dans cet état depuis quelques années, je n’arrive toujours pas à m’y faire", nous confie, ému, ce père de deux enfants. "C’est désolant de voir le lac dans cet état, sans eau. Ses berges se situaient il y a une dizaine d’années à 200 mètres de la mosquée du village. Désormais, on doit parcourir plus d’un kilomètre pour atteindre le lac."

Il faut remonter en 2015 pour retrouver la trace d’un taux de remplissage qui dépasse les 90%. Depuis, les réserves du barrage sont en chute libre, comme le montrent les courbes ci-dessous, reconstituées par Médias24. 


Une chute inexorable qui a conduit, ces trois dernières années, à suspendre l’irrigation à partir de ce barrage, modifiant profondément le paysage agricole limitrophe. "Les agriculteurs se sont vu interdire l’irrigation à partir du barrage. Ils ont depuis perdu leurs cultures et leurs arbres fruitiers", s’agace Azzedine, agriculteur.

Posés sur une colline qui surplombe le lac, une cinquantaine d’oliviers abandonnés, qui n’ont pas encore atteint l’âge adulte, meurent à petit feu à cause du manque d’eau. En dépit du système de goutte à goutte soigneusement installé et prêt à les irriguer. Recouvert d’une épaisse couche de poussière, ce système semble ne plus avoir été actionné depuis des semaines.  

Les sillons et canaux creusés par les mouvements d’une ressource hydrique autrefois abondante, n’abritent plus que des chiens errants qui y trouvent de l’ombre à l’abri des parois et quelques flaques d’eau brunâtres pour s’hydrater.

Un canal, non loin du barrage Al Massira.

 A la lisière de cette désolante vision, quelques rares parcelles d’oliviers et de cultures fourragères survivent tant bien que mal, "grâce à l’eau pompée à partir des puits qui se tarissent d’année en année", confie Azzedine, qui éprouve toutes les peines du monde à irriguer quelques hectares d’oliviers. 

Et pour cause, l’aquifère de la région a atteint un niveau plus que préoccupant. "Les plus chanceux puisent l’eau à partir de 120 mètres de profondeur". Certains agriculteurs ont creusé trois puits sans pour autant en trouver. "C’est le cas de mon cousin agriculteur, qui a foré un puits de 100 mètres à 35.000 DH", s’insurge Khalid.

Chômage et immigration clandestine 

A quelques encablures du douar Oulad Si Ghanem, la forêt d’eucalyptus qui était le creuset d’un écosystème riche en faune et en flore se conjugue désormais au passé. Seuls quelques arbres résistent, attendant d’être coupés, à l’image de leurs devanciers. 

La forêt d’eucalyptus n’est plus qu’un lointain souvenir.

"Il y avait un petit canal qui acheminait l’eau vers la forêt. Mais la ressource s’est raréfiée d’année en année, pour finalement ne plus atteindre la forêt", déplore Khalid. "Ce qui a fait le plus de mal aux douars avoisinant le barrage, c’est l’arrêt des activités de pêche", complète-t-il. 

Une activité grâce à laquelle Mohamed, la cinquantaine, gagnait assez bien sa vie. "Les touristes arrivaient par dizaines tous les jours pour pêcher le Black Bass sur les bords du lac. Les pêcheurs du douar gagnaient jusqu’à 700 DH par jour grâce à cette activité", se remémore Mohamed, nostalgique, en exhibant un album photo. 

Au vu des clichés qu’il regarde affectueusement, on a dû se frotter les yeux pour croire qu’il y avait encore quelques années (2007), la vie foisonnait sur le barrage Al Massira. Les ravages de la sécheresse ont clairement été d’une rare intensité.   

"Depuis 2010, nous sommes passés de 45 à cinq barques de pêche", indique Mohamed. Attablés en compagnie de quelques jeunes du douar autour d’un généreux couscous, nous avons tenté d’en savoir davantage sur les alternatives et perspectives qui s’offrent à une population dont le regard transpire l’incompréhension.  

Le silence gêné qui a suivi en dit long sur la souffrance insondable endurée par cette jeunesse, impuissante face aux conditions climatiques extrêmes. "À part quelques-uns qui s’obstinent à tenter encore leur chance dans les eaux du barrages pour pêcher, la majorité ont immigré clandestinement vers l’Europe, alors que d’autres ont fui vers les villes", concède Khalid.  

"Certains sont restés et travaillent notamment dans la construction, mais la majorité n’ont aucune perspective d’avenir et vivent dans des conditions difficiles", s’inquiète-t-il, sans se plaindre. Il regrette pourtant le temps où le barrage contenait tellement d’eau "qu’il suffisait d’un vent fort pour que des vagues d’un mètre s’y forment". Mythe ou réalité ? En l’état, difficile d’en avoir le cœur net. 

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