Irrigation. À Tiznit, les eaux usées épurées, une aubaine pour régénérer les parcelles agricoles

Alors que les ressources en eau conventionnelles allouées à l’irrigation s’amenuisent, la réutilisation des eaux usées épurées apparaît comme une alternative crédible, notamment dans la production de plantes fourragères. La Station d’épuration des eaux usées de Tiznit en est un parfait exemple.

Irrigation. À Tiznit, les eaux usées épurées, une aubaine pour régénérer les parcelles agricoles

Le 15 mai 2023 à 19h31

Modifié 16 mai 2023 à 15h34

Alors que les ressources en eau conventionnelles allouées à l’irrigation s’amenuisent, la réutilisation des eaux usées épurées apparaît comme une alternative crédible, notamment dans la production de plantes fourragères. La Station d’épuration des eaux usées de Tiznit en est un parfait exemple.

Située à moins de deux heures d’Agadir, la Station d’épuration des eaux usées (STEP) de Tiznit permet l’exploitation et l'irrigation de plusieurs dizaines de parcelles, longtemps abandonnées à cause de la pénurie d’eau qui sévit dans la région de Souss-Massa.

Grâce à cette station, deux plantes fourragères, le sorgho et la luzerne, sont cultivées dans le périmètre agricole de Tiznit. Il s'agit d’une expérience pilote qui fait l’objet d’un suivi scientifique dans le cadre du projet de recherche* sur la régénération des régions oasiennes. Etalé sur trois ans (2022-2025), ce projet, financé par le Fonds national suisse, est porté par la Haute Ecole de travail social (HETS) de Genève, composante de la Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale (HES-SO). 

"Notre projet vise à comprendre les processus de réutilisation des eaux usées à des fins paysagères et agricoles dans des villes moyennes, soulevant des questions spécifiques différentes des grandes métropoles de pays émergents qui ont été largement documentées", explique David Goeury, l’un des participants au projet. L’enseignant chercheur au laboratoire Médiations de Sorbonne Université assure que cette initiative "peut jouer un rôle déterminant pour régénérer un espace agricole délaissé depuis cinq décennies".  

D'importantes potentialités en matière d’irrigation 

Les eaux épurées de la STEP de Tiznit sont une aubaine pour les agriculteurs.

Au milieu des années 1980, une première station d’épuration des eaux usées avait vu le jour à Tiznit, à la limite nord du périmètre de Targa n’Zit. Trente ans plus tard, le boom démographique, les nuisances olfactives et les dysfonctionnements de cette STEP ont convaincu les autorités locales et l’Office national de l'électricité et de l’eau potable (ONEP) de la nécessité de construire une nouvelle structure d’épuration. 

Cette nouvelle station utilise le lagunage, une technique d’épuration qui repose sur le principe de recréer des milieux ou des bassins tampons dans lesquels les eaux usées ou polluées vont transiter, avant d'être rejetées dans le milieu naturel. 

Mieux dimensionnée, la STEP possédait sur le papier d'importantes potentialités en matière d’irrigation. Sauf que ses caractéristiques n'entraient pas dans le cadre réglementaire de l’utilisation des eaux non conventionnelles pour l’irrigation.

"Le changement de législation est survenu en 2015. Dans ce nouveau cadre légal, les normes de sécurité sanitaire étaient encore plus drastiques, sauf que les dispositifs utilisés (filtre à sable, filtre à disque) fournissaient des eaux à la limite des normes autorisées par l’OMS."

D’où l'intérêt d’ajouter un nouveau dispositif de filtration à ultraviolet (UV), permettant d’éliminer tout un ensemble de virus. "Nous avons initié un programme de recherche action avec Marc Breviglieri et Zsolt Vecsernyès qui avait pour but de faire un diagnostic détaillée de la situation en mobilisant à la fois des chercheurs et des ingénieurs spécialisés dans la réutilisation des eaux usées pour proposer un cadre d’amélioration du dispositif", explique David Goeury.

"A la suite de ce travail, l’Agence de coopération internationale allemande (GIZ) a décidé de financer l’amélioration du dispositif de filtration par l’installation de filtre à UV et de panneaux solaires pour assurer l’autonomie énergétique de la filtration."

Un important investissement public

La filtration, qui permet aux eaux usées à vocation agricole traitées par la STEP de Tiznit de remplir les standards et critères d'hygiène nécessaires, n’est pas gratuite. "Le coût de la filtration et celui du réseau de redéploiement d’irrigation est assez élevé, du fait des multiples contraintes techniques d'un projet commencé avec un cadre légal différent de celui en vigueur actuellement", précise David Goeury. 

Un investissement pris en charge initialement par le ministère de l'Agriculture et la municipalité de Tiznit, complété par la coopération internationale. "L’eau de la source historique, dite de Regadda, est actuellement utilisée pour l’approvisionnement en eau potable des communes rurales au sud de Tiznit, dans la province de Sidi Ifni. De fait, les agriculteurs ont demandé une compensation en exigeant de pouvoir utiliser l’eau de la STEP. Cependant, il faut pour cela s'assurer de la sécurité sanitaire des exploitations agricoles", indique notre interlocuteur. 

Idem pour les nouveaux aménagements hydro-agricoles. "Il s’agit d’un réseau d'irrigation enterré pour éviter les phénomènes d’écoulement de surface d’une eau qui n’est pas propre à la consommation humaine", explique-t-il.

Les eaux usées sont extrêmement riches en nutriments. Donc, si elles ne circulent pas dans des canalisations fermées, il risque d’y avoir au bord des canaux de surface une végétation qui se développe rapidement. C’était justement le cas auparavant à Tiznit, avec un foisonnement de plantes opportunistes (ricin, canne).

"Cette situation crée des problèmes par la formation de taillis qui vont ralentir la circulation de l’eau et surtout favoriser l'installation d’animaux comme des sangliers qui sont une réelle menace pour les cultures", poursuit-il.

Une organisation collective

La consommation de chaque agriculteur est contrôlée via des bornes numérotées.

Ce réseau d’irrigation enterré est connecté à des bornes pour le suivi du débit consommé en mètres cubes par chaque agriculteur. La réutilisation des eaux usées de la station de Tiznit repose sur un dispositif collectif, géré par l’Association des usagers de l’eau agricole (AUEA) dénommée "Ibharen".

Fondée en juin 2006, cette association regroupe tous les propriétaires des terres agricoles pouvant être potentiellement irriguées dans le cadre de conventions. "83 agriculteurs sont conventionnés et s’organisent collectivement pour accéder à l’eau via le dispositif de filtration et un réseau qui dessert deux périmètres au nord de Tiznit : le périmètre historique, qui était lié à l’ancienne oasis que l’on appelle Targa N’zit, et un périmètre de recueil des eaux de crue, Attebane, qui est administrativement dans la commune rurale d'Aglou."

Concrètement, il s’agit de 665 parcelles sur une superficie de 433 ha : 207 ha sur la rive droite de l’oued Toukhsine, et 226 ha sur la rive gauche. "Les agriculteurs s’engagent à respecter le protocole sanitaire et à ne faire que des mises en culture autorisées par la loi. Les deux cultures choisies sont le sorgho et la luzerne", précise David Goeury 

"Toute l’eau de la STEP de Tiznit est traitée par lagunage et arrive dans un bassin où sont installées des pompes que les agriculteurs doivent activer pour que l’eau épurée passe par les dispositifs de filtration." Le débit d’écoulement moyen est de 54 litres par seconde, "soit largement supérieur à toutes les autres sources d’eau. Celui-ci peut atteindre plus de 67 litres par seconde. Le débit actuel est à 4.500 m3 par jour, selon l'ONEP", souligne le chercheur.  

La facturation s'établit à 0,50 DH, 0,75 DH ou 1 DH le m3. "Une tarification par tranche adoptée pour favoriser les petits agriculteurs possédant de petites parcelles. Ils peuvent ainsi accéder à l'eau à moitié prix", ajoute-t-il. Un élément déterminant puisque seules quatre parcelles dépassent les 5 ha. La taille moyenne est de 0,65 ha, avec de nombreuses parcelles dépassant à peine 500 m².

S’agissant de la mise en culture, son déploiement est progressif. "C’est un processus de longue durée car pour mettre en culture une terre abandonnée, il faut un financement important, et le retour sur investissement avec de la luzerne se fait au bout de 6 à 10 mois selon les agriculteurs sondés."

"Et du fait de la dimension pionnière de Tiznit, il est important de documenter dans la durée ces stratégies agricoles pour comprendre comment elles vont s'articuler aux filières agro-industrielles, notamment laitières", conclut notre interlocuteur. 

Régénération des régions oasiennes. Vers une convergence des dimensions techniques, institutionnelles et écologiques des écosystèmes ? 

Équipe du projet : 

Marc Breviglieri (requérant, investigateur principal, professeur de sociologie à la HETS de Genève), David Goeury (adjoint scientifique à la HES-SO), Lucia Borbone (post-doctorante à la HETS), Hind Ftouhi (Post-doctorante), Mohamed Mouskite, (professeur d’histoire à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech).

Consortium de recherche : 

Khadija Zahi (professeur de sociologie à l’Université Cadi Ayyad de Marrakech), Zakaria Kadiri (professeur de sociologie à la Faculté Aïn Chock de Casablanca), Salima Naji (architecte, docteure en anthropologie), Irène Carpentier (chercheuse en géographie au CIRAD à Montpellier), Lisa Bossenbroek (chercheuse en sociologie à l’Université de Landau).

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